17 avril
— Tu te rappelles que je sors ?
Bokuto, qui avait la tête calée sur les cuisses de son amant ouvrit les yeux et planta son regard dans le sien.
— Ah ? s'étonna-t-il.
Un sourire aux lèvres, Akaashi leva les yeux au ciel et se promit d'acheter un planning à fixer au réfrigérateur. Son amant avait des tendances tête en l'air qui pouvaient rapidement poser problème, et si, pour l'instant, il parvenait à les gérer, rien ne lui confirmait qu'il en serait de même dans quelques temps.
— Je vais faire la lecture aux personnes âgées aujourd'hui, il passa tendrement la main dans ses cheveux et embrassa son front : « Une heure et demi, le temps de faire le trajet, deux heures tout au plus. »
Bokuto força un instant sur ses abdos, Akaashi en profita pour se relever du canapé. Il s'avança jusqu'à sa bibliothèque, attrapa le livre qu'il avait commencé à lire à ses retraités une semaine auparavant et déposa un baiser sur le nez de son amant qui venait de se rallonger.
— Fatigué ? lui demanda-t-il en passant sa veste.
Un grognement lui répondit.
— Nan, je me tâte à chauffer les gars pour une séance.
— N'oublie pas tes clés si tu sors, souffla Akaashi en se chaussant, il lui fit un petit signe de la main : « À tout à l'heure, mon doudou. »
Un sourire niais étira les lèvres de Bokuto qui fut à la porte avant qu'Akaashi n'ait le temps de la refermer. Il lui vola un baiser, ajusta rapidement une mèche de cheveux et le laissa s'en aller.
Il referma la porte.
— Aller, la vaisselle, et pourquoi pas le repas ! lâcha-t-il pour se donner le courage de le faire.
Bokuto alluma la télévision et mis une chaine musicale quelconque, monta un peu le son, mais pas trop pour ne pas déranger les voisins et alla jusqu'à la cuisine. En chantonnant, il attaqua la vaisselle, lavant avec vigueur les deux assiettes, les quelques couverts et la casserole qu'ils avaient utilisé le midi même.
Une musique qu'ils écoutaient régulièrement à la caserne passa. Il la chanta à tue tête lorsqu'il entendit frapper à la porte. Il porta une main à ses lèvres, se demandant s'il n'avait pas chanté trop fort, se rendit dans le salon en deux grandes enjambées et coupa le son à la télé. On toqua une nouvelle fois. Il fronça les sourcils, tâcha de se rappeler s'ils attendaient quelqu'un mais rien ne lui vint à l'esprit. Il jeta le torchon qu'il tenait sur le plan de travail, essuya rapidement ses mains sur son pantalon et ouvrit la porte.
Un homme, plutôt âgé, qu'il ne connaissait pas se tenait là et le regardait, un sourcil haussé. Face à son silence, Bokuto prit la parole :
— Oui, bonjour, j'peux faire quelque chose pour vous ?
— Excusez-moi, j'ai dû me tromper de porte, l'homme pencha légèrement la tête et jeta un regard au numéro affiché sur celle-ci, fronça les sourcils et posa un regard dur sur Bokuto : « Akaashi Keiji habite ici ? »
Surpris, Bokuto croisa les bras sur sa poitrine.
— Oui, mais il est pas là. Vous êtes ? Et qu'est ce que vous lui voulez ? J'peux transmettre un message au besoin, répondit-il en haussant les épaules.
L'homme le toisa.
— S'il n'est pas là et que c'est bien chez lui, que faites-vous là ? demanda l'homme en ignorant ses questions, il enchaina rapidement : « Et qui êtes-vous ? »
Pas offusqué, Bokuto lui adressa un sourire chaleureux.
— Bokuto Kōtarō, et je suis le petit-ami de Keiji.
L'homme resta silencieux un long moment durant lequel il se contenta de fixer Bokuto, qui aurait pu jurer que les quelques couleurs sur le visage de l'homme s'étaient envolées à l'annonce. Rendu mal à l'aise par le mutisme de l'homme, Bokuto dansa d'un pied sur l'autre, hésita un instant avant de s'éclaircir la voix :
— Du coup, vous êtes ?
— Akaashi Akito, je suis le père de Keiji.
Intérieurement, Bokuto jura, cria, couru dans tous les sens et prit ses jambes à son cou, extérieurement, il n'en fit rien. Un sourire crispé étira ses lèvres alors qu'il se décalait d'un pas sur le côté, faisant signe au père de son amant d'entrer. Il se maudit, s'insulta et se flagella. De ce qu'il savait, le père d'Akaashi n'était pas encore au courant pour l'homosexualité de son fils. Enfin, ça, c'était avant qu'il n'ouvre la porte et sa bouche.
