Chapitre 56

La petite troupe était finalement rentrée au milieu de la nuit. Les enfants avaient été mis au lit alors qu'ils dormaient depuis déjà bien longtemps, roulés en boule sur les genoux des adultes. Le seul réveillé était le petit allergique qui ronchonnait à chaque fois qu'il devait avaler une gorgée du médicament que la guérisseuse lui avait préparé. Il était fatigué, lui !

Boya salua son shixiong et ses shidi avant de les abandonner à leur chambre. QingMing attendait dans son dos pour le raccompagner chez lui.
Les deux frères Shi les surveillaient bien sûr. Xie Weizhe et ses hommes avaient réintégrés leur caserne. Sha ShengShi avait décidé de rester avec eux pour le reste de la nuit. Un peu de compagnie ne lui ferait pas de mal et son maître l'avait encouragé à aller s'amuser un peu.

Zhong Xing les attendait tous en rongeant son frein. S'il ne hurla pas sur ses disciples, c'était uniquement parce que Boya et surtout QingMing était avec eux.

"- Je commençais à grandement m'inquiéter !"

"- Nous étions juste en ville. La soirée s'est prolongée."

La colère du chef de secte était palpable.

"- La prochaine fois que vous trouverez amusant de m'emprunter mes disciples, j'apprécierai grandement que vous me préveniez avant, Seigneur Anbei." Qu'il ne fasse pas référence à Boya était une insulte.

"- C'est ma faute." Voulu quand même apaiser Boya mais Zhong Xing claqua de la langue.

"- Anbei Furen devrait savoir où est sa place quand c'est une décision de son mari, n'est-ce pas ?"

Boya en resta la bouche ouverte, choqué par l'agressivité du chef de secte. QingMing aurait bien remis Zhong Xing à sa place n'eusse été la main de Boya qui se serra sur son poignet.

"- Dans ce cas, nous allons vous laisser à votre repos, Zhong Xing. Vous serez peut-être un peu plus gracieux après quelques heures de sommeil." Ne put quand même se retenir QingMing.

Il raccompagna un Boya dépité à ses appartements.

"- Je ne comprends pas ce qui lui arrive."

"- Vous devriez vraiment discuter avec lui, Boya. Je ne peux le rassurer à votre place. Je crois qu'il a peur de ce que je vous force à faire."

Le chasseur renifla. Le forcer. Ben voyons. Il n'acceptait de jouer les Anbei Furen que pour rendre service. Il n'était pas forcé.

"- Je lui parlerais demain."

Enfin, tout à l'heure quoi.

Le temps semblait s'être ralentit pour Boya depuis son arrivée dans le Domaine du Seigneur Anbei, il en prenait soudain conscience. Malgré tout ce qu'il faisait, malgré son emploi du temps surchargé, il avait l'impression que le temps s'était non pas figé, mais qu'il s'étirait en longueur.

Sha ShengShi lui servit son thé, le front froncé par l'inquiétude.

"- Boya-di ? Tout va bien ?"

Boya s'était réveillé en milieu de matinée. La nuit avait été intéressante et le coucher tardif. Ou très tôt suivant qu'on était enthousiaste ou faignant. Il n'avait pas déjeuné avec le reste de la Maison, mais ce n'était pas rare. Kuang HuaShi l'avait excusé pour toute la durée du séjour des nordistes aussi avait-il pu dormir tout son saoul.

"- Pardon, Sha-ge. Je réfléchis juste un peu trop."

Le jeune shishen hocha silencieusement la tête. Boya s'ouvrirait à lui s'il en avait envie. Il lui approcha des petits gâteaux à la farine de lotus que le jeune humain picora d'une main machinale.

"- Sha-ge ?"

"- Hmm ?"

"- Je ne comprends pas la rudesse de Zhong Xing. Ai-je fais quelque chose de mal ? C'est lui qui m'a envoyé ici et…"

Le jeune shishen reposa la théière.

