Chapitre 1 : Promesse
« Reste là, je ne serai pas long ! »
Sa fille de 16 ans, Daisy, sortit de la voiture, alors qu'il venait tout juste de se garer pour que cette dernière puisse déposer un colis qu'elle souhaitait envoyer à sa mère. Alec Hardy avait juste grogné de mécontentement, légèrement agacé. Non pas que cela le gênait d'emmener sa fille adorée au bureau postal, mais cela le frustrait qu'elle ne lui ai pas laissé faire. Elle avait lâché un « je suis assez grande pour me débrouiller toute seule » lorsqu'il avait proposé d'envoyer le colis de lui-même.
Depuis la fin de l'affaire Winterman, Daisy avait muri et avait repris confiance en elle, elle appréciait même Broadchurch plus qu'il ne l'appréciait lui-même. Elle s'était fait une très bonne amie, Chloé Latimer, chez qui elle se rendait parfois tous les week-ends, quand il est pris dans une affaire. Elle paraissait plus heureuse et plus épanouie et cela soulageait un peu Alec.
Cependant, il avait remarqué qu'elle restait protectrice envers lui, elle avait développé ce besoin de s'occuper de lui quand il rentrait du travail, tard souvent, lui préparant des repas, lavant son linge sale, prenant soin de sa maison. Alec lui avait plusieurs fois dit de ne pas le faire, mais elle avait insisté, prétendant que c'était un entraînement pour elle, quand elle sera étudiante dans une grande ville. Cette pensée l'effrayait alors, dans deux ans, elle le quitterait à nouveau, puis définitivement, elle deviendra indépendante.
Le temps passait si vite pour lui.
Ne pouvant plus de rester dans la voiture, il sortit pour prendre l'air, vérifiant sa montre, impatient. C'était beaucoup trop long, mais pas étonnant, étant le seul bureau postal, il y avait sans doute du monde qui attendait. Son dos s'appuya contre la portière de sa voiture et il balaya du regard la rue. Personne n'aurait pu imaginer que cette ville aussi paisible et si loin de Londres avait vécu deux affaires criminels. Lui qui penserait que ce serait un bon plan pour s'éloigner de tout ça, il avait tort.
« Excusez-moi, monsieur ? »
Alec sursauta et se tourna vers la voix qui l'interpellait. C'était un homme plutôt grand qui s'approchait de lui, il n'était ni trop jeune, ni trop vieux, d'une trentaine d'année, voire plus. Il avait de larges épaules et des muscles saillants pouvaient se voir à travers sa veste, portant deux gros sacs – dont un était une guitare - et tirant une grande valise. Ses cheveux d'un blond brillant ondulaient jusqu'à derrière son cou, il avait attaché ses mèches de devant par derrière, laissant quelques bouclettes tombés sur ses oreilles. Ses yeux étaient d'un bleu profond, qu'Alec aurait cru que c'était la couleur du ciel. D'ailleurs, il mentirait s'il disait que l'homme n'était pas beau. Il avait un physique qui ne correspondait pas du tout aux normalités de la ville.
« Je peux vous aider ? demanda-t-il poliment.
- Oui, je cherche…fit-il en fouillant dans ses poches, cette endroit. »
Alec saisit le papier et lut l'adresse d'un hôtel. Hôtel qu'il connaissait pour l'avoir fréquenté.
« Vous n'avez pas le GPS ? lança-t-il alors.
- Mon portable est HS, j'ai surestimé ma batterie, répondit l'homme.
- Vous suivez la grande rue et ensuite il y aura un croisement, vous verrez ce n'est pas loin et…
- Papa ? »
L'apparition de Daisy surprit les deux hommes. La jeune fille vint à eux, plutôt lentement, l'air suspicieux, c'était rare de voir son père parler avec quelqu'un d'autre que le DI Ellie Miller dans cette ville.
« Bonjour, salua-t-elle à l'homme, vous êtes un ami de mon père ? »
Ce dernier s'apprêta à ouvrir la bouche pour protester mais l'étranger répondit à sa place avec un rire chaleureux.
« Non, du moins, pas pour l'instant, je cherchais juste cet hôtel, déclara-t-il en désignant le bout de papier.
- Oh et bien, on peut vous y emmener, fit Daisy joyeusement, n'est-ce pas, papa ? Ce n'est pas loin.
- Quoi ? Mais…il peut y aller à pied, ce n'est pas loin comme tu dis, protesta Alec.
- Papa, aidons le, ça ne peut pas te faire de mal.
- C'est une perte de temps !