Sans un mot ou un regard, l'homme pénétra dans l'appartement, retira ses chaussures et s'avança dans le salon. De toute évidence, il connaissait les lieux, ce qui le soulagea d'un poids.
— Je…
Le père d'Akaashi se retourna et posa un regard froid sur lui. Bokuto inspira longuement pour se redonner constance et se redressa.
— Je peux vous servir quelque chose ? parvint-il à demander d'une voix claire dont il se félicita.
— Un thé, merci.
Bokuto s'excusa d'un signe de tête, prit soin d'attraper son téléphone et pénétra dans la cuisine. Il mit de l'eau à chauffer et appela son amant. À la troisième sonnerie, il tomba sur la messagerie. Un rapide coup d'oeil au salon lui permit de savoir qu'il serait impoli de laisser un message vocal. Il l'appela une seconde et une troisième fois, tomba à chaque fois sur sa messagerie. Il se mordit la lèvre inférieure. Rapidement et les doigts tremblants, il tapa un sms « Sos, mayday, rentre vite, urgent ». Il l'envoya sans prendre la peine d'y réfléchir ou de le relire, l'eau venait de se mettre à siffler, il serait incorrect de faire attendre plus longtemps leur invité. D'un geste habitué, il attrapa une tasse et hésita devant la collection de thé :
— Une préférence pour le thé, monsieur ?
— Noir, s'il vous plait.
Se remémorant ce que lui avait expliqué Akaashi sur la manière dont ils buvaient le thé dans sa famille, Bokuto s'appliqua sur la préparation. Un tressaut musculaire lui fit renverser une cuillerée sur le plan de travail, il jura entre ses dents closes, le nettoya rapidement, versa l'eau chaude et mit la tasse sur une soucoupe.
Le regard rivé sur la tasse, il marcha lentement jusqu'au canapé où le père de son amant s'était installé. Il posa le tout sur la table basse, s'accorda un soupir en voyant que le contenu de la tasse était resté dans la dite tasse. Il mit rapidement ses mains dans son dos pour dissimuler leurs tremblements au regard inquisiteur de son invité.
Le père d'Akaashi le remercia d'un signe de tête et porta le thé à ses lèvres. Il en bu une gorgée, et s'il le trouva mauvais, il ne fit aucune remarque. Bokuto profita de ce moment pour regarder plus en détail l'homme. S'il ne lui avait pas dit être le père de son amant, jamais il n'aurait pu le deviner. Ils n'avaient aucune ressemblance si ce n'est la couleur de leurs cheveux, commune à la plupart des japonais.
— Vous êtes étonnamment à l'aise chez mon fils, lâcha l'homme sans préambule.
L'affirmation fit rougir Bokuto qui détourna les yeux. Il avait déjà gaffé tout à l'heure, il ne se voyait pas annoncer au père de son amant, qui venait d'apprendre que son fils sortait avec un homme, qu'il vivait avec le dit homme.
Un nouveau silence s'installa entre eux. Lourd, gênant. Bokuto, d'ordinaire à l'aise en toute circonstance ne savait plus où se mettre. Soutenir le regard du père de son amant était mission impossible. Si on lui avait dit qu'il était possible d'avoir un regard plus froid que celui qu'avait Akaashi lorsqu'il regardait Kuroo, il n'y aurait pas cru. Forcé de constater que c'était quelque chose de tout à fait faisable, Bokuto n'en menait pas large. Fuir son regard ne l'enchantait pas non plus, cela n'ouvrait pas la discussion et instaurait le silence qui lui pesait actuellement.
Dos à la porte, Bokuto l'entendit s'ouvrir alors que la voix paniquée de son amant arrivait à ses oreilles.
— Doudou ? s'inquiétât-il aussitôt.
Akaashi venait tout juste de commencer sa lecture lorsqu'il avait sentit son téléphone vibrer contre sa cuisse. Il avait tâché de l'ignorer. Qu'on l'appelle une fois n'était pas inquiétant, deux fois n'était pas commun, trois fois était inhabituel, presque angoissant. Il s'était excusé un instant et s'était retenu de jurer en voyant le nom de Bokuto apparaître. Il s'était promis de lui faire la morale s'il l'avait inquiété pour rien. Il s'apprêtait à l'appeler lorsque la notification d'un message entrant l'avait coupé dans son élan. Les quelques mots lui avaient glacé le sang. Par deux fois il avait essayé de joindre son amant, lui avait envoyé trois sms. Toutes les tentatives étant restées vaines, Akaashi s'était excusé auprès des retraités et avait appelé un taxi.
Ne voyant pas Bokuto réagir, Akaashi se déchaussa en vitesse et fit un pas en direction du salon.
