Chapitre 30 : Eaux vives
- Elle est où Many ? J'ai cherché dans toute la salle commune, je la retrouve plus.
- Oh, dans un coin, par là-bas, je l'ai vue en train de se bécoter avec Fergusson pendant le slow de tout à l'heure.
- Quoi ?
- Hou, regarde ses petites oreilles toutes roses, Plumeau, c'est vilain ce que tu fais.
- Arrêtez de me faire marcher, tous les deux, c'est pas drôle.
- Hé, j'ai rien dit, moi ! C'est Plumeau !
- C'est toi qui m'as dit de lui dire ça, Zach, assume tes blagues.
- Rooh ! Tu trouves pas que sa tête de constipé est plutôt à croquer, à notre Hugo ?
- Bon, vous avez fini ? Elle est où, alors ?
- J'en sais rien, moi, elle a probablement du filer faire des claquettes en duo avec le démon des cachots pour passer le temps.
- Ou faire un bivouac dans la forêt interdite pour partager des marshmallows grillés avec les chaporouges.
- Vous m'aidez pas du tout...
- Je sais pas, elle a disparu tout à l'heure et je l'ai plus revue depuis.
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J'avais arrêté de respirer. Slyha Fox se tenait à quelques mètres de moi, et le coin de mur qui me dissimulait n'allait pas faire illusion longtemps. J'étais sûre qu'elle m'avait entendue.
Je lâchai Féline. Celle-ci trottina tranquillement vers le cellier.
- Dégage de là, le chat. J'ai pas de temps à t'accorder.
Un miaulement mécontent lui répondit. Tant mieux. Elle avait du mettre mon manque de discrétion sur le compte du chat.
Un cri de douleur étouffé parvint jusqu'à moi. Puis un feulement menaçant.
- Sale bâtard de chat, regarde ce que t'as fait. Je sais pas combien de points il va me falloir, mais je te jure qu'à mon retour je te ferai piquer.
Un juron et des feulements plus tard, j'entendis les mécanismes du tableau qui s'ouvrait. Je n'avais pas le temps de revenir à la salle commune. J'étais encore en tenue noire de Quidditch décorée des quelques lignes jaunes de l'équipe de Poufsouffle. Pas grave, j'avais ma baguette avec moi, c'était l'essentiel.
Je me glissai dans le cellier et remarquai des gouttes de sang par terre. Je grimaçai. Féline ne l'avait pas loupée. Cet animal était vraiment incontrôlable. Je suivis Slyha dans les cuisines à travers le tableau avant que celui-ci ne se referme. Je restai cachée derrière un placard massif. Personne ne semblait m'avoir vue. Des voix me parvenaient sans que je comprenne la teneur du message. Je finis par sortir légèrement à tête pour voir ce qu'il se passait.
La cuisine était un grand bazar de réchauds, casseroles, marmites, placards et plans de travail à hauteur d'enfants. Des poêles en cuivre pendaient de partout du plafond par des ficelles accrochées aux manches. Un groupe d'elfes vêtus de tenues de cuisinier commentait avec indignation. Je sortis de ma cachette et leur demandai où elle était passée. Slyha n'était plus en vue.
- Elle a pris le frigo, fit l'un d'eux en levant les bras d'un air apeuré.
- On dira que vous nous avez menacés, lança une autre avec un doigt accusateur.
- Et insultés ! s'insurgea un autre.
- Le frigo ?
Une elfe pointa vers un réfrigérateur qui paraissait assez banal. J'ouvris la porte et baissai la tête pour entrer à l'intérieur. L'endroit était immense. J'avais l'impression de marcher sur une couche de neige gelée quelque part au pôle nord. A la différence qu'il y avait un plafond et des murs couverts de givre. Éloignés, certes, mais quand même. Les murs étaient remplis de portes de toutes les tailles, de toutes les formes et de toutes les couleurs. Le sol était rempli de caisses de nourriture réfrigérée. On pouvait circuler entre les tas par des allées étroites. J'entendis au fond une porte se refermer, et je me mis à courir pour ne pas la perdre. Je crus que je n'allais pas retrouver la bonne porte, puis je remarquai les gouttes de sang et mon hésitation s'envola. Je remerciai en silence la sauvagerie de Féline.
La porte menait à une petite salle carrée qui ressemblait à une cuisine de restaurant. Slyha y était encore. Je progressai à moitié accroupie pour ne pas être vue. Elle n'hésita pas une fois sur la direction à prendre, consultant seulement ce qui ressemblait à un bout de papier avec des inscriptions. Dans son autre main, elle tenait ce qui ressemblait à une boule de billard blanche. Je me demandais bien ce qu'elle comptait en faire.
Je la suivis dans l'atrium du Ministère. Il était tel que dans mon souvenir, seulement plus désert. La plupart des lumières magiques étaient éteintes et il ne persistait que des veilleuses le long du lambris et derrière les personnages géants de la fontaine centrale. La semi-pénombre me facilitait la tâche pour ne pas me faire repérer, mais j'augmentais aussi le risque de perdre Slyha.
Elle prit l'ascenseur. Impossible de monter avec elle. Je repérai l'étage où elle s'arrêtait. Au neuvième. Parfait. Je montai dans l'ascenseur voisin et appuyai sur le bouton de l'étage. Impénétrable, le Ministère, mon œil. Ce frigo géant était un véritable paradis pour les cambrioleurs. Arrivée au neuvième étage, je crus l'avoir perdue. J'errai dans des couloirs vides jusqu'à retomber sur elle. Je me reculai en vitesse derrière une colonne. Elle était immobile au milieu du couloir. Puis, après un regard en arrière, comme si elle m'avait attendue, elle s'avança vers une porte sombre et disparut à l'intérieur. Je sortis lentement de ma cachette et approchai de la porte. Elle était noire et aucune inscription ne signalait ce qu'elle renfermait.
Je soufflai et poussai le battant.
La salle était circulaire. Et il y avait des portes partout. La porte de sortie claqua derrière moi et je sentis la panique monter en voyant les murs commencer à se mouvoir dans une ronde folle autour de moi. Lorsque la salle, et ma tête, eurent fini de tourner, j'étais perdue.
Toutes les portes se ressemblaient. L'éclairage par les torches bleues accrochées aux murs donnait un aspect monochrome encore plus déroutant. Je ne savais même plus laquelle était la sortie. J'étais coincée ici.
Pire que ça, j'avais un sentiment affreux de déjà-vu, et mon cerveau percutait peu à peu que je venais de m'aventurer seule et sans aucun plan dans le Département des Mystères. Et ce n'était pas douze portes, ni vingt, mais au moins une centaine de portes qui m'entouraient. Toutes identiques, et dont les contours tremblotaient à la lueur vacillante des flammes bleues.
- Réfléchis, réfléchis, me forçai-je à me concentrer.
Je pouvais prendre une porte au hasard, mais je redoutais le contenu que j'allais trouver. Ce genre de Département était tenu secret et renfermait des armes magiques prodigieuses, alors qui sait à quoi allaient ressembler les moyens défensifs mis en œuvre. L'une des portes pouvait mener dans l'estomac d'un magyar à pointes, ou bien au cœur d'un volcan. Et je n'avais aucune envie de finir rôtie. Puis je me rappelai la blessure de Slyha.
- Le sang, le sang, murmurai-je, cherche le sang.
Je m'attelai à chercher la moindre trace de sang sur les poignées, jusqu'à me trouver franchement ridicule. Je m'obligeai à être exhaustive. S'il y avait cent portes, j'inspecterais cent portes.
Je finis par la trouver. Une minuscule trace rouge sur une poignée, que la lumière bleue rendait violine. La porte ressemblait en tout point à ses cousines.
Je l'ouvris.
Et je tombai.
Mon pied ne rencontra que le vide.
La lumière bleue s'évanouit avec le bruit de claquement du battant au-dessus de moi. Ou bien en-dessous. Ou derrière.
J'avais l'affreux sentiment de tomber vers le haut. Pourtant, je voyais défiler des éclats de lumière qui me montraient bien que je descendais. Puis, à force de tomber, j'eus l'impression de flotter. Un nuage de chauves souris passa près de moi, et j'eus l'impression étrange qu'elles volaient à l'envers. Vraiment à l'envers. Les pattes et le ventre en haut, le dos en bas. Je ne savais même plus où étaient le haut et le bas. Mes sens se faisaient avoir par la chute libre et mon cerveau paniquait à l'idée d'une verticale qui tournait comme une aiguille dans une boussole au pôle nord.
