I. Le Mouton Noir

11 janvier 1999 (Rafael)

Ici, on m'appelle le mouton noir. The Black Sheep. Sans doute parce que je suis assez trapu et brun. Mes cheveux presque crépus disent mes ascendances maures. Même la couleur dorée de mes yeux rappelle celle de certains ovins. Peut-être aussi parce que je suis assez différent d'eux même au-delà de l'apparence physique.

Quand j'étais enfant, près de Grenade, mes amis m'appelaient Rafa et, déjà, ils étaient peu nombreux.

Ici à Londres, où j'essaie depuis dix-huit mois de décrocher un statut d'aspirant Auror, tout le monde préfère massacrer mon patronyme, Soportújar. Oui, il faudrait rouler les deux r. J'essaie d'amener mes colocataires et condisciples à m'appeler Sopo. Ça commence à prendre. Je suis un obstiné. Comme tout bon mouton.

Mais le Lieutenant Orpington, qui finit sa carrière en dirigeant l'Académie britannique des lois magiques, le prononce à peu près bien quand il m'annonce que je viens de décrocher les deux derniers certificats qui me manquaient : Tapinois et Combat magique. Ça fait bien la troisième fois que je présente Combat magique.

"Félicitations, jeune homme. Le jour de votre intégration dans la Division des Aurors britanniques est donc venu. Un fait que le Commandant des Aurors espagnol sera content d'apprendre, je suis certain qu'il joindra ses félicitations aux miennes", il rajoute - une façon comme une autre de dire que je suis en décalage d'un an avec ceux avec qui j'avais commencé la formation. Peut-être parce qu'on m'a mis en deuxième année en se basant sur mon âge et qu'il faut bien dire que je n'ai pas été totalement à la hauteur. Mais il est certain que le colonel Esteban Luis Milagro va sans doute être content de savoir que son investissement a finalement porté ses fruits.

"Vous êtes donc attendu à 8 heures précises demain matin au Bureau de Londres qui se trouve dans les murs mêmes du Ministère", précise encore Orpington - ne suis-je pas connu pour ignorer les coutumes britanniques ? "Prévoyez un peu d'avance, mon garçon. Le personnel de l'accueil devra vous faire un sauf-conduit qui vous permettra par la suite de venir directement par Cheminette. Des questions ?"

"Je vais être assigné à un Auror dès le premier jour ?", j'interroge poliment alors que je me demande sincèrement comment il le prendrait si je lui disais que je pense qu'il m'appelle "mon garçon" parce qu'il ne veut pas avoir à prononcer une nouvelle fois mon patronyme.

"Tout à fait." Son ton me fait penser qu'il va en rester là, mais il rajoute : "Je comprends votre curiosité, mais la tradition veut que je ne divulgue pas le nom de l'Auror en question. Le premier contact est réputé important."

J'ai cette intuition qu'Orpington est un peu surpris du choix fait par les Aurors, mais je n'ose pas insister. Lui-même met abruptement fin à notre conversation en se levant et en me souhaitant bonne chance - ce qui est une information en soi.

Oo

J'ai eu la chance à mon arrivée à Londres d'intégrer une colocation d'étudiants de l'université de Londres et de l'Académie. Située en zone sorcière en plus. Quand je rentre, Albus Ogden, qui est déjà Aspirant depuis plus d'un an et attend son assermentation incessamment, est là avec sa copine Zoya Twycross, aspirante elle aussi. Il manque Nydia Lytton qui est venue récemment occuper une chambre libre pour terminer le "gang des Aurors", comme nous appellent les autres.

"Félicitations, Sopo", me lance Albus avec entrain dès que j'ai pointé ma tignasse noire bouclée dans le salon commun.

"Je vois que les nouvelles vont vite", je commente, mais le fait qu'il sache me rassure un peu. Non, ce n'est pas un gigantesque complot pour me rendre ridicule. Oui, je suis parfois un peu parano comme cela.

