Face à la mer, les deux collègues échangeaient avec les agents sétois à travers l'écran de téléphone du commissaire. Et vue sa mine renfrognée, aucun doute, la commandante était contrariée… Alors dès qu'Antoine eut raccroché, la blonde se précipita sur la paille rose de son cocktail en maugréant, sous l'œil amusé de son partenaire.
« Quoi ? lança-t-elle en l'observant se moquer d'elle gentiment.
- Qu'est-ce qu'il y a ? osa-t-il demander.
- Mais y a qu'on est nuls Antoine ! À chaque fois qu'une piste s'offre à nous, elle se referme en deux secondes… Ah t'inquiète pas qu'elle doit bien rire de là où elle est, Émilie !
- Eh… commença-t-il en approchant doucement de sa collègue. Tu dramatises là. On fait ce qu'on peut, d'accord ? continua-t-il en caressant son dos.
- Sauf que ça fait quatre jours qu'on est dessus… Quatre… Et ça avance pas !
- Tu rigoles ou quoi ? Rappelle-moi qui a eu l'idée de venir ici ? Hein ?
- Moi mais…
- Voilà ! Et depuis qu'on est là, on avance… On aurait jamais trouvé ce carnet si on était restés à Sète… On aurait jamais compris pour le viol… On…
- Mais on traîne… pesta-t-elle en le coupant.
- Candice… On peut pas aller plus vite que la musique ! On va y arriver… Et ça nous prendra la temps que ça nous prendra, ok ?
- Hum… acquiesça-t-elle difficilement. Et le proc gueule pas ?
- Non parce qu'il est sur une grosse affaire avec la BRI... Saisie de stups' je crois... Alors bon... C'est pas trop la priorité du moment...
- Heureusement parce que sinon, je l'entends hurler d'ici là tiens !
- Bon ! Candice... Demain matin, on a rendez-vous avec le gynécologue qui s'est occupé de Camille. Ensuite on prend le train… On rentre tranquillement et…
- C'est à quelle heure le train ? le coupa-t-elle.
- On doit arriver vers 16h à Sète, si tout va bien évidemment… Perrin a réservé le train d'11h je crois.
- Si y a pas de retards, ce serait un miracle… ironisa-t-elle avant de siroter son cocktail à nouveau. J'aurais dû le prendre avec alcool mon cocktail. Ça m'aurait détendu au moins…
- J'avoue que tu m'as surprise… Mais c'est bien ! Si tu t'es enfin décidée à prendre en compte les prescriptions de ton cardiologue… continua-t-il en souriant.
- Ah non non ! Sans alcool, c'est mon coach sportif qui m'oblige. Sinon c'est trop sucré et c'est pas bon pour ce que j'ai…
Antoine la dévisagea de haut en bas d'un regard perplexe.
Quoi ?
- Bah j'vois pas le problème…
- C'est normal j'ai minci…
- D'accord mais… même avant… je voyais pas le problème… t'étais très bien !
- Peut-être…
- Et ce coach sportif… Il sort d'où ?
- C'est un ami de Marion. C'est elle qui me l'a conseillé…
- Et... Il est comment ?
- Bien... Il me redonne confiance en moi... Après ce qu'il s'est passé entre nous... J'avais besoin de reprendre ma vie en main et… de pas me laisser aller… puis ça m'aide à penser à autre chose…
- Ok… lâcha-t-il dubitatif.
- L'idée ne te plaît pas ?
- Non c'est pas ça… C'est juste que je veux pas qu'il te transforme en brindille c'est tout…
- Oh bah il aurait du boulot… continua-t-elle en rigolant.