"- Boya-di… Tu sais que j'ai passé longtemps à Tiandu ?" Boya hocha la tête. "J'y suis né. Je suis né dans les sous-sol du palais pour être honnête. Toute ma vie, je l'ai passée à observer la politique humaine, ses alliances et ses mésalliances, ses trahisons et ses mensonges. Lorsque tu as été envoyé pour me tuer, j'étais suicidaire, tu le sais. Je venais de perdre mon épouse, plusieurs de mes amis avaient succombés sous les coups des chasseurs de JingYun." Boya frémit. Avait-il participé au meurtre des amis de Sha ShengShi ? Sans doute. "Lorsque le Seigneur Anbei m'a pris sous ses queues et a accepté de faire de moi son shishen, je ne pensais pas devoir replonger un jour dans les affres de la psyché humaine." Le démon eut un petit sourire après son préambule. "Je crois que Zhong Xing est jaloux et en colère."

"- … Jaloux ?" Boya était un peu scandalisé.

"- Il a passé des mois à te réparer, à te rappeler que tu es humain et pas juste un objet cassé. Il a fait de son mieux pour nourrir ta vie, tes rêves et tes espoirs. Et malgré tout ce qu'il a pu faire, c'est ici, bien à l'abri d'un renard démon, que tu t'es vraiment épanouis. Je crois qu'il te considère comme son propre fils et est jaloux de tout ce que QingMing a pu faire pour toi."

Boya ne savait que dire. Zhong Xing l'avait aidé de son mieux, oui. Sans lui, jamais Boya n'aurait pu reprendre sa vie en main. Jamais il n'aurait pu trouver la force et la résilience pour s'accrocher à la vie. Sans son aide, s'il avait été lâché dans le domaine démoniaque juste après sa vente, Boya savait qu'il se serait tué. QingMing aurait pu faire tout ce qu'il avait voulu, soit Boya se serait ouvert la gorge, soit il se serait laissé dépérir jusqu'à s'éteindre. QingMing lui avait peut-être laissé toute latitude pour redevenir lui-même et plus encore, mais c'était Zhong Xing qui l'avait sauvé. Comment ne pouvait-il s'en rendre compte ?

"- Boya… Si tu veux bien me pardonner cette métaphore un peu bancale, Zhong Xing est comme un père qui vient de donner sa fille adorée en mariage à son gendre. Il est jaloux d'avoir perdu sa fille, en colère de la voir partir, inquiet de son avenir et il hait profondément celui qui lui a volé son bébé. Sans compter qu'il sait très bien ce qu'un immonde mâle va forcément faire à sa délicate petite fille adorée une fois entre les draps."

Boya grogna. La tentative de Sha ShengShi pour lui faire prendre conscience de la réelle affection de QingMing à son égard n'était pas si subtile mais elle passa largement au-dessus de Boya quand même. Tout au moins en partie. Il n'y avait, après tout, pas pire aveugle que celui qui ne voulait pas voir.

"- Je n'ai rien d'une oie blanche à préserver, Sha ShengShi. "

"- Tu ne peux rien contre les élans de ton propre cœur, Boya. Tu peux encore moins contrôler celui des autres. Zhong Xing a décidé de reporter sur toi l'affection qu'il ne peut donner à son fils. Que tu le veuilles ou non, il t'a adopté. Fangyue aussi, même si l'absence de son fils lui pèse. Comme Xie Weizhe et moi t'avons adopté comme notre didi. Ou comme Kuang HuaShi et Xue TianGou on choisit de te voir comme leur neveu." Il aurait pu faire la liste pendant des heures. Boya avait touché tout le monde aussi bien dans le Domaine Intérieur que dans la Capitale à des niveaux différents. Cette créature qu'ils avaient tous craint, qui avait longtemps été leur croquemitaine, était devenu l'un des leurs. Il était Anbei Furen pour les plus lointain, un membre de leur famille pour les plus proches. "Tu dois lui parler, Boya. Tu vas rester encore ici jusqu'à ce que tu sois libre de retourner au Yin Yang si tu décides de le faire lorsque tu en auras la possibilité. Egoïstement, j'espère que tu resteras avec nous pour toujours même si je comprendrais que tu veuilles partir. Je sais que Xie Weizhe veut que tu restes. QingMing aussi veut que tu restes. Tu as un place qui n'est qu'à toi, ici."

