J'ai toujours pensé à toi !

Disclaimer : Et voilà, on va entrer dans une phase assez importante qui prendra aux moins deux chapitres. En effet, je préfère couper en deux et bien songer aux dialogues, émotions, plutôt que de faire un pavé trop long.
Bonne lecture, n'hésitez pas à dire ce que vous en avez pensé !

Les vagues le jetaient avec violence contre le rocher, alors que les barreaux se rapprochaient de lui. Au loin un rire de satisfaction se faisait entendre chaque fois qu'il retombait dans l'eau glacée et déchaînée. Jusqu'à ce qu'un trident le transperce et l'emporte au fonds des océans dans un tourbillon surpuissant menaçant de se noyer. Il était à présent sur la scène revêtu de la Scale étincelante et majestueuse aux cotés des autres marinas quand soudain…
"Tu ne me surpasseras jamais, et tu finiras par payer pour tes mensonges." Cette voix, la même que celle qui se délectait de son supplice s'évanouit.
Sans crier gare, Kanon était devenu trop petit pour l'armure, flottant entièrement dedans, redevenant un enfant de six ans. Il avait beau essayer de rappeler les autres marinas de Poséidon, argumenter, mais rien n'y faisait. Quand un néant s'ouvrit vers lui et qu'il y bascula se débattant à nouveau...

Au même moment dans la chambre, un « Noon par pitié non ! » sonore et affligé résonna, mettant involontairement un terme à cet atroce cauchemar. Se relevant péniblement, Kanon constata que la couette l'emprisonnait presque. Trempé de sueur, le souffle court, les gémissements du lit voisin lui indiquaient qu'il n'était pas le seul à être en proie avec ses démons intérieurs.

Le sommeil de son grand frère était plus agité, ce dernier se débattait alors que sa voix se brisait entrecoupée de pleurs.
« Oh non ! Qu'ai je faaaiiit ?! Je suis un assassin ! Kanon où es tu ? Je suis si désolé tout est ma faute et… Kanon… Kanon ! »

Jamais encore le concerné n'avait vu son frère en proie à un tel cauchemar, semblant aussi noir que les enfers d'Hadès.
Même si il lui en voulait pour tant de bonnes raisons, Saga ne méritait pas que son supplice dure plus. Il en savait quelque chose après ce rêve terrifiant et récurrent. S'étant approché du lit voisin, Kanon le secoua.
- Hé réveilles toi. Réveilles toi, ce n'est qu'un rêve.
Sans réponse, il le secoua plus fort. Cette fois, la seconde tentative eût l'effet escompté.
- C'est moi ! C'est moi qui aurait du mourir à ta place ! Je suis si impardonnable !

Tremblant de tout son corps, le regard terrifié, le cauchemar ne semblait pas prêt à le lâcher si facilement.
-Enfin, tu vois bien que je suis là. Là devant toi !
Il fallut quelques minutes à Saga pour reprendre conscience de la réalité, ses larmes continuaient de couler. Ils se dévisagèrent pendant quelques secondes avant qu'il ne refonde en larmes à nouveau avant de lâcher un
- J'aurais jamais du faire ça, non jamais ! Et y a rien à faire je suis impardonnable !

Devant ce spectacle inattendu et désarçonnant, Kanon ne sut plus quoi que penser à ce moment. C'était bien la première fois qu'il voyait Saga aussi vulnérable, coupable, semblant s'effondrer tant émotionnellement que moralement. Cette détresse était si palpable, si forte, comme la sienne qu'il tentait tant bien que mal d'étouffer. De tenir encore et toujours, comme il l'avait fait toutes ces années.
Mais avec ce qui venait de lui arriver à la suite cette nuit… Ce miroir qui reflétait sans compassion ni pitié ce qu'il éprouvait depuis tant d'années. Ce qui le rongeait depuis que cette foutue loi avait commencer à les éloigner peu à peu.
Ne pas être l'égal de Saga, celui que personne ne regarderait. Ne jamais avoir de compliments, d'être reconnu pour ses résolutions, ses idées. Éternellement un numéro deux...
Et la situation risquerait à coup sur de se répéter. Sans nul doute il n'y aurait aucune clémence pour un ennemi incroyablement égoïste au yeux des autres. Aucune armure d'or, à jamais pour un simple remplaçant.
Un remplaçant transparent comme du vide, ou avec assez de consistance pour être traité que comme si maladroit, si dénué de talents, doué pour rien. Qui ne serait JAMAIS assez bien, comme son cher frère. La mine plus assombrie, Kanon se recoucha avec la fatigue et un espoir vain dans son esprit : arriverait il à enfin se reposer un peu plus ?
Il en doutait, en retrouvant le lit dans le coin de la pièce grâce au clair de lune qui pénétrait par la fenêtre.
Pour l'un comme pour l'autre, cette promiscuité était un véritable calvaire et ça durait depuis déjà une semaine et demie.