Puis ce fut mon corps lui-même qui décida de n'y plus rien comprendre. Brusquement, j'étais en face de moi. Pas comme si je me voyais d'en face, non, comme si mon corps était persuadé de se trouver en face, alors que mes yeux, eux, étaient parfaitement bien restés dans leurs orbites et m'envoyaient des images du néant en face, où je ne me trouvais évidemment pas.
Et puis je fus vraiment en face. C'était comme être devant un miroir, mais en étant persuadée que mes membres étaient ceux du reflet, tandis que mes yeux étaient toujours sur moi. C'était comme se trouver à deux endroits en même temps. Je fis l'erreur de fermer les yeux, et mon cerveau dut faire une pirouette mentale pour justifier que mon moi ne se trouvait plus dans la même personne que l'instant d'avant. Je rouvris les yeux, et ce fut pire. J'étais eu beau milieu d'un kaléidoscope, et des milliers de petits moi me regardaient avec circonspection. Je fermai à nouveau les yeux, et les ouvris quand je sentis sur ma peau des millions de cordes. C'était une sorte de lierre géant, et il me recouvrait complètement. J'étais pourtant sûre qu'il n'était pas là la seconde d'avant, mais j'avais le souvenir de l'avoir eu sur moi depuis le début de ma chute. Je devenais folle. Il fallait que ça cesse. J'appelai à l'aide.
Un de mes doubles me répondit, celui en face de moi, mais c'était comme si la voix venait de derrière moi. C'était impossible, mais c'était ce que je ressentais.
- Ce lierre n'a pas encore été planté.
Je tournai la tête pour voir la personne qui avait parlé, sachant pertinemment que c'était ma bouche qui venait de prononcer ces mots.
- Celui qui le plantera n'est même pas encore né.
J'avais envie d'appeler à l'aide, mais ces mots sortaient de moi malgré moi. J'avais pris la mauvaise porte. Slyha était tombée dans un piège de la protection magique du Département, et je l'avais bêtement suivie sans réfléchir. J'étais condamnée à errer ici jusqu'à la fin des temps. Ou bien jusqu'au début des temps.
Les feuilles de lierre se fanèrent une à une, ou plutôt redevinrent bourgeon, et les branches rétrécirent. Je sentis la gravité m'attirer en haut. Je levai les yeux juste à temps pour voir une surface transparente projetée vers moi. A moins que je ne sois projetée vers elle. Je crevai la surface et m'enfonçai dans l'eau. Une sorte d'eau. Je respirai normalement. Des bulles s'échappaient de ma bouche. Mes pieds touchèrent le fond sableux recouvert de milliards de sabliers, certains en cours d'écoulement, d'autres arrivés à la fin de leur temps.
Un corps traversa la surface après moi et coula au fond de l'eau dans un nuage de bulles. Je reconnus Slyha Fox. Je ne comprenais pas. J'avais pris la porte après elle. J'étais toujours complètement désorientée. Sa main portait une longue ouverture qui laissait une brume écarlate dans l'eau. La brume rouge finit par l'envelopper et lorsqu'elle se dissipa, il n'y avait plus personne. J'avais probablement halluciné, comme tout ce que je venais de vivre.
Le haut de mon crâne dépassa la surface de l'eau, puis je me rendis compte que c'était la hauteur d'eau qui diminuait, comme si le bassin se vidait lentement. Depuis l'extérieur de l'eau, je ne voyais plus aucun sablier. Mes pieds pouvaient pourtant toujours les sentir. De l'eau jusqu'aux chevilles, je progressai dans cet étrange endroit constitué d'une mer de quelques centimètres à perte de vue, un ciel bleu uniforme et des carcasses d'horloges et de pendules en tout genre échouées et fracassées sur le sable.
Au milieu de rien, se dressait une porte noire sans aucune inscription. J'y entrai.
C'était une bibliothèque géante, aux rayonnages remplis et aux papiers volants comme des oiseaux atour des colonnes. Elle ressemblait comme deux gouttes d'eau à celle de Poudlard. Ou bien était-ce moi qui avait envie qu'elle y ressemble. Dès que j'entrai dans cette pièce, je sus que je comprendrais tout. Mon pauvre cerveau atrophié se demandant encore ce que je venais de vivre avait acquis la faculté de comprendre. Je le savais. Je ne savais pas comment je le savais, mais je le savais. Quoi que je lise ici, le savoir se déverserait directement en moi comme d'une source.
- Reste concentrée, Many, pas d'égarement.
Je fonçai vers la porte d'en face, jumelle de celle que je venais de prendre, et me résolus à laisser tout ce savoir derrière moi. Elle ne s'ouvrit pas. Pourtant je savais ce qu'elle renfermait. Pas moi, mais, quelque chose savait, et le savait à travers moi. C'était la salle de la Magie. Celle avec un grand M. Là où le chant du faykril déroulait ses fils sur la toile de l'univers. Je pouvais le sentir. Je regardai la poignée. Pas de sang. Slyha n'était pas venue ici. Je faisais fausse route.
Je rebroussai chemin et repassai la porte de la bibliothèque. J'étais à nouveau les pieds dans l'eau, sur ce cimetière de temps à perte de vue. J'étais perdue. Slyha était quelque part, mais je ne la voyais plus. Je retrouvai le nuage sanglant marquant l'endroit où elle avait disparu. Je remarquai un éclat brillant et me penchai pour le ramasser. C'était une poignée de porte vissée dans le sable. Au moment où ma main l'actionna, une ouverture s'ouvrit dans le sable, je me sentis aspirée et mon sens de la verticalité bascula à 180°. Un éclair aveuglant avec un coup de fouet monstrueux claqua beaucoup trop près de moi, et des trombes d'eau me tombèrent dessus. Plus de plage, plus d'horloges cassées, plus de ciel bleu. Tout ça avait disparu en une fraction de seconde. Des colonnes d'eau tombaient du ciel en une forme impossible. Des ruisseaux coulaient du ciel et se regroupaient en rivières, en fleuves, comme les branches d'un arbre allant fusionner sur un énorme tronc d'eau jusqu'à la mer. Toutes ces colonnes d'eau en forme d'arbre donnaient l'impression d'être au milieu d'une forêt.
Une étrange forêt de pluie.
L'eau qui tombait dégageait une brume qui empêchait de voir à plus de quelques mètres au niveau de l'eau. Au niveau des branches, le ciel était dégagé. Je m'approchai d'une colonne. Une inscription sur un court pilier de bois à l'intérieur indiquait AA-AF. Au-dessus, un bouquet de chaînettes pendait d'en haut, terminées par des plaques portant des noms dessus. Je passai une main dans le torrent de la colonne d'eau pour me saisit d'une chaînette.
- Je ferais pas ça, si j'étais toi. Ce sont des prophéties. Si t'en touches une qui t'appartient pas, ton cerveau va griller comme une merguez. Déjà que ça marche pas vite, là-dedans, j'ai un peu peur du résultat.
La voix était moqueuse, mais ce n'était pas celle de Slyha Fox. Je me retournai.
C'était un homme d'une cinquantaine d'années aux boucles blondes blanchies par le temps, au long nez aquilin et au sourire de psychopathe. Il portait une cape grise et un pantalon à franges.
Je faillis faire un arrêt cardiaque. C'était le professeur de Sortilèges de Treehall.
Lewis.
Non, ce n'était pas lui. C'était l'autre. Son oncle. Le tueur en série. Le Violoniste.
Le legillimancien.
J'étais stupide quand j'avais cru que Lewis pouvait être Franck. Féline les avait toujours confondus. C'était le Violoniste. C'était de lui dont je devais me méfier. Franck.
- Content de te revoir.
Il sortit une longue baguette montée sur un archet de sous sa cape. Je n'attendis pas de savoir ce qu'il voulait en faire et pris mes jambes à mon cou en remerciant Féline.
Eh maintenant ? Maintenant que j'étais nez à nez avec Franck, qu'est-ce que je devais faire ? Je n'avais pas réfléchi. Je ne réfléchissais jamais. Je me maudis.
Courir dans vingt centimètres d'eau n'aidait pas à creuser la distance. Je me fatiguais très vite. Et j'entendais les éclaboussures de mon poursuivant à mes trousses.
