Pire que refuser ? Accepter !
Hello,
Petite fanfic parce que je trouvais que la fin de Good Omens un poil trop optimiste. Donc évidemment, faites gaffe quand vous lisez si vous n'allez pas bien.
Aussi, j'ai décidé qu'entre la saison 1 et 2 il se passe 20 ans, parce que dans la première saison y a zéro indication de temps et que le livre se passe en 1999, et que j'aime bien l'idée qu'avec leur notion du temps 20 ans de bonheur après des millénaires de solitude, c'est très court, c'est le fan de Doctor Who en moi qui parle.
Aussi TW : pensées suicidaires.
Bonne (?) lecture !
— Et tu lui as répondu où il pouvait se la coller, alors ?
Aziraphale le regarda sans comprendre, sa réponse était évidente, il pouvait tant leur offrir. Lui et Crowley, tous les deux ensemble, au paradis, auprès de Dieu, une nouvelle chance donnée au Bien, dont les dirigeants égocentriques avaient fini par corrompre tout espoir en ce monde.
— Pas du tout.
Il ne comprenait pas. Pourquoi Crowley ne comprenait pas ? Il avait été un ange, le plus beau des anges, ses créations étaient splendides et merveilleuses, elles offraient à tout l'univers des trésors de prodiges. Sa chute avait tari à jamais le plus grand créateur céleste. Les idées pourraient de nouveau s'écouler avec force, tout pourrait basculer, une nouvelle fois, et la chute se métamorphosera en ascension.
— Oh, nous valons mieux que ça, tu vaux mieux que ça, mon ange !
C'était vrai, ils valaient mieux que ça, mieux qu'un paradis corrompu. Mais c'était sa chance, leur chance, avoir un paradis, leur paradis. Ensemble. Montrer aux ignorants qui l'avaient dirigé, qui les avaient dirigés ce qu'ils pouvaient faire
— Je ne vais pas les rejoindre. Vous non plus. Mais... Eh bien, évidemment vous avez dit non à l'Enfer, vous êtes les méchants. Mais le ciel... Eh bien, c'est le côté de la vérité, de la lumière, du bien.
Vous êtes les méchants. Crowley se figea. Ça faisait vingt ans que l'apocalypse était finie, qu'il vivait entre sa voiture et sa librairie. Et il était toujours le méchant.
Ça faisait vingt ans qu'Aziraphale avait refusé de se soumettre aux ordres du ciel, qu'ils avaient créé Leur Camp. Et ils étaient toujours les gentils, et il était toujours le démon malfaisant.
— Je ne suis pas mauvais.
Aziraphale sembla prendre conscience de ce qu'il avait dit et sa peau rougit de honte.
— Non, bien sûr que non. C'est une erreur, on peut la réparer, tu as juste trébuché. Tu peux venir au ciel. Tu auras ton titre, tes pouvoirs, toute liberté de créer. On sera ensemble et on pourra faire tellement, toi et moi.
À n'importe quel autre moment Crowley aurait refusé, lui aurait jeté à la figure ce qu'ils avaient fait, ce que le ciel avait fait, ce que l'enfer faisait. Mais il voyait dans les yeux de celui qu'il aimait la bête monstrueuse qui prendrait place s'il refusait.
Leurs millénaires ensemble, les ruses qu'il avait mises en place pour atténuer son mal, leur complicité, l'aide qu'il lui avait offerte. Tout cela n'avait aucune importance du moment qu'Aziraphale pensait qu'il regrettait sa chute, qu'il regrettait le paradis, qu'il regrettait les questions qu'il avait posées.
Aziraphale voulait le pardonner, mais on ne peut pardonner qu'au pécheur qui se repent. S'il le refusait, il ne pouvait qu'être damné. Il ne pouvait que le damner.
Crowley se détourna, remettant ses lunettes pour cacher ses larmes. Il n'était pas mauvais. Il fallait qu'il comprenne, il ne voulait que s'enfuir. Prendre l'Aziraphale qu'il pensait connaître quelques minutes auparavant et juste partir à tout jamais, laisser le paradis à ses problèmes et s'enfuir loin, plonger dans la Cascade de Méduses ou construire une maison sur Alpha du Centaure, rester seul, entre eux, leur camp.