Arriveraient ils à endurer ça encore longtemps ? Pourraient ils tenir et faire semblant de rien sans que ça ne dégénère vraiment pour de bon ? Si au moins dans la journée, pour les repas, il leur était possible de ne pas se croiser, la nuit le matin, c'était une autre paire de manches ! Tout comme la question du bazar, du lit choisi. Un fouillis qui commençait à s'installer, que le cadet n'avait pas la moindre envie de ranger.
Bah, songea il pour lui même, il faudrait qu'il supporte ça encore jusqu'au matin, avant de se casser.
Trois jours de plus avaient passé, et à la fin du service du petit déjeuner, une demande ne passa pas inaperçue.
Mû s'était tourné vers Kiki, une expression sérieuse et presque résignée sur le visage.
- Pourras tu m'apporter les boites des armures que Poséidon a envoyées à Elysion ainsi que mes outils ? Il est tant que j'y jette un coup d'œil.
- Autant le faire ensemble, au vu des dégâts, deux maîtres réparateurs d'armures ne seront pas de trop.
La mâchoire de Mû se serra de façon presque perceptible, mais la petite flamme qui venait d'apparaître dans ses yeux en disait long sur son avis.

- Inutile, je vous remercie maître. Vous avez sûrement plus de choses à faire, et puis… parfois les élèves quittent leurs maîtres. C'est dans l'ordre des choses. Je m'en tirerai très bien tout seul.
Visage fermé, décidé, il se leva d'un coup, reposant sur une échelle son plateau soigneusement rangé.
- Vous voulez trouver un endroit qui vous permette de commencer le travail, maître Mû ?

- En effet.
- Dans ce cas, informe moi de tes premières impressions s'il te plaît. Il est pour le moment difficile à dire si ou non tu pourras avoir la quantité de sang nécessaire dans les jours à venir. N'oublie pas que nous sommes encore convalescents.
- Je n'oublierai pas, Vieux Maître. Sur ce, il lui adressa un adorable sourire, en prenant soin d'ignorer Shion.

Son départ provoqua un début de grognerie parmi les retardataires.
Plus renfrogné que jamais, Kanon touilla avec rage son café et fusilla du regard la dernière figue.

«Comme si c'était vraiment le moment ! » « Y'en a qui re mériteront pas leur armure, après leur conduite d'ordures. » « Sans dec', on compte pour des prunes ?! » « On est des êtres humains, pas des machines de guerre, quel danger nous guetterait encore ? »

- Ça ne te tue pas de ranger derrière toi, ou ça te demande un effort colossal ?
Aioros l'observait avec un air désapprobateur, tout comme le plateau, la chaise laissée en l'état.
- Qu'est ce que j'en ai franchement à foutre ? Comme de ton avis ? Il y a des serviteurs au cas où ça t'aurait échappé.
Et il mit court à cet échange en quittant les lieux, se contrefoutant royalement comme du premier rocher qu'il avait brisé de l'opinion d'Aioros.