- Attends ! cria-t-il. Il faut qu'on parle ! C'est un malentendu ! Je suis un ami !
Je faillis hésiter. Un ami ? Puis je me secouai. Il ne pouvait pas me tuer directement. S'il était bien Franck, il en était incapable. Il essayait de me manipuler. J'accélérai.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi tu cours ? Qu'est-ce que t'as fait, Slyha ?
Je zigzaguai entre les colonnes de pluie et me fondis dans le brouillard. Quand je fus suffisamment enfoncée dans les nuages opaques, je m'immobilisai et m'accroupis, posant deux mains contre ma bouche pour invoquer le silence absolu.
Les éclaboussures de l'eau sous le pas de course du tueur en série éclataient bien trop près de moi. Je l'entendais passer et repasser à ma recherche, appelant mon nom comme si cette familiarité subite allait me convaincre de me montrer.
Je fermai les yeux et me concentrai sur les battements de mon cœur. Il étaient rapides, si bruyants. Je m'imaginai que les bruits de course dans l'eau n'étaient que le son de la famille Jenkins en train de jouer au bord de la mer lorsque nous partions en vacances ensemble. Will m'envoyait des gerbes d'écume en riant de mon sérieux.
Je ne rouvris les yeux qu'une fois les éclats redevenus réguliers. Les trombes qui tombaient du ciel faisaient des bruits de cascade réconfortants. Je me relevai lentement et prudemment, à l'affût du moindre son suspect. Le faible remous de mes pas restait inaudible sous le vacarme des cataractes qui m'entouraient. J'observais les ondes se propager depuis mes pieds sur la surface agitée.
Slyha apparut au tournant d'une colonne de pluie avec une boule brumeuse à la main. Elle regardait derrière son épaule et moi mes pieds. Je la percutai de plein fouet. Nous roulâmes toutes les deux dans des vagues d'écume. L'orbe qu'elle avait lâché dans sa chute roula contre mon nez. Une chaînette y était accrochée. Ce devait être l'une des prophéties dont les chaînes pendaient dans les colonnes d'eau. L'orbe de la prophétie était collé à mon visage. Je me reculai vivement en me rappelant l'avertissement.
Rien ne se passa. L'orbe m'avait touchée et pourtant mon cerveau ne sentait toujours pas le cramé. Ce roublard de Violoniste avait menti tout à l'heure. Je ne pris pas le temps de lire l'inscription et attrapai l'orbe d'une main curieuse en me relevant. Une brume mystérieuse tournait lentement à l'intérieur de l'orbe. Par moment, une trouée révélait deux silhouettes face à face vêtues de longs manteaux d'hiver. Quelque chose brouillait mon cerveau. Je la portai à mon oreille mais aucun son n'en sortait.
Slyha Fox s'était relevée face à moi. Je ne l'avais pourtant pas vue bouger. Sa baguette monta vers moi et je vis dans son regard résolu que ça ne sentait pas bon pour moi. Je plongeai et un éclair vert illumina la surface. Je m'éloignai à quatre pattes en panique avant de me redresser et fuir. Le brouillard se referma à nouveau sur moi comme un ami.
Je courus sans plus faire attention au bruit de mes pas dans l'eau. Je fuyais pour sauver ma peau. Deux personnes qui en avaient après ma vie se cachaient dans ce brouillard. La brume se teintait régulièrement d'un vert éclatant qui me gelait d'effroi. J'étais trempée et mes dents claquaient. Le froid de l'humidité ambiante n'était pas le seul responsable. Les deux tueurs pouvaient surgir de partout, je ne voyais rien plus loin que mon nez. Les cascades camouflaient leurs pas aussi bien que les miens.
Une certitude me traversa.
Je n'allais pas sortir vivante de cet endroit.
Je trébuchai au m'étalai dans une bruyante gerbe d'éclaboussures. Je restai immobile, attendant le sort de mort qui n'allait pas tarder à arriver, avec le boucan que je venais de faire. Comment avais-je bien pu atterrir dans cet enfer ? Combien d'avertissements avais-je ignoré ?
- Dans ma prochaine vie, reniflai-je, je promets d'écouter mes amis et d'arrêter de foncer sans réfléchir.
Un énième éclair fit verdir l'atmosphère humide. Je mis mes mains au-dessus de ma tête en espérant devenir invisible, inodore, inaudible.
Une vague me lécha les mollets. Je levai la tête juste à temps pour voir Slyha se dessiner à travers la brume. Elle leva sa baguette vers moi. Il était de toute façon trop tard pour bouger. Je fermai les yeux au moment de l'éclat de lumière verte.
Je rouvris les yeux, et constatai que j'étais en vie. Slyha Fox et le Violoniste se livraient à un duel. Il n'y avait plus aucune lumière verte. Je devais avoir rêvé. Je ne comprenais rien, mais si les deux personnes ayant essayé de m'attaquer décidaient de s'entre-tuer, c'était tant mieux pour moi. Mon esprit était redevenu clair. Je repartis en courant.
- Attends ! cria Slyha. Reviens !
- Attends ! hurla le violoniste.
Je décidai de ne faire confiance à aucun des deux. Je courais sans arrêt à perdre haleine, et mes poumons criaient grâce. Je me permis de ralentir et de jeter un regard en arrière.
Le Violoniste était à mes trousses. Je ne voyais plus trace de Slyha. Il avait dû sortir vainqueur du duel et elle avait dû être assommée. Je poussai un cri et repartis à bout de souffle.
C'était peine perdue.
- Jambencoton, lança-t-il.
Mes pieds se dérobèrent sous moi et je m'affalai dans l'eau. Je m'appuyai sur mes coudes pour me retourner et faire face, mais le tueur avait ralenti. Mes jambes ne m'obéissaient plus. Je tentai de ramper en arrière sans grand succès. Il marchait vers moi avec une grimace. Je compris vite pourquoi. Sa cape grise était imbibée de sang. Je ne savais pas le sort que Slyha lui avait envoyé, mais il était bien amoché.
- Expelliarmus, grogna-t-il.
Ma baguette s'envola à regret dans sa main. Il les laissa tomber toutes les deux à ses pieds et se mit doucement à quatre pattes, puis s'assit avec des gémissements de douleur. Je traînai le poids mort de mes jambes avec une lenteur désespérante. Son regard de tueur me glaçait.
- Attends, m'ordonna-t-il. J'ai quelque chose à te dire avant...
Avant ma fin. Il allait me tuer. C'était imminent.
- Je veux pas parler avec toi, fis-je en me bouchant les oreilles.
C'était un légillimancien. Il allait me retourner le cerveau pour me manipuler. Ses lèvres bougèrent mais je n'entendis rien.
Avec l'énergie de l'agonie, le violoniste se jeta sur moi et enleva mes mains de mes oreilles.
- Arrête, écoute-moi, demanda-t-il.
Je me débattis et il attrapa sa baguette.
- Petrificus totalus.
Je ne pouvais plus bouger le moindre orteil. J'étais terrorisée.
- Écoute et souviens-toi, gémit-il. Liam, mon neveu, va t'apprendre la legillimancie. Tu dois apprendre. Il t'attendra le soir de la première nouvelle lune de l'année scolaire au pub de la Tête du Sanglier. Tu dois le rejoindre. Seule.
Un phénomène de pure horreur prenait naissance devant mes yeux. A mesure qu'il parlait, il avait rougi comme en proie à une bouffée de chaleur, et le blanc de ses yeux s'était injecté de sang. Peu à peu, des filets de sang commencèrent à s'échapper de ses yeux, ses narines, ses oreilles, sa bouche. Il approcha sa baguette de mon cou et je sentis la morsure de la lame comme s'il s'était agi d'un couteau.
- Tu dois aussi promettre de jamais chercher à résoudre le mystère des disparitions de l'école. Jamais. Promets...
Il arrivait à peine à s'exprimer.
- Slyha... Slyha doit rester en vie. C'est le plus important.
La lame s'enfonçait dans mon cou de plus en plus. S'il n'avait pas été si faible, il m'aurait déjà égorgée depuis longtemps.
- Celui que tu dois tuer... c'est pas Slyha... c'est le transfénix... c'est... c'est... tuer...
Un poids mort s'écrasa contre moi. Je ne m'étais jamais sentie aussi impuissante de toute ma vie. Je ne pouvais rien faire. Je sentais un liquide chaud s'infiltrer dans ma tenue de Quidditch. Ce n'était pas mon sang. La voix du tueur n'était plus qu'un murmure à peine audible.
