La véritable première apparition de Link le chat ! Et oui, j'avais commencé ce thème avant "Février - Pollen/toxine de peur/sérum de vérité | Pollen/fear gas/truth serum" et c'est sans doute la raison de sa longueur. Et comme je m'étais mal renseignée, je pense que je suis coooomplètement hors sujet. Et l'intrigue n'arrive qu'à la fin.

Ça va aller xD

Les plats mentionnés ont été trouvé sur le compte Instagram de providencedeli

Bonne lecture !


La vie était quelque chose de mystérieux. De hasardeux. De secret.

Quand Jehd avait choisi ses études, les avait poursuivi aussi loin qu'il l'avait pu, avait collectionné les diplômes, les récompenses et les bourses de recherche, il avait un objectif bien en tête : marquer l'histoire de son nom en réalisant une découverte qui ferait vibrer à en réveiller les morts.

Puis, un jour, il s'était réveillé comme n'importe quel autre matin, avait observé son appartement bondé de livres, de feuilles volantes, d'objets ésotériques et absconds, de cartes froissées et disparaissant sous les épingles, et il se sentit vide. Il était seul, sans ami, plus de famille, et n'avait finalement plus envie de devenir ce chercheur émérite qui aurait sa photo au panthéon de la gloire éternelle ou allez savoir quoi.

Sa voie toute tracée devait être modifiée.

Évidemment, ça ne se faisait pas du jour au lendemain, il dut écrire bien des lettres d'excuses, d'explications, aller s'entretenir auprès de différents gens, de professeurs, de directeurs et d'autres chercheurs comme lui, pour leur annoncer sa défection. Il essuya beaucoup de déception mais aussi de la compréhension. Il était décidé, de toute façon, alors, pourquoi le retenir ? Quand des commentaires sur son jeune âge et sur leur impétuosité atteignirent ses oreilles, il se contenta de serrer les poings et de ne pas réagir. Tout cela n'avait plus aucune importance. Il savait à quoi il tournait le dos, mais il ignorait encore à quoi il faisait face.

Et, au lieu de ressentir de la peur, cet inconnu le grisait. Comme quand il frôlait du bout des doigts un nouvel indice dans sa quête. Et ça le conforta dans sa décision.

Ce n'était pas une impulsion, c'était la meilleure chose qu'il ferait de sa vie.


Si vous cherchiez, vous pourrez trouver bien des bibliothèques et des librairies à la Citadelle d'Hyrule, mais il en existait une qui avait amalgamé les deux concepts, tel un aveu de l'indécision de son propriétaire.

Éloignée des artères principales de la capitale, mais aussi des rues marchandes, il valait mieux s'armer de patience et d'un plan pour la repérer, comme si elle ne voulait pas être repérée. De toute façon, seule une certaine frange de la population la fréquentait, essentiellement des universitaires, des érudits de toutes sortes, des collectionneurs… Le niveau de connaissance contenu dans les ouvrages mis à disposition, la rareté de certains, les sujets qu'ils abordaient… tout cela mis ensemble suffisait amplement pour que le cercle social qui nécessitait leur accès sache où se diriger.

Les murmures qui s'élevaient entre les rayonnages étaient bien souvent des débats animés sur des sujets pointus, les tables d'études se retrouvaient rapidement envahies de notes précipitées et plus d'une fois le détenteur des lieux dut interrompre ses clients pour leur signaler qu'il devait fermer.

La marge était plus réalisée sur la vente de café et de thé que sur les abonnements et une forte ambiance assidue y régnait.

Ça, et un chat. Mais pas n'importe quel chat !

L'animal semblait partager l'amour de la lecture et des mots de son maître et des clients de celui-ci, respectant les livres bien qu'il se permettait quelques gentilles siestes sur les étagères surchargées ou les travaux précieux étalés, forçant bien vite les habitués à prendre l'habitude de réunir leurs affaires pour éviter d'avoir à le déplacer.

Les seules plaintes en son encontre provenaient des nouveaux arrivants qui apprirent bien vite que le seul à faire la loi ici était le félin et non la personne affable derrière le comptoir.

Vous ne l'aimez pas ? Empruntez ou achetez ce qui vous est nécessaire, et déguerpissez. Ce ne sont pas les lieux pour étudier qui manquent à la capitale ! Mais Jehd pas plus que les habitués ne prendront votre parti afin que vous restiez en leur compagnie et que le raminagrobis soit mis à la porte.

L'animal était d'une taille plus importante que ses congénères, doté d'un pelage sombre à l'extérieur mais qui révélait parfois de larges taches blanches, ayant tantôt l'air gris, tantôt brun. Deux yeux jaunes perçants paraissaient vous constamment, vous réduisant au silence d'un regard. Il transpirait la suffisance comme n'importe quel chat, régnant sur son petit territoire tel le monarque des lieux.