Une heure plus tard, Shion et Dôko discutaient autour d'un second thé fumé sur la terrasse de l'évolution de la situation.
Peu de choses avaient changé dans le bon sens, et les ruptures se faisaient de plus en plus sentir.
- Ne sois pas surpris par sa réaction, ton élève se sent blessé et déboussolé, modérait le chinois.
Il s'est passé treize ans depuis que vous ne vous êtes pas vu. Il a du grandir seul, sans adulte pour le guider, trouver son propre chemin. Essayer de rester digne de son prédécesseur, jusqu'au moment où ce dernier joue le rôle du traître.
- Je comprends que ça l'ai choqué, et que ça ait du mal à passer. Mais comprend il qu'on avait pas le choix ? Shion ferma les yeux avec tristesse, repensant à cet abominable pacte pour lequel il avait du tout sacrifier.
- Disons plutôt que c'est tes ordres qui devaient lui sembler déplacés. Mets toi à sa place, malgré sa maturité, il est encore jeune et sensible. Comment aurais tu réagi à sa place, si Hakurei après deux cent ans se pointe et te dise ce que tu as à faire ?
- Sur ce point tu as raison, finit par admettre dans un soupir l'ancien bélier avant de changer de sujet.
On dirait que tu as pris du temps pour lui et que tu as été présent quand il en avait besoin, merci.
Dôko se contenta de boire son thé en silence avant de partager le pressentiment qu'il avait et se faisant de plus en plus présent.
- Quelque chose me dit qu'entre les jumeaux, aujourd'hui quelque chose va changer.
Et ce fût tout, son expression sérieuse suffit pour ne pas argumenter davantage. Les deux amis optèrent pour un bon moment juste à eux.


Enfin, il avait réussit à récupérer son souffle, à se retourner. Son objectif était enfin atteint, mettre assez de distance entre lui et tous les autres. De réussir à trouver un peu de calme et d'oublier ses angoisses ses rancœurs sa colère. Tous ces néfastes sentiments qu'il éprouvait continuellement depuis leur retour.
Le dernier reproche de Milo lui revenait en permanence dans la tête, sans un seul répit. Tout comme son calme, ce regard plus meurtrier qu'un dard chargé de venin.
« C'est ça, prends donc la fuite, ça ne fera qu'une fois de plus de toutes façons.
J'avais cru que tu étais quelqu'un capable de faire face aux problèmes et à ses responsabilités. Je me suis trompé, avait il ajouté après une interruption.
Tu en es incapable. Vas y qu'attends tu dégage ! Je ne te retiens pas du tout. »

Sur ce il lui avait tourné le dos en le laissant seul. Ce qui avait laissé au cadet des gémeaux, une sensation de déjà vu qui s'amplifiait à chaque fois. Devenant de plus en plus amère,plus difficile à encaisser à chaque fois. Il en voulait au Scorpion, surtout parce qu'il avait cru qu'il l'aiderait. Mais ils en étaient revenus au moment où ils s'étaient rencontrés pour la première fois.
Il avait vraiment envie de lui mettre une droite, de répondre à ses provocations et ne pas à nouveau se laisser sagement faire. Mais ça ne ferait qu'aggraver la situation. Et la colère grandissait, prisonnière comme du magma qui n'attendait qu'une occasion pour jaillir. Il n'était pas du tout stupide: Kanon savait qu'il refusait d'entendre raison, de faire face.
Mais et les autres ? Savaient ils pourquoi il avait cette « conduite immature ? » Que savaient ils de ses hantises, de ses angoisses ? De la peur qui le paralysait, lui faisait miroiter des situations qui surpasseraient dans la réalité ses cauchemars ?
Avaient ils vraiment conscience de ses efforts à chaque fois, qui s'étaient révélés vains ?

Qu'il n'avait jamais eu le droit ou la possibilité que Saga le regarde et voit ce dont il était lui aussi capable ?
Bien sur que non !

