Ran se réveilla doucement. Comme souvent, le jeune homme avait trouvé le moyen de se réfugier dans ses bras durant la nuit, la tête contre son cœur.

Encore aujourd'hui, ils étaient deux dans l'esprit de la jeune femme. Même si Shinichi était définitivement réapparu, dans ces moments de vulnérabilité, elle voyait encore Conan.

Même si le jeune homme possédait son corps avec d'autant plus d'ardeur qu'il avait été enfermé si longtemps dans ce corps d'enfant dans lequel il avait ressenti les étreintes innocentes de la jeune fille sans pouvoir lui exprimer la fièvre qu'elle suscitait en lui, au petit matin, il allait se blottir dans ses bras. A demi endormi, il marmonnait parfois, confusément, convaincu d'être de nouveau piégé dans cette enveloppe corporelle qui avait à la fois consolidé leur relation mais l'avait plongé dans des méandres de frustration et d'impuissance, faute de pouvoir lui retourner ses sentiments, le plongeant dans l'angoisse d'être oublié, remplacé par un autre homme dans son cœur. Lorsqu'elle le caressait, déposant de tendres baisers dans sa chevelure, ses soupirs de bien-être finissaient par l'emporter.

Dans ces moments, elle avait l'impression étrange que c'était Conan – les lunettes en moins – qui se trouvait à ses côtés. Tout comme elle s'était demandé plusieurs fois, confusément, si le petit garçon n'était pas tout simplement Shinichi avec des lunettes.

Conan n'était-il pas tout simplement sa part de vulnérabilité ? Celle avec laquelle elle s'était immédiatement sentie en résonnance, l'incitant à lui exprimer les sentiments qu'elle n'aurait jamais osé lui avouer ? Celle qui avait commencé à se soucier d'elle et à lui prodiguer plus d'attention qu'elle n'en ressentait de la part du jeune homme avant sa transformation ? Paradoxalement, c'était durant son retour en enfance que les sentiments de Shinichi semblaient avoir mûri. Peut-être parce qu'il l'avait vue dans des moments d'introspection intime, dans tous les sens du terme. Peut-être parce qu'elle avait été si souvent présente durant les affaires résolues par le jeune détective et qu'elle n'était plus à la marge de ses préoccupations.

Bien sûr, Shinichi n'était jamais bien loin. Lorsque le soleil se levait, il se rappelait à elle, et l'étreinte de ses bras qu'il avait recherché cédait la place à la sienne. Il enserrait sa taille, et sa tête posée sur son cœur laissait place à des baisers fiévreux parsemés jusqu'à ses lèvres, guettant ses soupirs à elle. Déterminé à lui rappeler qu'il n'était plus un petit garçon. Déterminé à lui faire ressentir aussi souvent que possible les sensations et les pensées indécentes dont elle l'avait si souvent assailli…

Un jour, elle lui avouerait qu'elle aime ces deux parts de lui. Mais pour le moment, il avait besoin d'être Shinichi lorsque le soleil se levait. De se refléter en tant qu'homme dans ses yeux. De savoir qu'outre son affection tendre, il pouvait susciter le désir qu'elle provoquait en lui. Un désir qui avait été mis si longtemps hors de sa portée…

Peut-être qu'un jour, l'angoisse de redevenir un enfant le quitterait et il serait en mesure d'assumer de jour comme de nuit sa part de vulnérabilité. Mais Ran se demandait si Shinichi pourrait un jour s'affranchir totalement de l'épreuve qu'il avait vécue. Si cette angoisse persistait, il lui resterait les heures tendres où Conan refaisait surface, à l'aube…