"Eh bien, tout le monde savait qu'un jour Tonks-Lupin allait finir par avoir un aspirant et comme ma mentore est sa meilleure amie, je suis bien placé pour savoir", commente Albus, sur un ton amusé. Il est de fait souvent au courant d'un paquet de trucs, notamment parce qu'il est fils de juge et que sa famille, maternelle comme paternelle, est bien introduite au Ministère. Un de ses ancêtres a même dirigé la Brigade, je crois. Exactement le contraire de la mienne, on pourrait dire. Je n'ai pas de père connu et ma mère représente précisément ce qu'une partie de la société magique espagnole veut oublier. Si un de mes ancêtres a dirigé quoi que ce soit, son souvenir s'est perdu. Mais tout ça, je sais que mon colocataire ne le mesure pas. "Qu'ils lui refilent notre Mouton noir... je dirais que ça va avec la confiance que lui fait Shacklebolt..."

"T'es sacrément vache, Albus", proteste Zoya. "On a tous eu Tonks-Lupin en cours à un moment où un autre et on sait que ce sera une super encadrante."

"Je ne vois pas où on n'est pas d'accord", souligne Albus.

"Et je suis certaine que Sopo va s'en sortir", continue Zoya en me souriant. "C'est normal qu'on soit allé plus vite pour certaines choses, mais on a eu une éducation magique formelle qui nous a préparés aux standards de l'Académie."

Je souris brièvement en essayant de me réjouir qu'au moins un de mes camarades britanniques se rende compte de ce qu'un gamin de la Sierra Nevada, élevé et introduit à la magie par sa grand-mère, a dû surmonter pour se retrouver sélectionné par le "programme espagnol de formation des sorciers issus de milieux traditionnels" et encore plus pour suivre une formation formelle d'Auror. J'avais demandé la France ou l'Italie, mais on ne peut pas tout avoir dans la vie.

"Ouais, t'as raison, ils doivent se dire que Tonks-Lupin a été prof suffisamment longtemps pour boucher les trous éventuels...", estime Albus Ogden qui, lui, fils d'un juge ne peut sans doute pas envisager ce qu'il a fallu pour que je réussisse.

Une grand-mère décidée à m'offrir un avenir malgré la disparition de ma mère et l'inexistence de mon père. Un ami de ma grand-mère qui a fait de son mieux pour boucher les plus gros trous de mon éducation iconoclaste. Un ennemi - non spécifiquement de ma grand-mère, mais de tout ce qu'elle pouvait représenter. Un type que je n'aurais sans doute jamais l'occasion de regarder dans les yeux tant il prend garde de ne pas fouler le même sol que des gens comme moi. Néanmoins, c'est peut-être à cause de lui aussi que je n'ai pas cherché à devenir Maître des potions comme ma grand-mère l'espérait et comme son éducation l'aurait voulu. C'est certainement à cause de lui que j'ai voulu être du côté de ceux qui défendraient efficacement les faibles devant des types comme lui. Je suis conscient que je ne vengerai jamais la mort de ma grand-mère, tuée par des gens qui pensent comme lui, qui le vénèrent et qui aimeraient lui ressembler. Mais si je peux être capable de protéger quelqu'un qui lui ressemblerait un peu, ce sera déjà ça.

"Et aussi que ça fera chic sur son CV d'avoir encadré un des premiers Aspirants en échange européen", rajoute Zoya encore une fois un peu gênée par la présentation de son petit ami et peut-être inquiète de mes poings serrés. Comme à chaque fois que je pense à la fin de ma grand-mère et à mes serments à moi-même. Je prends sur moi d'étaler mes mains sur mes cuisses.

"Une des obsessions de Shacklebolt ", renchérit Albus, toujours insouciant. "Parce que Tonks-Lupin, Sopo, ce n'est pas seulement la femme du directeur de Poudlard, c'est aussi l'ancienne aspirante de Shacklebolt, et tout le monde voit bien qu'il fait ce qu'il faut pour qu'elle fasse une belle carrière bien rapide, maintenant qu'elle est revenue."

"Elle s'est arrêtée près de cinq ans pour élever ses enfants", glisse Zoya.

"Ça, c'est ce qui se dit quand on ne veut pas parler des préventions de Scrimgeour envers l'épouse d'un loup-garou", juge Ogden qui a accès, par son père, à pas mal de ragots.