Mais devant lui c'était un inconnu. Il avait passé des siècles à rester à ses côtés, à le soutenir pour qu'à la fin il découvre qu'il cherchait à lui ressouder son auréole aux tempes.
Il avait perdu sa place au ciel, ça avait été dur, mais la liberté de découvrir le monde, de parler avec des humains, de voir leur vies évoluer, leurs altruismes, leurs ruses, leurs amours. Tout ça, il n'y aurait jamais eu accès s'il était resté au paradis et ça aurait aussi été le cas de son ange.
Ils avaient combattu les desseins bellicistes de leurs deux camps. Aziraphale avait vu ce que le paradis avait de pire, mais lui restait un monstre, le monstre. Le démon pêcheur et tentateur qui ne devrait que demander pardon.
Je te pardonne.
Il lui avait dit ça sous ce hauban quand ils s'étaient retrouvés sous la pluie et qu'il avait essayé de le faire s'enfuir et si des années durant ça avait semblé être la douleur d'un ange découvrant les sournoiseries d'un camp qui ne respectait pas ces propres paroles, il ressentait aujourd'hui ces antiques paroles comme un besoin de s'assurer que son entente avec un démon ne relevait pas du péché, mais d'un acte de pardon. Il ne comprenait pas comment il avait pu autant se tromper sur son ange, il ne l'avait pas tenté, il l'avait trompé.
Il voulait l'embrasser, le prendre dans ces bras et plus jamais le lâcher.
Il était un démon, il était mauvais et égoïste. Aziraphale était un ange bon et altruiste.
Son égoïsme ne voulait qu'accepter. Il hésita et céda.
Doucement.
Un pas après l'autre, il s'approcha de son ange.
Il lui prit doucement le menton. Il ne serra pas. Il avait peur qu'un quelconque mouvement de violence brise cet instant en mille morceaux.
Il posa ses lèvres sur les siennes. Il renonçait à eux. Ensemble, contre le monde. Non, Aziraphale y renonçait, lui, il refusait de laisser son amour disparaître dans les mêmes cendres que sa librairie vingt ans auparavant.
Il en avait tant rêvé, ça aurait dû être la concrétisation de sentiments qui avaient, des siècles durant, germé en lui.
Ses lèvres prirent le goût des chaînes dans lesquelles il s'enfermait, l'acier de la servitude, le sang du reniement. Il ne voulait que s'enfuir. Transformer ce baiser acéré en rêve abandonné.
Mais il ne pouvait pas abandonner son ange.
Tout s'enchaîna dans le plus sombre des flous. Il se retrouva face au regard surpris de Métatron, les mains remplies des livres préférés de son libraire. Il fit face aux portes d'un blanc éclatant d'un ascenseur qui allait le damner pour la seconde fois. Son corps n'était pas assez sous son contrôle pour le faire hésiter, mais il sentait le poids pesant de ces espoirs s'ébrécher. Il se rappelait ce qu'il avait ressenti lors de la chute. Il se souvenait de la solitude, la trahison, l'injustice, il se souvenait des siècles durant avoir espéré dans le silence de la nuit voir Son Rayon apparaître au-dessus de sa tête pour lui annoncer l'erreur. Au bout d'un long moment, il avait bien dû se rendre à l'évidence : il avait espéré Son Pardon, Ses Réponses. Il n'avait rien eu.
Il avait suivi ses convictions, il avait profité de leurs créations, avait mimé une obéissance cruelle en évitant tout ce qui pouvait le blesser.
Les échelons démoniaques avaient été aisés à franchir tandis qu'il passait ses nuits à admirer le ciel étoilé, son ciel étoilé. La tapisserie qu'il avait refusé de reconnaître avait fini par être la seule consolation à son exil.
Jusqu'à ce que son ange finisse par prendre cette place dans son cœur.