Alors peu lui importait d'avoir cette « conduite immature ! » de retarder l'inévitable, de devoir tôt ou tard, dans deux jours dans trois heures ou deux semaines accepter de regarder les choses en face. De devoir être capable d'avoir une discussion sérieuse avec son jumeau, de commencer à chercher à sortir de cette impasse. Comme si c'était déjà pas assez désagréable de se retrouver avec des fringues identiques à celles qu'il avait porté sur le dos. Qu'il y ait cette vie en collectivité, avec personne qu'il appréciait franchement et inversement.
Certes, Doko et Milo étaient des exceptions, d'autres comme Aioros ou les autres, ce ne serait jamais possible. Jamais ! Pas après les avoir vu grandir, alors que lui il était pestiféré, ne pouvant que les épier. Que le secret ait toujours été tenu, il aurait pu crever, le tout dans l'indifférence la plus totale.
Ce qui le révulsait au plus haut point là dedans, c'est que l'option d'un futur plus serein entre eux démolissait ses motivations. Parce que ça avait été brisé à un tel point qu'il lui semblait impossible de réussir à recoller les morceaux. A se retrouver, à se reconnaître. Se préparer à vivre avec leurs torts, les reproches. Se libérer de ce passé traumatisant qui vous harcelait…

Paradoxalement, il avait vraiment envie de retrouver cette complicité fraternelle qui lui paraissait aussi lointaine que le ciel. D'étreintes, de confidences, de moments juste à eux, après toutes ces années privés l'un de l'autre.
Un faible sourire se peignit sur son visage en revoyant des scènes chargées d'insouciance : dévorer ensemble des figues, construire une cabane, s'éclabousser en riant aux éclats sur le rivage…

Un échange récent occupait aussi son esprit : avec le chevalier d'or de la balance.
Il y avait deux jours de cela, comme ni l'un ni l'autre ne parvenaient à trouver le sommeil, ils s'étaient retrouvés dans la salle commune.
Sans lui demander ce qui se passait, Dôko avait simplement affirmé que ce n'était décidément simple pour personne. Ils étaient restés un long moment silencieux puis le Gémeaux avait fini par lâcher son avis. La frustration qu'il ressentait, le manque de confiance entre lui et Saga qui devait être réciproque. Et là, le chinois lui avait dit quelque chose qui le désarma et le laissa décontenancé.

« On peut toujours ré apprendre Kanon. On ne réussira jamais à bien marcher avant d'être tombé de découvrir son environnement. La vie est un apprentissage constant. Et tout le monde sans exception a le droit à une seconde chance, quoi qu'il advienne. Même si les difficultés sont là, qu'on doute mais c'est l'essence même de la vie. Et je sais que vous deux vous pouvez reconstruire quelque chose, peu importe le temps que ça prendra. »

Kanon était reparti le cœur serré ne sachant plus quoi penser sur le moment.
A présent, c'était la même chose, avec l'envie de verser une larme. De finir par accepter qu'il était peut être temps de faire face. Parfaitement conscient que les choses ne feraient qu'empirer tant que ni l'autre ferait le choix de se lancer.
Car oui, cette discussion, ils la voulaient, même si ils la retardaient depuis longtemps.


Assis sur un muret, bordant une zone d'entrainement déserte, Saga ruminait de sombres pensées.
Comment faire pour que Kanon arrête un tant soit peu de se braquer pour tout et rien ? Même si il admettait que lui aussi avait sa part de responsabilités, à rester distant, cassant.
Seulement le passé l'avait rattrapé, lui rappelant tout ce qu'il avait fait lui aussi quand ils n'avaient que quinze ans. Ses rêves le hantaient à nouveau très souvent pour lui rappeler qu'il avait commis l'irréparable au Cap Sounion. Un tournant décisif dans leurs rapports, et par malchance, leurs dernières rencontres avaient été houleuses et amères.
La seule maigre consolation qu'avait éprouvé Saga, c'est de voir que son petit frère s'était franchement repenti. Une conduite qui tranchait tellement avec celle qu'il connaissait si bien et pleines de mensonges. De toute évidence, le duel dans la maison des gémeaux n'avait été que la première pierre à l'édifice.
Oser aller aux Enfers, abattre le plus de spectres, aider les Bronze Saints, et donner sa vie pour accomplir sa mission…
Jamais, non jamais, il n'aurait cru que Kanon le surprenne d'une telle façon ! De frappantes différences s'étaient installées entre eux et les rôles semblaient renversés.