- Ne vous en faites pas, je peux y aller seul, intervint l'étranger avec un sourire charmant, c'est gentil à vous de m'aider.
- Vous êtes sûr, s'enquit Daisy, mon père…
- Absolument, j'aime marcher et j'ai besoin de me dégourdir les jambes, et puis je pourrai me familiariser dès maintenant à ces rues. »
Pour sa plus grande joie, l'étranger se détourna d'eux, prêt à traverser la route pour rejoindre l'autre trottoir, mais Daisy n'en démordait pas et l'arrêta.
« Ah, attendez, vous venez de débarquer, on peut s'échanger nos numéros, si vous voulez !
- Quoi ? Daisy, qu'est-ce que tu…
- Je m'appelle Daisy et voici mon père, Alec Hardy, se présenta-t-elle ignorant le regard scandalisé de son père.
L'homme cligna des yeux puis sourit alors, il prit son bout de papier et il tendit son téléphone à Daisy. Cette dernière s'en saisit et pianota un numéro à la grande consternation d'Alec, qui avait envie de jeter le mobile. Pourtant, il ne voulait pas de dispute avec sa fille donc il n'en fit rien.
- Je m'appelle Ervyn Logan, dit-il en lui rendant son téléphone, je vous remercie pour votre accueil, j'espère vous revoir très vite. »
Il leur fit un clin d'œil qu'Alec traduit cela comme séducteur envers sa fille. Cette dernière avait les yeux pétillants, ne cessant de fixer l'homme qui s'éloignait d'eux. Elle remarqua son regard insistant.
« Quoi ? s'exclama-t-elle en se retenant de rire.
- Dans la voiture, marmonna-t-il en ouvrant la portière, et il est trop vieux pour toi.
- Je n'ai rien dit !
- Je t'ai vu le lorgner.
- Le lorgner ? rit elle de bon cœur, tu es trop parano. J'ai juste voulu aider.
- Tu as donné ton numéro à quelqu'un que tu ne connais pas !
- Pas du tout, je n'ai pas donné mon numéro.
- Quoi ? Je t'ai vu le faire ! Et me dis pas que tu as donné un faux numéro, tu lui as proposé !
- Ne t'inquiète pas, papa, je lui ai donné le tien. »
.
.
Quand Ervyn Logan était arrivé à Broadchurch par le train, il ne s'attendait pas à une ville aussi calme. Il pouvait même percevoir le bruit de la mer et le vent qui soufflait au-dessus des falaises. C'était presque reposant alors qu'il venait d'arriver.
Personne ne l'attendait, il ne connaissait personne de toute manière. Il allait commencer une nouvelle vie et c'était un bon départ pour lui. Il avait tellement hâte. Se préparant à se diriger vers l'hôtel qu'on lui avait désigné, il s'était mis en tête de le faire à pied et seul. L'excitation d'une aventure nouvelle lui avait donné des ailes et se perdre pourrait être amusant.
Alors, bagages sous la main, il marcha quelques minutes, s'éloignant de la gare, se dirigeant avec les panneaux de signalisation. Malgré ce qu'il portait sur le dos, il se sentait léger. Des gens le toisèrent, pensant à un touriste, il les salua de la tête et à sa grande surprise, on lui répondit, certes sèchement, mais c'était mieux que rien.
C'est là qu'il le vit. Sans qu'il ne s'y attende. De l'autre côté de la route, il aperçut un homme fascinant. Il se figea alors, troublé par cette apparition, ses pas le menant à lui malgré lui. De la curiosité, de l'envie et un élan dirigé par ce qu'il appellerait « instinct », ses pieds se dirigèrent vers lui, le cœur battant.
L'homme se tenait contre sa voiture, patientant, exprimant un certain agacement. Ervyn pourrait dire qu'il avait même l'air de mauvais humeur et pourtant, malgré cela, il était définitivement attiré par lui. Tout l'attirait : ses cheveux bruns en bataille causés par le vent, sa barbe de trois jours, son maintien renfrognée, ses yeux bruns qui semblaient chercher le moindre menace. Aux yeux de Ervyn, il avait l'air de ressembler à un petit chat méfiant.
Son côté impulsif ne pouvait s'empêcher d'agir et d'en savoir plus sur l'homme qui le troublait.
« Excusez-moi, monsieur ? »
L'homme se tourna vers lui, un mélange de confusion et de surprise traversa son visage. Ervyn se surprit à penser que l'homme n'avait pas l'habitude qu'on l'interpelle de cette manière. Il était assez effrayant, vu de près. Mais c'était ce qui le rendait particulièrement captivant et attrayant à ses yeux. Ervyn prétendit alors qu'il cherchait son hôtel, répondant aux interrogations de l'homme, qui paraissait vouloir en finir rapidement. Ervyn se retint de rire, le trouvant amusant.