Jusqu'à ce qu'il rate un saut ou ne se laisse tomber sur les genoux d'un érudit, réclamant de l'affection en ronronnant avec force.

Il possédait un nom mais Jehd refusait de le prononcer, rosissant légèrement quand on lui posait la question, alors ils se contentèrent de le baptiser « le chat de la librairie » et de le caresser d'une main distraite alors qu'ils s'abimaient dans leurs concentrations.


Quand Jehd eut l'idée de proposer l'accès à tous les ouvrages qu'il avait pu amasser pendant ses études et ses travaux de recherche, il s'était empressé d'en parler avec l'université, dans l'idée de les leur prêter mais, sans essuyer un refus, il n'obtint pas l'accueil auquel il s'était attendu et repartit déçu, avant d'être arrêté par son ancien professeur de thèse qui lui avait suggéré une autre solution : créer son propre espace.

Et c'est ce qu'il fit.

Ce professeur avait toujours été de bon conseil, définitivement, il ne regrettait jamais de les suivre.

Une petite routine s'était installée, maintenant. Il ouvrait la bibliothèque tôt le matin, préparait la première cafetière et mettait l'eau pour le thé à bouillir, saluant les premiers arrivants. Profitant de leurs présences, il s'absentait et se rendait jusqu'à la boulangerie un peu plus loin pour y s'acheter son petit-déjeuner qu'il allait déposer à l'arrière pour le manger plus tard. Il retournait à l'avant accueillir et saluer les derniers membres de cette heure, puis il n'avait plus qu'à déposer le petit écriteau signalant son absence pendant qu'il s'esquivait pour savourer son repas matinal.

Il était très rare qu'il se fasse importuner par des nouveaux venus, le côté élitiste du contenu de ses rayonnages suffisant allégrement à trier tous ceux passant le pas de sa porte sans qu'il n'ait forcément besoin de rejoindre le comptoir.

Une fois la dernière miette avalée, il rejoignait son poste et trouvait de quoi s'occuper jusqu'au déjeuner.

Selon les horaires affichés à l'extérieur, il était sensé être fermé, mais pour avoir été lui-même dans la recherche, il savait que c'était un concept plus qu'une loi. Alors il ramassait les différentes commandes que les clients avaient déposé, avec les sommes prévues, pour revenir avec la nourriture demandée et la monnaie, les distribuant.

Qui tache paie était sûrement l'un des rares mots d'ordre.

Et c'était ainsi jusqu'au soir où il devait bien souvent briser l'application studieuse afin de pouvoir fermer et rejoindre ses quartiers.

De son côté, il lisait ou poursuivait ses propres recherches mais en dilettante, plus pour le frisson de la recherche que de celui de la découverte, celui qui l'animait autrefois. En tournant le dos au monde qui l'avait accueillit à l'époque, il ne s'était pas non plus fermé les portes. Il avait juste décidé que sa santé et son bonheur valaient plus que toutes les décorations dans ce bas-monde.

Vraiment, ça faisait seulement quelques années mais il ne regrettait pas un instant d'avoir pris cette décision. Pas même d'avoir tant tardé à ouvrir les yeux sur son mal-être, car il avait aussi bien conscience que tout était une question d'état d'esprit. La même action n'offrait pas le même résultat selon l'humeur dans lequel nous nous trouvions.

Et, actuellement, alors qu'il verrouillait les portes de son petit commerce et appelait son chat pour rejoindre leurs quartiers, la satisfaction simple qui l'envahissait était un ravissement, bien loin de la tension constante qui l'habitait à l'époque.

Définitivement, la meilleure décision de sa vie.


Arrivé fraîchement de son village natal, Link louait un studio dans une des rues les plus éloignées du centre-ville, autant pour son prix que pour éviter d'être dérangé par tous ces bruits typiques auxquels il n'était pas habitué.

Chargé par son père adoptif d'apporter au château l'épée et le bouclier représentatifs de Toal, il séjournait depuis quelques jours à la capitale à sa demande.

« Explorer Hyrule », hein ? Mais il était si bien, chez eux, pourquoi le faire ?

Mais il savait mieux que le contredire, alors il avait emballé ses affaires, sellé Épona et trotté jusqu'à la grande ville. Évidemment, en humble roturier, il n'avait pu confier sa charge directement à la souveraine, mais il s'y était attendu et avait vite décampé une fois que le serviteur lui avait assuré s'en charger.