Boya soupira, mal à l'aise. C'était justement cette place si confortable qui le gênait. Il n'avait pas eu l'habitude d'avoir ce qu'il voulait aussi aisément.

Quand il pourrait retourner dans le monde des humains, il le ferait. Peut-être momentanément, peut-être définitivement, en tout cas nécessairement pour prendre du recul avec lui-même et QingMing. Surtout QingMing. Si le renard-démon lui demandait là, tout de suite, de lui jurer allégeance et de ne jamais partir, il n'était pas dit que Boya refuse.

"- Peux-tu faire envoyer une invitation à Zhong Xing ? Qu'il me retrouve dans le Jardin ?"

Sha ShengShi eut un large sourire que Boya ne vit pas. Il était fier de son didi. Il avait tellement changé depuis la première fois où il l'avait vu, terrifié par lui-même et les autres, empêtré dans ses handicaps, son éducation et la trahison.

"- Bien sur Boya. Je te laisse en paix pour l'instant. Je lui dis que tu l'attends d'ici… deux bâtons d'encens ?"

Le chasseur hocha la tête.

Le shishen l'abandonna à sa solitude relative. Même la présence de Weilan n'était plus un fardeau mais un confort. Le jeune humain était finalement le shishen dont il avait besoin. Que ce soit un humain qui joue ce rôle était étrangement un réconfort pour Boya. C'était un esclavage… Normal. Ha il était complétement tordu dans sa tête.

Boya gémit en se frottant le crâne. Ses cheveux avaient bien repoussés ces dernières semaines ! Ils lui arrivaient presque sous les omoplates maintenant. Il allait devoir demander de quoi se coiffer correctement maintenant. Et encore une fois, le problème d'un véritable serviteur apparaissait. Ce n'était ni le rôle ne Sha ShengShi, ni celui de Weilan. Il n'avait aucune envie d'avoir un serviteur ni une servante pour subvenir à ses besoins.

"- Zhuque ?"

"- Couac ?"

"- Tu crois qu'il y a quelqu'un qui accepterait d'être mon shishen pour m'aider ?"

"- Couac !"

Le phénix avait l'air particulièrement satisfait. Bien sûr que des esprits et des démons attendaient pour se lier à Boya et/ou Anbei Furen. Il y avait même la queue. Il ne manquait qu'a Boya de se décider pour appeler quelqu'un à lui.

"- Je vais y réfléchir."

Weilan aussi était satisfait. Ça ne le dérangeait pas vraiment de jouer les valets de pied dans l'absolu, mais c'était du temps en moins pour l'entrainement. Et puis, il allait devoir conférer avec Xie Weizhe pour la mise en place de la garde personnelle de Anbei Furen. QingMing avait été jusqu'au bout de son idée. Il avait convoqué le lieutenant dans la matinée pour lui donner ses nouveaux ordres. Lui et ses hommes étaient détachées des soldats de la Capitale pour entrer pleinement au service exclusif de Anbei Furen.

Le groupe de soldats avaient été ravi.

Les rumeurs courraient vite au sein du Domaine Intérieur. L'existence de Anbei Furen en était la preuve la plus parfaite. Aussi, lorsqu'il avait été su que Anbei Furen s'entrainait sur le sable avec son assassin personnel, les visiteurs du Domaine Intérieur avaient rapidement convergés pour voir de quoi il était réellement capable. Les rumeurs et les on-dit étaient parfois de bonnes bases, mais rien ne vaudrait jamais l'expérience de première main.

Boya avait été stressé à l'idée de parler à cœur ouvert avec Zhong Xing. Aussi Weilan lui avait proposé d'épuiser un peu son agressivité les armes à la main.