- … tuer... tuer... tuer...
Puis le sortilège céda. La première chose que je fis fut de hurler et me dépêtrer du corps. L'eau de la mer était rouge autour de nous. Je fouillai l'eau à la recherche de ma baguette et la sortis en tremblant de tout mes membres. Je ramassai aussi la baguette du violoniste, une longue baguette montée sur un archer de violon.
Je marchai comme un zombie vers là où était la porte de sortie, secouée de tremblements. Je suffoquais. Toute cette humidité me donnait l'impression de respirer de l'eau. Les colonnes d'eau continuaient leur chute immuablement sans frémir une seconde au décès d'un être vivant juste à côté. Les chaînettes des prophéties cliquetaient les unes contre les autres dans le courant, attendant que leur sujet vienne poser un jour la main sur elles.
Le corps de Slyha Fox était étendu dans le fond d'eau. Assommée. Elle n'était pas seule. Une silhouette se tenait près d'elle, élancée, avec des pans entiers de tissu souple voletant autour et renvoyant des éclats brillants lorsque les strass captaient la lumière. Ma peur se mua en soulagement. Sankhara. L'auror. Celui que je traitais comme un stalker m'avait suivie jusqu'au cœur du Département des Mystères pour faire garde du corps. Mais c'était trop tard, maintenant, le danger était déjà mort. Slyha l'avait tué. Franck était mort.
Il me fit un sourire de sa grande bouche et battit des cils. Le mouvement fit scintiller les paillettes au firmament de la peau sombre de ses paupières. C'était sa façon de dire qu'il prenait les choses en main à partir de maintenant.
- Tout va bien, balbutiai-je, Slyha a eu le temps de jeter un sort au tueur. Il est mort.
- C'était mon sort, corrigea-t-il. Miss Fox n'a eu le temps de jeter aucun sort.
- Il a failli réussir à me tuer, fis-je en passant une main sur la coupure dans mon cou.
- Je suis désolé. J'ai fait une erreur. Après lui avoir lancé le sort, nos regards sont entrés en contact. J'ignorais que c'était un legillimancien. J'ai été incapable d'agir après ce moment. Je n'ai pu recommencer à me mouvoir qu'après sa mort. Enervatum.
Slyha Fox se redressa et nous dévisagea. Elle avait immédiatement repris son air condescendant et partageait avec sa sœur cadette cette façon de fixer les gens à la manière d'un rapace.
- Vous pouvez me dire ce qu'il s'est passé ?
- T'as essayé de me jeter des sorts de mort, lâchai-je.
Pourquoi avais-je l'impression que les choses se répétaient sans cesse à l'identique comme un vieux disque rayé ?
- J'ai rien eu le temps de jeter du tout, corrigea-t-elle. Le legillimancien a dû t'embrouiller le cerveau avec une illusion.
- Hein ?
- Est-ce que tu comprends les mots qui sortent de ma bouche, moldue ? Qu'est-ce que tu fais là, de toute façon ? Tu devrais pas être à l'école ?
- En effet, accorda Sankhara. Vous devriez toutes les deux être à l'école et pas au beau milieu du Département des Mystères. Vous vous expliquerez avec votre directrice.
- Combien t'as payé à ma sœur pour qu'elle me pose cette alarme ? l'ignora-t-elle. J'espère que tu vas demander à te faire rembourser, c'était vraiment du travail de débutant. Elle est vraiment nulle, c'est affligeant. Tu pourras le lui dire, de ma part.
Elle se leva et quitta son air froid pour me gratifier d'un sourire fugace. C'était la première fois que je voyais sourire l'aînée des sœurs Fox. Il n'avait pas l'accent démoniaque de celui de Lyra, mais contenait un petit quelque chose de désagréablement vicieux.
- Enfin, pour aller lui demander un truc aussi facile, c'est qu'il doit pas couler plus de magie dans ton sang de bourbe que de fleuves au milieu du Sahara.
- Miss Fox, soyez respectueuse ou je devrai rapporter ça aussi à votre directrice.
- Notre directrice est décorative, répliqua Slyha sans se démonter, aussi utile qu'une plante en pot. Vous pourrez lui dire ça aussi. Dites-lui aussi que si elle continue d'embaucher des animaux comme professeurs, je serai forcée de prendre le contrôle de cette école avant que l'ensemble des élèves se soient fait complètement laver le cerveau.
Je crois que Sankhara est resté aussi stupéfait que moi.
- Je vais effectivement rapporter ces paroles, et croyez-moi, je pense que le renvoi vous pend au nez. Ce serait dommage, vous ne trouvez pas ?
- Dommage pour qui ? Je suis la meilleure élève qui ait jamais foulé le sol de cette école, j'apprendrai aussi bien par moi même qu'au milieu de ces macaques qui se font passer pour des sorciers, alors gardez vos menaces pour vous. Swan ne voudra jamais me renvoyer. Vous imaginez si elle renvoyait de l'école le plus grand espoir de cette génération juste pour quelques mots provocateurs, ce serait ridicule. Et on sait bien tous les deux que tout ce que j'ai dit était seulement destiné à vous faire réagir. J'ai réussi, non ?
Elle pencha la tête sur le côté comme on pourrait le faire avec un chien. J'avais toujours pensé que Lyra était une personne exécrable. Maintenant je la trouvais d'une bonté insoupçonnée.
- En effet, grogna Sankhara. Allons-y.
Le prof nous escorta jusqu'à la porte de la bibliothèque. Son déhanché ondulait gracieusement et les pans de tissu orangés de son sari flottaient dans l'air en lâchant des gouttes d'eau. Nous traversâmes l'édifice au milieu des livres volants. Il bifurqua et s'enfonça dans des rayonnages obscurs jusqu'à trouver une porte noire. Il l'ouvrit et ne sembla pas aimer ce qu'il y avait de l'autre côté. Il la referma et continua à errer dans les rayonnages jusqu'à trouver une autre porte dont le contenu ne lui plut pas. Il sembla plus satisfait par la troisième porte, et nous invita à le suivre à l'intérieur.
Nous étions revenus à la salle circulaire remplie de portes, éclairée par les flammes bleues. Il s'accroupit au centre et nous invita à nous asseoir. Slyha resta debout et posa les mains sur les courbes de ses hanches.
- Quoi ? On sort pas ?
- Je ne connais pas la sortie, déclara Sankhara. J'ai prévenu mes collègues du Bureau des Aurors. Quelqu'un du Département va venir nous chercher.
- C'est une blague ? demanda Slyha avec morgue.
Il battit des cils. Il n'avait pas l'air de rigoler.
- Si vous avez l'intention d'ouvrir toutes les portes pour voir ce qu'il y a derrière, Miss Fox, prévint-il, je vous le déconseille vivement. Certaines mènent vers des abysses dont même la plus puissante des magies ne pourrait vous sortir.
Elle nous tournait déjà le dos et avait sorti sa baguette.
- Certaines personnes me pensent de toute évidence bête comme mes pieds, marmonnait-elle in petto. Je me demande ce que j'ai fait pour inspirer ce genre d'idée. Accio boule de billard.
Un bruit sourd retentit contre l'une des portes. Slyha Fox s'en approcha et ouvrit le battant avant de ramasser la boule blanche à ses pieds. Elle nous envoya un sourire railleur en nous montrant la boule entre ses doigts, puis passa la porte de sortie en rejetant sa chevelure en arrière.
Un demi-sourire énigmatique flottait sur les lèvres du prof. Il battit des cils. Les éclats de paillettes scintillèrent.
- J'avais jamais eu envie de tuer un élève. Avant.
Il se releva et je lui emboîtai le pas derrière Slyha Fox.
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Le pas chaloupé de Sankhara nous mena jusqu'à l'antre de Swan. Devant la gargouille, il murmura le mot de passe, « feu follet », et le passage s'ouvrit vers notre fin à toutes les deux. La directrice n'avait pas eu le temps de quitter son pyjama à l'effigie des Harpies de Holyhead, mais était parfaitement maquillée, depuis les faux cils jusqu'au soin capillaire parfait. Je la soupçonnais de ne jamais se démaquiller. Dans la semi pénombre, son nez crochu lui donnait l'air d'un aigle royal prêt à foncer en piqué sur sa proie.
