Chapitre 6
Les feuilles rousses de l'automne laissent rapidement leur place au vent glacial, au Lac Noir transformé en patinoire et aux nombreux flocons blancs qui recouvrent le parc. Jours et nuits, les élèves de l'école évoquent leurs vacances de Noël à venir et font des batailles de boules de neige lorsque leur emploi du temps le permet. Cette agitation a le don de faire grogner Rusard, le concierge de Poudlard. Il passe son temps à vérifier que le sol en pierre n'est pas glissant et que personne n'a perdu son écharpe. Si le moindre accident devait arriver, le professeur McGonagall et Madame Pomfresh n'en feraient qu'une bouchée. Et, Merlin sait à quel point les sorcières peuvent être effrayantes quand on touche à leurs petits protégés.
Cette euphorie rend compliquées les promenades de Draco. Les couloirs sont plus souvent occupés qu'en temps normal, ce qui veut dire qu'ils sont également plus surveillés. Esquiver Miss Teigne, les préfets de chaque maison ainsi que les fantômes est devenu l'une de ses nouvelles habitudes, bien qu'il n'ait jamais apprécié le cache-cache. Le manoir de ses parents est bien trop vaste pour ce genre de jeu. Blaise, Pansy, Théo et lui se perdaient dans les nombreuses pièces de sa demeure familiale, rendant l'activité bien moins amusante.
Les petits Serpentards préféraient se jeter dans la poudreuse qui recouvrait leurs jardins respectifs. Ils s'y plongeaient jusqu'à en être complètement recouverts en riant aux éclats. Et, quand ils étaient épuisés de s'être agités pendant desheures, ils appelaient leurs Elfes de maison pour qu'ils les aident à confectionner des bonhommes de neige. Le plus dur dans cette activité était de ne pas être tenté de donner un coup de pied dans la sculpture du voisin. Draco avait souvent du mal à résister et Pansy se faisait une joie de se venger lorsqu'elle était la victime de ses coups bas.
En regardant la neige continuer de tomber à travers l'obscurité, Draco a l'impression de se revoir, des années plus tôt, à courir partout pour échapper à son amie pendant que Blaise et Theo se bidonnaient à en avoir mal au ventre. Cette époque lui semble bien lointaine maintenant qu'il est ici, dans les couloirs de Poudlard, à trouver un moyen pour détruire cette école et rendre fier un maître qu'il méprise au plus haut point.
Abandonnant l'horizon enneigé, il repose les yeux sur l'immense mur vierge qui se dresse face à lui. A force de passer dans ce couloir presque toutes les nuits depuis le mois de septembre, il peut en décrire la moindre pierre et la moindre fissure.
Il fait craquer ses articulations et pousse un long soupir, laissant son corps se débarrasser d'une énième montée d'angoisse. Ce soir, il doit terminer la réparation de l'Armoire à Disparaître. Grâce à ses nombreuses heures passées à la bibliothèque, à éplucher tous les livres sur le sujet, il pense enfin avoir trouvé la solution à son problème. Il veut s'empresser de tester sa théorie.
De plus, le temps file et il ne dispose plus que de quelques jours avant de rentrer au manoir pour les vacances. Plus son départ approche, plus il redoute le moment où il y mettra les pieds. Il a grandi sans cette maison et pourtant, il ne s'y sent plus chez lui. Depuis son grand retour, le Seigneur des Ténèbres en a fait le quartier général de ses disciples, transformant chaque somptueuse pièce en lieu de terreur. La salle à manger dans laquelle il dessinait avec Blaise sert maintenant à organiser des meurtres, le carrelage de son salon est plus souvent maculé de sang que de poussière et il ne peut plus atteindre sa chambre par l'escalier principal sans croiser un Mangemort sur la route.
S'il avait réussi à trouver un prétexte crédible, il serait resté à Poudlard et, pendant quelques jours, aurait oublié ce qui se déroule autour de lui. Mais, les courriers de sa tante sont plus qu'explicites. Sa présence est requise pendant les congés. Il doit faire part de son avancée au reste des disciples du mage noir. Il n'a donc aucun moyen d'échapper aux fêtes en famille. Famille. Il avait rit en lisants ces mots écrits de la main de cette femme sans scrupule qui était capable de torturer son propre neveu sous les yeux suppliants de sa sœur.
