Chapitre 3


Harry n'était jamais conscient du moment où il basculait dans le cauchemar, était à peine conscient, à un certain niveau, que ça devait être un cauchemar… Et pourtant c'était tellement réel… La terreur qui le prenait à la gorge, l'éclat de la lune sur la lame du couteau, le trophée qui avait roulé au pied d'une pierre tombale, le hurlement de sa mère, la lumière verte et…

Quelqu'un était penché sur lui.

Il se débattit contre la main qui emprisonnait son épaule.

La lumière était allumée mais tout était flou.

Il parvint à échapper au Mangemort à ramper pour mieux se sauver. Il y avait un vide derrière lui et il tomba lourdement au sol, encaissa le choc sur ses fesses mais continua à s'éloigner autant qu'il le pouvait alors que la masse floue se rapprochait inexorablement et…

« Potter ! Potter, réveillez-vous ! »

Harry respirait vite et fort, il chercha sa baguette à tâtons dans la terre mais… c'était du bois sous ses doigts. Du bois rêche, le genre qui laissait des échardes. Sa baguette. Sa…

« Potter… »

La forme s'était rapprochée encore, trop près. Trop près.

Il voulut reculer. Se cogna violemment la tête contre quelque chose…

« Harry. » répéta la masse, avec une certaine alarme.

Une main attrapa à nouveau son épaule, l'autre poussa quelque chose sur son visage. Harry cria, voulut se débattre mais…

Snape – parce que, maintenant qu'il y voyait clair, c'était Snape – le lâcha et recula un peu, les mains levées. Ses mains étaient vides, il ne portait ni le masque, ni les robes des Mangemorts, juste son pantalon gris à carreaux et un tee-shirt noir… Harry regarda autour d'eux, haletant, son cerveau refusant de faire les liens logiques…

Ils n'étaient pas dans un cimetière.

Les informations lui revinrent par vagues, lentement, difficilement.

La mezzanine.

Le cottage.

L'Écosse.

« Tout va bien. » déclara Snape, de son ton faussement doucereux. « Respire. »

Harry fit un effort pour calmer sa respiration anarchique mais cela prit du temps. Il sentit quelque chose rouler sur ses joues, se rendit compte, cramoisi de honte, qu'il pleurait…

Le Professeur eut la bonté magnanime de ne pas se moquer lorsqu'il souleva ses lunettes pour essuyer son visage d'un revers de bras rageur.

« Sais-tu où tu es ? » demanda calmement l'homme.

Il savait où il n'était pas et c'était le cimetière.

Il savait aussi que la dernière fois qu'il avait fait un cauchemar aussi violent, Oncle Vernon avait failli en venir aux mains et l'avait secoué brutalement jusqu'à ce qu'il reprenne ses esprits pour mieux lui hurler dessus avant de le laisser par terre dans un coin de sa chambre. Il savait que, le lendemain, il avait dû désherber tout le jardin parce que s'il était suffisamment fatigué, il dormirait peut-être la nuit et que les gros doigts de son oncle avait laissé des bleus sur ses bras.

« Je… Je suis désolé… » balbutia-t-il, sa respiration s'accélérant à nouveau. Il n'y avait pas de jardin, mais si Snape lui faisait désherber la zone, vu la friche qu'il y avait alentour, il en aurait pour des jours. « Je suis désolé. Je… »

« Potter… Harry, calme-toi et respire. » répéta le Professeur, plusieurs fois.

« Je ne voulais pas vous réveiller. » insista-t-il. « Je suis désolé. Je… »

« Ce n'est pas grave. » le coupa l'homme.

Mais c'était grave.

C'était potentiellement très grave.

Ron ne s'était pas plaint les fois où il l'avait réveillé mais Ron était son meilleur ami, ce n'était pas…

« Je suis désolé… » répéta-t-il.