Un ange qui avait refusé les tromperies du paradis, qui avait protégé la Terre contre ses plus grands ennemis. Un ange qui aujourd'hui refusait le côté des humains que vingt ans, à peine un battement de cils, il avait protégé de tout son corps.
Le démon Crowley se retrouva pour la troisième fois dans le hall du paradis. Il était probablement le seul démon à s'être jamais tant confronté à la froideur des bureaux angéliques. Ces lieux avaient toujours été terrifiants pour lui, même du temps où ses pensées excentriques ne faisaient que déclencher des regards accusateurs de ces pairs et n'avaient pas brûlé ces ailes, il n'avait pu rester quelques secondes dans la blancheur des lieux sans se sentir mal. Mais aujourd'hui, la sensation était bien pire. Même lorsqu'il avait été amené pour être exécuté, lorsqu'il espérait de tout son cœur que le plan d'Agnès soit le bon, il n'avait jamais vu cet endroit comme aussi menaçant. Tout était bien pire.
Il regarda le doux manteau de son ange pour se donner du courage. Aziraphale ne le regardait pas. Il aurait voulu voir son sourire éclatant pour se donner de la force.
Cependant, Métatron retenait son attention, Uriel, Michael et Saraqael était face à eux, leurs lèvres serrées d'une fureur à peine contenue. Ils venaient de perdre une place qu'ils se voyaient déjà occuper pour la donner au Traître. Aucun ne pouvait refuser une décision du porte-parole divin fut-elle profondément contre leurs intérêts, ça ne les empêchait pas de montrer leur mécontentement.
Et d'un coup la douleur, profonde, bruyante, éclatante.
Il n'avait pas été prévenu ou du moins il n'avait pas eu la capacité psychologique pour avoir compris si on l'avait prévenu. Un instant, il avait été debout, regardant ces futurs collègues dissimuler une rancœur tout juste née et l'autre il sentait tout son corps se déchirer.
Lorsqu'il avait chuté, il avait eu son corps projeté à travers tout l'univers. Ça avait été long et douloureux. La chute était avant tout censée être un châtiment et si Elle avait créé le bonheur et la plénitude Elle n'avait pas été en reste pour la souffrance. Néanmoins, la perte de tous ses attributs célestes, de sa raison de vivre et de tous les sentiments positifs qui avait un jour échoué dans son cœur, l'avait bien trop distrait pour que ce nouveau corps, qu'il venait à peine de se voir attribuer ne soit qu'une douleur lancinante parmi tant d'autres.
Il s'était donc persuadé dans une pensée fugace que la souffrance ne viendrait pas, qu'en abandonnant sa liberté pour son amour il avait déjà suffisamment sacrifié. Il allait juste recouvrir la béatitude qui l'avait caractérisé avant la chute. Il s'était trompé.
Tout d'abord, il sentit sa peau commencer à bouillir. Il sentait le sang de ce corps matériel se battre à l'intérieur de lui, déplacer ses organes, sa peau, ses os. Ces derniers se mirent à craquer sous la pression. La douleur du bruit résonna dans ses tympans comme le dernier son qu'il entendit avant que ceux-ci ne se percent en expurgeant ses humeurs sombres.
Son sang de démon jaillit par les plaies à travers son corps pour se répandre sur le sol immatériel du paradis tandis que ses cordes vocales détruites ne pouvaient continuer à hurler de douleur. Ses ailes sombres se mirent à pourrir, se détachant par morceaux de son corps avant de se transformer en une poussière rugueuse s'étalant sur le damier immaculé.
Crowley était conscient. Il aurait aimé ne pas l'être. Tout ce qui avait été son quotidien depuis des millénaires était expulsé de son corps. Aziraphale voulait le voir vierge de toute crasse et pour cela il devait être détruit morceau par morceau, poussière par poussière, atome par atome.
Il avait été décorporé à plusieurs reprises au cours du temps, mais aucune d'entre elles ne lui avait semblé aussi douloureuse. En général, c'était une douleur brève. Un coup, un choc et d'un coup ce corps qui lui avait été utile était détaché de lui. Cette fois il avait l'impression que la sainteté d'Aziraphale lui interdisait de juste se laisser porter. Il devait rester coincé dans ce corps. Il devait expier tous ses péchés et la douleur ne pouvait être ignorée.