Il ne rentre pas pour obéir aux ordres de Bellatrix ni pour prêter allégeance au Seigneur des Ténèbres. Non, il rentre pour sa mère.
Il veut la serrer dans ses bras et la rassurer. Il veut qu'elle retrouve le sourire qu'elle arbore sur les photographies de son enfance. Même si ça ne durerait que quelques secondes, il veut lui faire oublier l'enfer dans lequel elle vit au quotidien. Et, par-dessus tout, il veut prendre soin d'elle. Il sait qu'au moindre de ses faux pas, elle serait la première victime. Il préfère encore s'effondrer de douleur à cause des sortilèges interdits que sa tante maîtrise à la perfection plutôt que ce soit sa mère qui les reçoive.
Le visage de Narcissa Malfoy est encore ancré dans l'esprit de son fils lorsque la massive porte de la Salle sur Demande apparaît face au Serpentard. Sans attendre, il tire sur la poignée et entre dans la pièce. Il fait quelques pas, puis, en prenant conscience de l'apparence du lieu, effectue un mouvement de recul. Il fronce les sourcils.
Ce n'est pas la salle qu'il a demandée. D'ailleurs, qu'a-t-il demandé ? Perdu dans ses pensées, il ne s'est pas focalisé sur la salle qu'il utilise d'habitude, celle dans laquelle il passe des heures à retaper la maudite Armoire.
Mais ce soir, la Salle sur Demande n'a pas l'allure d'un vieux grenier bien trop encombré dans lequel un chat ne retrouverait pas ses petits ni dans lequel un sorcier noir cacherait ses Horcruxes. Elle a pris l'apparence d'une chambre. De la chambre. Celle dans laquelle Draco a proposé à Hermione de dormir avec lui.
L'esprit du jeune Malfoy s'embrume d'interrogations. Pourquoi est-il dans cette pièce alors que la Gryffondor n'a paseffleuré ses pensées ? Est-ce son inconscient qui lui joue un mauvais tour ? Est-ce que l'Armoire est dans un coin de la chambre, histoire que le destin continue de lui rire au nez et de lui rappeler que ses sentiments pour Hermione sont contradictoires avec tout ce qu'on attend de lui ? Est-ce que …
Un sanglot suivi d'un reniflement résonne dans la petite chambre et fait sursauter le Serpentard. Draco tourne la tête vers la cheminée, qui n'avait pas attiré son attention la dernière fois qu'il est entré dans cette pièce, et découvre une silhouette, dos à lui, assise au coin du feu.
Les épaules du blondinet se tendent instantanément. Cette posture, il la reconnaitrait entre mille. À moins que ce soit cette chevelure qui lui mette la puce à l'oreille. Ou peut-être, qu'à force de les entendre, ses pleurs lui sont devenus familiers.
Hermione Granger se tient à quelques mètres de lui, les bras enroulés autour de ses genoux qu'elle a replié contre elle. Ses sanglots la secouent de temps à autre et elle n'a pas remarqué la présence du Serpentard.
Pendant quelques minutes, il maintient une distance raisonnable entre eux. S'il écoutait la petite voix qui hurle dans sa tête, il se précipiterait vers elle pour la prendre dans ses bras et pour essuyer des joues humides. Mais les rapports qu'il entretient avec la jeune fille lui interdisent de franchir l'espace qui les sépare.
Après tout, ils n'ont partagé qu'une nuit. De quel droit pourrait-il la réconforter alors qu'il est le premier à être dur avec elle ?
D'ailleurs, comment se fait-il qu'il soit témoin de cette détresse ? Pourquoi la Salle sur Demande l'a laissé entrer ?
S'il posait ces questions à voix haute, Hermione aurait pu lui répondre. En essayant les nombreuses larmes qui recouvraient sur son visage, elle lui aurait dit qu'elle ne lui a pas autorisé l'accès mais qu'elle l'a plutôt interdit à ses camarades de Gryffondor. Elle s'est enfermée ici pour que Ron et Harry ne puissent pas la trouver. À croire qu'elle préfère la compagnie du Serpentard que celle de ses amis. Mais ça, le blondinet ne peut pas le deviner. C'est pourquoi, fidèle à lui-même, il croise les bras et pousse un soupir bruyant avant d'ouvrir la bouche.
— Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que je te trouve dans un état lamentable ? Demande-t-il d'une voix traînante. Je n'ai pas le temps de m'occuper de tes larmes ce soir, Granger.