Le Professeur approcha une main qu'Harry esquiva par réflexe, baissant la tête et ramenant ses jambes vers lui jusqu'à être une boule qui, le cas échéant, pourrait encaisser les coups. Il sentit, plus qu'il ne vit, l'homme se figer. Lorsque sa main se posa finalement à l'arrière de son crâne, elle ne fut pas violente. Mais Harry siffla tout de même, parce que…

« Tu en es quitte pour une belle bosse. » soupira Snape, en retirant sa main. « Mais il n'y a pas de plaie. » Il s'était cogné, se souvint Harry, probablement contre le rebord du bureau sous lequel il était à moitié réfugié. « Il vaudrait mieux mettre de la glace. J'allais me faire un lait chaud, de toute manière. Viens donc à la cuisine, quelques minutes. »

Il respirait toujours un peu trop vite et trop fort mais lorsque Snape s'éloigna légèrement, il se contraignit à sortir de là où il s'était recroquevillé, les membres étrangement lourds et crispés. Il l'observa avec méfiance pourtant le Professeur ne laissait rien paraître. L'homme ramassa les draps qui avaient glissé du lit au lieu de lui hurler de ranger son désordre, voulut allumer la lampe sur pieds et fronça les sourcils en constatant qu'elle ne marchait toujours pas…

« Je vois que nous avons atteint les limites de votre autonomie et que vous ne savez pas changer une ampoule… » marmonna le Professeur, en s'engouffrant dans l'escalier.

Harry le suivit mais en prenant garde de laisser une bonne distance entre eux. Juste au cas où. Il fit le tour même pour aller s'asseoir sur la chaise que lui désigna Snape et se tendit à nouveau, prêt à bondir lorsque le sorcier sortit un sachet de petits pois du congélateur et le lui tendit. Une fois que l'adolescent l'eut en main, il se détourna et entreprit de faire chauffer du lait comme si de rien n'était, comme si tout était parfaitement normal.

Mais rien n'était normal.

Où étaient les hurlements ?

Les rappels qu'il était une erreur de la nature ?

Les monstre ! jetés avec mépris.

Au minimum, les menaces de retenues pour avoir troublé le calme nocturne ?

Lentement, il parvint à ralentir sa respiration, à calmer les battements anarchiques de son cœur… Jamais il n'avait eu aussi peur de Snape à Poudlard. Jamais il n'aurait eu aussi peur de Snape à Poudlard. Poudlard était un endroit sûr. Mais, ici , les règles étaient différentes. Ici, l'homme n'était plus un Professeur qui devait rendre des comptes à sa hiérarchie. Ici, comme il l'avait rappelé à Harry plus tôt, il avait le pouvoir d'un tuteur légal et…

« Voulez-vous du miel dans votre lait ? » demanda Snape, d'un ton totalement égal.

À croire qu'ils se réunissaient tous les jours à… Il jeta un coup d'œil à la pendule. À croire qu'ils se réunissaient tous les jours à une heure du matin pour prendre un lait chaud.

Le regard d'Harry dériva vers la bouilloire. L'avait-il replacée exactement comme il fallait plus tôt ? Y avait-il une trace de son incartade ?

« Harry ? »

Le son de son propre prénom l'affola presque plus que s'il avait hurlé son nom de famille. Le sorcier attendait, un pot de miel ouvert à la main, qu'il lui réponde.

« Pourquoi est-ce que vous n'êtes pas fâché ? » lâcha-t-il, avant d'y réfléchir à deux fois.

Il aurait préféré qu'il hurle.

Il aurait préféré que la tempête passe.

« Avez-vous fait quelque chose qui justifie que je me fâche, Mr Potter ? » demanda Snape, en levant un sourcil. Un éclat soupçonneux s'alluma dans ses yeux noirs. « Vous n'avez pas accidentellement fait de magie, n'est pas ? »

Harry secouait la tête avant qu'il ait terminé de poser la question. La baguette était restée sous l'oreiller. C'était bête. Très bête. Potentiellement bête comme : je vais mourir comme mon père parce que j'étais suffisamment confiant pour me désarmer.