— Kō ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
Sur ces mots, Bokuto se retourna, livide, il lui lança un regard désolé et se décala légèrement. Ne comprenant pas la réaction de son amant, Akaashi quitta le couloir et se figea lorsque son regard se posa sur son père. Il se décomposa, regarda à tour de rôle les deux hommes et crut lire « je suis désolé » sur les lèvres de son amant.
— Père, bredouilla Akaashi.
— Keiji.
Le ton dur ne lui annonça rien qui vaille. Sans être certain de ce qu'avait pu dire son idiot d'amant, Akaashi ne savait pas sur quel terrain il s'aventurait et progressait à l'aveugle. Préférant imaginer le pire pour ne pas tomber de haut, il serra légèrement ses poings et se mit au niveau de son amant.
— Je vois que tu as déjà rencontré Kōtarō…
— Ton petit-ami, le coupa-t-il.
La phrase sonnait comme un reproche. Très certainement parce que c'en était un. Un frisson d'effroi le parcouru. Son père n'avait jamais été quelqu'un de très expressif. Alors voir ce regard lui noua l'estomac. Il le répugnait, c'était évident. Il tâcha d'ignorer ce sentiment. Il souffla :
— Mon petit-ami, oui.
En fréquentant son amant, il s'était promis de s'assumer, de l'assumer et de les assumer, ce n'était pas pour flancher devant son père. Feignant d'ignorer la peur qui lui barrait le ventre, Akaashi inspira et releva le regard qu'il avait baissé instinctivement.
— Je ne pensais pas te l'annoncer comme ça, je suis pris au dépourvu.
— Et moi donc, gronda son père.
Akaashi fit la moue. Il avait à peine le temps de finir une phrase que son père contre attaquait. Il savait que cette discussion serait pénible voir éprouvante, c'est pour quoi il l'avait repoussée autant que possible, maintenant au pied du mur, il n'avait plus le choix.
Resté silencieux depuis l'arrivée d'Akaashi, Bokuto se contenait de regarder à tour de rôle les deux hommes. Alors que le père de son amant s'apprêtait à reprendre la parole, un éternuement lui échappa. Les deux regards se braquèrent sur lui.
— Pardon, je devrais peut-être vous laisser, souffla Bokuto en faisant un pas en arrière.
— Vous devriez probablement oui, siffla le père.
Les doigts d'Akaashi s'enroulèrent autour de son poignet. Il le serra à s'en faire pâlir les jointures. Et lâcha, le regard rivé sur son père :
— Non, reste, tu es ici chez toi.
— Ici chez lui ? répéta-t-il.
Instinctivement, Akaashi fit un pas pour se rapprocher de son amant. Pour le protéger d'une certaine façon, mais aussi parce que sa présence le rassurait et le rendait courageux. Ses doigts relâchèrent la prise qu'ils avaient sur le poignet de Bokuto et se lièrent à leurs jumeaux.
— Il habite ici, confirma Akaashi.
Une mimique de colère déforma une fraction de seconde le visage de son géniteur. Akaashi tressaillit. Bokuto le sentit et exerça une légère pression sur ses doigts.
— Vous vivez ensemble, le père ne cacha pas son dégout en prononçant ces mots, il posa un regard dédaigneux sur Bokuto avant de revenir vers son fils : « Tu as rompu tes fiançailles pour un homme ? »
Akaashi hocha la tête, silencieux.
— Quelle sera ta prochaine lubie ? gronda son père : « D'abord devenir infirmier, chez les pompiers qui plus est, puis rompre tes fiançailles pour fréquenter un homme ? Qui en plus habite chez toi ? Ton indécence n'a donc aucune limite ? » il se releva du canapé et fit un pas en direction de son fils, il grimaça : « Trainer notre nom dans la boue de cette façon. »
Akaashi accusa les mots durs sans broncher. Dans son éternel masque d'ennui, il soutint le regard rempli de colère, de dégout et de mépris de son père.
Il les dépassa, bouscula son fils de l'épaule et lâcha sans se retourner :
—Ta mère ne s'en remettra jamais.
Sur ces mots, il enfila rapidement ses chaussures et quitta l'appartement.
Le bruit que fit la porte en se fermant ôta une pression des épaules d'Akaashi qui hoqueta et sentit ses jambes flageller. Bokuto, l'attrapa par le bras et l'aida à se poser sur le canapé. Le regard résolument tourné vers le sol, les mains tremblantes et la poitrine douloureuse, Akaashi inspira longuement. Ses épaules tressautèrent.
Craignant une crise de larmes, Bokuto s'agenouilla devant lui et prit son visage en coupe entre ses mains. Il resta interdit lorsqu'il entendit un rire franc passer les lèvres de son amant.
Hébété, Bokuto le regarda et se demanda ce qu'il se passait dans la tête de son amant quand il prit la parole :
— Ça va, murmura-t-il : « Ça s'est plutôt bien passé. »