Surprise par le son de cette voix qu'elle ne connaît que trop bien alors qu'elle pensait être seule, Hermione relève la tête vivement à la remarque du Serpentard. C'est à croire que tous les garçons de son année se sont donnés le mot pour lui pourrir sa soirée. Décidément, elle ne pouvait pas être tranquille.
Elle essuie rageusement son visage avant d'envoyer à Draco un regard noir. Un de ceux qu'elle lui réservait depuis sa première année lorsqu'il lui disait quelque chose de désagréable. Un de ceux qui avaient quitté son visage depuis quelque temps. Hermione peut pardonner à Ron d'être maladroit et d'être un abruti fini qui ne sait pas parler aux filles. Après tout, il reste son meilleur ami. Mais elle refuse d'être aussi indulgente avec Malfoy qui n'arrête pas de souffler le chaud et le froid entre eux. Comment peut-il être aussi exécrable alors que lors de leur dernière rencontre, elle aurait juré qu'il faisait preuve de tendresse à son égard ?
Le regard meurtrier de la jeune Gryffondor ravit Draco au plus au point. Il ignore le pincement au coeur que cet élan de rage lui provoque, préférant qu'elle soit en colère contre lui plutôt que d'assister à sa tristesse. Même lorsqu'elle n'est pas censée être sa priorité, comme ce soir, il est prêt à tout pour que son visage ne soit plus inondé de larmes. Même si cela veut dire qu'il devient l'objet de sa haine.
— Personne ne t'a demandé de t'en soucier. D'ailleurs, tu ne devrais même pas être ici. Sors et fiche-moi la paix.
Le ton employé par Hermione surprend les deux adolescents. Elle n'est pas habituée à se montrer aussi sèche, même avec Draco. Sa voix est enrouée à cause des pleurs et elle espère qu'il aura la présence d'esprit de quitter les lieux.
— Il n'y a que toi pour réussir à être insupportable, même quand tu pleures.
Draco ignore la réflexion d'Hermione, ce qui la fait grogner. Il sourit, fier de son effet. Discuter avec la Gryffondor ne faisait pas partie de son programme de la nuit. Bien au contraire. Mais la réparation de l'Armoire lui apparaît tout de suite moins importante maintenant que la brunette est près de lui.
— C'est tout ce que tu as en stock ? Rétorque Hermione avec un air qu'elle espère suffisant. Tu m'as habitué à de meilleures insultes. Tes réflexions ne rentrent même pas dans le top des pires vacheries qu'on m'a dit aujourd'hui.
— Quand il s'agit de toi, personne ne peut être plus désagréable que moi.
Contrairement à ce qu'on peut penser, Draco ne prononce pas cette phrase d'un air insolent. Ce n'est ni une insulte ni une remarque désobligeante visant à blesser encore plus le coeur de la Gryffondor. Non, il tente de se persuader, à voix haute, qu'il ressent une haine féroce à son égard et que personne ne peut l'égaler.
Mais, cette phrase sonne aussi comme un aveu, une promesse. Même dans la haine, il reste celui qui lui convient le mieux et personne n'a le droit de la blesser plus que lui.
— Charmant, marmonne-t-elle en se retenant de sourire.
S'ils avaient été amis, ou du moins suffisamment proches pour qu'elle se le permettent, Hermione aurait roulé des yeux et lui aurait envoyé un coussin au visage. Elle aurait pris cette remarque avec humour, comme si c'était une taquinerie.
Comme toujours lorsqu'il est dans la même pièce qu'elle, Hermione est habitée par des sentiments contradictoires. Elle aimerait le mettre à la porte. Lui ordonner à nouveau de la laisser tranquille, quitte à le faire sortir à coup de pieds ou de poings, comme en 3e année. Mais en même temps, ses joutes verbales avec Draco sont stimulantes. Elles font partie de son quotidien depuis des années, plus par habitudes maintenant que par réel mépris.
Elle n'est pas idiote, loin de là. Ses titres de première de la classe et de Miss-je-sais-tout ne sont peut être pas très flatteurs mais rendent honneur à sa réputation. Elle sait pertinemment que le Serpentard n'est pas le trou du cul qu'il tente de fair croire. La majorité de ses propos restent déplacés, voire indécents, et elle ne sait pas comment interpréter ses attitudes incohérentes, mais elle est assez futée pour comprendre qu'il joue un rôle et qu'il tente de garder la face plus qu'autre chose.
