Des années que je n'ai pas publié une fiction ici !
En espérant que des fans de Mentalist lisent cette petite histoire, située dans le temps après la fin de la série.
Et pourquoi pas, déposez une petite revue si ça vous chante.
Amicalement, DS Pallas.
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«Tiens, tiens, tiens, regardez qui vient là ! Bonjour vous…»
Patrick Jane gratouille affectueusement la tête du chien noir et blanc qui vient de le rejoindre à travers les hautes herbes. Sa longue queue bat joyeusement et l'animal fait la fête à l'homme en costume de lin bleu, comme tout bon chien se doit de le faire. Il est cependant difficile de parfaitement effectuer ce rituel canin quand on n'a que trois pattes. Mais Jane ne lui en veut pas.
«Oui oui, moi aussi je suis content de te voir, le chien… Oui tu me reconnais, et moi non plus je ne t'ai pas oublié… Numéro Trois !» sourit-il en s'accroupissant pour mieux le caresser.
Les retrouvailles terminées, Jane se dirige vers le tronc d'arbre qui fait office de banc, le chien sur ses talons, et s'installe face à l'étang qui borde le vieux chalet.
Le chiffre 3. Jane se souvient : le jeune Gabriel Osbourne qui prétendait être médium — paix à son âme — lui avait dit qu'il serait guéri par le chiffre 3. Bien sûr, il s'était ouvertement moqué de ces soit-disant visions et prédictions.
Tu m'as pris pour qui, Osbourne ? Si quelqu'un maîtrise les techniques pour attraper les gogos, c'est bien Patrick Jane.
Le chiffre 3 se retrouve partout dans la vie quotidienne, et les probabilités de le rencontrer sont donc extrêmement élevées. La forme triangulaire est fréquente, tout comme les trois couleurs primaires, les fleurs à trois pétales, les feuilles à trois lobes, les trois couleurs du drapeau…
Tout en caressant le chien qui avait posé sa tête sur sa cuisse, Jane se met à énumérer les «trois» de ce début de journée.
Ce matin il avait mangé trois toasts et bu trois tasses de thé. Ce matin, ne serait-ce que pour venir jusqu'ici, il avait croisé un groupe de trois agents en sortant du Quartier Général du FBI, puis vu trois adolescents traverser la route au feu rouge en riant.
Route d'ailleurs bordée par une grande affiche publicitaire pour une marque automobile japonaise au logo fait de trois quadrilatères rouges, et plus loin une autre affiche illustrée avec trois ballons de couleurs.
Il avait doublé en tout trois voitures, franchi deux croisements avec trois routes…
Pourtant, en y réfléchissant, même son esprit rationnel doit admettre qu'il y a parfois des hasards troublants.
Une fois le titre de propriété de son terrain en main, Jane s'était aperçu que le vieux nom du lieu-dit où se trouvent le chalet et l'étang était « Three Pines » (les trois pins).
L'adresse du chalet est le 2703 Red Oaks Drive, et si on additionne 2 + 7 + 0 + 3, on obtient 12, et 1 + 2 font… 3.
Son terrain a une superficie de 24 acres. 2 + 4 font 6, encore un multiple de 3. Ses voisins, les Johnston, qui ont leur maison un peu plus loin, de l'autre côté du grand bosquet d'ormes qui borde le petit étang, ont trois enfants. Et trois chats.
Un bruit de moteur le tire de sa rêverie. Ah, les voilà. Ce pour quoi le consultant a quitté le FBI au milieu de l'après-midi.
Car aujourd'hui est un jour important : celui où les travaux de rénovation du chalet commencent. Une partie va être démontée pour permettre la construction d'une aile avec deux grandes pièces supplémentaires sur le côté du bâtiment.
Le camion et sa remorque s'arrête près de son Airstream dans un nuage de poussière. Deux gros pick-ups le suivent.
Ben voyons. Trois véhicules. Jane s'avance pour serrer la main du grand barbu qui descend du camion où est écrit en lettres rouges : Bruce and Sons, Home building.
«M. Jane, bonjour ! Comment allez-vous depuis la dernière fois ?»
«Impeccablement bien, M. Bruce, et impatient de vous voir à l'œuvre» sourit Patrick en serrant la grosse main calleuse de l'entrepreneur.