Il regretta, il regretta tant. Il aurait dû refuser, partir, tenir sa parole. Il n'aurait jamais dû le suivre, le soutenir dans son auto-destruction.
Il avait tellement mal, il souffrait tellement, il était tellement vide.
Il ne sentait plus rien, ses nerfs avaient dû être les derniers emportés dans le torrent de souffrances.
Et le contraire fut alors amené et comme les nerfs avaient été les derniers à disparaître ce furent les premiers à revenir.
Ce ne fut pas douloureux, du moins pas autant que la destruction de son corps. Il sentit juste chacun des membres de son corps se reconstituer à l'image d'un ange. En fait, si, c'était douloureux. Mais pas à la manière des démons qui étaient expulsés par la lumière divine, non, c'était la souffrance que la création apportait. C'était comme dormir dans sa Bentley une nuit après l'autre, c'était comme se réveiller après avoir fait l'inventaire chez son libraire, c'était comme les matins après avoir changé le tracé de la M25 : c'était une douleur sourde et impossible à ignorer, mais qui s'apaisait à chaque instant qui passait. Elle était là, partout, chaque geste la déclenchait et chaque statisme l'enrayait.
Il n'était pas humain, il ne devrait pas avoir besoin de respirer, ni même en avoir l'envie, mais celle-ci ne cessait de ramper dans ses veines. Il prit une inspiration qui n'avait pas été là quelques secondes auparavant et la première chose qui sortit de sa nouvelle bouche angélique fut un cri, un cri à la puissance sinistre, mais qui fut immédiatement coupé par une blessure à ses toutes nouvelles cordes vocales.
Ces yeux revinrent pour voir la peur présente dans les pupilles du nouvel archange suprême. Il voyait sa souffrance par ces pupilles tandis que le liquide lacrymal n'avait pas encore été restauré. Il ne voulait pas voir ça, il souffrait pour lui, pour être à ses côtés, pour ne pas être abandonné, pour créer ensemble le monde dont ils avaient rêvé. Il souffrait pour lui, mais il le faisait souffrir, mais il ne contrôlait pas ce nouveau corps, il ne contrôlait pas ces grimaces, ces tremblements, ces rougeurs, il ne contrôlait pas la douleur que le visage d'Aziraphale lui renvoyait.
Les larmes finirent par prendre place dans ses yeux l'amenant dans un flou réconfortant, il pouvait nier l'inquiétude de son ange, se concentrer sur lui-même et juste espérer une fin rapide, espérer qu'Aziraphale ignorerait ce qu'il lui arrivait comme il avait réussi à lui cacher ce que le paradis lui avait dit ou comme il lui avait dissimulé le fait qu'il dormait depuis des décennies dans sa Bentley.
Il était bon pour lui cacher des choses, Aziraphale sera heureux avec lui. Ils seront heureux ensemble, ils devaient être heureux ensemble.
C'était tout ce qu'il lui restait.
L'esprit emplit de l'amour que lui inspirait la plus belle création de Dieu, il ne sentait plus la douleur. Du moins, il pensait que c'était la protection de l'archange suprême qui devait faire effet, mais il se rendit compte une seconde plus tard que c'était parce qu'il ne restait plus rien du démon qui avait terrorisé la terre quatre millénaires durant, il ne savait pas s'il restait quoi que ce soit de lui.
Il aimait Aziraphale, ça devait être suffisant.
Il reprit son souffle et envisagea de se relever. Il plia ses genoux et le dernier cadeau divin se répandit dans ces omoplates.
Deux immenses os solides jaillirent de son dos transperçant sa nouvelle mue par ses omoplates, se recouvrant d'une peau pâle qui fut bien vite dissimulé derrière un duvet de plumes blanches. La surprise autant que la douleur lui firent pousser un dernier cri et lui permit de se rendre compte que le pouvoir divin avait fini de guérir ce qu'il avait abîmé.
