Dans la salle à manger au mobilier défraîchit et aux murs noircis, une ambiance étrange régnait. D'un côté, il y avait la joie de s'être retrouvés. De l'autre la fatigue et le traumatisme d'une soirée interminable. Harry était le seul à savoir à quel point son intervention avait épargné les pires souffrances aux personnes présentes en ce lieu. Son Maître lui avait raconté. Voldemort aurait dû commencer avec Monsieur Wesley qu'il aurait torturé et mutilé devant toute sa famille. Il aurait été le dernier tué malgré tout, après Fred et Georges. Maugrey et Tonks auraient été emmenés à part et personne ne les auraient jamais revu. Ginny et Hermione subiraient des violences sexuelles à peine murmurables dont la plupart réalisées par Ron lui-même, contraint et forcé. Il finirait par s'arracher pratiquement les yeux à mains nues. Remus Lupin et son Maître auraient été les seuls à repartir en vie du manoir où ils avaient été prisonniers. Transportés inconscients, ils auraient connus trois années de captivité avant de parvenir à s'enfuir. Harry ne connaissait aucun détail de leur emprisonnement et n'avait jamais osé en être curieux. Son Maître l'aurait certainement rabroué s'il se l'était permis de toute manière.
Harry attendit que tous furent installés pour s'asseoir à son tour. L'idée de prendre une chaise librement et se positionner à table d'égal à égal avec tous ces sorciers lui renvoyait une image du disciple qu'il était peu glorieuse. Il n'osait même pas relever les yeux vers Severus Rogue, mortifié. Néanmoins, il savait que tous ignoraient qu'il était un disciple désormais et s'il voulait être entendu, il devait procéder par étape.
D'abord leur raconter toute l'histoire. Ensuite se comporter correctement.
- Tu nous as tellement manqué, on s'est tellement inquiétés, commença Hermione, les yeux noyés de larmes. Avec Ron...
Elle jeta un regard au concerné, assis juste à côté, et posa sa main sur la sienne. Ron eut un sursaut et alors que ses joues se colorèrent, Hermione ôta sa main pour la glisser sous la table.
- On pensait tous que tu étais mort, intervint Ginny, encore plus pâle qu'à son habitude.
Harry ignorait si c'était la phrase en question ou toute la situation qui la mettait dans cet état.
- Je suis désolé, je vous demande à tous pardon, murmura le concerné, aussi humble que possible.
- Tu es parti de ton propre chef ? Interrogea Fred, les sourcils froncés.
Harry releva un regard mal à l'aise sur ses amis, puis avisa un instant Rogue. Lui qui avait si souvent pensé au moment où il pourrait enfin tout raconter à ses proches, il se surprit à n'avoir qu'une seule envie : se réfugier sous la table aux pieds de son Maître et le laisser s'acquitter de cette tâche à sa place.
Malheureusement, personne ne comprendrait si Harry agissait de la sorte. Rogue encore moins que les autres, sans le moindre doute.
- Non, expira-t-il, mal à l'aise. Jamais je n'aurais fait une chose pareille.
- Est-ce que le Seigneur des ténèbres t'a enlevé ? questionna Tonks.
Ses cheveux rouges se tintèrent soudain d'un bleu qui rappela à Harry celui de Lyro.
- Est-ce que c'est lui qui t'a appris à faire... ce que tu as fait tout à l'heure ? ajouta précipitamment Georges.
- Oui ! La lumière bleue, c'était..., commença Ginny.
Mais elle fut brusquement interrompu par la main d'Alastor Maugrey qui s'abattit avec violence sur la table. Le cœur d'Harry loupa un battement tandis que le silence envahissait l'espace.
- Harry, interpella Arthur Wesley, non sans jeter une œillade assassine à Maugrey. Nous t'écoutons.
Nerveux comme jamais, il fut impossible au Survivant de pas aviser une fois de plus Rogue qui n'avait pas desserré les lèvres depuis son retour. En revanche, il fixait son élève comme s'il allait devoir le maîtriser d'une seconde à l'autre.
- Je..., débuta Harry, hésitant. C'est une histoire très longue.
- Nous avons toute la nuit devant nous, assura Lupin.
Harry hocha la tête avec entendement, même si étant donné l'état des personnes présentes ici, il doutait qu'elles tiennent debout encore des heures.
- Je vais avoir besoin que vous acceptiez une petite chose, précisa-t-il en gardant le regard baissé vers le centre de la table quelques instants, cherchant ainsi à paraître docile. J'ai besoin que vous gardiez vos questions pour vous, juste le temps que je vous raconte l'histoire d'un bout à l'autre, car j'ai peur de perdre le fil de mon propre récit.
Maugrey grogna et Harry lui accorda un coup d'œil. Le sorcier était encore plus hostile que le maître des potions dans ses plus mauvais jours.