« Je vous ai réveillé… » marmonna-t-il, en pressant finalement le sachet qui lui gelait la main à l'arrière de sa tête. Il fit la grimace. Parce que c'était froid et parce que ça faisait mal.

« Je réitère ma question : avez-vous fait quelque chose qui justifie que je me fâche ? » répéta le Professeur.

« Je suis désolé de vous avoir dérangé. » tenta-t-il encore.

Snape l'étudiait avec son regard de rapace. Harry préféra fermer les yeux, poser son bras sur la table et y appuyer la tête, tout en continuant à presser les petits pois sur sa bosse.

Il ne comprenait pas pourquoi l'homme n'était pas en colère ou, au minimum, pourquoi il n'avait pas tenté de se moquer de lui.

« Miel ? » s'enquit Snape, de manière complètement surréaliste.

« Oui. Merci. » répondit Harry. Il rouvrit les yeux à temps pour voir le Professeur lécher la cuillère avant de la mettre dans l'évier.

Il le rajouta à la liste des choses bizarrement humaines que faisait visiblement Severus Snape dans le dos de ses élèves.

L'homme porta les deux tasses jusqu'à la table avec précaution et poussa celle d'Harry plus près de lui. Les yeux verts accrochèrent ce que le tee-shirt ne cachait pas.

La Marque était d'un noir d'encre qui était trop sombre pour être naturel et c'était peut-être un effet d'optique à cause de la mauvaise luminosité mais on aurait dit qu'elle bougeait légèrement. Snape suivit son regard et retira brusquement sa main. La seconde suivante, il était parti en trombe de la cuisine et Harry referma les yeux, résigné à son sort.

C'était l'erreur de trop, sans doute.

Snape était probablement allé chercher un instrument de torture ou…

Mais lorsque le Professeur revint, il prit place en face de lui calmement et ramena sa tasse de lait chaud vers lui, comme s'il voulait s'y réchauffer les mains.

Il avait enfilé le même sweatshirt marron qu'il avait porté ce matin-là.

Bien sûr, cela aurait pu être une question de température. Il faisait plutôt froid dans le cottage à cette heure-ci mais Harry devina que c'était son regard prolongé qui avait été la cause de ce changement de tenue.

« Vous n'êtes pas obligé… Vous n'êtes pas obligé de la cacher. » bafouilla-t-il, en se redressant, parce qu'il était clairement suicidaire ce soir-là. « Vous êtes chez vous et… Vous n'êtes pas obligé de la cacher pour moi. »

Il n'osa pas croiser le regard de Snape mais posa le sachet de petits pois sur la table et essuya sa main froide et mouillée sur son pantalon de pyjama.

« Le monde ne tourne pas autour de vous, Potter. Je la cache parce que c'est un de mes plus gros regrets. » répondit le Professeur. Et probablement, songea le garçon, qu'il devait en avoir honte et était trop fier pour l'admettre. L'homme laissa passer quelques instants. « De plus, vous me pardonnerez d'être frileux. »

Harry émit un bruit amusé parce que Snape vivait dans les cachots et il doutait fort qu'il soit vraiment frileux. Il y faisait approximativement moins dix en hiver et autour de zéro le reste de l'année.

Il osa braver les yeux noirs puis se remémora leur conversation sur la magie de l'esprit et reporta son attention sur la tasse de lait devant lui. « Je suis désolé de vous avoir dérangé. »

Un claquement de langue agacé qui précédait généralement un retrait de point collectif brisa le silence. « Dites-moi… Est-ce moi qui vous terrifie à ce point ou bien votre tante est-elle très susceptible lorsqu'elle est réveillée au milieu de la nuit ? »

Harry ne commit pas l'erreur de répondre.

Il regarda le lait et attendit que ça passe.