Son ange à ses côtés hésita à le toucher, sa mue emplie de souffrance l'obligeait à la sûreté. Après tout ce qu'il avait sacrifié pour lui, il n'avait qu'une seule envie, se coller à lui, l'enlacer et ne plus le laisser partir. Mais il n'osa pas.
Il se retrouva seul dans un bureau qui avait dû appartenir à Gabriel. Ce bureau ne lui convenait pas. Tout était trop blanc, trop rigide, trop chirurgical et sans personnalité. Aziraphale aimait le désordre, les collections, les enchevêtrements d'objets qui ensemble donnaient une apparence autant ordonnée qu'amicale.
Ses genoux étaient appuyés contre le sol éternellement tiède du paradis. Il aurait voulu pouvoir se sentir mal face à celui-ci, sentir une trace de la douleur que la transformation lui avait imposée, mais il était un ange et un ange au paradis ne souffrait pas. Et si son cœur était suffisamment en miette pour remettre ce fait en question, son corps, lui, ne se trompait pas, il était un émissaire de Dieu qui ne pouvait que se baigner dans Sa Lumière.
La douceur de la main tremblante d'Aziraphale qui tenta de le soutenir pour le relever avait quelque chose de rassurant. Il n'avait pas pris la mauvaise décision, après des millénaires à vivre une amitié interdite puis deux petites décennies à la vivre au grand jour il allait pouvoir être à ses côtés. Il pensa à sa Bentley, seul témoin quotidien de sa nouvelle vie. Il voulait l'avoir avec lui. Il ne savait pas si elle serait refusée parce qu'elle était un objet matériel ou parce qu'elle était démoniaque, de toute façon elle ne les rejoindrait pas au paradis.
Au moins, il avait Aziraphale, c'était tout ce qui comptait.
Il était avec lui au paradis, ils allaient vivre ensemble et il allait être là, toujours. Un ancien démon prêt à défendre son amour contre les manipulations divines. Il le défendra lorsque les anges le dédaigneront, lorsqu'ils chercheront à le manipuler, à mettre en place leurs jeux de pouvoir malsains, à le restreindre à leurs doxas. Ils reprendront ce paradis et en feront le leur, pour les humains, pour les anges et pour eux deux. S'il avait pu s'accommoder aux bassesses de l'enfer, il se fera à la rigidité du paradis.
Crowley resta longtemps dans les quartiers d'Aziraphale. Ça avait été ceux de Gabriel avant qu'il parte. Maintenant qu'il y pensait de son temps les anges n'avaient pas de quartier, pas plus qu'ils avaient de temps libre ou de repos. Ils étaient des créatures de Dieu, nées pour servir Sa Grandeur. Il imaginait qu'après les Émeutes du Paradis, le management avait changé.
Crowley ne voulait pas quitter leurs quartiers, mais Aziraphale devait prendre ses nouvelles fonctions. Crowley détestait son corps et plus que tout il ne voulait pas le montrer au monde. Il détestait sa peau lisse, ses ailes pâles, son auréole si lourde sur sa clavicule. Il ne s'était pas rendu compte avant de les retrouver qu'il avait fini par prendre l'habitude de ce que l'enfer lui avait offert. Il s'était toujours senti mieux dans les habits débraillés des démons que dans les largeurs des toges angéliques.
Finalement, il rassembla tout son courage. Il sortit mais tomba immédiatement sur le regard méfiant de ceux qui étaient redevenus ses pairs. Il n'était pas aussi naïf que son ange, il avait juste eu l'espoir d'un ou deux regards encourageants. Il avait été un ange pendant des millénaires après tout, mais seules la froideur professionnelle et l'ardeur militante lui étaient renvoyées, ni l'une ni l'autre ne lui donnaient la moindre chance. En cela, la naïveté de Muriel faisait figure d'exception, sans doute sa place au trente-septième rang l'isolait des querelles intestines, il aurait aimé l'avoir avec lui, mais il n'avait qu'Azirapahale. Et il n'était pas avec lui.