Même si il serait à nouveau éternellement seul, mais c'était mieux d'une certaine façon.
Après tout, il avait réellement tout perdu une seconde fois : les bribes de compassion des saints du sanctuaire, son honneur de chevalier, la confiance des autres, et cette si brève vie…

Et cette résurrection n'effacerait rien. Il était impossible de revenir en arrière, la seule chose qu'il puisse encore tenter de faire, c'est que Kanon ne pâtisse pas non plus de cette honte qu'il n'avait pas cherché à obtenir.
Il refusait catégoriquement que son frère se retrouve fourré dans le même sac que lui, et ait enfin la chance qu'il attendait tellement. Que cette fois, cette vie de paria s'achève définitivement.
Quant à lui même… Saga se détestait tellement et avait toujours du mal à se regarder dans une glace avec tous ses crimes, ses mauvais choix. Il ne méritait plus d'être heureux, après tout ce qu'il avait été : manipulateur, bourreau, traître avec sa seule famille et ses amis, assassin, tyran…
Il n'avait que dégoût et mépris pour lui, estimant qu'être seul, sans le droit au bonheur, était sa punition.
Toute cette culpabilité qu'il endossait et cette colère sourde qui le taraudait, allaient elles à nouveau ou non le mener à sa destruction ?

Ce fût la vue de son jumeau qui le tira de ses sombres pensées.
Lui aussi semblait fatigué, à cran, triste. Ils étaient tous les deux exactement dans le même état d'esprit, depuis que Mû avait lâché le sujet « armures »

Ajouté à ça la fatigue physique, la promiscuité, l'ambiance plus que tendue entre les Golds Saints, les non dits, une bombe à retardement avait été mise en marche.

Quand ils se virent, ce fût la surprise qui domina dans leurs regards, ils n'avaient en aucun cas pensé au même endroit mais… Comme si la gémellité restait toujours forte, solide, malgré les épreuves traversées.
Se retrouver à nouveau seul à seul avait quelque chose d'inquiétant, car en dépit de leur malaise, leur fatigue morale, ça empirerait. Ou éventuellement créerait une brèche dans ce mur qu'ils avaient bâtis ensemble.
Pour la première fois, Kanon sentit les mots dans sa gorge être vains, se refuser obstinément à sortir. Comme ses jambes : bloquées alors qu'il avait envie de continuer son chemin, de ne rien dire. Dans l'espoir d'un échappatoire, un regard inquiet et courroucé incontrôlé croisa des yeux identiques aux siens, exprimant soulagement et agacement.
Il y avait enfin une opportunité de discussion, Saga l'avait bien compris et était décidé à ne pas la laisser. Conscient de la délicatesse et de la compréhension que ça demanderait, il osa se jeter à l'eau.
- Tu avais besoin de te retrouver toi même. D'avoir un peu plus de recul avec tout ce qui se passe n'est ce pas ?
Pas de réponse, sans doute un bon signe. De la même voix calme, il continua:

- De toute façon, avant que Mû se charge de l'armure des gémeaux, il se passera du temps. Ça ne me met pas très à l'aise, mais des réparations seront plus que nécessaires.
Kanon se raidit, sa bouche se tordit, ses poings se serrèrent immédiatement, alors que la lueur de ses yeux avait à présent un quelque chose de menaçant.
- Oui. Ce serait trop bête que tu ne puisses pas retrouver ta chère armure et tout le prestige que tu avais. Tout redeviendra comme avant, et personne n'y trouvera à redire.
Rien n'a changé ! Si il lui avait répondu sur un ton calme, il avait craché avec mépris en haussant le ton ce « Rien n'a changé ! »Une bouffée de colère s'était emparée de lui, il refusait catégoriquement que Saga se ré-octroie cette foutue armure et tout le panache, le mérite, le respect allant avec !
C'était inacceptable ! Pas après la conduite d'idiot irresponsable qu'il avait eu doublé d'un abruti disant oui à tout.
Alors que lui, il avait choisi la voie de la difficulté, de soutenir son regard en voyant son reflet.