Parler des Dursley ne menait à rien d'autre que de se voir traité de menteur.

Et il n'allait certainement pas se confier à Snape.

L'homme avait peut-être été remarquablement correct jusque là mais Harry n'oubliait rien. C'était le Directeur de Serpentard, l'ennemi juré de son père – et de Sirius – et tout ce qu'il lui dirait serait retourné contre lui à un moment ou à un autre.

« Demain, nous débuterons les sessions d'Occlumencie. » déclara le Professeur. « À terme, cela diminuera vos terreurs nocturnes. »

« Comment vous pouvez en être sûr ? » soupira-t-il, en passant la main sous ses lunettes pour se frotter les yeux.

« Parce que cela m'a permis de contrôler les miennes. » lâcha Snape, avec une franchise qui le prit au dépourvu. « Une vérité pour une vérité : pourquoi êtes-vous tellement persuadé que je me mettrais en colère parce que vous avez fait un cauchemar ? »

Mal à l'aise, il gigota sur sa chaise. « Je vous ai réveillé. »

« Et alors ? » s'impatienta le Professeur. « Vous êtes sous ma responsabilité et vous étiez en détresse. »

Ça n'avait jamais empêché les Dursley de lui dire de se taire.

La leçon avait été acquise très tôt et chèrement. Pleurer ou appeler à l'aide dans son placard ne lui avait jamais rien valu de bon. Faire semblant de ne pas exister, en revanche…

Il but une gorgée de son lait chaud mais sa gorge se serra lorsqu'il se rendit compte que c'était une des rares fois où un adulte avait pris le temps de lui préparer une boisson réconfortante après un cauchemar – Mrs Weasley l'avait fait pour lui, une fois, avant la deuxième année une de ces fois où il avait fait semblant qu'il était son fils et…

« Et alors vous êtes censé dire que je fais ça pour être au centre de l'attention, comme mon père. » cracha-t-il. « Que je cherche à me faire plaindre. Que j'ai été trop longtemps séparé de ma horde de fans. »

Ce n'était pas tout à fait raccord avec le Snape qui se baladait pieds nus, portait des lunettes de soleil et léchait les cuillères collantes de miel mais chassez le naturel et il revient au galop, après tout. Et puis, il ne pouvait pas lui expliquer que Vernon l'avait secoué comme un prunier, la dernière fois, et qu'il avait appris à se méfier.

Le Professeur resta silencieux un long, trop long moment.

Harry n'osa pas relever la tête de peur qu'il lise ses pensées et préféra boire son lait à petites gorgées. Ça avait le double avantage de remplir son estomac vide.

« Vous ressemblez énormément à votre père physiquement. » lâcha finalement Snape, brisant le silence à couper au couteau. « Tellement, je dois l'avouer, qu'il m'est parfois difficile de me souvenir que vous ne l'êtes pas. Particulièrement lorsque vous faites preuve d'arrogan… »

« Je ne suis pas arrogant ! » siffla-t-il, oubliant ses bonnes résolutions de ne pas provoquer le Professeur. « Et mon père ne l'était pas non plus. Vous êtes juste jaloux. »

Le sorcier prit une inspiration très brusque, comme si le coup avait porté.

La satisfaction d'Harry ne dura que le temps qu'il se souvienne qu'il était seul et à sa merci et que, si Snape était créatif, ils mettraient sans doute des années à retrouver tous les morceaux de son corps là où il les aurait enterrés.

Il résista toutefois au besoin de s'excuser.

Il ne s'était jamais excusé chez les Dursley pour avoir défendu Lily ou James et il n'allait pas commencer ce soir.

Il assumerait les conséquences déplaisantes.