Il prit conscience de son isolement. Il connaissait certains de ces anges, quelques millénaires auparavant certains avaient été des collègues, voire des amis. Il était respecté et pouvait alors travailler inlassablement et en bonne entente avec eux tous. Et lorsqu'il s'était retrouvé en enfer et que Lucifer l'avait enfin délaissé, il avait rapidement pris ses marques, il s'était fait des contacts, avait appris à parler à ces pairs. Il était devenu un démon envié, mais aussi admiré, un démon dont on se méfiait plus par habitude que par réelle conviction et avec lequel la conversation facile offrait un ersatz de relation. Il avait donc rapidement été devenu intouchable et protégé de tous.
Ce n'était plus le cas.
Il voulait voir Aziraphale. C'était la seule chose qu'il avait encore. Il l'aimait, ils s'aimaient, il avait tout sacrifié pour ne plus être séparé. Mais lorsqu'il trouva son ange, le changement était tel qu'il était difficile de le reconnaître. La rigidité des anges qu'il avait pendant des millénaires, ignorée poliment, avait fini par déteindre sur lui. Il ne retrouvait pas son ami dans cette coquille vide.
Alors il changea. Si Aziraphale devait changer pour le paradis, il le ferait lui aussi. Il le fera autant de fois qu'il le faudra, mais il sera de nouveau près de lui. Ils seront de nouveau en symbiose.
Il sentait presque son auréole s'infiltrer dans sa chair céleste tandis que les cols larges de la toge l'étouffaient un peu plus à chaque instant. Il sentait les regards sur lui qui le transperçaient de soupçon. Il était le compagnon de l'ange suprême, mais était bien loin de recevoir rien qu'une poussière d'estime. Il voyait les masses d'anges méfiants qui ne cessaient de le scruter, attendant dans chacun de ses gestes les signes d'une chute future. Aziraphale avait la réputation d'être un être de pure bonté, tandis que lui était le serpent tentateur, un monstre dont chaque tentation agglutinait des pluies de péchés. Il avait remarqué la difficulté de parler avec ses pairs quand ceux-ci se souvenaient de leurs déboires d'antan. Il voyait leurs regards méfiants, il connaissait leurs griefs, il avait compris qu'il n'arriverait à convaincre aucun d'entre eux d'un changement qu'il n'avait d'ailleurs pas voulu.
Et ça lui convenait. Il avait quitté le monde des anges depuis trop longtemps pour que leur présence lui manque. Il était là pour Aziraphale, pour rester près de lui, pour lui donner des conseils. Il était certes devenu plus froid, mais il avait toujours son oreille. Il avait travaillé suffisamment de millénaires avec lui pour savoir comment il fonctionnait, comment il pourrait l'épauler.
Si seulement ils pouvaient ne travailler qu'à deux. Aziraphale et lui partageaient le même idéal. Ils aimaient les humains, leurs cultures, leurs dilemmes, leurs affections, leurs créations et leurs bontés. Ils devaient travailler pour les améliorer, pour les encourager. Il reconnaissait même que la créativité pouvait émerger d'un autre camp que celui des enfers. Il avait changé de camp, renoncé à son corps, à ses ailes, à ses convictions. Ils pourraient ensemble tout remettre dans l'ordre et il pourrait rester à ses côtés pour l'éternité.
Ça n'était techniquement pas impossible, mais sa présence rendait ce travail irréalisable puisque l'archange suprême ne travaillait ni seul ni à deux. Tout l'organigramme du paradis avait pour seul objectif d'accompagner ses décisions et de les mener à terme. Et si les anges les plus bas se contentaient d'obéir aux ordres sans chercher à savoir d'où ils venaient, ce n'était pas le cas de tous.
À chaque réunion où il était présent, il remarquait l'air pincé d'Uriel, les regards suspicieux de Michael et l'air revanchard de Sandalphon. Il était là pour les contrer, pour contredire leurs positions, pour rappeler aux anges qu'ils ne se laisseraient pas manipuler.
Ça rendait son travail impossible. D'un côté, il devait se mettre entre eux et son si naïf ange, mais de l'autre sa présence entraînait une paralysie des échanges.
