« Je veux mener une enquête en infiltration sur les Green block. »
Barber releva les yeux vers Hermione :
« Granger… Tu te rends compte qu'après l'esclandre de la dernière fois, t'es vraiment mal partie pour que je t'accorde quoi que ce soit ? »
Elle s'assit en face de lui, posa son dossier sur le bureau surchargé de son directeur de rédaction et commença sa longue liste d'arguments :
« Je connais l'écologie radicale comme ma poche, j'ai fait un semestre dessus à la fac et je t'ai déjà pondu six articles fournis et intelligents sur le sujet. Six articles que tu as d'ailleurs republiés, notamment dans un hors-série sur la planète et la conquête spatiale. Je peux te faire une putain d'enquête de terrain, relancer la Gazette sur des sujets de société. Ça te changerait des éloges à Jedusor et des interviews des ministres pour ta rubrique actualité. En plus, je suis certaine que le gouvernement a tout intérêt à ce que je mette mon nez ailleurs que dans ses affaires. »
Barber grogna. Il se leva, ferma la porte.
« Je te sers quelque chose ? »
S'il lui proposait de boire, c'était bon signe : il ne rejetait pas tout de suite sa proposition.
« Un gin tonic, s'il te plaît. »
Elle entendit le glouglou familier de l'alcool dans les verres et observa son patron revenir s'installer à son bureau.
« Une enquête sur les écolos radicaux…, reprit-il en lui tendant son verre. Tu sais pas dans quoi tu mets les pieds.
- Je te propose un truc que personne n'a jamais fait !
- Parce qu'ils sont dangereux.
- On les voit partout mais personne ne s'est penché sur eux ! Tu aurais une exclusivité incroyable !
- Tu sais très bien que c'est un terrain miné. Y a des politiques partout, les étudiants attendent les flics au tournant, c'est un nid de vipères.
- Je sais démêler les nœuds. Je fais ça tous les matins avec mes cheveux. »
Il ricana puis se frotta les yeux, s'assit. Il avait l'air fatigué. Hermione l'avait rarement vu aussi cerné. Elle avala une gorgée de son verre, sentit la chaleur de l'alcool lui brûler l'œsophage. C'était réconfortant, en quelque sorte. Ça faisait deux semaines qu'elle dormait mal et restait toute la journée à l'affût d'une sensation forte. Elle n'aurait pas réussi à l'expliquer, mais depuis sa garde-à-vue, elle ne tournait qu'à l'adrénaline.
Autant dire qu'elle avait du mal à se sentir en vie dans son train-train quotidien, entre les rubriques sport et horoscope de la Gazette.
« Tu sais bien qu'à la moindre bavure policière ils nous le feront payer.
- Pas si je n'ai pas ma carte de presse. Ils ne pourraient pas remonter jusqu'à toi.
- Ils te connaissent.
- Ils connaissent H. G. de la rubrique actu, nuance. Pas Hermione.
- Tu sortirais sans couverture ? »
Cette fois, Barber avait l'air ahuri.
Les journalistes ont toujours l'impression que la carte de presse est une sorte de joker d'immunité. Que, quand ils la brandissent, ils ont tous les droits. Hermione ne voulait plus de ça.
Elle en avait ras le bol de ressembler à un flic, de jouir de prérogatives qu'elle ne méritait pas, de fuir le danger derrière son statut de journaliste. De profiter autant du système.
Elle voulait prendre des risques.
« Tu serais prête à travailler en free-lance ?
- Pourquoi pas. »
Elle n'y avait pas vraiment réfléchi. Ces jours-ci, elle dormait à peine, et ses capacités intellectuelles étaient vraiment amoindries. Partir sur le terrain et agir lui semblait être l'unique chance de retrouver le sommeil.
Et des yeux gris obsédants.
Elle secoua la tête, chassant des images impromptues :
« J'ai discuté avec mon avocat.
- Pour que Londubat soit ton avocat, il faudrait que tu le paies...
- Il me remercie de toutes les heures où je lui ai fait réviser sa socio en L2. Il m'a dit que légalement, c'était un peu limite mais que ça pouvait passer, si j'arrivais à prouver que j'étais lanceur d'alerte à la fin.
- Tu pourrais y perdre plus que des plumes, reprit Barber après un silence, preuve qu'il réfléchissait.
- J'ai le sens du sacrifice. »
Elle tenait son bout de gras, prête à se battre pour lui.
« Pourquoi tu fais ça ?
- Pardon ? »
La question la prit au dépourvu. Elle aurait pourtant dû s'en douter. Barber n'était pas rédac chef par hasard : c'était un journaliste avant tout, il savait renifler un scoop.
Il savait quand on lui cachait quelque chose.
« Pourquoi, d'un coup, les Green block t'intéressent autant ? Ta garde-à-vue t'a pas suffi ? »
Elle grimaça :
« Faut croire que non.