- Bien entendu, intervint madame Wesley avec bienveillance. Tu es en sécurité avec nous et nous sommes là pour t'écouter, tu le sais, mon chéri.
L'appellation affectueuse lui provoqua une sensation chaude au creux de la poitrine. Harry lui offrit un sourire en retour, incapable de masquer son trouble. Après une dizaine de secondes, il inspira profondément et se lança :
- Voilà, tout a débuté avec vous, monsieur.
Le professeur Lupin écarquilla les yeux alors même que Harry accrochait son regard avec intensité.
- Le soir où j'ai disparu, vous êtes venu à Privet Drive, dans ma chambre. Que vous n'en n'ayez aucun souvenir est parfaitement normal, monsieur.
Harry esquissa une moue attristée à la pensée du Remus Lupin de l'époque.
- Mais je..., souffla Lupin avant de probablement se rappeler la demande du Survivant.
Un silence suivit, jusqu'à ce que Harry ait fait la part des choses dans sa tête et se sente capable de poursuivre avec des propos aussi clairs que possible.
- Dès votre apparition, je vous ai bien évidemment reconnu, mais... ce n'était pas non plus vraiment vous. Vous me paraissiez plus âgé et vous portiez des cicatrices étranges sur votre visage qui m'étaient complètement inconnues. Je me suis armé de ma baguette, pensant à une ruse de Voldemort, mais nous avons discuté quelques instants. Vous avez su me répéter des discussions que nous avons eues lors de ma troisième année à Poudlard et ce avec une précision impossible à falsifier. Je crois que ce qui m'a convaincu est le rappel de votre contrariété à mon égard lorsque vous avez découvert que je manquais de respect au sacrifice de mes parents en me rendant en secret à Pré-au-lard.
Harry avait rarement eu aussi honte que ce soir là. Lupin esquissa un sourire mal à l'aise alors que les regards convergeaient dans sa direction.
- À partir du moment où j'ai bien voulu croire que vous étiez celui que vous prétendiez être, vous m'avez révélé une part de l'avenir incroyable, conta Harry, le cœur battant la chamade à ces souvenirs. Vous m'avez dit que dans un an, jour pour jour, Vous-Savez-Qui parviendrait à piéger plusieurs membres d'une organisation que l'on nommait l'Ordre du Phénix ainsi que les enfants de monsieur et madame Wesley et Hermione. Qu'ils connaîtraient un sort abominable, que la majorité d'entre eux mourraient cette nuit là et que ce serait une délivrance pour eux. Seuls vous, monsieur, seriez épargné ainsi qu'un autre membre et moi-même.
- Quel membre ? bougonna Maugrey. Donne-nous son nom.
- Je ne peux prononcer son nom, répondit Harry avec honnêteté.
Depuis le jour où il était devenu disciple, il ne pensait et disait plus que le mot "maître" pour désigner l'intéressé.
Maugrey ouvrit la bouche, sans doute pour aboyer quelque chose de peu agréable au jeune sorcier, mais il fut coupé dans son élan par un "chut" de Tonks qui fixait Harry avec sérieux. Ron se mordit la joue, amusé malgré l'intensité du moment. Harry, qui quant à lui n'avait pas forcément envie de mettre la carte du disciple tout de suite sur la table, en profita pour poursuivre comme si de rien était.
- De ce que je sais, Voldemort m'aurait torturé jusqu'à obtenir ma soumission pleine et entière, à partir de là, il aurait fait de moi un sorcier hors du commun et m'aurait utilisé pour prendre le pouvoir plein et entier du ministère de la magie dans un premier temps, puis moldu dans un second. Environ deux ans plus tard, le monde aurait sombré en grande partie dans l'horreur et le chaos. Pour ma part, j'aurai fini exécuté publiquement par Voldemort une fois sa suprématie assurée.
Un regard furtif autour de la table permit au Survivant d'entrevoir des expressions interdites, voire tétanisées. La majorité dévisageait Harry comme s'il avait perdu l'esprit.
- À ce moment là, poursuivit Harry, l'ordre n'existait plus et les sorciers appartenant à la résistance ne se comptaient plus que sur les doigts d'une main. Vous en faisiez parti, monsieur.
Le visage du professeur Lupin se voila d'une émotion qui lui sembla difficile à contenir. Lui n'avait aucun doute sur les propos de son ancien élève.
- Quelques temps plus tard, vous avez alors établis avec vos confrères un constat : Lord Voldemort avait gagné la bataille et le monde lui appartenait. Changer les choses était impossible en l'état. Le seul moyen de sauver les sorciers et les moldus aurait été d'intervenir non pas sur le présent mais... sur le passé.