"Il est clair que tu ne vas pas te tourner les pouces", reformule Zoya, alors que je recolle d'autres informations entre elles : Lupin est le directeur lycanthrope de cette école de magie dont il n'existe pas d'équivalent en Espagne. Donc, je vais avoir sa femme comme mentore. Shacklebolt est l'actuel commandant du bureau des Aurors britanniques et il a certainement été le premier artisan de l'ouverture à une coopération européenne dont j'ai bénéficié. Ça fait un panorama assez politique, mais pas obligatoirement hostile à un Mouton Noir, j'analyse. "Pas que quiconque soit flemmard, mais Tonks-Lupin, Albus a raison, y aura de l'enjeu."

"Bon, maintenant, tu vas nous payer ta tournée", conclut Albus.

On se retrouve donc au QG des jeunes Aurors britanniques, j'ai nommé La Baguette Tordue. Si j'ai bien compris, passé un certain rang, on ne vient plus ici. On laisse cet espace aux jeunes et à la critique des vieux. Ça me paraît à la fois totalement artificiel et relativement sain. Il n'y a pas tellement de monde ce soir de semaine. Pas de musique live non plus. Mais il y a tous mes collègues et concurrents du moment.

Cette très belle fille tenant salon devant le comptoir est aussi une trop bonne élève et une ambitieuse selon moi. Dikkie Forrest a eu tous ses brevets en dix mois et est l'aspirante d'un gars qui monte dans la Division - de ce qu'on me raconte : Gawain Robards. Elle accueille Zoya avec une espèce de révérence forcée qui me fatigue. Sa copine Nydia, qui est aussi ma colocataires et celle que j'ai battue de peu pour le titre de la formation la plus longue à l'Académie, est plus simple. Il paraît que son mentor est très sympa et qu'il n'a de cesse de la soutenir. Dommage que cet Herman Hawlish ne soit pas libre, je rumine.

Nydia me félicite avec beaucoup de simplicité et de chaleur - tout le contraire de Dikkie qui ne lâche pas un mot sur le sujet. Elle me dit aussi que Tonks-Lupin est plutôt sympa, mais exigeante et que, sans elle et son soutien à Poudlard, elle n'aurait pas osé candidater. Ça fait lever les yeux de Dikkie au ciel.

Aonghus Giles est mince et nerveux. Il connaît le Manuel par cœur et est souvent félicité par nos formateurs sur sa connaissance des procédures. Reste l'opérationnel où il se retrouve fréquemment avec moi, pas parce qu'il manque de précision, de régularité ou de puissance - mon cas - mais parce qu'il "manque de décision". Mais il me fait les félicitations d'usage. Je lui avoue que je ne me souviens plus du nom de son mentor - juste que c'est un homme.

"Andrea Williamson... pas obligatoirement le meilleur pote de ta mentor, même s'ils sont issus de la même maison, Poufsouffle", il m'informe avec facilité. Avoir étudié au même moment à Poudlard crée des liens un peu indéfectibles, je l'ai bien mesuré en dix-huit mois. Même avoir été dans la "même maison" tend à créer une étonnante solidarité mécanique."

De tournée en tournée, que je paie autant que nécessaire malgré mon statut de boursier considérant ça comme un investissement, je collecte précieusement un tas de petites informations sur ma future mentore.

Elle a des mèches de cheveux roses - parfois grenat. Quand elle était aspirante, ils étaient rose bonbon. Aucun d'eux ne l'a eu comme prof à ce moment-là, mais ils connaissent tous l'histoire.

"Mais c'est facile pour elle de changer, elle est Métamorphomage", précise Dikkie. Je rumine ce que ça a pu l'aider pour l'épreuve de Tapinois.

Ses choix vestimentaires partagent visiblement les filles : Zoya la trouve assez classe, mais Dikkie n'oserait pas tout porter. Nydia non plus. Tonks-Lupin est également connue pour courir régulièrement et pratiquer le Quidditch, et c'était vrai même quand ils l'avaient en cours. Quelqu'un de physique donc et plutôt extravertie, je décide.

Elle a adopté les deux fils de ce fameux Premier-Loup-Garou-Directeur-de-Poudlard : le non moins fameux Harry Potter, dont Remus Lupin aurait été ami des parents. Nydia est fière de m'expliquer que ce jeune Harry était dans l'année juste en dessous d'elle à Gryffondor - une autre de leurs fameuses "maisons" dont ils me rebattent les oreilles. Il aurait entamé une formation de briseur de sorts, et ça n'a pas l'air de les étonner parce que c'était à la fois "un excellent élève et un anticonformiste", d'après Nydia. C'est un super copain de Ron Weasley, un des petits jeunes que j'ai vu arriver en septembre à l'Académie. Toujours bon à savoir, j'imagine.