« Oui, je suis un criminel, oui j'ai foutu la merde de façon mémorable, manipulé un dieu. Mais ça signifie vraiment que je vais esquiver mes responsabilités ? Non. Même si on me hue, qu'on me crache dessus, que je devrais une fois en baver, je ferai ce qu'il faut pour réparer mes conneries. Quoi qu'il se passe. » Et il avait tenu parole, doutant que l'armure l'accepterait. Ça avait été pourtant le cas en dépit de la fatigue, de l'antipathie, des blessures, pas une seconde il n'avait fléchi. Autant parce qu'il n'en avait absolument pas le droit, qu'il ne le serait jamais pardonné : flancher une seule seconde.
Qui finalement était le plus digne de cette armure ? Qui choisirait elle dans un proche futur ? Mystère. Mais si son « cher grand frère » estimait se croire supérieur à lui, il lui dirait sa façon de penser. Directement et sans mettre de gants !

A sa grande surprise, Saga éclata de rire long désagréable, sans la moindre joie, forcé. Qui trahissait à peine la rancœur.

Pour peu, Saga avait quelque chose de presque aussi maléfique que quand il était le dictateur du Sanctuaire et la marionnette de Ker. Sauf que là, il était on ne peut plus normal, et aux yeux de Kanon cette attitude le faisait frissonner.

- C'est évidemment tout ce que tu trouves à dire ? Je vais franchement finir par croire que tu le fais exprès, sans réfléchir, répliqua Saga d'un ton froid. Ou que tu n'aies jamais été foutu de grandir un peu ? cingla il.
Bras croisés, parfaitement conscient de sa froideur, c'était sans doute la façon la plus efficace et la plus percutante de dire des choses déplaisantes à entendre. Être capable de ne pas stupidement s'emporter, écouter, donner du poids aux mots, et ne pas laisser de prise à l'autre. Bien entendu, cette attitude pouvait faire de sacrés ravages, mais aussi de faire sauter des barrages.
La pique fit mouche, au vu de la mâchoire crispée du concerné, qui avait fait un pas en avant avant qu'un « attends » résonne dans son esprit. Répliquer sans réfléchir, c'était courir à une descente en flèche. D'un autre côté, on avait posé le doigt sur la plaie et il y avait deux solutions : fuir cette discussion et justifier cette pique, ou l'affronter quitte à savoir qu'il y aurait des dégâts.
« Mais c'était une occasion en or… » L'un comme l'autre semblaient penser la même chose, conscients que ça ne se représenterait plus avant longtemps. Et ils étaient des Golds Saints non ?
Alors que cette bataille verbale ait lieu, une bonne fois pour toutes !

- Pft, ces mots sont valables pour toi, Saga. Rappelle moi donc qui s'est suicidé en s'apercevant que tout le Sanctuaire serait contre lui ? Que seule Athéna en bonne déesse t'excuserait du bout des lèvres ? Reprenant son souffle, il continua avec un calme forcé mais la plus dangereuse des colères contenues :

Quand Shion ne s'est pas laisser berner par ta conduite angélique, tu l'as eu en travers de la gorge et pas qu'un peu. Mais ensuite t'as changé d'attitude ! T'as rien trouvé de mieux à foutre que courber l'échine au lieu de refuser cette mission… Non, t'as sans doute voulu rester dans ses bonnes grâces. Sans te soucier jamais de moi, ne serait ce qu'une seule seconde ! Ne te fous pas de moi ! Tu n'as jamais pensé à moi durant ces treize ans, JAMAIS !
C'est pas la peine de nier.

- Ma parole… Mais tu te fous vraiment de moi ou quoi ?! C'est si simple selon toi d'effacer l'existence d'un proche auquel on tient plus que tout, comme ça d'un coup de gomme ?