- Tant qu'il te laisse tes jolies formes, ça me va… confessa-t-il tout bas avant de s'emparer de son cocktail à son tour. »
Candice osa difficilement poser les yeux sur lui, gênée de cet aveu. La situation était drôlement étrange… Les deux n'étaient plus en couple mais… cet après-midi passé ensemble baignait très clairement dans l'ambiguïté. Et le dernier sous-entendu qu'il venait de se permettre le démontrait particulièrement. Alors la blonde se contenta de sourire doucement, incapable de rétorquer quoique ce soit… Pourtant, ses mots lui faisaient du bien et venaient atténuer ses doutes, lui démontrant peut-être qu'Antoine n'était toujours pas indifférent à son charme… Alors même si elle était encore loin des certitudes, elle le prit positivement, songeant à tous les potentiels indices qu'Antoine avait semé toute la journée. La jalousie d'abord, signe évident qu'il pensait pourtant discret, à tort évidemment… Puis cette proposition de balade dans le centre-ville qui avait presque prit une tournure romantique lorsqu'il l'avait traîné sur ce banc avec un cornet de glace qu'ils avaient finalement partagé… Ensemble… Comme avant… Et maintenant, le commissaire venait d'oser ces quelques mots… Et en une phrase, il l'avait faite sombrer dans l'incommodité. Et en une phrase elle avait senti ses joues s'empourprer. Et en une phrase elle avait paniqué… S'imaginant Antoine tenter un rapprochement qui ne devrait en aucun cas avoir lieu… Alors intérieurement, elle priait pour que son capitaine débarque, se convainquant qu'à trois au moins, son collègue serait dans la retenue et n'oserait plus de tels compliments à son égard… Hélas, Antoine sauta à nouveau dans le bain de la mignonnerie…
« Au fait… Ton rendez-vous chez le cardiologue la semaine dernière s'est bien passé ?
- Tu t'en souviens ?! s'étonna-t-elle.
- Bah oui... Je l'avais noté dans mon agenda… Mais j'ai pas osé te demander…
- Il a été annulé de toute façon...
- Ah bon ?! Et tu le revois quand ?
- Dans 6 mois.
- 6 mois ?! s'offusqua-t-il. Mais si y a un problème ?! fin' on peut pas annuler un rendez-vous comme ça c'est...
- Mais je l'ai vu y a un mois ça va...
- Ah... Et alors?
- J'ai refait une crise... C'est pour ça que je l'ai vu en avance...
- Ah bon ? paniqua-t-il. Mais c'est grave ?!
- Non… Je… J'avais oublié de prendre mes médicaments. Plusieurs fois... Et… J'ai fait un malaise… Comme j'avais du mal à respirer, Sacha m'a emmené à l'hôpital mais je suis sortie dans la journée…
- T'avais oublié tes médicaments ?! répéta-t-il indigné.
- Mais c'est rien…
- Donc tu t'es toujours pas décidée à prendre soin de toi en fait…
- Excuse-moi mais j'avais d'autres choses en tête à ce moment-là aussi… tu veux vraiment qu'on revienne dessus ?! s'agaça-t-elle.
- Non c'est bon… maugréa-t-il.
- Voilà !
- Et ce matin tu les as pris ? Non parce que je t'ai pas vu sortir la plaquette.
- Oui parce que je les ai pris avant de venir au petit-déjeuner. Ça va ? C'est bon ? J'peux continuer de vivre ou me faut un avocat ?
- Désolé de m'inquiéter hein… ironisa-t-il.
- Mais je t'ai déjà dit cent fois d'arrêter de t'inquiéter comme ça ! Je gère !
- Hum… lâcha-t-il dubitatif.
- Ça veut dire quoi ça ?
- Ah ! Nathan arrive… lâcha-t-il faussement satisfait pour couper court à la conversation.
- Eh bah ! J'vois qu'on s'en fait pas… déclara le capitaine en se plantant devant leur table.
- Écoute… On est pas vraiment en service hein…
- J'vois ça…
- Tu te joins à nous ?
- Allez ! s'enthousiasma-t-il en allant commander un cocktail au bar.
- La journée était donc belle jusqu'à maintenant… déplora Antoine, faussement boudeur.
- Roh ! Tu arrêtes oui ?!
- Je plaisante…
- Alors ?! demanda le capitaine en revenant autour de la table. Vous avez fait quoi du coup ?
- On s'est baladés… Antoine m'a fait découvrir le meilleur glacier de la ville…
- Oui c'est les vacances quoi… ironisa-t-il alors que les deux rigolaient à leur tour. Et t'as dévalisé les boutiques… remarqua-t-il en montrant son sac.
- Cadeau du commissaire… expliqua-t-elle mielleuse en souriant vers Antoine.