Mais il y a un autre fils adoptif, Cyrus, dont j'entends le nom pour la première fois, mais je suis bien le seul. Ils le présentent comme un fauteur de troubles brillant, doublé d'un assez bon élève. Il vient de terminer ses études de magie à Poudlard pour s'inscrire à l'université de Londres où il étudierait l'ethnomagie.

"On a été beaucoup à croire qu'il finirait joueur de Quidditch comme sa copine. Mais ça a toujours été une tronche aussi, quand il le voulait bien", disent-ils. Bref, un gars qui a eu le choix, je traduis avec un peu de jalousie.

Aonghus prend la peine de me dire que ce Cyrus sort avec Ginny Weasley, la sœur de Ron, "un sacré beau brin de fille". "Et qui vient d'être recrutée comme remplaçante dans l'équipes des Harpies", souligne Dikkie.

Quand je dis que ça fait beaucoup de Weasley, ils me disent tous en rigolant : "Mais il y a plein de Weasley !"

Dans la famille Lupin, il y a aussi des jumeaux que ma mentore a eus avec Lupin. Un garçon et une fille. "Ils ont quatre-cinq ans", d'après mes camarades. Ma future mentore se serait arrêtée pour les élever, mais visiblement Aonghus n'est pas le seul à penser que ce n'est qu'une partie de l'histoire.

"De toute façon, avec les Lupin, y a toujours des à-côtés", estime Giles. "Des trucs qui ne collent pas totalement les uns avec les autres. Comme Cyrus qui est réputé né d'une mère brésilienne, morte, mais qui pourrait aussi être non de Lupin, mais de Sirius Black... et Tonks-Lupin, sa mère est une Black..."

"Vraiment trop jeune pour que ce soit son fils caché", se moque Dikkie.

"Tu ne trouves pas bizarre que Lupin épouse une femme qui soit la cousine du mec que personne n'a jamais revu après sa réhabilitation et peut-être le père naturel de son deuxième fils ?"

"Giles adore les complots", me glisse Nydia à l'oreille. "Lupin, il a sorti Harry d'une famille moldue abusive, il a montré qu'un loup-garou pouvait enseigner et diriger Poudlard, lancé une fondation pour venir en aide aux enfants lycanthropes, fait réhabiliter Sirius Black qui avait été enfermé neuf ans par erreur. Moi, je comprends qu'une femme comme Dora Tonks-Lupin puisse l'épouser."

En dehors de sa vie de famille qui n'a pas l'air totalement banale, Tonks-Lupin est réputée comme une très bonne enquêtrice et interrogatrice et fait partie des gens qui ne répugnent pas à considérer les aspects juridiques avant que le juge ne le demande. Une bonne opérationnelle aussi. "L'héritière de Shacklebolt", l'expression revient plusieurs fois, je le note. Et Shacklebolt est le Commandant actuel de la Division, je n'ai pas besoin de ce sous-titre-là

"Une politique, qui ne revient pas à la Division pour remplir les cachots d'Azkaban", formule Ogden.

Je passe le reste de la nuit à me demander si je peux, même cinq minutes, faire une bonne impression à une femme pareille.

oo 11 janvier 2021 (Dora)

Tout commence par une journée d'hiver, grise, pluvieuse et un peu déprimante. Une journée assez typique aussi de ce qu'est devenue ma vie professionnelle. Je quitte Poudlard à l'aube, ayant eu la chance de ne pas finir trop tard hier pour ne plus avoir le courage de ce dernier Transplanage. Après une évaluation des urgences avec Dawn, je rejoins la salle commune de la Division pour prendre un thé. Comme tous les matins, je n'arrive pas à en boire la moitié parce que je discute avec tous ceux qui en ont envie. C'est un rituel auquel je ne déroge pas. Un truc qui me permet de me dire que je ne perds pas le lien avec mes troupes, avec le concret, le réel, le quotidien, le boulot. Les messages arrivent ensuite en même temps que les premières sollicitations de mes adjoints. La matinée se passe à la gestion de l'actualité du Bureau et le début d'après-midi est pris par ma réunion hebdomadaire avec mes sous-commandants régionaux et mes lieutenants.