Aziraphale avait souffert des décisions unilatérales de ses supérieurs, il se devait de travailler avec eux. Prendre leurs décisions d'en haut sans la moindre considération pour leurs subordonnés avait failli détruire le monde. Mais la présence de Crowley accentuait les désaccords et empêchait toute avancée. Il n'y avait aucune solution qui agrégeait la présence des anges et celle de son amour.
Il dut prendre une décision.
Et Crowley se sentit seul dans leur chambre.
Aziraphale essaya de revenir aussi souvent que possible, mais il était compliqué de gagner du temps libre alors qu'il avait tant d'anges à saluer, de papiers à remplir, de décisions à prendre.
Au début, Crowley s'en plaignit. Il était là pour lui et il le voyait à peine. Aziraphale revenait, mais là où leurs silences complices avaient des millénaires durant été suffisant pour éclaircir ses journées, il se retrouva face à un étranger dont les passions l'avaient déserté.
Par moment Aziraphale parlait de ce qu'il avait mis en place, de ce qu'il faisait, de comment il améliorait le paradis, mais Crowley ne répondait pas. Il lui avait promis qu'ils seraient tous les deux pour toujours et il avait menti. Et lui se sentait un peu plus inutile chaque jour qui passait.
Crowley avait toujours été actif, créant des galaxies, imposant ses interrogations, se battant pour sa place, fomentant des plans. Jamais il n'avait été contraint à l'inactivité et aucun ange ni démon n'avait été bati pour cela. Mais il ne pouvait pas sortir, il abandonna l'idée de lui demander des choses qui seraient ignorées. Il cessa de l'interroger sur ses journées pour essayer de lui rappeler ce qu'il aimait.
Aziraphale revint de moins en moins. À l'extérieur, il voyait toutes ses mesures améliorer le paradis. Il observait des anges droits, à qui on n'avait jamais donné leur chance, se raffermirent tandis que ceux ayant les mains assombries perdaient le pouvoir.
Et lorsqu'il prenait la peine de suivre le rythme mortel en rentrant chez lui c'était pour tomber sur un silencieux être céleste qui passait ses journées à l'attendre. Les seules conversations qu'ils avaient tournaient autour des splendeurs humaines auquel ils avaient été arrachés.
Il parlait des livres de Jane Austen qu'il n'avait pas pu finir, il parlait de la musique de Queen qui ne pouvait plus être entendue, il parlait de la beauté d'un Titanic dont le réalisateur tyrannique trouvait sa place en enfer. Aziraphale ne pouvait supporter ça, chaque seconde qu'il passait avec lui lui montrait un portait d'un être égoïste qu'il ne reconnaissait pas en lui.
Et Crowley était seul dans la chambre.
Et puis un jour, Métatron lança le second avènement. Tous ces évènements, toute cette histoire, toutes ces œuvres, en quelques semaines, tout avait disparu. Le paradis gagna, l'enfer descendit sur Terre, et dans leur chambre commune.
Aziraphale ne voulait pas lui dire. Crowley l'avait prévenu de ce que le paradis lui ferait faire, mais ses subordonnés avaient raison, il n'y avait que comme ça que le monde deviendrait plus beau. Tous les péchés avaient été effacés, les humains avaient trouvé leur place et tout le monde était heureux.
Et Crowley continuait à lui parler de ces livres, de ces musiques, de ces œuvres dont il ignorait la destruction.
Et Aziraphale était seul, aux commandes. Et Crowley était seul, dans sa chambre.
En ces jours-là, les [anges] chercheront la mort, et ils ne la trouveront pas, ils désireront mourir et la mort fuira loin d'eux.
À la fin c'est une citation (tronquée) de l'apocalypse, je trouvais ça assez logique avec le propos, mais j'ai jamais lu la Bible donc je sais pas du tout où elle se trouve ni ce qu'elle veut bien dire
Alors ?
Vous avez aimé ? Vous trouvez maintenant que Gaiman était gentil et adorable ?
N'hésitez pas à laisser un commentaire c'est fait pour ça
Bisous
Déponia
