Un grand merci à mes betas, Xyxo_the_Ghost et HelandNiflhel !
Texte :
Il était une fois un roi si cruel que plus rien n'émouvait son cœur de pierre. Il avait caché ce petit roc en plusieurs puits, plusieurs coffres et autres abysses.
Son cœur était devenu un antre froid et vide. Plus rien n'y poussait, sinon des poussières de mauvaises herbes.
Dans son palais des glaces, rien ne l'atteignait.
Jusqu'au jour où une ronce, une épine, transperça l'épaisse neige qui en tapissait sols, murs et plafonds.
Lord Voldemort se réveilla au son d'un cri perçant.
Il sursauta dans son canapé. Il s'y était endormi pendant qu'il lisait un traité de magie noire. L'ouvrage chuta dans un bruit sourd sur le tapis persan.
Le hurlement s'était tu. Son écho vrillait les tympans de Voldemort.
Quelque chose avait brièvement martyrisé son esprit, avant de s'évanouir dans un nuage de silence cotonneux. Ne restait qu'une vibration déplaisante, l'équivalent mental d'une craie sadique sur le tableau d'ardoise.
D'un mouvement de baguette, il vérifia le niveau sonore des dix dernières minutes, juste avant son éveil.
Depuis quelques temps, il lui arrivait de percevoir des images étrangères, des sons, parfois des bruits et des odeurs. Il avait alors inventé ce sort. Il le lançait avant de dormir sur une boîte à musique qui à l'origine jouait des airs de classique, mais Voldemort l'avait détournée. Pendant toute la durée de son sommeil, elle enregistrait ce qui se passait autour de lui. La machine n'avait rien entendu. Voldemort avait-il oublié un cauchemar, alors ? Mais quel cauchemar ? Il n'en faisait jamais.
Il avait créé plus d'Horcruxes, après sa scolarité. Trop, auraient dit certains. Depuis son dernier, Nagini, ses songes s'étaient faits plus rares et plus pauvres. Plus de métaphores ou de sens sublimés. Ne restaient que des images brutes, ouvertes seulement à des interprétations évidentes. Il rêvait qu'il tuait un ennemi, le plus souvent.
Un jour, un éclat de verre s'est fiché dans l'œil du garçon. On lui avait dit qu'il était mauvais, diabolique, parce qu'il était différent. Ses pairs le fuyaient. Son amitié, refusée de toute part. L'éclat était descendu jusque dans sa poitrine, maltraitant la chair sur son passage. Un miroir qui s'est mis à refléter son âme par à-coups, selon comment il se tournait en son cœur. Il réduisait son âme en confettis de chair. La glace miroitait de mille feux et magnifiait ses colères. Tourbillonnant, elle s'enfonçait de plus en plus en lui, jusqu'à se ficher si profondément en lui qu'ils ne firent plus qu'un.
Des follicules de fer s'élancèrent en lui et envahirent chaque recoin de ses ligaments.
Dans sa citadelle de muscles de métal, les rouages étincelaient de sang.
Il n'eut pas le temps de réfléchir plus avant. Bellatrix l'appelait. De vive voix.
Il transplana dans sa chambre. Elle s'était rendormie. Ses traits restaient crispés, une larme avait coulé sur sa joue. Son souffle restait haletant, même dans ses rêves.
Sans savoir pourquoi, il l'embrassa sur le front. Il était aussi froid que ses lèvres. Il se releva aussitôt et repartit dans ses appartements.
Le roi rêvait d'offrir des fleurs à sa favorite. Elle partageait sa vie depuis si longtemps que sa présence avait planté des graines dans le terreau âpre de son cœur.
Chaque goutte de sang qu'elle versait nourrissait ses ardeurs. Le sang des victimes donnait des ronces, très piquantes. Son sang à elle, des tulipes noires. Leur amour serait toujours douloureux, pour eux, pour autrui. Il fallait au moins cela pour garantir l'entretien de l'âme du roi. Sans le précieux liquide, son jardin intérieur, fait d'acier et de bris de miroir, aurait à nouveau dépéri.
Bellatrix avait été blessée au combat, récemment. Maugrey Fol-œil l'avait atteinte en pleine poitrine d'un sort inconnu. Depuis, son cœur ne battait que par intermittence. Ce sortilège cruel ne l'avait pas tuée sur le coup. Parfois, elle vivait. Elle pouvait se lever et vaquer à ses occupations, tant qu'elles n'étaient pas trop fatigantes. Parfois, elle s'effondrait subitement. Plusieurs de ses chutes avaient été si soudaines et si brutales qu'elle s'était cassée plus d'un os. Même immobilisée dans son lit pendant ses convalescence successives, il lui arrivait de manquer brusquement d'air.
Les crises se faisaient de plus en plus rapprochées.