Je les écoute l'un après l'autre me dresser l'état des affaires qu'ils suivent. Ils sont tous compétents et soucieux de mon appréciation - que je m'efforce de rendre claire et ostensible. C'est le jeu. L'ambiance est plutôt détendue, notamment parce qu'il n'y a rien sortant de l'ordinaire dans les affaires en cours. Comme ironise Dawn à un moment : "Peut-être que les tordus sont toujours occupés par leurs cadeaux de Noël."

On termine par le rapport de Ron Weasley, sous-commandant chargé de la coordination des différentes forces d'application des lois magiques. Globalement, c'est lui qui décide s'il faut envoyer les Aurors, les policiers ou les tireurs d'élite. Officiellement, c'est moi sur ses propositions. Ce n'était pas le point de "ma" réforme du Bureau des Aurors britanniques duquel j'attendais le plus de résultats à court terme, mais c'est finalement ce qui a permis l'intégration des différents services. Et je suis bien consciente que Ron et l'équipe qu'il a réunie autour de lui sont la raison de ce succès.

"On a un nouveau dossier intéressant", il raconte avec son air sérieux que je connais si bien. "C'est Wang et Lupin-McDermott qui ont levé le lièvre. Des vols diffus dans différentes bibliothèques, collections privées, voire librairies magiques spécialisées, un peu partout dans les îles britanniques. Des parchemins d'Arithmancie, souvent très anciens et dans des langues étrangères... Parfois les vols ont mis longtemps à être repérés. J'avoue que quand ils sont venus me voir, j'étais sceptique, mais dès qu'on a creusé sur une série, on a trouvé trop d'éléments concordants... "

"Et tu n'étais pas au courant, Commandante ?", fait mine de s'étonner Rigel Savage, mon sous-commandant pour l'Écosse.

"Ne pas être au courant des projets d'Iris est presque une description de ma vie", je fais mine de me plaindre, mais c'est un jeu. Ils savent tous que je fais référence à la liaison entre elle et Samuel McDermott. Une liaison de plus d'une année avant que Remus ne la découvre avant moi. "Je crois qu'elle voulait te réserver la surprise, Ron."

"Du coup, j'ai autorisé qu'ils passent un peu de temps sur cette affaire un peu curieuse. Peut-être un collectionneur pas très regardant", il propose.

"Ça s'est déjà vu", je lui accorde. "Voyons donc ce que ça donnera. Sous réserve bien sûr que quelque chose de plus pressant émerge."

Et c'est sur ces paroles prophétiques que je les libère.

oo

"Dora ?" La voix et le visage sont français dans mon miroir qui vient de vibrer alors que j'allais quitter mon bureau, convaincue que ce dont j'ai besoin, c'est d'aller courir pour me sortir de la torpeur que me procure toute une journée de réunions.

"Philippine", je réponds avant d'enquêter : "Un appel privé ou...?"

"Pas totalement", elle reconnaît. "Mais j'ai pensé que c'était mieux que nous discutions sans ton armée de lieutenants et de sous-commandants autour de nous."

"Je t'écoute", je décide en me rasseyant dans mon fauteuil.

Dans son bureau de Bruxelles, Philippine prend un temps marqué pour organiser ses idées. Définitivement pas seulement un appel privé. Il fut un temps où j'aurais eu peur qu'un de mes enfants se soit mis dans une de ces aventures dont ils ont semblé avoir le secret. Mais Ron m'a dit combien Iris était occupée. Harry et Cyrus sont notoirement plus prudents aujourd'hui - c'est presque pour leurs enfants que je devrais m'inquiéter. Kane, malgré sa famille grandissante, est encore celui qui trouve des combats à mener en plus de son travail à Sainte-Mangouste. Mais il est aux dernières nouvelles en vacances en Turquie avec une épouse enceinte et deux enfants à surveiller - et je doute que ses activités quelles qu'elles soient inquiètent Philippine. Ok, je l'espère sincèrement.

"Le Bureau des Aurors britanniques vient d'ouvrir une enquête officielle suite à une série de vols dans les bibliothèques magiques", sont les mots qui me sortent de ma rêverie maternelle.

Philippine attend que je confirme. Ce que je fais sobrement.