Le chasseur avait accepté avec un enthousiasme touchant.

Ce qui expliquait pourquoi les deux hommes étaient encouragés aussi bien par les serviteurs que des shishen, des diplomates, des invités divers ou des artisans présent pour quelques heures.

Les deux combattants s'en donnaient à cœur joie et n'avaient aucune pitié l'un pour l'autre. Leur exaltation au combat était la même. Ils prenaient un plaisir évident à se taper dessus.
Tout y passait, épée, coup de poing, coups de pieds, l'assassin et l'exterminateur y passaient tous leurs pires coups bas, toute la violence qu'ils avaient dans les veines dans un déferlement de brutalité presque animale.
Et ils souriaient.

Ils souriaient tous les deux du plaisir que le combat sans limite leur apportait. Peu importait les coupures, les muscles froissés ou les accrocs dans les vêtements. Ils n'entendaient pas les encouragements quasi hystériques des spectateurs. Ils s'amusaient comme les mômes que Boya n'était plus depuis longtemps mais que Weilan était encore à moitié.

Un rire fou s'échappa de la gorge de l'assassin. Il était rare qu'il trouve un adversaire à sa mesure. Boya était meilleur que lui en combat pur, il le savait et le goutait avec certitude. Mais c'était tellement bon de cogner contre quelqu'un avec tout ce qu'il avait ! Il fallait qu'ils s'entrainent ensemble plus souvent. Il fallait que Boya lui apprenne tout ce qu'il savait. Il fallait que Weilan devienne assez fort pour le protéger comme il se devait.

Les épées des deux hommes se heurtèrent soudain en plein milieu du sable. Ils étaient hors d'haleine tous les deux, épuisés tous les deux et bon sang ce que ça faisait du bien !
Boya était aussi exalté que son assassin de compagnie. C'était si bon de retrouver ce qu'il avait appris à faire depuis qu'il était petit. C'était si bon d'être à nouveau le Chasseur et non plus Anbei Furen. Il pouvait être les deux. Il pouvait avoir son épée dans une main et les clés du Domaine dans l'autre.

Sur le bord de l'arène, Sha ShengShi, Xue TianGou et Kuang HuaShi encourageaient les deux hommes en oubliant toute apparence de dignité. Le combat était magnifique. Il y avait bien longtemps que le Domaine Intérieur n'avait pas résonné d'une telle débauche d'énergie.

Le Seigneur Anbei aussi observait le combat. Il frémissait d'un mélange d'angoisse et d'adoration. S'il avait été encore incertain de son intérêt pour Boya, il savait maintenant qu'il était totalement fichu. Boya était à lui. Il était à Boya depuis qu'ils avaient échangés une morsure. Mais le voir se battre ? La bouffée de phéromones qui lui échappa fit froncer le nez aux démons autour de lui, rougir une bonne partie et glousser pas mal d'autres.

Leur Seigneur était en chaleur et ne se retenait que difficilement de sauter sur sa Furen pour produire l'Héritier du Domaine.

He Shouyue avait envie de vomir.

Ses mains tremblaient affreusement.

Un cadavre encore chaud reposait à ses pieds. La mort était récente. Si récente qu'il était sûr que s'il prenait le pouls de l'homme, il le sentirait encore très fugitivement pendant qu'il s'éteignait lentement.

Une fois sûr que le cadavre était bel et bien mort, il s'agenouilla près de l'homme pour retirer le bout de tissu qui l'avait étouffé. Le lui enfoncer dans la gorge avait été difficile mais moins que le maintenir au sol pendant qu'il mourrait lentement. Avec la cultivation du jeune maître, ça avait été long…
très long.

He Shouyue ravala une fois encore son envie de vomir. Il ne pouvait se laisser aller à cette faiblesse. Si vomissait ici et maintenant, on le retrouverait facilement.

Il venait de tuer un homme de sang-froid. Il l'avait assassiné. Il avait réfléchit à son crime, avait prévu ses armes et l'avait exécuté lui-même.