J'avais déjà eu affaire à Swan plusieurs fois lors de mes fugues nocturnes, et son visage sévère avait fini par incarner pour moi la face du sentiment d'échec et d'injustice, pour tous les points qu'elle nous avait fait perdre et l'humiliation de ses accusations verbales. Mes actes m'avaient alors toujours semblé justes malgré tout ce qu'elle pouvait en dire. Cette nuit, pourtant, j'avais honte de moi-même, et toutes ses paroles trouveraient un écho coupable en moi. Franck, enfin, le Violoniste, m'avait attirée avec ce mot idiot pour Slyha Fox, sachant bien que j'allais la suivre comme son ombre jusqu'à lui. Je m'étais jetée dans la gueule du loup juste parce que ça semblait amusant. Et lorsque mes amis avaient tenté de me sauver de moi-même, je leur avais tourné le dos pour filer en catimini.
Le problème, ce n'était définitivement pas eux. C'était moi.
Swan répondit au salut de Sankhara sans quitter Slyha des yeux. Cette dernière ne montrait aucun signe de crainte devant l'autorité. Elle se posa devant la directrice dans la plus grande sérénité et attendit la sentence. Confirmant une à une toutes les prédictions de Slyha, la vieille Swan écouta sans broncher le récit de Sankhara, puis de Slyha. Cette dernière énonça les lacunes dans l'apprentissage à Poudlard qu'elle souhaitait combler au Ministère avant de sombrer dans un ennui mortel, puis devança le calcul des points perdus de Swan par le rappel qu'un Serdaigle ne fait jamais d'erreur, seulement des agissements en accord avec sa quête du savoir qui ne sauraient bien sûr être source de punition étant donné la pureté des intentions premières, et cela Professeur Swan devait parfaitement le comprendre puisqu'elle était elle-même issue de l'enseignement de Serdaigle. A cela, la directrice ne put que répondre par un air abasourdi avant de nous libérer sans aucune punition ni aucun point perdu.
Sur le chemin de retour vers la salle commune de Poufsouffle, je pris conscience que l'auror scintillant me suivait lorsqu'il me héla dans un couloir. Je m'arrêtai et le laissai combler la distance.
- Les toilettes des filles de cet étage sont juste sur notre gauche, montra-t-il. Je t'attends ici.
J'essuyai mes yeux d'un revers de main et reniflai. En levant celle-ci vers moi, je compris que je ne faisais qu'étaler le sang dont j'étais recouverte de la tête aux pieds. Des mèches poisseuses se collaient à mes joues et ma tenue de Quidditch à la peau.
Sankhara fit un geste tarabiscoté de sa baguette et un assortiment de vêtements propres se matérialisa dans mes mains. Je le remerciai d'un signe de tête et entrai dans les toilettes des filles.
Je n'avais pas froid. Pourtant je tremblais comme une feuille. Je refusais de fermer les yeux malgré la fatigue. Chaque battement de paupière faisait surgir l'image du Violoniste, son visage gonflé, des rivières rouges s'échappant de lui comme d'une outre trop pleine. Ma poitrine se serrait brutalement et l'impression de mort imminente me forçait à rouvrir les yeux. J'étais encore incapable de retrouver une respiration régulière.
La douche chaude et les habits propres me permirent de retrouver une allure présentable, mais la sensation du sang sur ma peau persistait. Je savais que ce n'était que dans ma tête, mais je me sentais toujours aussi poisseuse lorsque j'entrai dans la salle commune de Poufsouffle plongée dans le noir. La lune éclairait les reliefs par une faible lueur grisâtre filtrant à travers les petites lucarnes au sommet des murs.
Trois silhouettes endormies en tas se trouvaient sur mon chemin.
Assis en tailleur par terre au milieu de la salle commune, Hugo avait la position de celui qui s'est endormi par mégarde en abaissant la tête. Plumeau dormait paisiblement appuyée sur son épaule. Zach avait dû glisser au sol dans son sommeil car il s'était pelotonné en chien de fusil et laissait échapper de légers ronflements.
Ils m'avaient attendue.
Je n'étais pas revenue à la soirée, ils avaient dû se douter de l'endroit où je m'étais rendue, et, inquiets, ils avaient voulu veiller jusqu'à mon retour. Ils avaient fini par s'assoupir. J'avais à nouveau le cœur lourd et des larmes se frayèrent un passage à travers mes paupières.
Deux yeux couleur vase s'ouvrirent, brillant dans la pénombre, comme deux juges observant les preuves de ma culpabilité. Le regard de Hugo, parfaitement réveillé, me traversa comme un tison ardent, et je finis de m'effondrer en m'agenouillant pour passer mes bras autour de son cou.
- Je suis désolée, murmurai-je.
Un soupir las me répondit.
- Tu peux pas continuer à faire n'importe quoi et espérer qu'on te pardonne tout à chaque fois.
Je le serrai d'avantage.
- Pardon !
- Faire des choses qui nous blessent et venir ensuite se répandre en excuses, c'est trop facile. C'est avant d'agir qu'il fallait y penser.
- Tu parles comme Lyra, sanglotai-je.
- Non, trancha-t-il et je le sentis se tendre. Elle, c'est une lâche qui reste inactive même lorsqu'elle devrait agir. Ce que je veux dire, c'est que toi, tu fonces même quand tu devrais passer ton tour. Il existe un juste milieu à trouver.
Je continuai de le noyer sous une avalanche d'excuses et de promesses vaines dans un murmure désespéré en le serrant de toutes mes forces. Il finit par me rendre l'étreinte et par enfouir ses boucles dans mon cou. Plumeau se redressa mollement, les yeux à demi fermés. Elle nous fit face en silence comme pour se remettre dans le temps et l'espace de la scène qui se déroulait sous son nez.
- Pardon, Plumeau !
Je laissai un bras autour du cou de Hugo et enroulai l'autre derrière la touffe de boucles noires décoiffées de Plumeau. Ses sourcils se froncèrent et je pus commencer à apercevoir ses iris bleus envoûtants à mesure qu'elle émergeait du sommeil.
- Many, marmonna-t-elle d'une voix encore pâteuse.
Elle me rendit son étreinte alors que je répétais mes excuses dans une mer de larmes.
- On est amies, Many, il y a rien que tu puisses faire que je sois pas en mesure de te pardonner. Te mets pas dans cet état pour si peu.
Un sourire éclaira mon visage malgré moi. Plumeau était mon meilleur remède.
Zach leva une tête chiffonnée du sol, laissant un fil de bave le relier à celui-ci. Les yeux collés et la trace du tapis sur la joue, il tâta ma main, puis palpa mon visage de ses doigts. Il sembla me reconnaître et laissa échapper un grognement inintelligible.
- Il a dit : ça y est, Many-bullzoder est rentrée, on peut aller au lit, traduisit Plumeau.
Mon sourire s'élargit et je le serrai contre moi en lui arrachant un couinement de surprise.
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Je perçus la fin de l'année dans une étrange grisaille.
Le souvenir du sang rouge éblouissait encore mon esprit et les couleurs du reste du monde en paraissaient ternies.
Cette impression persista lorsque Swan annonça la victoire de Serdaigle pour la coupe des quatre maisons et que Slyha Fox se leva pour saluer la plèbe lorsqu'elle fut nommée major des septième année.
La seule chose qui ravivait les couleurs de mon monde était la présence de Plumeau, Zach et Hugo. Comme une torche au milieu d'une caverne, leur proximité redonnait de la chaleur aux tons gris qui m'entouraient. Je leur avais raconté ce que j'avais vu dans la forêt de pluie, et aucun d'entre eux ne prononça de reproche ou de « je te l'avais bien dit ».
Franck était mort.
Mes ennuis étaient morts avec lui.
A l'approche des diligences qui devaient nous ramener au Poudlard Express, les teintes ternes de mon champ de vision firent apparaître une nouvelle touche de sordide. De grands chevaux rachitiques au corps noir et luisant étaient attelés aux diligences, leurs ailes membraneuses repliées. Je m'arrêtai près de Plumeau pour les contempler tandis que Zach et Hugo prenaient place sur les sièges. J'avais toujours souhaité être capable de voir les sombrals. Maintenant qu'ils se trouvaient face à moi, je songeai que cette capacité n'était qu'une triste consolation à mes couleurs perdues, et que si l'échange inverse m'était offert je n'hésiterais pas une seconde avant de revenir en arrière. J'espérais que le monde finirait par retrouver ses couleurs et que les cauchemars où je me noyais dans un océan sanglant trop épais pour y nager cesseraient avec le temps.