« Votre père est un sujet qu'il vaut mieux laisser de côté pour l'instant. » grinça Snape. « Quant à vous… Si, Potter, vous faites parfois preuve d'une morgue et d'une arrogance qui défient tout entendement. » Harry ouvrit la bouche pour se défendre mais se vit pris de court. « Te lancer à la poursuite de Quirrell. Te lancer à la poursuite d'un basilic. Te lancer à la poursuite d'un fugitif qui, pour ce que tu en savais à ce moment-là, était un psychopathe qui t'aurait tué sans hésiter. Tout cela, à chaque fois, parce que tu pensais mieux savoir que n'importe lequel des Professeurs que tu aurais pu avertir. Cela trahit une certaine arrogance. »

« Ce n'est pas juste. » protesta-t-il. « On a essayé d'avertir McGonagall pour la pierre mais elle n'a rien voulu entendre. Et on ne poursuivait pas Quirrell, on pensait que c'était vous. » Snape leva un sourcil mais Harry continua. « Et on n'avait pas du tout prévu d'aller chercher le basilic, on est allés prévenir Lockhart parce que vous et McGonagall aviez dit qu'il était le sorcier de la situation ! Et Sirius… D'accord, Sirius ce n'était pas bien malin, mais à ce moment là, c'était un énorme chien, je ne pouvais pas savoir, et il avait traîné Ron sous le Saule Cogneur… »

Le Professeur l'étudia longtemps, soupira, puis but quelques gorgées de son lait. « Et comment se fait-il que vous sachiez ce que le Professeur McGonagall et moi avons dit à Lockhart ? »

« On… était cachés dans l'armoire. » admit-il. « On voulait prévenir quelqu'un mais ensuite on a entendu du monde arriver et… »

« Et, au lieu de nous avertir directement, vous avez décidé d'attendre pour aller vous adresser à la pire excuse de Professeur que Poudlard ait jamais eu, en comptant Quirrell. » le coupa l'homme. « Pour votre gouverne, Minerva et moi tentions simplement de nous débarrasser de cet enquiquineur. C'était du sarcasme. »

« Oui, ben… Ce n'était pas du sarcasme, en première année, quand McGonagall a dit que la pierre était à l'abri et que personne ne pourrait la voler. » grommela-t-il.

« Lui aviez-vous dit que vous me soupçonniez moi, personnellement ? » s'enquit Snape, comme si c'était plus drôle qu'autre chose.

« Non. » avoua-t-il. « On ne pensait pas qu'elle nous croirait si on disait que c'était vous. »

« Dommage. » soupira le sorcier. « Vous m'auriez fait gagner un pari. Elle refusait d'admettre que vous me preniez pour le méchant de l'histoire et persistait à dire que je me faisais des idées. »

Pour la énième fois de la journée, Harry sentit sa mâchoire menacer de se décrocher. « Vous saviez ? »

« Que Granger avait mis le feu à ma cape alors que je l'ai vue expérimenter avec le même sortilège dans la cour ? » railla Snape. « Doit-on seulement mentionner vos piètres tentatives, à vous et à vos deux acolytes, pour servir de garde du corps à Quirinus ? Je suis un espion, Potter. Vos manigances ne sont pas passées inaperçues, non. Pas plus que les vols répétés d'ingrédients dans ma réserve. »

« Ce n'était pas répété. » nia-t-il. « C'était juste une fois, en deuxième année. L'année dernière, ce n'était pas moi, c'était le faux Maugrey. »

« Je suppose que c'est une coïncidence si de la branchiflore a disparu de ma réserve pile le jour où vous vous en êtes servi pour la deuxième tâche du Tournois ? » riposta le sorcier.

Harry ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois. « D'accord. Mais ce n'était pas moi. Ou Ron et Hermione. Et je ne vous dirais pas qui c'était. »

Snape émit un bruit amusé et secoua la tête, avant de porter à nouveau sa tasse à ses lèvres.

Parce que la sienne n'était pas encore tout à fait vide, Harry en fit de même.