Elle n'ajoute rien et, pendant quelques minutes, ils se contentent de rester en silence. Comme s'il n'était jamais venu la perturber et qu'elle avait toujours été seule dans cette chambre, Hermione observe le feu crépiter dans l'âtre de la cheminée. Elle n'accorde aucun regard à Draco, tandis que le Serpentard ne parvient pas à la quitter des yeux.
Il remarque qu'elle ne pleure plus et que sa respiration n'est plus morcelée par les sanglots. Il devrait s'en réjouir. Au moins, il aura réussi quelque chose ce soir. Mais, le voile de tristesse qui reste ancré sur le visage de la brunette l'en empêche.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Demande-t-il finalement, soucieux des préoccupations de la Gryffondor.
La douceur de sa voix surprend Hermione plus que la curiosité dont le Serpentard fait preuve. Jamais elle ne l'a entendu s'adresser à quelqu'un avec une telle délicatesse. Elle hausse les épaules et, toujours sans le regarder, ouvre la bouche pour lui répondre
— C'est à cause de Ron.
Discrètement, Draco contracte la mâchoire et serre les poings. Évidemment, peste-il silencieusement. Il n'y a que ce stupide rouquin pour la mettre dans un état pareil. Il ne fait pas de commentaire, ne voulant pas brusquer Hermione alors qu'elle s'apprête à se confier à lui. Mais il se fait la promesse de refaire le portrait du plus jeune fils Weasley si les pleurs de la jeune fille sont justifiés.
Ce n'est qu'un prétexte. Peu importe l'explication qu'elle lui fournira, il cognera Ronald dès qu'il en aura l'occasion.
— Nous nous sommes disputés à propos de la soirée de Noël organisée par le professeur Slughorn, reprend-elle tandis qu'il se rapproche du feu. Je suppose que Zabini t'a parlé de cette réception. Il y est convié.
— En effet.
Draco se contente de cette réponse courte et évasive, ne voulant pas la couper dans son récit. Il s'assoit à côté d'elle, comme il l'avait fait le soir de la tour d'astronomie, plongeant à son tour, le regard dans le feu.
— Nous devons venir accompagné et j'ai proposé à Harry d'être mon cavalier pour que nous n'ayons pas à inviter quelqu'un par dépit. Malheureusement, je m'y suis prise trop tard et il avait déjà proposé à Luna de venir avec lui. Il s'est alors mis en tête de me trouver un rencard pour ce soir-là et à évoquer le sujet devant Ron qui a tout de suite pris la mouche. Il m'a reproché de ne pas l'avoir invité pour que nous puissions assister à cette soirée tous les trois. Il m'a qualifié de mauvaise amie et a ajouté que je faisais tout pour l'exclure de notre trio. Comme si ce n'était pas suffisant, il a parlé du bal du Tournois des Trois sorciers.
À l'évocation de cette soirée, le corps de Draco se tend dans son intégralité. Cela fait bien longtemps qu'il n'y avait pas pensé. Une sensation de chaleur grimpe à l'intérieur de lui. Il déglutit discrètement et laisse couler son regard dans la direction d'Hermione qui marque une pause. Il observe le silence de la brunette ainsi que ses joues prendre une teinte rosée. Elle sourit et il se demande quel souvenir peut bien lui provoquer une telle réaction.
Hermione se laisse aller à la rêverie quelques instants. Bien que son ami s'évertue à se servir de cet événement comme d'un instrument pour torturer l'esprit de la jeune fille, elle ne peut pas s'empêcher de l'adorer. Alors qu'elle revoit son entrée dans la salle, les regards émerveillés tournés vers elle, ses danses avec Viktor, sa dispute avec Ron et , surtout, ce qu'il s'est passé ensuite, elle ne réalise pas qu'elle est en train de sourire. Puis, comme si elle prenait conscience du regard interrogateur que le Serpentard pose sur elle, elle secoue la tête et se racle la gorge avant de reprendre son récit.
— C'est son argument préféré lorsqu'il veut me blesser. Il reparle du fait que j'ai été égoïste de ne pas les prévenir que Viktor était mon cavalier ce qui m'a permis d'être, selon lui, la princesse de la soirée et de ne pavaner aux côtés de tous les champions alors qu'il était dans son coin.