Plumeau ne paraissait pas effrayée par les sombrals. J'avais toujours soupçonné qu'elle soit capable de les voir. Lorsque je lui posai la question, elle rougit et baissa les yeux.
- Tu devines pas ? Je suis orpheline, tu te souviens ?
Je regrettai mon faux pas. Évidemment. Elle n'avait probablement pas envie de parler de la mort de ses parents quand elle était petite.
- Désolée, fis-je.
- Sois pas désolée, sourit-elle, pour moi, ma véritable famille, c'est ma famille d'adoption.
- Rambrandt ?
Elle hocha la tête sans quitter son sourire.
- Et... son épouse, j'imagine ?
- J'ai pas de mère adoptive, si c'est ta question.
- Bon, vous montez, les filles ? On a le wagon de confiseries qui nous attend dans le train et mon estomac commence à me tenir des discours de plus en plus insistants.
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J'avais aperçu Kathleen assise avec un groupe d'écharpes blanches dans les diligences, dont Leda, et elle les avait suivi dans un compartiment du train en m'adressant discrètement un sourire rassurant. Elle semblait assez efficacement à l'abri des ennuis depuis qu'elle s'était jointe au groupe, et je ne trouvai rien à lui reprocher dans sa démarche. En progressant dans le couloir du train pour chercher un compartiment inoccupé, mon regard se posa par inadvertance sur un compartiment occupé uniquement par Philippa qui sanglotait toute seule dans un coin. Pas l'ombre du reste du gang. La scission de Leda avec les trois autres avait dû faire s'écrouler le maigre liant qui les maintenait ensemble. C'était bel et bien la fin du gang de Philippa. Un peu plus loin, Tom Kindeye roulait un énorme patin à Grace Lady au milieu du couloir, et Apollo les poussa dans un compartiment en leur disant de se trouver une chambre. Bizarrement, je n'en ressentis ni jalousie, ni tristesse. Cette histoire avec Tom n'était qu'un accident de parcours de ma dispute avec Plumeau, Zach et Hugo, lorsque j'avais cru trouver du réconfort à Gryffondor. Grossière erreur. Je n'étais pas une Gryffondor, mais bien une Poufsouffle jusqu'au bout des ongles.
Nous trouvâmes finalement un compartiment inoccupé et nous y installâmes tous les quatre.
- J'ai un truc incroyable à vous montrer... commença Zach.
Il n'eut pas le loisir de poursuivre, car Lyra s'invita dans le compartiment sans lui laisser finir sa phrase. Elle tendit la main vers moi. Nemo nous adressa un signe avant de s'installer près de Zach qui s'empressa de déverser sa logorrhée sur son compagnon de duel.
- Tu as quelque chose qui m'appartient, Baker, réclama Lyra.
- Je crois pas, non, fronçai-je les sourcils.
- Tu recommences à faire du rackett ? accusa Hugo.
- Tu devais me ramener des photos du livre en échange de l'alarme, l'ignora-t-elle. Tu les as ?
Notre accord, que j'avais complètement oublié, se rappela à ma mémoire. Je décidai de noyer le poisson.
- Slyha a pas bougé du château, j'ai pas eu à m'en servir.
- Oh, comme c'est vilain de mentir, sourit-elle. Si ma sœur a pas encore agi, alors pourquoi est-ce qu'elle aurait brûlé tous ses livres sur le Ministère et pourquoi est-ce qu'elle raconte qu'elle veut plus devenir architecte ?
Je cherchai une parade, mais ne trouvai rien.
- Alors, mes photos ?
- J'ai oublié, ok ? avouai-je. De toute façon, ton alarme a pas marché, alors notre échange ne tient plus. Je l'ai suivie parce que je suis tombée sur elle par hasard.
Lyra fronça les sourcils, contrariée d'avoir échoué son sort, et s'assit près de Nemo en croisant les bras.
- C'est juste, accorda-t-elle. Tant pis pour le livre. Qu'est-ce qu'elle voulait, ma sœur, finalement ? Je suis curieuse de savoir ce qui méritait tant d'énergie.
Je me résolus à tout raconter à Lyra et Nemo. Au fur et à mesure que mon histoire se déroulait, Lyra devint de plus en plus livide.
- Franck est mort, terminai-je. Il avait probablement passé un pacte de non agression qui me concernait, qui expliquait qu'il ne pouvait rien faire seul. Il a possédé Slyha pour m'attaquer à sa place. Mais c'est fini, je suis tranquille, maintenant.
Voyant que Lyra ne disait pas un mot, je poursuivis.
- Je pense que ce que Slyha cherchait dans le Département des Mystères, c'était cette prophétie. Ce qui est bizarre, c'est que j'aie pu la toucher sans problème. Hugo pense que je suis concernée par cette prophétie, et que ça pourrait expliquer que quelqu'un comme Franck ait pu être après moi. Mais personne a la moindre idée de ce que dit cette prophétie.
- Tu rigoles, j'espère, s'étrangla Lyra. Moi, j'ai une prophétie.
- Quoi ? fis-je de concert avec Hugo, Plumeau et Zach.
- T'as oublié ?
Lyra laissa échapper petit à petit un rire nerveux qui avait des accents diaboliques. Elle s'adossa pour se calmer et posa ses deux mains devant son visage.
- Je suis complètement stupide, se lamenta-t-elle. Pendant toutes ces années, j'ai cru que cette prophétie me concernait, alors que c'était à propos de Slyha.
Elle repartit d'un rire effrayant, dévoilant sa double rangée de crocs. Je me souvenais à présent. Elle nous avait parlé d'une prophétie quand nous avions dormi à l'arbre creux avec Kathleen, Alyss et Rowena. Lyra se calma peu à peu.
- Tout ce temps perdu à apprendre l'apnée et à devenir imbattable en duel, à étudier les technologies moldues, c'est ridicule, fit-elle.
- Tu te souviens de ce que ça dit, cette prophétie ? demanda Plumeau. Tu peux nous la dire ?
- Cette prophétie est gravée dans ma tête, je pourrais vous la réciter en dormant, soupira-t-elle. Le jour où le rouge et les quatre seront unis En un enfant de cent ans vénérable S'épanouira la noirceur véritable Se répandant sans ennemi Seule la Renarde son énergie saura dérober Pour que toute vie nuisible soit éteinte Et que la vie restante de liberté soit teinte Le savoir du sang moldu sera autant la clef que l'adversité La plongée dans les eaux profondes la laissant inerte Mais en le faisant sien liberté lui sera offerte Son souhait le plus cher enfin exaucé.
Un silence de mort suivit ses mots.
- Est-ce que tu viens juste de prédire que Slyha va commettre un génocide moldu ?
Hugo venait de prononcer que que nous étions tous en train de comprendre lentement.
La Renarde, autrement dit Slyha Fox. Et tous ces mots à propos d'éteindre toute vie nuisible pour donner la liberté au reste, ça rappelait un peu trop les textes de propagande des écharpes blanches à mon goût.
- Ça semble évident, Weasley. J'espérais secrètement que ma sœur se lasserait bientôt de son histoire d'écharpes blanches, mais on dirait que je me trompais.
- Et le sang moldu, c'est moi ? demandai-je. Est-ce que c'est pour ça que Franck voulait m'éliminer ? Franck faisait partie des écharpes blanches ?
- Je vois pas comment on peut dire que cette prophétie parle de toi, opposa Plumeau. Il y a des millions de sorciers de sang moldu sur cette planète, et encore plus de moldus eux-même. En plus ça parle pas de moldu mais de savoir du sang moldu. De leur technologie.
- Bien raisonné, Plumeau, remarqua Lyra.
- Il doit y avoir une deuxième partie à cette prophétie, supposai-je. Probablement qu'il te manque la fin. Il y a sûrement plus d'indications à propos de ce sang moldu qui me désignent et qui expliquent pourquoi Franck en avait après moi.
- Je trouve que la fin appelle pas vraiment à une suite, intervint Zach.
- Et moi je trouve que tes remarques appellent pas à l'intelligence, rétorquai-je.
- Tu devrais écouter Andersen, miss intuition, sourit Lyra. Malgré son QI négatif, il résonne mieux que toi sur ce coup-là.