Le roi, son alchimiste et tant d'autres sorciers de talents s'empressèrent au chevet de la maîtresse pour comprendre son mal. Aucun ne trouvait de remèdes. Mille potions lui furent données, mille formules furent prononcées, sans résultat. Le souverain perdait patience. De frustration, il punissait les médecins les plus inventifs. Pourtant, aucun n'était responsable.
Le Mal la dépassait elle, autant qu'il les dépassait, eux aussi.
Ce soir-là, Voldemort fit un rêve terrible. Bellatrix se mourrait lentement. Elle sentait la vie s'échapper par le bout de ses cils. Des lueurs tourbillonnaient sous ses paupières. Elle acceptait son destin. Elle était née pour ça, elle mourrait pour cette cause. Elle aurait bien voulu mourir sur le champ de bataille. Dans la gloire.
La concubine avait toujours aimé son souverain d'un amour pur. Un amour noir comme le vide entre les étoiles. Noir comme une rose aux pétales de velours. Noir comme un panthère attendant d'embusquer sa proie à la pleine lune.
Cette femme n'était pas comme ses autres guerriers. Elle voulait plus que sa notoriété, plus que sa puissance. Elle le voulait lui : ses beautés de marbre et ses laideurs de statue dégradée par le temps et les guerres. Une statue à qui il manquait des doigts en particulier, à l'annulaire gauche.
Voldemort sursauta. Une énième nuit blanche en perspective.
Depuis la bataille contre l'Ordre, il sacrifiait des nuits entières à effectuer des recherches au sujet de Bella. Il refusait cependant d'appeler ce geste un sacrifice. Il parlait d'investissement de son temps. Il ne pouvait pas se passer d'elle au combat. Une générale d'exception ne se trouve pas à chaque coin de rue. (Il n'aimait pas l'idée de devoir dormir seul). Il se concentrait sur le futur. Un futur où elle serait encore là.
L'amante ressentait un manque en son for intérieur quand elle lui disait « je t'aime » et qu'il lui répondait seulement « je sais ». Il la laissait parfois le tutoyer. C'était beaucoup. Ce n'était pas assez. Un jour où il avait été cruel envers elle, elle prit une décision terrible. S'il ne lui donnait pas entièrement son cœur, s'il ne lui demandait pas d'être sienne à jamais , lui qui était devenu immortel, c'était peut-être parce qu'elle ne lui avait pas encore assez donné le sien. Les sacrifices ne suffisaient pas. Il fallait plus, toujours plus. Un être qui battrait pour lui, pour toujours.
L'amante plaça son cœur sur un autel de marbre noir, dans une caverne inconnue . Son roi en avait confié l'existence à elle seule. Une part de son âme y reposait, protégée par de féroces créatures. Sans que le roi ne le sache, elle plaça le médaillon sur son propre cœur, encore battant. L'esprit de son amant reposait maintenant sur un couffin vivant, ardent.
En elle-même, elle plaça un artefact, un automate qui se battrait pour sa survie. Une horloge qui rythmerait sa nouvelle existence. L'amante l'avait confectionné seule.
C'est également seule qu'elle la fit rentrer dans son sein ensanglanté.
Voldemort se demandait parfois si Bella ne surjouait pas un peu. Si ses grandes crises n'avaient pas, entre autres, pour but d'attirer son attention. Il ne l'avait jamais autant couvée. L'attaque était réelle, la maladie et les plâtres, aussi. Mais les cris ? Les exagérait-elle un peu ?
Depuis que le cœur du roi battait de nouveau, le miroir le préoccupait moins. Le miroir n'avait plus son éclat d'antan. Il était devenu une glace sans tain. Aveugle d'un œil, il ne voyait plus les choses tout à fait clairement. L'organe battant à nouveau, ses mouvements bloquaient la vue du miroir. Les bords de l'objet, autrefois tranchant, s'étaient émoussés depuis l'adolescence du roi. Il oubliait son enfance d'orphelin et sa rage. Les rouages de son âme grinçaient, ils grinceraient toujours. Mais ils grinçaient comme une boîte à musique. Le miroir ne venait plus se frotter aux roues, il ne projetait plus d'éclats et de poussières de verres qui heurtaient la chair tendre. Le coffre menaçait de s'ouvrir.
Une nuit, Voldemort comprit enfin.
Il faisait le tour de garde de ses Horcruxes. De temps à autre, il allait vérifier que chacun était à sa place. Arrivé à la caverne, il aperçut un amas de chair rouge foncé, presque brune, en-dessous de son médaillon. L'assemblage avait quelque chose de maladroit, et même, de dégoûtant. Le cœur était mou, et contrastait bizarrement avec un collier, dur, brillant, étincelant selon des angles peu naturels. La lumière n'atteignait plus l'objet comme avant d'avoir été transformé en Horcruxe. L'objet était lourd sur le cœur, le déformant comme un coussin manquant de fermeté.