«Je vous présente mes deux fils, Charlie et Frederick. Avec eux, le travail va vite avancer, vous allez voir !»
Jane serre la main des deux costauds souriants qui viennent de descendre à leur tour des pick-ups. Ah, un quatrième ouvrier les rejoint, brisant d'un coup la série des trois.
«Et voilà Willie, mon neveu» sourit Jeffrey Bruce, «C'est lui qui manie la pelleteuse comme un chef !» ajoute-t-il en désignant le petit engin de terrassement jaune vif arrimé sur la remorque.
Pendant que Jane se fait broyer la main par le petit neveu d'un mètre quatre-vingt quinze, cent-dix kilos à vue de nez de mentaliste, Jeffrey récupère les plans dans le camion et indique déjà à ses fils où décharger les planches, poutres et autres solives pour la future extension du chalet.
Leur future maison.
Je vais avoir une maison, se dit Jane, un foyer, une famille, et nous serons bientôt trois.
Ces dernières semaines depuis le mariage, il ne pense quasiment plus qu'à cela. Il en rêve.
Il rêve de mesures, de clous, de mètres carrés, de cloisons, d'enduit, de charpente, de branchements électriques.
Il rêve de bébés aussi, de biberons, du ventre de Teresa qui s'arrondit de jour en jour, de l'odeur de lotion pour bébés.
Hier il avait rêvé de Charlotte. Il la tenait à bout de bras et la faisait tourner en l'air et elle riait, et lui aussi, et leurs rires se mêlaient.
Mais bientôt le petit corps glissaient d'entre ses mains et Charlotte s'éloignait de lui comme aspirée par le ciel, et malgré tous les efforts de son père qui hurlait son nom, le corps et les bras désespérément tendus vers son enfant, elle s'effaçait lentement pour disparaître comme absorbée et dissoute par l'espace.
L'impuissance de Jane était alors devenue une douleur intolérable qui lui déchirait la poitrine.
Il s'était réveillé en sursaut, le souffle court, et à ses côtés Teresa le dévisageait, sourcils froncés, une main sur son front moite de sueur. Il sait qu'elle s'inquiète pour lui.
Elle se demande sûrement s'il est prêt à être de nouveau père, parce qu'immanquablement cela va raviver une foule de souvenirs. Des bons comme des mauvais. Oui, il faudra faire face à ses vieux démons, à un moment ou à un autre. Affronter les peurs. Il a promis à Teresa : dorénavant, on doit regarder le bon côté des choses.
Plus facile à dire qu'à faire, mais il a promis, et il doit tenir sa promesse.
Une maison, une famille… Tout ça semble si loin. Il avait vécu dix ans de motels en motels, dormi (quand l'insomnie le laissait tranquille, c'est à dire rarement) sur un lit de fortune, perché sur des tréteaux, dans le grenier du CBI ou étendu sur son vieux canapé au cuir usé. Il avait cauchemardé sur un matelas poussiéreux à même le sol, étendu sous le signe macabre et sanglant d'un serial killer dans la villa désertée de Malibu.
Parfois les nuits s'enchaînaient sans sommeil, des nuits où il roulait sans but avec juste les notes de Brahms ou de Mozart pour seule compagnie, et il finissait par s'écrouler pour quelques heures sur la banquette arrière de sa fidèle DS Citroën avant de rejoindre le CBI au matin.
Des nuits où il marchait dans les rues désertes de Sacramento et entrait dans des bars louches pour se repaître de scènes de la vie nocturne, riches en personnages hauts en couleurs et borderline, en descendant quelques verres de bourbon.
Sa petite piaule d'Isla Morada avait été un piètre réconfort, face à la solitude qu'il avait ressenti là-bas.
Le Venezuela, la mer, la plage de sable blond et les dauphins bondissants, c'était joli mais loin de Lisbon, tout paraissait bien gris.
Mais aujourd'hui, le ciel est bleu, les ouvriers s'affairent pour l'aider à construire son nouveau foyer, et ce soir il caressera encore le ventre de Teresa, son ventre qui s'arrondit et porte la promesse d'une nouvelle vie.
«Willie !», Jeffrey lève le bras. «À trois ! Un… deux… trois !» Les chaînes tombent et libèrent la pelleteuse.
Patrick Jane sourit.
