Harry était assis en tailleur face à la fenêtre de sa chambre. Elle avait la particularité de s'étendre du sol au plafond, bien qu'elle ne fut pas très large. Harry observa quelques secondes les nuages qui se trouvaient à la hauteur de ses yeux. Il baissa lentement le regard vers le sol d'où quelques habitations éclairaient les rues. En bas, Harry savait que la misère et la peur étaient perpétuellement en suspens. Cela faisait cinq années maintenant qu'il vivait dans la maison de son Maître et il n'en avait jamais franchi le seuil. Il n'avait jamais eu la permission.

Trop dangereux. Inutile.

La demeure se situait dans le ciel, au-dessus d'un village moldus, en campagne. C'était tout ce qu'il savait. Eux aussi souffraient de la montée en puissance de Voldemort. Le monde entier était plongé dans le chaos.

- Tu devrais dormir depuis longtemps, intervint une voix dans son dos.

Harry sursauta brutalement et tourna la tête pour apercevoir son Maître. Il amorça un mouvement pour se lever, mais Severus Rogue lui fit signe de rester assis. Avec hésitation, Harry s'exécuta, mal à l'aise. Il n'était pas habitué à rester assis confortablement en présence de son Maître.

Rogue avança jusqu'à la fenêtre de sa démarche boitante. Depuis leur rencontre cinq ans plus tôt, Harry l'avait toujours vu traîner sa jambe droite, certains jours plus difficilement que d'autres. Le sorcier s'appuya de l'épaule contre le mur avant de jeter enfin un regard à son disciple. Harry le fixa en retour quelques secondes avant de baisser les yeux sur le sol, peiné.

- Tu savais que ce jour arriverait, commenta Rogue d'un ton calme et ferme.

- Oui, Maître, chuchota-t-il.

Les larmes lui montèrent aux yeux et un rire très fugace dans la gorge de l'homme attira son attention.

- Quand je pense que tu m'as supplié des dizaines de fois de retourner là bas avant que je ne perde patience pour de bon. Et aujourd'hui que je suis prêt à te renvoyer, tu pleures ?

Impossible de contenir son émotion, le Survivant essuya ses joues avant de se relever.

- Je ne veux pas vous quitter, Maître. Je vous en prie, gardez-moi encore quelques semaines ou...

- Demain sera la date anniversaire de l'Évènement, me coupa-t-il, intransigeant. Le voyage temporel sera moins éprouvant pour toi que si je fais ça dans quelques mois.

- Pourquoi ne pas me l'avoir dit avant, Maître ?

- Pour que je te supporte à chouiner pendant des lustres ? Tu sais comment ça aurait fini.

Il lança une œillade éloquente à son disciple qui réprima tout juste un frisson. Severus Rogue ne tolérait pas la chouinerie.

Il y eut un silence interminable, jusqu'à ce qu'Harry relève de nouveau la tête vers son Maître. Ses joues étaient rougies, la tristesse se lisait sur son visage de bien des manières.

- Maître, vous allez mourir.

Rogue le fixa en retour un instant avant de sourire. Harry ne connaissait son sourire que depuis qu'il était devenu son disciple et la perspective de ne plus jamais voir ce dernier était une épreuve à elle seule. Ils avaient parcouru tant de chemin tous les deux ces cinq dernières années. Harry avait haï l'homme qu'il lui faisait face plus que n'importe quel autre. Mais cet homme était aussi devenu le plus important de toute son existence. Celui à qui il obéissait au doigt et à l'œil. Celui qu'il craignait autant qu'il aimait. Sa seule boussole dans son monde.

- Pas tout à fait, rectifia-t-il. Cette version de moi-même n'existera seulement plus.

- Cela ne me réconforte pas du tout, Maître, se confia Harry.

Les deux sorciers s'observèrent quelques secondes jusqu'à ce que Rogue lui fasse signe de s'approcher. Harry obéit et se lova entre les bras de son Maître. Ce témoignage d'affection était rarissime et, lorsque Rogue y mit fin, Harry laissa sa main agrippée à la tunique de son Maître. Il ne se sentait vraiment pas prêt.

- Tu dois aller au lit, maintenant. Demain sera un grand jour pour tout le monde.

Harry ouvrit brusquement les yeux alors que son cœur s'emballait douloureusement. Il se redressa d'un bond, en alerte. Où était-il ? Que se passait-il ?

- Harry !

Un corps lui tomba littéralement dans les bras et le serra avec une force peu commune. Il lui fallu deux ou trois secondes pour comprendre qu'il s'agissait d'Hermione et dès lors qu'il l'eût reconnue, une joie impossible à contenir lui explosa en pleine poitrine. Il serra son amie en retour et à peine eut-il eu le temps de reprendre son souffle que Ron le serra à son tour. Très vite, Fred, Georges et Ginny se joignirent au trio.

Cela faisait cinq ans qu'Harry n'avait pas été aussi fou de joie et il avait oublié à quel point ce sentiment pouvait être puissant.