"Cette enquête... va à l'encontre d'une opération menée conjointement avec le Bureau espagnol... Elle la met en danger. J'aimerais... que tu demandes à tes équipes de laisser tomber pour le moment... Nous vous donnerons tous les éléments quand l'opération... sera terminée..."

C'est mon tour de prendre mon temps avant de répondre.

"Tu voudrais que nous ignorions ces vols ?", je vérifie d'abord. C'est un élément évident, mais il faut souvent partir des choses les plus simples.

"Ces affaires étaient classées il y a encore très peu", elle m'oppose.

"Je me demande comment le Bureau européen des Aurors peut savoir cela. Robards n'est pas au courant", je réagis plus vivement - pourquoi Gawain, qui représente notre Bureau à Bruxelles, n'est pas là s'il s'agit d'une opération conjointe ? "Pour être tout à fait claire, Philippine, je m'en inquiète. Dois-je penser que vous avez des espions parmi mes troupes ?"

"Non, Dora", s'empresse Philippine. "Ce serait une violation difficile à justifier de l'autonomie des différents bureaux membres de notre coordination. Mais je n'ai pas besoin d'espions parmi tes troupes. Nous... les Espagnols ont quelqu'un d'infiltré dans le groupe que nous surveillons. Par lui, nous sommes au courant des vols et nous avons bien vu que les affaires n'étaient pas traitées sérieusement jusqu'à présent. Logiquement classées sans suite. Ce n'est pas une critique, Dora. Il s'agit d'affaires éparses, volontairement très discrètes. Nous savons aussi que deux Aurors et quatre policiers se sont rendus aujourd'hui à Glasgow pour poser des questions. De bonnes questions. De trop bonnes questions qui ont inquiété le groupe que nous surveillons. Nous ne sommes pas encore prêts à les arrêter. Tout ce qui les inquiète complique notre travail."

Je prends de nouveau le temps de réfléchir et de peser les termes de ma contre-attaque.

"Je vais être sincère, Philippine : je suis assez contente de savoir que mes troupes ont vu le lien entre ces différentes affaires discrètes et qu'elles sont déjà en mesure d'inquiéter un groupe", j'appuie sur le mot, "que la Coordination européenne des bureaux des Aurors surveille. Je n'imagine pas que leurs activités soient... du genre qu'il faut ignorer."

"Je peux rendre hommage à tes troupes si ça t'aide", sourit Philippine. "Je peux même comprendre que tu veuilles en savoir plus et te divulguer certains éléments - mais ils devraient te faire comprendre que le pire serait qu'ils disparaissent dans la nature parce qu'ils se sentent menacés. Sans parler de la sécurité de notre infiltré."

"Qu'est-ce que tu peux me dire ?"

"Il s'agit d'une affaire d'abord espagnole… Des investisseurs sorciers peu regardant des lois - certains avaient dans le temps soutenu les projets du XIC - ont connu un nouveau gros revers il y a deux ans quand l'un d'entre eux qui semblait bien parti pour être élu ministre a été discrédité peu de temps avant les élections des Guildes. Ils ont perdu leur façade politique."

"Ça me dit quelque chose", je reconnais. Mon poste implique de suivre l'évolution politique de nos voisins et partenaires. Et si l'Espagne n'est pas notre premier partenaire, je suis sensible à son évolution pour des raisons personnelles et historiques.

"Les plus radicaux ont décidé qu'ils n'allaient plus attendre d'être en mesure de prendre le pouvoir politique d'un pays, mais qu'ils allaient s'en créer un", continue Philippine sans un battement de cils.

"Pardon ?"

"Tu m'as bien entendue, Dora. Ils l'appellent la Nouvelle-Atlantide. Pour la créer, ils ont essayé de faire fuir la population d'une île des Canaries en provoquant des éruptions volcaniques, mais ça n'a pas marché aussi bien qu'ils l'espéraient. Leur idée actuelle est de faire surgir une île, sans doute dans la même région. Une île magique, bien sûr. Une île que seuls certains pourraient atteindre et y développer leurs activités, loin de ces crasseux de Moldus et des lois débilitantes que nous essayons chaque jour de faire respecter."

"Rien que ça", je remarque dubitative sur la faisabilité du projet.