Draco fronce les sourcils pendant qu'elle imite la mauvaise humeur du rouquin. Il ne comprend pas comment, alors qu'il est censé être l'un de ses amis les plus proches, Ron peut se montrer aussi irrespectueux envers Hermione. Jamais il ne pourrait être aussi désagréable et méchant avec Pansy. Elle est parfois insupportable et se prend un peu trop pour sa deuxième mère, mais jamais il ne se permettrait de lui dire des insanités pareilles.
— Outre le fait que sa réaction soit digne d'un enfant à qui on aurait piqué son jouet préféré, il ne se rend pas compte qu'il n'a pas besoin qu'on le mette de côté pour qu'il s'éloigne de nous. Et, tu veux savoir ce qu'il y a d'ironique dans cette histoire ? C'est que j'ai pensé à l'invité. Je voulais, justement, qu'il soit mon cavalier pour qu'on vive ce moment tous les trois et pour rattraper son comportement maladroit lors de ce fameux bal.
Bien qu'il soit resté silencieux pendant tout le récit d'Hermione, Draco ne retient pas son ricanement lorsqu'elle se tait enfin. Elle tourne la tête dans sa direction, lui demandant silencieusement ce qu'il peut bien trouver de drôle à cette histoire et il roule des yeux.
— Si je me souviens bien, ce n'était pas maladroit mais méchant, ce soir-là. Mais, ce n'est que mon avis.
A cette remarque, le coeur d'Hermione loupe un battement. En abordant cette soirée, elle se doutait que Draco ne tiendrait pas sa langue. Elle aurait préféré qu'il se moque de ses sentiments pour Ron plutôt qu'il fasse ce genre de sous-entendu. Elle se mord l'intérieur de la bouche pour ne pas lui demander comment il se souvient de ce genre de détails, après tout, cette soirée date de plusieurs années.
Ne voulant pas rompre la promesse qu'elle s'est faite, deux ans plus tôt, à propos de cette fameuse nuit et de la façon dont elle s'est achevée, elle préfère se taire. La brune se contente d'hausser les épaules et de reporter son attention sur le feu.
Décidément, Draco Malfoy reste un des rares mystères du monde magique qu'Hermione Granger ne parvient pas à percer.
— Peu importe, reprend-elle après quelques secondes de pause. Toujours est-il qu'en plus de ne pas avoir de cavalier, je n'ai plus du tout envie de me rendre à cette réception. Je n'étais déjà pas très enjouée à l'idée d'y aller, mais maintenant je cherche une bonne excuse pour l'esquiver sans manquer de respect au professeur Slughorn.
Le fait que la Gryffondor est plus l'air mortifiée par l'idée de faire mauvaise impression auprès d'un enseignant plutôt que de louper une somptueuse soirée amuse Draco. Il roule des yeux et pousse un long soupir. Son côté première de la classe ne la quitte donc jamais ? Même au milieu de la nuit, après s'être disputée avec l'un de ses proches, la scolarité reste sa priorité. Décidément, cette fille le surprendra toujours.
— Granger, l'appelle-t-il d'une voix trainante, il y a des dizaines de mecs dans cette école. N'importe lequel acceptera de t'accompagner. S'il est trop collant, tu l'abandonneras pour te réfugier dans les jupes de Potter et de Lovegood. Et en ce qui concerne Weasley …
A l'évocation de son ami, Hermione ne résiste plus et se tourne vers Draco. Elle le fusille du regard, le menaçant silencieusement de lui arracher les yeux s'il dit quelque chose de trop désagréable à son sujet. Sans tenir compte du mouvement de la brunette, le Serpentard continue sur sa lancée avec un sourire en coin.
— Est-ce que tu as songé à lui offrir un manuel pour lui apprendre le savoir-vivre ? Il est maintenant urgent que quelqu'un s'occupe de son éducation. Quoique, après réflexion, oublie le livre, il ne saura même pas dans quel sens le tenir.
Malgré tous ses efforts, Hermione ne retient pas son sourire. Elle sait qu'elle ne devrait pas réagir à de telles moqueries mais elle n'a pas non plus envie de de défendre Ronald corps et âme et de se disputer avec Draco. Le Serpentard fait de son mieux pour lui remonter le moral alors qu'il n'est pas réputé prendre en considération les émotions d'autrui. La Gryffondor est bien trop fière pour le remercier alors, elle se contente de le laisser faire.