- Elle a raison, Many, je vois vraiment aucun rapport entre Franck et cette prophétie, supposa Plumeau. Laisse tomber.
- Franck est mort, maintenant, de toute façon, rappelai-je. Il m'a dit avant de mourir de garder Slyha en vie, ça prouve qu'il était de son côté.
- Ça prouve rien du tout, intervint Hugo. Les écharpes blanches ont été crées cette année, et Franck essaie de te tuer depuis que tu es bébé.
- Franck devait connaître la deuxième partie de la prophétie qui me désigne, renchéris-je, peut-être même que c'est le mentor de Slyha, que c'est lui qui l'a manipulée pour créer les écharpes blanches. Je sais pas comment, mais je vais être un obstacle aux projets de Slyha, et Franck cherche à se débarrasser de moi depuis qu'il a entendu cette prophétie.
- Il y a quelques éléments censés au milieu de l'habituel trou abyssal intellectuel de ton raisonnement, Baker, accorda Lyra, mais je vois mal Slyha dans le rôle de la victime. Depuis qu'on est assez grandes pour marcher, je l'ai toujours connue dans le rôle de celle qui tire les ficelles. Si j'étais toi, j'éviterais de tirer des conclusions trop hâtives.
- C'est pas des conclusions hâtives, grommelai-je au qualificatif dont elle avait affublé mon raisonnement, ta prophétie prouve que j'ai raison.
- Ça prouve seulement que les écharpes blanches sont plus qu'une simple protestation de collégiens, déclara Lyra avec un regard inquiet par la fenêtre du wagon. Slyha est du genre déterminé.
- Vous accordez trop d'importance à une prophétie idiote, s'agaça Hugo. Il y a pas plus douteux que la divination.
- Tu le penses vraiment ? Tu fais l'option arithmancie, pourtant, s'étonna Nemo qui sembla enfin s'intéresser à la conversation.
- Je pensais y trouver de l'intérêt, avoua Hugo, mais j'ai été déçu. Tout ce qu'on fait, c'est des prédictions floues et contradictoires qui se réalisent une fois sur deux. Au moins, ça m'a permis d'ouvrir les yeux. Le futur est une page blanche. Rien n'est écrit à l'avance. C'est à nous qu'appartient la liberté de l'écrire.
- La liberté de l'écrire, répéta pensivement Nemo comme si cette phrase à elle seule contenait autant de matière à réflexion qu'un siècle de philosophie acharnée. Dans ce cas, ça veut dire que tu penses que tu es libre ?
- Je suis libre de mes choix, répondit Hugo avec un regard surpris dans sa direction. Et Slyha Fox aussi. C'est pas une prophétie qui décide du futur, c'est nous.
Nemo paraissait sincèrement intéressé de la réponse de Hugo. A moi elle me paraissait logique et sans franche matière à débattre.
- C'est fascinant, sourit Nemo. Le paradoxe est incroyable. Regarde... Tu dis que tu es libre de tes actes, pourtant, quand tu t'opposes systématiquement à l'hypothèse de Lyra, tu crois pas qu'il existe des mécanismes intrinsèques en toi qui t'empêchent d'agir autrement ? Comme par exemple ton expérience passée avec Lyra, et le mépris que t'as appris à ressentir en sa présence ?
- Non, soutint Hugo l'air inconfortable.
Lyra observait l'échange sans faire de commentaire comme s'il ne la concernait pas.
- Tu penses que tu es libre pour te rassurer, pour pouvoir croire que tu contrôles quelque chose à tes actes, déclara Nemo en plongeant ses yeux magenta flamboyants dans les siens. Mais tu ne contrôles rien du tout. Tu te mets en colère parce que tu es conditionné pour te mettre en colère, tu serais incapable d'agir différemment parce qu'on t'a jamais appris à le faire. Tes neurones sont câblés de manière si circulaire que tous tes comportements sont prévisibles. Tu fais toujours la même chose. Ta famille t'a façonné comme ça.
Il se leva d'un bond.
- Ne parle pas de ma famille.
- Tu viens de prouver qu'il avait raison, s'amusa Lyra. Détends-toi, Weasley, il t'a pris comme exemple mais connaissant bien Nemo il pense ça de tout le monde.
- C'est valable pour tout le monde, confirma Nemo. Personne n'est libre.
- Je suis pas d'accord, répondit Hugo. A t'entendre, on dirait que personne est responsable de ses actes.
- Exactement, poursuivit Nemo avec un sourire ravi que son interlocuteur suive le fil de ses pensées. Personne est réellement responsable de ses actes, parce que personne n'est libre. On agit tous selon un éventail des possibles plus ou moins restreint par le poids de notre éducation. Et si Slyha doit commettre un génocide, c'est que c'est inscrit dans les possibles de son éventail. Son seul choix est entre agir selon cet éventail des possibles, ou refuser d'agir et regarder passivement l'Histoire s'écrire sans son empreinte. C'est ce que fait Lyra.
- Tout est écrit à l'avance, alors ? grimaça Hugo. C'est une blague ?
- J'ai pas dit ça. Je voulais juste t'expliquer pourquoi prendre une prophétie au sérieux, ça n'a rien d'idiot. Ce qui se produit est déterminé par des causes multiples qui sont pour la plupart invisibles pour nous.
La porte du compartiment s'ouvrit sur une tête blonde de première année. Le visage de Léon s'éclaira quand il vit sa bienfaitrice.
- Lyra Fox, est-ce que je pourrais venir vivre à l'orphelinat de ton père ?
- Pourquoi ça ?
- Je veux pas retourner chez moi, marmonna-t-il avec une ombre de peur dans les yeux.
- C'est pas comme ça que ça marche, répondit Lyra.
Le visage de Léon se décomposa comme s'il venait de connaître une trahison terrible.
- S'il-te-plaît ! Je veux pas y retourner !
- C'est pas moi qui décide, Léon.
- C'est pas juste...
Ses yeux se remplirent de larmes et il s'enfuit dans le couloir du train.
- Il avait l'air effrayé, commenta Plumeau avec un regard inquiet. Peut-être qu'on devrait...
- Laisse tomber, Plumeau, la coupa Lyra, il existe des lois, et on a pas le droit d'enlever un mineur à sa famille. C'est comme ça.
- C'est comme ça, singea Hugo. Personne est responsable, donc tu peux te contenter de rester passive et de regarder. Bien sûr. Ça t'arrange bien.
- Bien sûr que ça m'arrange, répondit-elle d'un ton ironique. D'après la théorie de Nemo, moi aussi, je suis enchaînée. Je suis prévisible et certainement pas libre.
- Arrête de faire semblant, s'agaça Hugo. Tu penses pas un mot de ce que tu viens de dire.
- C'est vrai, accorda-t-elle. Se persuader que les élèves qui le martyrisent ne font que faire ce qu'ils sont conditionnés à faire, ça permet à Nemo de pardonner au monde entier avec plus de facilité. C'est pas mon cas. Les brutes sont responsables de leurs actes et ils payent leurs conséquences. Je suis libre et ravie de l'être. Et toi, Weasley, tu es libre d'agir comme un être humain ou comme un pitt bull, et pourtant tu persistes à vivre la vie d'un canidé.
Hugo se leva d'un bond et Nemo l'arrêta d'un geste doux.
- Elle aussi se contente de répéter inlassablement son éventail de sarcasme parce qu'elle est incapable de s'exprimer autrement, dit-il. Elle le dit pas méchamment. Si tu observes bien les autres, tu remarqueras qu'on agit tous selon des causes qu'on ignore la plupart du temps et qui nous laissent pas de libre arbitre.
- Je me sens libre quand j'agis, rétorqua Hugo.
- J'ai aussi cette illusion, Weasley, lui répondit Nemo avec calme.
- Et si je mets la batte de Zach dans ses dents de requin, lui répondit Hugo en montrant le sourire moqueur de Lyra, est-ce que je sors de mon éventail ? Peut-être que je me sentirais plus libre ? Est-ce que ce serait en quelque sorte casser les dents au destin ?
- Si tu me demandes de partir avec tant de délicatesse, Weasley, j'imagine que j'ai le choix entre perdre mes dents et partir. Dans ma grande liberté de choix je vais donc décider de changer de compartiment.
Elle sortit sans avoir quitté son sourire ironique.
- Désolé si je t'ai blessé avec mes théories abstraites, s'excusa Nemo avec un sourire penaud vers Hugo. J'espère que tu m'en voudras pas trop. A plus.