- Oh… Mais que la police est généreuse…
- Hum…
- Et des nouvelles de Sète ?
- Ouais… Ils ont retrouvé le journal intime de Camille. Y a des pages d'arrachées et on pense que dessus y avait mention du viol… Le problème c'est qu'on a aucune idée de qui peut en être à l'origine…
- Et elle l'a récupéré où ce journal ?
- D'après l'équipe, c'était bien dans leur ancienne maison de vacances. Elle a été rachetée par un couple de retraités et ils ont trouvé dans un des placards du garage un carton avec les affaires de Camille… Au lieu de le jeter, ils l'ont gardé…
- Attends mais… Ça veut dire que personne n'a cherché ses affaires avant ?
- Visiblement non… Ils confirment avoir vu Émilie… Elle était super émue quand ils ont sorti le carton et elle leur a confié qu'elle avait jamais eu le cran de retourner dans la maison depuis la mort de sa sœur…
- Super… répliqua-t-il ému. Donc t'es en train de me dire que le seul moyen de trouver le meurtrier d'Émilie c'est en cherchant le violeur de Camille c'est ça ?
- Oui… confirma Candice avec émotion.
- Mais si on a plus les pages du journal… Comment on va faire maintenant ?
- Faut que je le lise. J'ai demandé à Mehdi de le déposer chez moi… Comme ça, je rentre et j'y jette un œil. On sait jamais… Y a surement un truc qui l'a mise sur une piste…
- Ouais… Mais quel est le lien avec les croix dans son agenda… ?
- On en sait rien… répondit durement Antoine. Tout est un peu embrouillé…
- Faut que le gynéco nous donne les dates précises des consultations de Camille demain… Histoire de réduire un peu le champ des possibilités… Sinon on s'en sortira pas…
- Ouais… confirma Nathan avant de remercier le serveur pour son cocktail. Bon on avance un peu quand même…
- Ah tu vois ! s'exclama Antoine en s'adressant à sa partenaire.
- Oui bon ça va… répliqua-t-elle d'un ton las. »
. . . . .
« Vous voulez le fauteuil ou… on partage le lit ? demanda Nathan à son supérieur en ajustant la housse de couette sur le matelas.
- Euh… Bah le canapé non… ? répondit-il surpris.
- Non mais c'est pour savoir… Parce que niveau confortabilité, un matelas et un sommier c'est mieux quand même…
- Oui enfin le lit n'est pas grand… On risque de se monter dessus en pleine nuit-là… plaisanta-t-il.
- Je peux être sage aussi vous savez… lança-t-il d'un sourire coquin. »
Antoine le fixa dubitatif. La dernière réplique du capitaine faisait clairement allusion à un potentiel rapprochement intime et le commissaire s'en trouvait dérouté. Perplexe, il s'empressa de récupérer son portable dans sa veste et s'en saisit avant d'annoncer son départ.
« Euh… J'vais téléphoner à ma fille… Installez-vous dans le lit, je prendrai le fauteuil.
- Ok… acquiesça-t-il en l'observant partir. »
Antoine referma la porte de sa chambre avant de souffler. Oui, le commissaire venait très clairement de sortir une excuse bidon à son collègue pour fuir hors de ses griffes. Et maintenant, il se retrouvait seul dans ce couloir revêtu de papier-peint couleur prune. La porte en bois face à lui, lui faisait de l'œil, le provoquant presque… Et l'envie de la frôler était grande… En tout bien tout honneur évidemment… Ou presque…
« Moi je t'aime encore en fait ! » entendit-il résonner dans son esprit. Il n'avait pas réagi à ses mots, se contentant de l'observer s'en aller à grandes enjambées. Et tout le reste de la journée, Candice avait ignoré ce ''dérapage''… Faisant comme si ces sept petites lettres n'étaient jamais sorties de sa bouche… Pourtant, le commissaire voulait à tout prix rebondir dessus. Alors il prit son courage à deux mains et fonça vers la porte voisine où il se permit de toquer.
À l'intérieur, la blonde resserra son kimono, signe flagrant d'appréhension… Au fond, Candice le savait… Antoine se trouvait probablement derrière la porte et évidemment, il n'était pas là pour parler chiffon. Mais était-elle réellement prête à l'affrontement ?