Un sentiment de satisfaction grandit à l'intérieur du jeune homme. Le petit rire qui s'échappe de la gorge d'Hermione ainsi que l'espièglerie qu'il lit dans son regard ne sont pas loin de l'achever. Il sait que cet instant ne durera pas, comme tous les précédents. Mais il se souviendra de cette nuit comme la fois où, lui, Draco Malfoy, a transformé les larmes d'Hermione Granger en sourire, sans utiliser sa baguette ni le moindre des sortilèges.
Il profite de ce moment d'euphorie pour l'observer. Il la trouve encore plus jolie lorsqu'elle rit. Elle lâche prise. Malgré ses yeux légèrement gonflés par ses pleurs, ses pommettes humides, ses cheveux emmêlés et son affreux pyjama rouge, dans les yeux de Draco, Hermione Granger est magnifique.
Réalisant qu'il ne la lâche pas du regard, un élan de gêne s'empare de la Gryffondor. Elle n'est pas du genre à se laisser aller. Encore moins face à son rival. Elle cherche un moyen de reprendre l'avantage de la situation pour ne pas qu'il est le temps de faire une remarque sur ce comportement inhabituel. Elle l'interroge donc sur sa sortie nocturne.
— D'ailleurs, tu ne m'as pas dit ce que tu faisais ici. Je veux dire, pourquoi est-ce que tu cherchais à entrer dans la Salle sur Demande à une heure aussi tardive ?
— Je croyais qu'on était d'accord pour que tu ne poses pas de questions dont tu ne voulais pas connaître les réponses.
La froideur dans le voix de Draco fait frissonner Hermione et, instantanément, elle regrette son élan de curiosité. Elle ne veut pas se montrer indiscrets ni que le Serpentard pense qu'elle se mêle de ce qui ne la regarde pas. Au fond d'elle, la brunette sent son coeur se serrer. Elle sait que cette réponse cache quelque chose et que tous les mystères du blondinet ne sont pas très rassurants. Mais, comme elle le dit à Harry dès qu'il aborde le sujet, Draco n'est pas mauvais au point de mettre des vies en danger pour protéger la sienne. Enfin, c'est ce qu'elle espère.
Face à l'air paniqué de la Gryffondor, Draco esquisse un petit sourire qu'il espère suffisamment doux pour détendre l'atmosphère. Il ne veut pas qu'elle se braque, juste l'éloigner de sa réalité qui la terroriserait. Qu'aurait pu-t-il dire d'autre ? Qu'il avait pour projet de terminer un Cheval de Troie et qu'il n'avait plus que quelques mois pour abattre leur directeur ? Elle aurait fait un malaise, puis dès qu'elle aurait retrouvé ses esprits, elle serait partie en courant le crier sur tous les toits pour protéger l'école et ses habitants. Foutu dévotion des Gryffondors !
Il ne sait pas quoi dire pour briser le silence qui s'installe entre eux. Elle n'ose pas ouvrir la bouche à nouveau, anxieuse à l'idée de creuser encore plus le fossé qui les sépare. Ce n'est que Lorsqu'Hermione laisse échapper un bâillement qu'ils semblent sortir de leur léthargie. Elle rougit et s'excuse. Il sourit et hausse les épaules. Draco a envie de lui dire qu'elle n'a pas à être gênée, qu'il est sûrement tard et qu'elle ferait mieux d'aller dormir.
Mais il ne dit rien de tout ça. Il se contente de se lever et de faire signe à la jeune fille de rejoindre le grand lit qui trône dans le fond de la pièce. Toujours immobile, elle le regarde prendre la direction inverse.
Sans se retourner, il continue de se rapprocher de la porte, se demandant si lui souhaiter une bonne nuit serait déplacé ou si, après cet énième moment d'intimité, ils ont passé ce cap.
— Tu ne restes pas ?
La voix d'Hermione lui paraît lointaine. Tellement lointaine qu'il se demande si ce n'est pas la salle qui lui joue un tour. Pourtant, le coeur battant la chamade et écoutant son instinct, Draco jette un coup d'oeil vers la Gryffondor. La tête baissée, comme honteuse d'avoir prononcé cette question à voix haute, Hermione se tient désormais debout, quelques mètres derrière lui.
— Tu veux que je reste ?
— Oui.