Il quitta le compartiment et nous nous tournâmes tous les trois vers Hugo.
- J'étais pas sérieux, nous rassura-t-il. D'un autre côté je suis content qu'elle soit enfin partie.
- Je vous ai perdu à partir du moment où vous avez parlé de page blanche, intervint Zach.
- C'était il y a dix minutes déjà, Zach, remarquai-je.
- Ben oui, mais je voulais pas les interrompre, ils étaient enflammés. Au fait, moi, à la base, je voulais vous montrer un truc fou. Regardez.
Il tira une langue concentrée, attrapa sa baguette par la pointe, et frotta le manche derrière son oreille. Une petite tentacule vint s'enrouler autour et il leva ses deux mains.
- Tadaaaaa ! Sans les mains !
- Super utile, ironisai-je. Plus besoin de la ranger dans ta poche.
- Attends, attends, t'as rien vu, regarde. Expelliarmus !
Un minuscule éclair scintilla au bout de la baguette de Zach et la tentacule lâcha sa prise.
- C'est pas encore au point, nota-t-il.
- Faudrait déjà que t'arrives à être au point avec ta main droite, me moquai-je.
- Je suis gaucher, Many, et je suis vexé que tu t'en sois jamais rendue compte.
- Moi je crois que t'es ambidextre de la connerie, rétorquai-je. Ça te va comme ça ?
- Beaucoup mieux, sourit-il avec un air satisfait.
- Pssh, feula Féline dans sa direction.
- Pshhht, l'imita Zach en retour.
- Ça suffit, Féline, t'as qu'à aller sur Hugo pour changer un peu, fit Plumeau en soulevant l'animal tricolore par les aisselles pour le déposer sur son voisin.
La porte du compartiment s'ouvrit sur la tête de Rowena.
- On peut venir avec vous ?
- Kath s'est trouvée de nouveaux potes un peu bizarres, alors on voulait discuter un peu, ajouta la tête d'Alyss dans l'entrebâillement.
Nous les invitâmes à s'asseoir et ils entrèrent tous les deux main dans la main. Rien ne semblait pouvoir séparer ces deux là. Rowena commençait à prendre les courbes d'une vraie Fox comme ses deux sœurs, et Alyss faisait tomber de plus en plus de cœurs à mesure qu'il grandissait, pourtant aucun des deux n'était conscient de l'effet qu'ils suscitaient chez les autres, vivant sur leur petit nuage comme s'ils étaient les seuls êtres au monde.
Alyss serrait dans ses bras un drôle d'oiseau gris. Zach lui demanda depuis quand il avait ce genre de bestiole avec lui.
- Je l'avais recueilli quand il était encore oisillon, répondit-il. Di Renzo m'a dit que c'était un Augurey. C'est un oiseau très facile à domestiquer, il m'a expliqué comment faire.
Féline sauta brusquement des genoux de Hugo et s'accrocha à l'oiseau comme à une proie facile. Les deux animaux tombèrent à terre dans un chaos de griffes et de plumes. J'attrapai mon animal sauvage dès que possible, mais elle avait eu le temps de bien amocher l'oiseau d'Alyss. Celui-ci afficha un air dépité. Je me confondis en excuses et maudis ce chat de malheur.
- Je vais aller voir si Di Renzo peut faire quelque chose pour lui, fit Alyss avant de sortir du compartiment.
- Féline, qu'est-ce qui te prend ?
Elle me feula au visage pour toute réponse. La porte du compartiment s'ouvrit à nouveau et je crus qu'Alyss avait oublié quelque chose. Mais ce n'était pas la tête d'Alyss qui passa par l'ouverture. C'était un visage aux sourcils froncés et aux cheveux ternes coupés court d'habitude, mais qui commençaient à montrer un début d'ondulations sur le premier centimètre à avoir pu s'émanciper avant le coup de tondeuse un peu trop tardif. Un anneau était passé à son oreille.
- Salut, Rowena, dit Seth Sullivan. Tu veux venir à côté ? Je suis tout seul.
- Tu peux venir, si tu veux, l'invita-t-elle.
Il nous jeta un regard puis décida qu'il n'était pas le bienvenu.
- Tes copains m'aiment pas beaucoup.
Rowena parut surprise.
- C'était Philippa qui embêtait Kathleen, vous savez, nous expliqua-t-elle. Seth accompagnait Philippa pour éviter les ennuis, seulement. C'est très dur d'être né moldu à Serpentard. Il faisait ce qu'il pouvait pour sauver sa peau.
- C'est bon, te fatigue pas, ils m'aiment pas, c'est pas grave. On peut se mettre à côté.
- J'ai raté le moment où t'es devenue copine avec Seth Sullivan, grimaçai-je.
Rowena haussa les épaules, soulevant ses longs cheveux châtains.
- Quand Kathleen a préféré se mettre à côté de Leda que de moi dans les cours qu'on a en commun, et que Seth s'est retrouvé tout seul, on s'est regroupé par obligation de place, mais finalement on a appris à se connaître. Je pense que vous l'avez tous mal jugé.
- Bon, à leur tête ils veulent toujours pas que j'entre, dit celui-ci. Tu viens ?
Elle accepta et nous fit au revoir en quittant le compartiment. A travers le mur, nous entendîmes leurs paroles s'éloigner dans le couloir.
- Il est pas avec toi, l'autre ?
- Il est parti faire soigner son oiseau.
J'en étais restée abasourdie. Rowena amie avec Seth Sullivan, l'un des ex-membres du gang de Philippa et harceleurs de Kathleen. Cette dernière n'allait pas être ravie de l'apprendre.
- Maintenant qu'on est plus que tous les quatre, c'est l'heure de ta séance d'entraînement quotidien, annonça Zach en attrapant sa batte de Quidditch.
- Oh noooon, suppliai-je. On peut pas sauter celle-là ?
- Pas question, refusa-t-il. Prête ?
- Moui...
- Many bulldozer... ?
- … on la met à terre, grommelai-je.
- On l'écrase par terre, corrigea Zach, sois précise.
- … on l'écrase par terre.
- Très bien, fit-il en faisant rebondir la tête de sa batte dans son autre main. On y arrive. Many bulldozer... ?
- … je la défonce au taser, terminai-je en levant les yeux.
- Bien ! Many bulldozer... ?
- … je la laisse crever dans le désert. Bon, ça va, je crois que j'ai compris.
- Bravo ! s'écria-t-il en applaudissant.
Sa batte tomba sur ses genoux dans le mouvement. Zach me fit son plus beau sourire amical. Plumeau et Hugo s'étaient depuis longtemps désintéressés de son jeu de répétition et discutaient avec entrain d'une nouvelle recette de tartiflette qu'avait imaginée Plumeau avec du fromage de licorne et qui donnait une vitalité insoupçonnée. Je cherchai vainement un réconfort de leur côté. Zach me poussa doucement avec le bout de sa batte.
- On s'arrête pas en si bon chemin ! Many bulldozer... ?
Je me levai d'un bond.
- Bon, ça va, j'ai compris, fini Many-bulldozer, bonjour Many-avisée-et-réfléchie, je suis lucide maintenant, si je suis pas capable de réfléchir avant d'agir, vous serez tous les trois mon cerveau et je me fierai à vous. Voilà, content ?
- Très content, gloussa-t-il.
- Tu m'impressionnes par toute cette introspection, commenta Plumeau.
- Plutôt extrospection, on a toujours autant de communication superflue qu'auparavant, remarqua Hugo. Je pense pas qu'elle soit jamais capable de garder quoi que ce soit pour elle.
- Tu me promets que tu feras une séance par jour de Many-bulldozer... pendant toutes les vacances d'été, sans jour de repos. Gare à toi si tu triches.
Je promis. Peu à peu, les couleurs étaient toutes revenues, plus éclatantes encore que ce qu'elles étaient auparavant.
[Fin de la 3e partie. Je vais encore une fois faire une petite pause pour avoir le temps de finir d'écrire la 4e partie (les 2/3 sont déjà écrits). Mais on est loin d'en avoir terminé avec many bak, promis. Donc pour les trois lecteurs qui se battent en duel (merci pour vos réponses toutes mignonnes j'ai un peu moins le sentiment de parler dans le vide maintenant), pas de panique, ça revient bientôt! Petit teaser, on va aller faire un petit tour au terrier pour fêter la reprise...]