Il était horrifié. Ou tout au moins, il aurait dû. Pourtant, il ne ressentait rien à part l'envie de vomir. Sa victime s'était souillée, l'odeur était difficilement supportable.

Le jeune homme sortit le petit paquet de gâteaux de riz gluant sucré qu'il avait réussi à se procurer. C'était la sucrerie préférée du jeune maître.
Ce genre de sucrerie était connue pour causer bien des morts chaque année. Surtout des vieillards ou des enfants, mais il n'était pas inconnu que des adultes bien portant s'étouffe avec.

He Shouyue se colla un des gâteaux de riz dans le bec pour le macher lentement jusqu'à ce qu'il arrive à cette texture collante et gluante parfaite pour se fixer dans la gorge quand on tentait stupidement d'en manger un entier. He Shouyue recracha la sucrerie, ouvrit de force la bouche du cadavre, lui mit le gâteau dedans, força la mâchoire qui refroidissait à le macher un peu puis l'enfonça profondément dans sa gorge avec ses doigts. Il disposa ensuite le corps et les meubles autour du mort pour simuler un étouffement et la tentative futile du maître pour retirer lui-même le gâteau du fond de sa gorge. Il le fit se mordre un peu les doigts pour les souiller de sang et du peu de salive qu'il avait encore dans la bouche.

He Shouyue prit un instant pour étudier son travail. Il était satisfait.

Il effaça toutes ses traces, récupéra la moindre de ses affaires, puis repartit comme il était entré en passant par la façade, de fenêtre en fenêtre jusqu'au petit placard qu'il avait utilisé comme départ.
le jeune homme faillit tomber trois fois mais il serra les dents.

Lorsqu'il sortit dans le couloir pour rejoindre les appartements de son maître, deux étages plus haut, il se fondit dans les ombres comme il savait si bien le faire maintenant.
Il toqua doucement à la porte et entra.

On verrouilla la porte derrière lui.

Un sursaut lui échappa.

Tout le clan Yuan était là.

Yuan Tànli bien sûr, mais tous ses élèves. Même ceux qui n'étaient pas encore libres. Même le plus jeune shidi.

Ils étaient tous là et ils le fixaient avec la même froideur attentive.
Assis sur un lit de jour, une tasse de thé à la main, le vieux chasseur le fixait de son regard d'aigle.

"- Alors ?"

"- Alors Maître Luo XianLe à tragiquement succombé à l'ingestion d'un gâteau de riz pas assez maché. Malgré les avertissement du maître guérisseur quant à son addiction pour cette sucrerie et les risques de les manger entier, il s'est malheureusement étouffé avec."

Une certaine incrédulité apparut sur tous les visages.

"- He Shouyue… Quelle est cette plaisanterie ?"

Le jeune homme avala sa salive.
Yuan Tànli ne lui avait pas ordonné de tuer Luo XianLe. Il le lui avait juste proposé. He Shouyue n'avait jamais tué. Il n'avait jamais été en position de devoir prendre une vie lui-même. Personne ne l'aurait moins considéré s'il avait refusé. Il n'était qu'un serviteur après tout. Un simple esclave. Qu'il se préserve était une évidence. Mais il avait accepté.
He Shouyue refusait de rester plus longtemps une victime des circonstances et un spectateur de sa propre vie. Comme Boya avait dû se réinventer pour survivre, il devait faire la même chose. Boya s'était épanouit au Yin Yang. He Shouyue s'épanouissait parmi des meurtriers et des assassins.

Tànli lui avait laissé toute latitude de la méthode. Il fallait juste que le maître soit mort avant leur départ pour le palais impérial le lendemain. Bien sûr, si He Shouyue avait été découvert, Tànli l'aurait abandonné à la mort. Mais He Shouyue avait monté un plan efficace et précis en moins de six heures.
Et voilà que la proie était morte. Morte d'un accident malencontreux dont tout le monde s'amusait à le moquer.

"- Le Karma peut être implacable, maître."