Une vague d'agitation parcourut la table et Harry fut étonné que chacun accepte si bien de contenir leurs questionnements. Même Maugrey bougonnait seulement dans sa barbe.
- Vous aviez par chance pu garder contact avec un vieil ami à vous : Johann Picoli.
Lupin se redressa légèrement, les yeux écarquillés, stupéfait qu'Harry ait pu avoir connaissance de l'existence de ce sorcier.
- Vous aviez une idée en tête et cet homme était le seul à pouvoir vous y aider.
Les regards des uns et des autres effectuèrent nombre d'aller retours entre les deux sorciers.
- Johann est un génie qui a mené des milliers d'expériences, expira Lupin, sous le choc. La plupart parfaitement illégales. Il espérait même un jour me guérir de mes transformations.
- J'ignore s'il y est parvenu, monsieur, se confia Harry avec douceur. Toutefois, avec les quelques membres de la résistance vous avez tout mis en œuvre pour réaliser un Retourneur de Temps hors du commun. Un qui permettrait de voyager à travers le temps sans avoir à revivre les secondes de chaque minute passée dans le temps remonté.
- C'est impossible, susurra la voix froide et implacable de Rogue.
Les épaules d'Harry se contractèrent dans l'instant. Il refoula sa première réaction qui aurait été de se murer dans le silence en priant pour ne pas contrarier davantage son Maître.
Cet homme n'est pas ton Maître, se rappela-t-il une fois de plus.
- Permets-moi d'en douter, Severus, murmura Lupin, le regard braqué sur le Survivant. Harry continue, s'il te plaît.
- Oui, monsieur, acquiesça-t-il, la boule au ventre. Avec ce Retourneur de Temps, vous vouliez modifier cette fameuse nuit que vous venons de vivre et empêcher Voldemort de commettre le massacre qu'il a commis dans la... dans la première version de l'histoire.
- Pourquoi ne pas avoir fait un bon dans le temps de quarante ou cinquante ans pour buter bébé Jedusor ? s'emporta Tonks.
- Les conséquences d'un tel acte pourraient être dramatiques, contra Lupin sans attendre. Si nous avons réellement voulu modifier un événement, il aura fallu agir au plus proche de celui-ci pour éviter les répercussions néfastes au maximum.
Harry acquiesça. La question de Tonks, il l'avait lui-même posée à son Maître, en des termes plus polis. Tuer Lord Voldemort dans l'œuf aurait complètement modifié l'histoire du monde et personne ne savait qu'elles auraient été les conséquences de cette modification profonde et violente. Jouer avec le Temps était dangereux, plus dangereux que Lord Voldemort.
- Mais... pourquoi être apparu une année avant ? demanda Lupin, perplexe. Et où étais-tu passé ?
Harry inspira profondément, songeant que le moment était venu de dévoiler la partie la plus complexe de l'histoire.
- Pour que je puisse être le sorcier que Voldemort a créé dans l'autre temps, monsieur, mais que je sois toujours du bon côté, révéla-t-il, la gorge nouée sous l'émotion. Vous m'avez parlé d'une prophétie, si vieille qu'elle avoisine davantage la légende que la véritable prophétie. Le légende du Lyro.
Le regard du professeur Lupin s'ecarquilla. Rogue remua sur sa chaise, ce qui n'était pas anodin. Tonks plaqua sa main sur sa bouche. Pour les autres, ils ne semblaient pas avoir la moindre idée de ce que le jeune sorcier évoquait.
- Connerie, souffla Maugrey.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? intervint monsieur Wesley.
Harry voulut répondre, mais les mots lui manquèrent soudainement. Son regard finit par rencontre celui de son ancien maître de défense contre les forces du mal qui décida de lui porter secours.
- C'est une prophétie à propos des Animagus, précisa-t-il. Un sorcier serait capable de se transformer en renard, mais pas n'importe quel renard. Un si puissant qu'il aurait en partie sa volonté propre et... son propre nom. Lyro.
Harry acquiesça de nouveau.
- Ce renard serait reconnaissable entre tous car il est, selon la légende pour le coup, magnifique. Il tire ses pouvoirs de la lune et confère à son sorcier des dons puissants. Il y a la télékinésie qui devient pour lui un jeu d'enfant et le pouvoir de guérir aussi.
Lupin sonda le regard d'Harry qui eut beaucoup de mal à ne pas rompre le contact.
- Et puis, on dit que Lyro donne à son possesseur le pouvoir de la lumière. Une énergie puisée dans l'essence même de la lune d'une puissance hors norme, qui peut s'opposer à n'importe quelle magie, même la plus redoutable.
En réponse aux explications du sorcier, Harry posa sa main à plat sur la table. Soudain, une lueur bleue nuit scintillante d'une beauté inégalable fila de ses doigts pour rouler sur la table en quelques gerbes. La démonstration suffit à tirer des exclamations d'étonnement. Harry, pour sa part, était nerveux comme jamais.