Cette fois, Saga trembla, pas de froid ou de rage, mais de douleur en se remémorant cet atroce retour au Sanctuaire. Ce vide béant qui s'était installé, le cœur et l'âme à vif lacérée par ce choix.
Le masque porté à contrecœur du Gold Saint pour qui seul le devoir sacré prônait sur tout.
Le moment où il s'était effondré dans une oliveraie mettant le plus de distance possible entre lui et ce qui rapprochait à leur histoire. Où il avait hurlé à pleins poumons son désarroi, sa douleur, pleurant toutes les larmes de son corps.
Une nuit blanche, avec une seule image qui lui revenait non stop en esprit : cet ultime face à face sans issue. Mépris froid contre haine brûlante, incontrôlable comme un incendie. La contrarieté de ne pas avoir de bouteille d'ouzo pour dormir sans être hanté par cette tragédie…
L'impuissance de voir que les pans de son monde se brisaient petit à petit, que tout le monde lui tournait le dos. La fausse compassion d'Aioros, les doutes de Shion, devoir cesser de jouer son rôle d'aîné modèle pour les jeunes Golds qui allaient partir s'entraîner.
Mais à quoi lui servait vraiment cette armure à présent ? Maintenant que son frère ne serait plus jamais là ? Ne ferait plus jamais partie de sa vie et qu'il avait mis lui même un terme à cette relation.
Inspirant calmement, Saga revînt à la réalité.
-J'ai toujours pensé à toi ! Toujours ! Il s'est jamais passé une heure, une minute, une journée, sans que tu occupes mes pensées !
Cette fois, ses yeux avaient pris un éclat glacial, qui lui conféraient quelque chose de plus inquiétant. Une porte aussi pour retenir la douleur, les larmes…
Kanon recula d'un pas, visiblement sonné par ce qu'il venait d'entendre, garda un court silence avant de lâcher avec un sourire mauvais :

- C'est pas un peu gros ce que tu me sors ? Trop pour que j'y croie ! Comment tu peux oser me dire ça quand tu m'as à deux reprises… abandonné.
Ce mot n'était qu'un murmure audible prononcé d'une voix étouffée trahissant la douleur intense derrière.
Comme si y avait pas eu assez de ces lois et de cet abruti de Grand Pope qui m'avait dicté ma vie, qui m'avaient privé de ce que j'aurais du avoir tu t'y es mis aussi !
Toi en qui j'avais le plus confiance ! Que j'aimais plus que tout, à qui je pouvais tout confier, que j'admirais et que je détestais…
Mais c'est toi qui m'a abandonné ! Nouvelle accusation d'une voix plus forte, pour se défouler, Kanon envoya son poing dans une colonne, qui se fissura instantanément.
- Non ! Si j'avais cessé de penser à toi, de regretter ce que j'ai fait, ce que tous avaient fait, ou pire t'abattre, là ce serait le cas. Mais ça ne l'est pas ! Et je te le répéte malgré le temps, l'éloignement j'ai toujours pensé à toi ! Toujours ? Étais tu vivant ? Avais tu fini par succomber ? Avais tu souffert ou ça avait été rapide ? Toutes ces questions qui tournaient perpétuellement dans mon esprit !

Mes envies de revenir au Cap Sounion, pour te parler à nouveau ! Crois le ou pas, c'est ton droit. Mais si je te dis que j'ai toujours pensé, à toi, c'est bien une des rares choses sur lesquelles je suis aussi catégorique et honnête !

Cette fois, les jumeaux n'étaient qu'à un mètre de distance, se fusillant du regard.
Le passé semblait se répéter presque à l'identique, lors de cette dispute suite à la décision de Shion et des choix à faire.
- Mais tu t'es pas gêner pour me supprimer de ta vie. Appelons un chien un chien et un chat un chat. T'avais pas du tout besoin de moi, t'en as sans doute jamais eu besoin. T'avais tout ce qu'il te fallait pour une vie merveilleuse, meilleur en tout point de vue que moi.
Je n'étais rien à tes yeux. Rien, répéta il avec plus de difficulté la voix étouffée et hachée.
Sinon, t'aurais pas choisi de te suicider et me laisser seul, encore une fois.
Définitivement, sans te soucier une seule seconde de ce que j'éprouvais, si j'encaisserai ou non le choc…
Alors…. Arrête avec ça ! Cette fois, ce n'était plus qu'une remarque dite avec force de quelqu'un qui était profondément blessé. Sans hésiter, il repoussa de ses mains cette présence envahissante, alors qu'un détail lui échappait.
Saga avait fini par abandonner son attitude froide et des larmes avaient jailli de ses yeux.
Lui aussi était aussi blessé et exaspéré par cette impasse.
Tant pis, il lui dirait sans détour POURQUOI, pour quelles vraies raisons il avait fait ça !

A suivre