Après quelques instants, un peu de calme s'instaura entre eux et ce fut au tour de monsieur et madame Wesley de serrer Harry contre eux. Remus Lupin s'approcha à son tour et, après une accolade sur l'épaule, il tira son ancien élève contre lui pour l'étreindre avec affection. Le bonheur des retrouvailles masqua en partie le trouble qu'il ressentait malgré lui. Si son Maître avait été témoin de la scène, nul doute qu'il se serait fait réprimander dans l'instant : un disciple ne pouvait pas se permettre d'être aussi familier avec des sorciers adultes, par défaut respectables et plus puissants que lui. Avec cette pensée en tête, Harry salua Severus Rogue, Alastor Maugrey et Nymphadora Tonks en inclinant la tête. Il n'avait pas fréquenté qui ce fut en dehors de son Maître depuis qu'il était devenu disciple... autant dire que montrer ses premiers signes de déférences envers des sorciers devant ceux qu'il aimait le plus n'était pas si facile. Son regard s'attarda sur le professeur Rogue, qui n'avait pas la moindre idée d'à quel point son destin venait d'être changé. Mal à l'aise - ou craignant de perdre le contrôle de ses sentiments - Harry baissa les yeux.

Ne le regarde pas, c'est le mieux à faire. Ce n'est pas ton Maître, se fustigea-t-il.

- Maintenant que les embrassades sont terminées, il va falloir passer à une conversation sérieuse, intervint Maugrey d'un ton bourru. Où étais-tu, Potter ? Qui t'envoie ?

Harry hocha de la tête, prêt à répondre au mieux au milliers que questions qu'il s'attendait à recevoir, mais déjà ses amis s'offensaient sans que le Survivant ne comprenne leur réaction.

- Il vient d'arriver et on est tous en sale état. L'interrogatoire ne peut pas attendre demain ? lança Fred.

Harry remarqua à cet instant seulement le bandage qu'il portait à la main ainsi que l'estafilade qui barrait sa lèvre inférieure. Un coup d'œil à ses amis suffit à lui rappeler qu'ils avaient passé environ quatre heures avec les Mangemorts et que ni eux ni les adultes ne s'étaient laissés emprisonnés sans se débattre. Ron avait le début d'un œil au beurre noir et une belle ecchymose à la joue, par exemple.

- Non, l'interrogatoire ne peut pas attendre, aboya le susnommé.

- Il nous a sauvé la vie, intervint Hermione, l'air indigné. Vous croyez quoi ?

Alors qu'Hermione venait de mettre en avant les soupçons de corruption qui courraient au-dessus de la tête de leur sauveur, l'ensemble des enfants Wesley se mit à parler en même temps, mue par une colère évidente. Monsieur Wesley haussa le ton jusqu'à ce que le calme fut de mise.

Pour sa part, Harry avait été préparé à leur réaction. Son Maître lui avait expliqué qu'ils le surveilleraient, voire se méfieraient de lui quelques temps peut-être. Après tout, il avait disparu une année complète sans laisser de traces et voilà qu'il réapparaissait comme par enchantement... et avec des pouvoirs peu communs. Ils allaient forcément penser que le jeune sorcier aura peut-être passé ce qu'ils pensaient être douze mois seulement entre les mains de Voldemort et que celui-ci avait pu le torturer jusqu'à obtenir sa soumission pleine et entière.

Après l'épreuve qu'ils venaient d'endurer, ils ne pouvaient être que méfiants. C'était pour le moins compréhensible.

Harry jeta pour la première fois un regard autour de lui. Il était dans un lieu parfaitement inconnu. Une grande salle à manger. Il y avait une cuisine ouverte sur un séjour avec une grande table ronde. Le canapé où il avait été allongé le temps de son état d'inconscience était une épave. Il n'y avait ni fenêtre ni porte. Pourtant il faisait jour dans la pièce.

- Nous sommes dans un lieu transitoire, commenta Lupin comme s'il avait suivi l'exploration de son ancien élève. C'est une cachette d'urgence. Demain matin nous veillerons à nous rendre tous dans un lieu sûr, mais Alastor a raison, Harry. Tu vas devoir répondre à quelques questions et ce n'est pas la peine de tergiverser. Nous venons d'échapper de prêt à un sort plus que funeste. La nuit est longue pour tout le monde et elle n'est pas encore terminée.

Son regard s'était tourné vers les Wesley et Hermione à ses derniers mots.

- Tu te sens suffisamment en forme pour nous répondre ? ajouta-t-il à l'intention du Survivant.

Il fit un pas vers lui et Harry se redressa un peu afin de paraître plus poli.

- Je vais vous raconter toute l'histoire, monsieur. Toutefois, elle est longue et complexe.

Harry lui offrit un grimace subtile, se demandant déjà par où il allait pouvoir commencer.

- Allons nous asseoir à table, suggéra madame Wesley. Je nous sers cafés et chocolats chauds bien mérités.

Tandis qu'elle s'activait déjà en direction de la cuisine, Lupin accorda à Harry un regard appuyé. Ce dernier baissa les yeux, ne sachant comment réagir. Il suivit les sorciers et tous s'assirent autour de la table ronde. Harry réalisa à cet instant qu'il avait été dépossédé de sa baguette. Le geste lui sembla dure à encaisser, mais il comprenait que ses amis l'ait désarmé. Enfin, il avait posé sa baguette près de lui devant la cage, mais la logique aurait voulu qu'on la lui ait restituée.

Mais il pouvait comprendre.

Après tout, personne n'avait la moindre idée de ce dont il était capable, désormais.