"Votre Azkaban a été créé comme cela", elle m'oppose. "Ne t'inquiète pas, je ne le savais pas avant qu'on suive leurs opérations dans vos bibliothèques."

"Les parchemins", je comprends.

"Dans leur équipe, il y a des briseurs de sorts, des Arithmanciens et d'autres praticiens dont j'ignore le nom, mais tous semblent vouloir réunir le maximum de choses sur Azkaban, sans s'en prendre au Département des Mystères ou à Poudlard pour des raisons évidentes de discrétion. La précision des vols laisse penser qu'ils ont au moins un bon connaisseur des bibliothèques britanniques parmi eux."

"Votre infiltré n'a pas trouvé qui ?"

"Non. Malgré ses efforts, son long investissement dans l'organisation, il n'a pas encore accès à toutes les informations que nous aimerions avoir. Lui laisser le temps de travailler en sécurité est une des raisons de mon appel."

"Je vois", je grince. On est dans l'habituel rapport de force, je dirais. Un jeu quotidien pour Philippine comme pour moi. Elle fait mine de résister ; je fais mine de dénigrer. "Je dois mettre en danger la sécurité de mon pays parce que vous avez recruté votre infiltré dans un paquet de dragées de Bertie Crochue."

"Ce n'est pas gentil pour ses formateurs historiques et pour les quasi deux décennies de rapports élogieux en sa faveur qui ont suivi", elle commente avec son air d'en savoir plus que moi qui m'agace. Mais il y a plus. J'en mettrais ma baguette au feu.

"Ma dignité ne me permet pas de donner ma langue au chat, Philippine", je soupire donc.

"Pour des raisons évidentes, je ne vais pas non plus divulguer son nom aussi facilement", elle m'oppose. "Mais peut-être que ce texte te donnera envie de me faire confiance."

Sans attendre ma réponse, Philippine déplie alors un parchemin et place le miroir de telle façon que je puisse lire le texte, écrit en français en majuscule d'imprimerie moldue. Pas un truc qu'on voit tous les jours dans mon quotidien.

LE MOUTON NOIR SE REPAIT DES RICHES HERBAGES PICTES. LE PISSENLIT N'A TOUJOURS PAS FLEURI MAIS LES BOURGEONS SONT VISIBLES. JE PRIE CHAQUE JOUR POUR QUE LA FAUCHE SOIT TARDIVE CETTE ANNÉE AFIN QU'IL PUISSE S'EN RASSASIER.

Mes lèvres retiennent le prénom qui me vient, mais je ne peux sans doute pas m'empêcher de pâlir.

"Je vois que tu as une hypothèse."

"Je vois que tu es prête à me faire chanter", je rétorque un peu vivement peut-être. Une partie de mon cerveau se demande comment ils en sont arrivés à réussir l'infiltration par un membre aussi senior, bien que toujours un peu en marge, des Aurors espagnols. Une autre ricane que Rafael Soportújar, avec ses obsessions et son pédigrée, et même ses presque quarante ans, était sans doute exactement celui dont ils avaient besoin pour cette mission.

"Dora, c'est une formulation... excessive", estime Philippine.

"Je ne pourrais jamais justifier ma décision sur la base d'un texte pareil", je proteste.

"Que te faudrait-il ?"

Je prends le temps de réfléchir à une vraie réponse.

"Est-ce qu'il ne serait pas plus malin de… réfléchir ensemble à une manière de surveiller ces herbages et la floraison des pissenlits ?", je tente en me disant que le code ressemble effectivement à ce qu'un Rafael Soportújar peut trouver amusant.

"Les bergers sont sur leurs gardes", répond Philippine filant la métaphore.

"Les... loups informés sont les plus dangereux", je continue entrant dans son jeu.

"Je savais que tu voudrais un truc comme ça", elle soupire en détournant les yeux. J'attends parce qu'il n'y a rien à faire de mieux. "Tu ne diras pas que je ne t'ai pas clairement expliqué les enjeux."

"Non."

"Et les termes sont à négocier."

"Dès que vous voulez, où vous voudrez."

"Je pense qu'on peut venir très discrètement, à deux, demain."

"Parfait", je conclus avec toute la distance que je peux réunir.

oooo

Voilà le cadre, une partie en 1999 autour de ce jeune Rafael et une partie en 2021... Vous me dites ce que vous en pensez ?