- C'est comme ça que tu as pu ouvrir la cage, conclut Tonks dans un souffle à demi impressionné à demi perplexe.
Harry récupérera sa main qu'il glissa sous la table, puis inclina la tête, cette fois-ci dans un signe plus docile.
Le silence qui fit écho à tout cela fut si intense qu'Harry se força à le briser. Il reporta son attention sur le meilleur ami de ses parents, songeant que c'était en quelque sorte plus facile de lui parler à lui directement. Après tout, c'était lui-même qui lui avait parlé de Lyro la toute première fois... même si désormais il n'en avait aucun souvenir.
- Vous m'avez appris tout cela, monsieur, avant de m'expliquer que là bas, dans son temps, votre plan était de faire de moi cet Animagus et de me former. Néanmoins, pour avoir suffisamment de temps, il a été décidé de m'envoyer dans ce qui devait être, à l'époque de notre conversation, notre futur.
Un frémissement étrange sembla traverser la table. Ron, qui était assis précisément face à Harry, le dévisageait avec le regard le plus écarquillé qui fut. Et il n'était pas le seul en état de choc.
- Alors, avec ce Retourneur de temps spécial, tu as pu voyager... comme ça ? s'étonna Arthur Wesley.
il avait claqué des doigts pour simuler l'image de la facilité avec laquelle il supposait qu'Harry ait pu réaliser le voyage temporel.
- Non, monsieur, précisa Harry en écho. Un tel Retourneur de temps... le prix à payer pour l'utiliser est le plus élevé qui soit.
Le Survivant n'osa pas formuler les paroles suivantes, mais Lupin le devança.
- Je suis mort cette nuit là, lâcha-t-il dans un souffle.
Les larmes aux yeux, Harry hocha la tête.
- Il faut donner une vie ? demanda Fred, mortifié.
Son intervention poussa les adultes à l'observer d'un même mouvement de tête, parfaitement synchronisé, comme s'ils avaient oublié la présence des enfants.
- Johann Picoli a donné sa vie pour que vous puissiez venir jusqu'à moi, précisa Harry d'une voix calme, un peu tremblante. Vous avez donné la votre pour m'envoyer là où je devais aller. Et...
Il fut pris d'une hésitation, songeant à la marque dans son cou. Un regard vers le maître des potions suffit à l'empêcher de cacher cette information. Au fond, il aurait espéré retrouver sa liberté, mais il savait que ce n'était pas possible. Il n'aurait pas dû avoir même cette pensée.
- J'ai été recueilli là bas par le sorcier qui est devenu mon Maître, avoua-t-il d'une traite. Il m'a formé puis renvoyé précisément à la date de l'attaque, cette nuit donc.
- Tu es un disciple ? s'étonna Lupin.
Harry garda le regard baissé tandis murmurait "oui, monsieur."
Des murmures s'élevèrent autour de la table jusqu'à ce qu'Alastor Maugrey se lève d'un bond, l'air mauvais.
- Disciple, tu dis ? grogna-t-il en commençant à contourner la table, la démarche lourde et boitante.
Harry se redressa légèrement, pris d'une angoisse. Les ennuis débutaient déjà.
- Oui, monsieur, répondit-il sans savoir quoi dire de plus.
- Elle est où ta marque ?
- Sur... sur ma nuque, mais...
Harry n'eut pas le temps de formuler une parole de plus. Maugrey le saisit par les cheveux et le força à se pencher sur la table. Harry se laissa faire, docile, et se permit seulement de poser les mains à plat sur la table pour ne pas s'y écraser complètement. De son autre main, Maugrey tira sur le col de la chemise d'Harry.
- Ce n'est pas nécessaire de le traiter comme ça, s'emporta Arthur Wesley.
Mais Maugrey ne sembla pas ému par l'emportement du père de famille. La seconde d'après, il tira les cheveux d'Harry en arrière. Ce dernier fut incapable de réprimer un gémissement.
- La marque est là et elle est scellée, annonça-t-il d'une voix rude. Qui dans cette pièce est ton maître ? Je paris qu'il est ici.
Il raffermit sa poigne et Harry résista malgré lui quelques secondes. Au fond de son cœur, il ne voulait pas que les autres sachent, il ne voulait pas tout recommencer à zéro avec l'homme qui se tenait à cette table. Harry avait tellement souffert sa première année de disciple. Il se savait d'avance incapable de reconstruire avec lui toute la relation qu'il avait créée avec son Maître. Maugrey lui tira plus fermement les cheveux, jusqu'à ce qu'Harry pose naturellement les yeux sur Severus Rogue.
Dès lors, tous comprirent et le choc fut collectif.