« Que tu t'en rendes compte ou non, tu fais parfois preuve d'arrogance. » reprit le Professeur. « Et, dans ces moments là, oui, je l'admets, il m'arrive d'oublier à qui je m'adresse. Toutefois, j'ai noté que tu ne prenais pas plaisir à être au centre de l'attention, particulièrement l'année dernière. Il y a des choses que je n'ai dites que pour sauver les apparences. Plus j'étais hostile avec toi, plus les enfants rapportaient à leurs parents que j'étais toujours du bon côté de la démarcation. Ce qu'ils estiment être le bon côté, du moins. »

« Vous avez été l'un des premiers à m'accuser d'avoir mis mon nom dans la coupe. » rétorqua-t-il.

« Karkaroff était un Mangemort, Potter. » soupira Snape. « Mon rôle, à ce moment là, était de le convaincre que nous étions du même bord où cas où il était l'agent du Seigneur des Ténèbres. Bien sûr, il a toujours été un lâche et j'aurais dû savoir que ce n'était pas lui qui manigançait dans l'ombre… » Son index tapota distraitement le côté de la tasse. « Croupton, en revanche, je dois admettre que je ne l'ai pas vu venir. Prendre la place de Fol'Œil était doublement intelligent… Il est si notoirement paranoïaque que personne ne s'est étonné de ses excentricités. Par ailleurs, Maugrey était la dernière personne que j'aurais volontairement approchée. »

« Pourquoi ça ? » demanda-t-il curieusement.

Le Professeur pinça un peu les lèvres puis haussa légèrement les épaules. « C'est lui qui m'a arrêté, après la chute du Seigneur des Ténèbres. Disons simplement, et sentez-vous libre de répandre cette rumeur-ci, que mon nez n'a pas toujours été aussi crochu. » Il termina sa tasse d'une longue gorgée, la reposa, puis reporta son attention sur Harry. « Et, à présent, bien que tu aies admirablement cherché à détourner le sujet, veux-tu répondre à ma question ? Pourquoi être aussi persuadé que j'allais me mettre en colère pour un cauchemar qui est hors de ton contrôle ? »

« J'ai déjà répondu. » déclara-t-il.

« Certes. Mais j'ai dit : une vérité pour une vérité. » remarqua patiemment Snape. « Pas une vérité pour une demi-vérité manquant, soit dit en passant, de conviction. »

Harry hésita. S'entêter à mentir ? Cela ne servait jamais à rien avec lui.

« Certes. » répéta-t-il, en tentant d'imiter son ton détaché. « Mais, moi, je n'ai pas accepté le marché. »

La bouche du Professeur tressauta. D'amusement ou d'irritation, c'était dur à dire.

« Un Gryffondor manquerait ainsi d'honneur ? » le défia le sorcier.

La première réaction d'Harry fut de monter sur ses grands chevaux puis il se rendit compte qu'il y avait une bien meilleure manière de lui clouer le bec.

« Ha, mais le premier choix du Choixpeau, c'était Serpentard. » annonça-t-il, goguenard. « Une vérité pour une vérité. »

L'amusement de Snape mourut dans l'œuf et son expression devint indéchiffrable.

« Voilà qui aurait été intéressant. » commenta le Professeur, au bout d'un moment. « Puis-je savoir comment, dans ce cas, vous avez atterri chez les lions ? »

« Je le lui ai demandé. » Il haussa les épaules. « J'avais rencontré Malfoy dans le train. Et en parlant de con arrogant… »

« Langage. » le gronda Snape. « Bien que je vois ce que vous voulez dire. »

Harry émit un bruit incrédule. « C'est votre chouchou. »

Il blâmait le lait chaud qui lui avait délié la langue. Pour ce qu'il en savait, le Professeur y avait glissé du veritaserum…

« Le fils de Lucius Malfoy, un des membres du cercle intime du Seigneur des Ténèbres ? » clarifia Snape. « Oui, en effet, il m'a fallu en faire un favori, très tôt. » Les yeux noirs se détournèrent vers la fenêtre. « Encore que j'ai bon espoir de parvenir à lui éviter des erreurs qui lui coûteront cher… Ce n'est pas un mauvais garçon. »

« Juste un pauvre petit fils de riche qui aime écraser les autres. » marmonna Harry.