Le silence s'étira un peu avant que le premier gloussement se fasse entendre, puis un second. Tànli éclata soudain de rire, vite imité par ses élèves.

Ce n'était clairement pas ce que Zhong Xing voulait qu'il fasse pour son fils, mais le laisser à ramper sur les tapis aurait été du gâchis. Tànli avait fait la proposition par ennui plus qu'autre chose. Il ne s'attendait pas à ce que He Shouyue la saisisse. Encore moins qu'il ait les couilles d'aller au bout.

L'ancien échangea un coup d'œil avec ses élèves.

Ils étaient tous d'accord.

Ils avaient un nouveau frère. Un qui resterait dans l'ombre encore un moment, mais son statut n'était plus celui d'un simple esclave. Être un disciple de JingYun n'était guère mieux bien sûr mais… Au moins, c'était son choix et sa vie.

Zhong Xing avait accepté l'invitation de Boya à le rejoindre dans le Jardin de Fragrances. Zhong Xing y avait déjà fait un tour l'avant-veille mais le jardin était une telle symphonie de couleurs et d'odeurs qu'il était impossible de s'en lasser.

Il y trouva son disciple baigné et habillé de frais, avec des gnons à peu près partout. Tout le Domaine Intérieur avait entendu les échos de son entrainement. Zhong Xing comme les autres. S'il était fier de ses capacités martiales, il était un peu consterné de le voir à ce point amoché. Tout le monde avait-il oublié qu'il restait un handicapé ? On ne cognait pas si fort sur un aveugle ! Quand bien même il avait un troisième œil !

"- De quoi voulais-tu me parler, Boya."

"- Ce serait plutôt à moi de vous poser la question, Zongzhu. Vous êtes agressif et brutal depuis votre arrivée. Je peux comprendre que vous m'en vouliez pour ce qui est arrivé à votre fils. Mais votre agressivité va finir par réellement heurter le Seigneur Anbei à ce rythme."

"- Tu te fais l'avocat de ton mari ?" Railla le vieux cultivateur.

Boya lui jeta un troisième œil choqué.

"- Zongzhu ! Enfin !"

Le vieil homme ferma les yeux. Il fallait qu'il règne sur sa fureur.

"- Je suis désolé, Boya. Je ne sais pas pourquoi cette situation me met dans tous mes états. Enfin... Si. Je le sais. Mais ni toi, ni le Seigneur Anbei n'avez à subir mon agacement."

"-... Comment va He Shouyue?" Depuis son arrivée dans le nord, Boya avait fait de son mieux pour n'avoir aucune nouvelle de lui.

"- II... Il semble qu'il aille... mieux ? Il murit." C'est déjà quelque chose.

"- Je suis désolé."

"- Encore une fois, tu n'es pas responsable. Ce n'est pas toi qui a élevé cet enfant depuis sa naissance. Tu es même sans doute le seul à avoir fait les efforts nécessaires pour le comprendre. Je crois… Qu'il a vraiment honte de ce qu'il a fait." Zhong Xing hésita. "Est-ce que... tu accepterai de lui écrire ?"

Boya pinça les lèvres. Pourquoi lui demander encore quelque chose avec lui ? Il avait assez donné n'est-ce pas ?

"- Zhong Xing."

"- Non, entends moi Boya. Je ne te demande pas ça pour lui. Mais pour toi. Si tu ressent le besoin de lui demander des comptes, fais le. Même si c'est pour le mépriser, cela vous ferait du bien à tous les deux. Il a besoin d'être confronté à la réalité de ses actes. Et tu as besoin de solder cette trahison."

Le chasseur resta silencieux. Présenté ainsi, il ne pouvait qu'accepter que c'était effectivement une bonne idée. Il avait bien des choses à dire à He Shouyue. Le faire par écrit, lui qui avait tant de mal à parler, n'était pas forcement une question idiote.

"- Je le ferais sans doute."

"- Merci."