Il chercha à les séparer. Peu importait comment quelqu'un avait pu entrer, et pourquoi avoir déposé un cœur d'animal, sûrement. On ne touchait pas à ses affaires . Il comprendrait plus tard comment une telle effraction dans son antre avait pu se produire.
D'un geste assuré, il tira d'un coup le collier loin du cœur. Le bijou refusa de se séparer : il émit un bruit affreux, une craie sur un tableau. C'était comme s'il s'était habitué à sa présence. Le cœur saigna. Le liquide afflua immédiatement sur la surface du médaillon, et sécha aussitôt, rendant son retrait encore plus difficile.
Voldemort tira encore un coup. Cet entêtement de la part de ce corps étranger était absurde.
Il s'évanouit.
La maîtresse mentait. Elle avait toujours menti. Quand venaient les docteurs, elle masquait le cliquetis de son cœur avec un sort. Si on avait percé à jour son secret, on aurait trouvé le repère de son amant.
Quand il se réveilla dans la caverne, il sut immédiatement où aller : la chambre de Bellatrix.
Il tenait la masse sanguinolente, cœur et médaillon inséparables, entre ses mains. À bout de souffle, il le déposa brusquement sur les genoux de Bellatrix, tâchant les draps au passage.
- As-tu perdu l'esprit ?
- Absolument pas. C'est ainsi que marche l'amour.
Elle défit le lacet du haut de sa chemise de nuit, attrapa sa main, et la dirigea sur sa poitrine.
Comment avait-il pu ne pas s'en rendre compte ? On ne sentait qu'un cliquetis sous sa peau. La dernière fois qu'ils avaient partagé la même couche, il lui avait semblé qu'elle avait changé, mais il avait fermé les yeux.
- L'amour rend aveugle, n'est-ce pas, Tom ? rit-elle.
Il ne sut que dire. Il s'assit sur le lit, les jambes à côté de leurs essences unifiées. Il posa une question à la fois essentielle et presque sotte, au vu des circonstances :
- Comment as-tu pu récupérer le médaillon sans succomber au poison ?
- Je l'ai donné aux Inferi, dans le creux de ma main. Ils l'ont bu avec joie. Ils savent que je l'ai fait pour toi. Ils savent que tu songes parfois à créer un Horcruxe de plus. Je le vois dans tes yeux, et je le leur ai dit. Si tu vas aussi loin, tu quitteras ce monde, et eux avec toi.
- Mais enfin, qu'est-ce qui t'est passé par la tête ? Tu voulais que je t'aime plus ? Tu sais que tu es une cible privilégiée, et que si au combat tu jouais de malchance, tu serais dans ce lit, ou pire.
- Je le savais. Et je ne pouvais pas vivre une vie sans amour réel. Je te voulais à moi. C'est dommage que je n'aie qu'un cœur, sinon, j'en aurais donné un pour chaque Horcruxe.
Il ne parvenait même plus à être en colère. Il aurait dû. Il ne pouvait le nier : depuis qu'il avait plus que des rouages et des épines dans la poitrine, il respirait mieux ; son âme pouvait vagabonder la nuit dans le pays des songes..
- Et maintenant ? Qu'allons-nous faire ? Aucun médecin ne peut venir à ton secours. Tu as creusé ta propre tombe.
- Si. Toi.
Le roi lui dit enfin oui. L'automate se sentit si chéri qu'après de nombreuses lunes, il parvint à repousser le sortilège de l'ennemi.
Le roi fit d'une veuve sa reine. Il réalisa son vœu le plus cher : l'épouser devant toute leur cour.
Le jour des fiançailles, elle ne souffrait plus. Le jour de la noce, elle resplendissait.
Le cœur et sa couronne furent changés de lieu. Les souverains les placèrent sur un écrin de velours, sous une cloche de cristal. Ils reposaient sur un autel dans les ruines d'un temple ancien, tantôt caressé par le soleil, tantôt abrité par l'ombre de statues des statues à qui il ne manquait aucun doigt.
Leurs ennemis auraient prédit leur putréfaction mutuelle, pour sûr. La rouille et la honte pour le médaillon. Mais leurs passions se complétaient. La chaîne du collier enlaçait les veines de son compagnon avec tant d'ardeur qu'ils ne formaient plus qu'un, fusion de chairs sombres.
Ils battaient à l'unisson.
Notes:
Mes 3 prompts :
1) Bella/Voldy -
"Donner son cœur à l'être aimé n'est pas qu'une image. "
2) "l'engagement" (comme stade de la relation)
3) tulipe noire comme fleur, qui signifie "Amour intense qui se vit dans la souffrance "
Hésitez pas à laisser un commentaire, il font très chaud au cœur, et je réponds toujours !
Encore merci à mes betas, ainsi qu'aux organisatrices du Fest !