Il aurait aimé en savoir plus sur l'homme mais une jeune fille, sa fille, était arrivée le coupant dans son échange. Il cacha sa déception lorsqu'il la vit, imaginant alors que l'homme était déjà casé avec femme et enfant. L'échange avec le père et la fille concernant son sort l'égaya cependant, l'homme ne l'appréciait déjà pas, ce qui était assez étonnant. En général, on l'aimait du premier regard, il avait un physique et un relationnel très attachant, chose qu'on ne cessait de lui répéter depuis des années. Ervyn se faisait facilement des amis et obtenait la confiance des gens, bien malgré lui. C'était quelque chose qui l'épuisait en réalité, l'obligeant parfois à s'éloigner des gens pour son propre bien être.
Voyant que le père et la fille commençaient à se disputer à cause de lui, il dut intervenir pour les apaiser et les rassura vivement. Puis, soupirant intérieurement, il se détourna d'eux, un peu dépité d'avoir été emporté par son instinct.
Mais la fille était têtue, même face à son père. Elle insista pour garder contact avec lui, lui donnant alors son prénom et celui de son père : Daisy et Alec. Lorsqu'elle lui rendit son téléphone, il écarquilla les yeux devant l'écran, jetant un œil au père, qui avait froncé ses sourcils, fixant sa fille avec mécontentement. Celle-ci jeta un regard innocent à Ervyn, qui parvint à garder un semblant de sérieux, se questionnant sur ses réelles intentions.
Tandis qu'il partait, Ervyn Logan jeta un coup d'œil au nouveau numéro inscrit dans son téléphone et il esquissa un sourire. Il secoua la tête amusée, continuant de marcher.
Sur son écran était inscrit : « Alec Hardy » et son numéro de téléphone.
« Petite maligne, souffla-t-il ne cessant rire de doucement.
Comment avait-elle deviné qu'il était intéressé par son père ?
.
.
« Pourquoi as-tu donné mon numéro ? » s'exclama Alec alors qu'il suivit sa fille jusqu'à dans la cuisine.
S'emparant d'un verre d'eau, Daisy gardait toujours son expression taquine et amusée qu'il détestait mais adorait en même temps. C'était terriblement frustrant quand elle était ainsi, comme si elle avait un coup d'avance par rapport à lui. Normalement, ça le gênerait pas mais il était concerné !
« Il est nouveau, il aura besoin d'aide !
- Je ne suis pas l'office du tourisme ! protesta-t-il ne comprenant décidément pas sa fille.
- Ce n'est pas un touriste.
- Qu'est-ce que tu en sais ?
- Qui viendrait seul à Broadchurch pour faire du tourisme ? lâcha-t-elle avec dédain.
C'était dur à admettre, mais sa fille avait raison et elle était une observatrice terrifiante. Un peu désabusé, il s'engouffra dans son canapé, se frottant les tempes. Il fut rejoint par Daisy, qui lui enlaça son bras, posant sa tête contre son épaule.
« Je suis désolé, je ne voulais pas t'embêter, dit-elle doucement, mais tu n'as pas beaucoup d'amis, à part Ellie…
- Je n'ai pas besoin d'amis, tu me suffis, grinça-t-il.
- Dans deux ans, je ne serai plus là pour te supporter, il faut que tu t'ouvres à d'autres, papa.
- Et tu as trouvé la première personne venue aujourd'hui pour donner mon numéro, pour m'en faire un ami ?
- Il ne connait pas la ville, il ne connait personne, je me suis dit que ce serait bien que tu sois la première personne qui l'aide.
- C'est ridicule, c'est peut-être…un tueur en série…
- Bon sang, papa, on n'est pas au boulot ! Il y a plus de gens bien que de meurtriers dans ce monde ! »
Alec soupira, pas du tout convaincu. Imaginer être ami avec cet étranger était impensable. Et allait-il vraiment l'appeler ? Il espérait que non, bien qu'il sût que ce serait difficile, Daisy lui a quasiment dit qu'ils pouvaient l'aider si jamais.
« Si ce n'est pas pour toi, fais le pour moi, essaie d'être agréable avec lui s'il te demande de l'aide, essaie juste …de te lier à lui.
- Les gens me détestent en général, je ne suis pas sûr que ça marchera.
- Fais juste un effort.
- Très bien, expira-t-il, je ferai de mon mieux
- Promets moi que tu ne te défilerais pas…
- Ok, je te promets. »