- Qu'est-ce qui te motive ? Me fais pas croire que c'est juste pour dénoncer l'écologie radicale. Je te connais, Granger, je sais qu'il t'en faut plus pour que tu t'investisses autant dans un sujet. D'autant qu'ils défendent certaines idées qui te plaisent. »
Elle tenta de garder contenance, indécise quant à la marche à suivre. Lui avouer que Malefoy l'intriguait ? Qu'elle voulait s'approcher, comprendre comment un homme aussi brillant et policé était capable, en une heure, de passer d'un amphi bondé au cassage d'une vitrine ? De la plus grande civilité à la violence inouïe et aveugle en un claquement de doigts ?
Impossible de griller ses cartouches trop vite. Mais il fallait lui donner un os à grignoter, sinon Barber ne la soutiendrait jamais.
« J'ai… potentiellement un scoop.
- Tu ne fonctionnes pas au scoop. Achève. »
Elle hésita. Puis :
« Je crois que je tiens le fils du Secrétaire d'État dans l'affaire.
- Le fils Malefoy ? Le fils Malefoy est un Green block ? »
Enfin ! Barber avait mordu à l'hameçon.
« Il semblerait bien. J'ai besoin d'en savoir plus.
- Tu crois… (Barber baissa le ton, comme si les micros de Rita Skeeter s'étaient subitement planqués dans son bureau) Tu crois que le gouvernement couvre les exactions des Green block parce que les fils de ministres sont des casseurs ?
- C'est ce que je dois découvrir. Je suis déjà persuadée qu'ils ont tout intérêt à faire tourner des images de violence pour faire accepter la répression de Jedusor à la population. Si Drago Malefoy est de mèche avec son père, ça risque de faire pas mal de bruit. »
Barber reniflait le scoop, Hermione le savait. Il était capable de reconnaître les bonnes idées quand il en croisait une. C'est pas en faisant jouir des cruciverbistes sur des entortillements de matière grise qu'on pouvait faire tourner un journal.
On faisait tenir un journal en tenant le plus gros dossier de l'année. Et ça, c'était un gros dossier.
« Tu t'approcherais comment ?
- Infiltration de base, en deux semaines. Il me connaît déjà, ça devrait me permettre d'aller vite.
- Et, bien sûr, je te paye toujours.
- Je te promets un article du tonnerre. Je peux même aller jusqu'au livre témoignage. »
Barber la détaillait, pensif.
« J'hésite encore. »
Elle abattit sa dernière carte.
« J'écris bien, tu le sais. »
Il grimaça. Bien sûr qu'il le savait. C'était pas pour rien qu'elle était toujours embauchée à la Gazette, malgré ses nombreux démêlés avec les forces de l'ordre et son portrait sulfureux de Jedusor. Si Pansy Parkinson savait parfaitement cerner une personne, Hermione Granger saisissait le réel sur le vif. Elle comprenait bien les enjeux qui sous-tendaient les relations humaines et parvenait à mettre au clair les mécanismes profonds des sociétés humaines. Barber l'adorait pour ça – et la détestait aussi, bien évidemment.
« Je n'écris jamais mieux que quand j'ai vécu le terrain.
- Ils sont dangereux. »
Elle leva les yeux au ciel :
« S'il te plaît ! Tu ne vas pas me faire croire que tu crois aux racontars qu'on entend à la télévision ? C'est ta boîte qui fournit les faits-divers, tu devrais le savoir qu'en tant que journalistes, nous ne choisissons que la sensation ! Ils sont beaucoup moins dangereux que ce qu'on fait croire ! »
Barber soupira.
« Je veux un dossier béton. »
Elle lui tendit ce qu'elle avait préparé.
« Je veux que tu restes en contact, toujours, avec quelqu'un de la rédaction. Si Malefoy est réellement impliqué, il te faut comprendre l'esprit Serpentard. Parkinson sera ta taupe.
- Ma taupe ?
- Un duel de taupes. Je sais pas si elle bosse pour Malefoy, mais ils se connaissaient dans sa jeunesse. Ils ont fait leurs études ensemble. »
Barber avait appris les CV de ses employés par cœur. Hermione tenta de se rappeler ce qu'il pouvait y avoir d'embarrassant sur le sien. À part sa très vieille amitié avec un flic aux stups et ses fiançailles à rallonge avec le plus beau rouquin d'Angleterre, devait pas y avoir grand-chose.
« Elle pourra confirmer que tu t'es fait virer et que tu travailles plus pour la boîte.
- Je la mets dans la confidence ?
- À toi de voir. C'est comme au poker : y a que ceux qui jouent qui peuvent remporter la mise. »
Elle acquiesça.
« Je te le répète, Granger. Je veux pas me retrouver dans des histoires tordues, ni qu'on te retrouve dans un ravin avec une balle plantée dans le crâne sans qu'on sache si elle provient d'un activiste ou d'un flic. Je veux qu'un juriste ait regardé comment t'éviter la prison.
- Tu n'as pas compris. Je veux aller en prison. »
RaR :
Ivy : merci ! j'espère que le 7e te plaira tout autant. pas de malefoy mais du début d'action. merci pour ta review !
Cora Velena : merci pour ta review ! voici la suite^^
