Ce qui suit est un de mes trop nombreux projets que je traine depuis très longtemps en ne pensant pas vraiment en faire quelque chose un jour jusqu'à ce que je m'apercoive de la longueur du fichier. Plusieurs chapitres sont déjà écrits depuis un moment, et je pense que les poster en vaut la peine.
Petite précision (qui seront mentionnées plus tard mais pas dans ce chapitre-ci): le récit débute à Blue Graad mais se passe à Asgard dès le prochain chapitre. La narratrice, Anna, n'a actuellement que quatorze ans, et l'histoire débute cinq ans avant les événements (pendant le conflit à Asgard, Anna aura donc dix-neuf ans).
Ta main serre la mienne avec la force qu'il te reste. Je ne sais pas si tu t'en rends compte. Je crois que tu ne veux pas partir. Moi non plus je ne veux pas que tu partes.
-Anna… murmure-tu. Ma chérie…
-Je suis là, Lena.
Tu me souris. Tu me souris et je me demande comment tu fais parce que moi, je n'ai envie que de pleurer.
-Je t'aime beaucoup, ma chérie, tu le savais?
Oui, je le savais. Tu me l'as dit des dizaines de fois.
-Je t'aime aussi, que je réponds.
Tu me caresses la joue.
-Tu es jolie, Anna. Tu as la chance d'être jolie.
En quoi est-ce une chance? Les hommes que je côtoie, ceux qui viennent au palais, ils me regardent avec une lueur dans les yeux que je n'aime pas. C'est pour ça que j'attache ces maudits cheveux, c'est pour ça que je garde la tête baissée. Inutile d'attirer l'attention sur moi plus que nécessaire.
Ton sourire est rassurant. Pourtant, tes mots m'effrayent.
-Tu seras toute seule, ma chérie. Si tu es chanceuse, ça n'arrivera pas. Avec une famille et une maison à toi… tu seras bien traitée.
Je ne dis rien, toi non plus.
-Tes yeux, Anna. Tes jolis yeux sombres… Ils peuvent plaire, tu sais. C'est une couleur très rare. Et la couleur de ta peau attirera l'attention.
Tu me l'as déjà dit. Mais cela me met toujours autant mal à l'aise.
-Je ne veux pas.
-Allons, Anna…
Tu tentes de te faire rassurante, mais je ne suis pas idiote. Je vois toute la portée de tes mots, et elle ne me plait pas. Elle ne me plait pas du tout.
Je t'en prie, Lena. Je sais que tu es malade, mais je veux que tu reste avec moi.
Tu tousses. Encore une fois. Et tu souris encore.
-Je fais ce que je peux pour toi, ma chérie. Crois-moi, tu ne veux pas finir ta vie entre ces murs.
-Mais pourquoi? je murmure faiblement.
Passer ma vie à servir la famille royale me semble moins pire que de devoir aimer un inconnu un jour. Et je sais que je pourrais vivre au dehors, je pourrais refaire ma vie ailleurs, mais il y a des destins pires que le mien.
-J'ai eu un enfant, autrefois, me confie-tu.
-Je l'ignorais.
-Je ne te l'ai jamais dit. Je n'ai même pas pu le garder. Son père l'a récupéré.
Des histoires de ce genre traînent entre ces murs depuis bien longtemps déjà. Il arrive que des hommes ne respectent pas les liens du mariage, bien que les femmes aussi, parfois, mais je n'avais aucune idée que cela t'était arrivé. Je m'attends à une demande de ta part, que tu veuilles que je retrouve ton fils, mais rien de tout cela. Tu soupires encore.
-Toi aussi, tu auras des enfants, me confies-tu. C'est inévitable, tu es belle. Si tu veux les garder, tu n'as pas le choix.
Tu as donc déjà planifié mon avenir. Et, si d'une part j'ai envie de hurler, de l'autre je comprends ce que tu veux dire. Je n'ai pas le choix, dis-tu... mais je pense le contraire. Peut-être le sens-tu. Je ne le saurais jamais.
Avant de partir pour de bon, tu m'offres ta bague en argent, le seul bijou que tu possèdes, à moi qui ne suis pourtant pas ta vraie fille. Ton enterrement est sobre. Tu n'avais pas de famille à part moi et personne n'aurait dépensé d'argent pour les funérailles d'une intendante.
Lorsque je tente de retourner à ma vie d'avant, je sens seulement ton absence. J'ai l'impression d'entendre tes mots. Et je me souviens de tes conseils. Je me demande si tu savais déjà que je ne les suivrais pas. Le soir, avant que la nuit ne tombe tout à fait, je prends ma cape et mes vêtements les plus chauds et remplis mes poches de ce que je possède et qui pourrait m'être utile. Je n'oublie ni ta bague ni la croix que m'a donnée mon autre mère, et je sors. Les gardes et les autres serviteurs connaissent mon visage et je suis libre d'aller et de venir dans les couloirs, aussi personne ne pense à me demander où je vais. Peut-être pensent-ils simplement que j'ai besoin de prendre quelques minutes pour moi-même, après ce que j'ai vécu aujourd'hui.
Quand je me retrouve dehors, l'air froid me frappe au visage mais ne me fait pas renoncer. Je regarde une dernière fois derrière moi puis à nouveau devant, dans la neige et la nuit noire, et je cours.