Le silence s'étira lentement entre Boya et le nordiste. L'aveugle avait ouvert son troisième œil pour profiter du Jardin des Fragrances comme jamais personne d'autre ne le pourrait.

"- Tu as l'air de te plaire ici."

Le jeune homme referma son œil.

"- ...Je m'y sent... à l'aise."

"- Malgré ce que le Seigneur Anbei te demande ?"

"- C'est juste pour la galerie."

"- Et s'il venait te demander à ce que tu te comportes comme son épouse? En faisant pression sur toi parce que "tout le monde sais" ?"

Boya secoua la tête.

"- Ce n'est pas son genre."

"- C'est un démon!"

"- Mais pas un agresseur."

"- C'est un démon quand même !"

"- C'est vous qui m'avez poussé dans ses bras."

"- Quoi ?"

"- Quoi ? Comment ça quoi ?"

"- Je ne pensais pas qu'il voudrait faire de toi sa femme ! Juste un géniteur ! Et ce n'est pas la première fois après tout."

"- Quoi ?"

"- Quoi ? Comment ça quoi ?" Répéta Zhong Xing.

"- Comment ça faire de moi un géniteur ?" Avait-il la preuve qui expliquait tout ? Boya avait-il eut raison ?

Zhong Xing pâlit d'un coup.

"- Ho... Alors il ne t'as rien dit ?"

"- Rien dit de quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire ?" Se mis en colère le chasseur qui planta là le chef de secte pour retourner au pas de charge à la recherche du renard démon qui tenait audience avec sa cours maintenant que la petite sauterie qu'il avait organisé avec Weilan à son corps défendant était terminé.

Boya voulait qu'on lui mette les point sur les i et les barres aux t maintenant. Il en avait plus que marre de naviguer en eau trouble. Si QingMing voulait sa contribution en liquide, il n'avait qu'à le dire une fois pour toute !

Boya débarqua dans la salle de réception avec la délicatesse d'un taureau furieux.

"- ANBEI QINGMING !"

Le seigneur démon glapit de surprise sous la fureur de l'humain. Il alla même jusqu'à se cacher derrière ses queues.

"- Boya Daren ?"

"- Votre bureau. Maintenant." Ce n'était pas une requête, mais un ordre.

Le renard démon hésita un instant, quand même irrité que l'humain se permettre de telles excentricités. Quand Zhong Xing déboula à sa suite, livide, le renard sut immédiatement que le chef de secte avait mis ses deux pieds dans sa bouche en même temps.

QingMing avala sa salive. Il descendit de sa petite estrade pour offrir son bras à Boya qui le prit un peu rudement mais le prit quand même.

Sans rien dire à sa cour, QingMing entraina avec lui Boya pendant que Xue TianGou et Kuang HuaShi fondaient sur le chef de secte comme des oiseaux de proies sur un pauvre lapin blessé et l'entrainèrent dans les appartements fournis à la secte du Yin Yang pour obtenir des réponses.

Les sourcils froncés, Mi Chong prit en charge la cours en attendant que leur seigneur revienne. Elle appréciait Boya en général, mais plus le temps passait et plus il prenait ses aises. Ça l'agaçait de plus en plus. Il n'était pas Anbei Furen. Il n'était rien. Il n'était là que grâce à la générosité de leur maître.
Elle régna sur sa colère pour s'occuper des démons qui attendaient le bon vouloir de leur maître. Ce n'était pas la première fois qu'une séance de cour s'interrompait soudain. Les membres de la cours acceptèrent le thé et les petits gâteaux, tous curieux comme des chattes proches de la mise bas. La présence de Anbei Furen mettait de la vie dans le ronron trop calme du Domaine, il fallait avouer. Mais le voir débarquer furieux et de la violence au poignet ne pouvait que le rendre plus charmant encore pour des démons. Alors pour son époux... Ils avaient tous sentit l'état de leur Seigneur. Il n'était pas inattendu qu'il se fasse sauter dessus par son partenaire une fois celui-ci prêt. Les humains étaient plus compliqué que les démons à évaluer de ce côté-là.