« Il n'est pas le seul de son état. » commenta le Professeur. « Vous n'êtes pas exactement sans le sous, Potter, et votre père était de la même sorte de bois que Draco. »

« Mon père n'avait rien à voir avec Draco. » s'énerva-t-il.

Snape ouvrit la bouche pour répliquer puis la referma lentement, avant de se pincer l'arête du nez. « Cette ligne de conversation n'est pas productive si nous souhaitons continuer à nous entendre. »

Harry n'avait jamais vraiment demandé à faire la paix mais ce n'était pas dans son intérêt d'être en guerre avec lui, non plus. Il se frotta à nouveau les yeux, agacé de sentir son corps accuser le coup du réveil brutal et de l'angoisse qui y avait succédée.

« Vous sentez-vous capable d'essayer de vous rendormir ? » demanda le Professeur, s'apercevant visiblement de sa fatigue.

« Je n'ai pas peur. » grommela Harry, même si c'était un mensonge.

« Bien sûr que non. » répondit Snape, d'un ton pas tout à fait sarcastique mais qui lui laissa clairement comprendre qu'il était en train de lui faire plaisir.

Harry soupira. « Ça serait nettement plus simple si vous me criiez dessus tout le temps, vous savez. »

« C'était plus simple quand je pouvais le faire. » confirma le sorcier, après un instant d'hésitation. « Mais ce n'était pas très juste pour toi. »

Il leva les yeux au ciel.

Depuis quand la vie était-elle juste avec lui ?

« Qu'est-ce qui a changé ? » pressa-t-il, pourtant. « Quelle différence si vous êtes un espion ou pas ? Ça ne veut pas dire que vous devez être plus gentil avec moi. Quand vous parliez avec Dumbledore… »

« J'ai mes raisons. » le coupa Snape. « Et je ne suis pas encore prêt à les divulguer. Je ne suis pas encore certain de vouloir le faire, à vrai dire. » Il leva la main avant qu'Harry n'ait pu insister. « Et ce n'est pas votre prérogative de me forcer la main, Potter. Je vous ai recueilli ici, je vais vous enseigner une forme de magie que d'autres se battraient pour avoir la chance d'apprendre, et je fais un effort certain pour vous traiter décemment. Peut-être serait-il bon d'être un peu moins curieux et un peu plus reconnaissant. »

« Oui, Monsieur. » lâcha-t-il, piqué au vif, en se levant. « Encore désolé de vous avoir réveillé. »

L'homme ne tenta pas de le retenir lorsqu'il quitta la cuisine et c'était pour le mieux. Il se réfugia sur sa mezzanine et se roula en boule dans son lit.

Je vous ai recueilli ici, je vais vous enseigner une forme de magie que d'autres se battraient pour avoir la chance d'apprendre, et je fais un effort certain pour vous traiter décemment. Peut-être serait-il bon d'être un peu moins curieux et un peu plus reconnaissant.

Mis à part le bout sur la magie, c'était tellement quelque chose que Tante Pétunia aurait pu dire…

Il avait entendu ce refrain toute sa vie.

Sois reconnaissant.

Reconnaissant qu'on le laisse vivre dans le placard sous l'escalier.

Reconnaissant qu'on lui donne les restes de la seconde assiette de Dudley.

Reconnaissant qu'on ne l'ait pas envoyé à l'orphelinat.

Reconnaissant d'être encore en vie quand ses parents étaient morts.

Reconnaissant d'être encore en vie quand Cédric était mort.

Harry rabattit le drap sur sa tête, pressa son visage contre l'oreiller et hurla en silence jusqu'à en avoir mal à la gorge.


Un hug pour Harry? Dites-moi ce que vous en pensez!