Et depuis, il vagabondait sans but au travers des grandes rues, observant d'un regard neutre les gens qui s'y amassaient, les vitrines des commerces qui présentaient des habits qu'il ne comprenait pas, de la nourriture qu'il ne connaissait pas et des objets qu'il n'avait encore jamais vu.

Mais cet afflux d'inconnu ne l'effrayait ni ne l'intéressait. Il avait loué sa chambre uniquement pour faire plaisir à Moï et avait bien l'intention de retourner à Toal à la date prévue. Alors, à la place de visiter des endroits historiques ou d'admirer l'architecture des maisons, il passait ses journées à flâner dans les ruelles plus reculées, à câliner chiens et chats errants. Il vivait pratiquement sa meilleure vie.

C'était lors d'une de ses promenades sans but qu'il l'avait repéré.

Un majestueux chat qui avait l'air particulièrement doux, un appel vivant à des heures de longues caresses…

Sans y réfléchir à deux fois, il se précipita sur l'animal qui ne se fit pas prier, se roulant aussitôt sur le dos, offrant l'accès à son ventre avec gratitude.

Il n'en fallut pas plus pour qu'il obéisse et des ronronnements profonds et ravis s'élevèrent dans la ruelle.

Autour de cette bulle de bonheur, le monde continuait de vivre, des éclats de leur petite routine leur parvenant aux oreilles, mais ça n'avait aucune importance.

— LINK !

Ce soudain appel de son prénom le fit sursauter, éclatant la bulle de tantôt, mais bizarrement, le chat ne prit pas la fuite comme ç'aurait dû être le cas. À la place, il roula sur le ventre et miaula gaiement, l'air ravi, se frottant contre ces mains qui l'avaient câliné.

Des pas précipités se dirigèrent vers eux et rapidement un hylien surgit, le souffle court et un air inquiet, ses mèches rousses ayant quitté sa coiffure impeccable.

— Link, enfin, tu es là !

— On se connaît ?

Le mouvement de recul qu'il amorça et la surprise qui remplaça l'inquiétude sur son visage l'étonnèrent. Il l'avait bien nommé, non ?

— Toutes mes excuses, monsieur, je ne vous avais pas vu. Je suis à la recherche de mon chat et il semblerait que j'en oublie mes bonnes manières. Je crois l'avoir entendu miauler…?

Juste à ce moment-là, le chat se frotta contre ses chevilles nues, attirant son attention, avant qu'il ne s'éloigne de lui pour accourir vers l'autre personne, miaulant piteusement comme pour l'attendrir.

— Ah, tu étais là, vilain garçon, ça t'amuse de me faire courir, n'est-ce pas ?

Posant un genou à terre, il l'attira dans ses bras, plongeant son propre visage dans la fourrure douce avec un sourire.

— On rentre ?

Le chat miaula d'appréciation, donnant des petits coups de pattes sur le visage, déséquilibrant la paire de lunettes au risque de les jeter au sol, mais son maître eut tôt de les rattraper in-extremis, trahissant l'habitude.

— Vous êtes un vilain, très cher, commenta-t-il en lui tapotant le front.

Le regard tendre qu'il posait sur l'animal donna l'étrange impression au Toalien d'être de trop. Il décida alors de tirer sa révérence, malgré ses questions restées en suspens. Au moins, ce chat avait un propriétaire affectueux et soucieux de sa personne, c'était plutôt une bonne nouvelle.

— Oh, définitivement, je perds toute courtoisie ! Merci beaucoup pour avoir retrouvé mon chat ! Je ne sais comment vous remercier…

Il se tut quand son interlocuteur leva la main pour lui faire signe de cesser.

— Je n'y suis pour rien, je me suis contenté de le caresser. Il est très amical.

— Il est beaucoup trop amical, se plaignit-il dramatiquement. Ce n'est pas au goût de tous les clients, mais ils savent que se plaindre ne changera rien. Mon local, mes règles. Et ce jeune homme en joue bien, n'est-ce pas Link ?

Comme s'il comprenait ce qui avait été dit, le chat ronronna plus fort et se frotta contre son visage, l'air positivement ravi.

— Et… vous l'avez appelé… Link ?

— Oui ! En hommage au héros du temps ! Je sais que c'est ridicule et blasphématoire.

S'il s'était enflammé au début de sa phrase, il se recroquevilla pratiquement à sa fin, comme s'il s'attendait à devoir protéger son chat d'un éventuel coup.

— C'est aussi ainsi que je me nomme.

Cette déclaration provoqua une réaction immédiate chez Jehd : il se redressa subitement pour lui faire pleinement face, manquant de peu de balancer au sol sa charge, et un fard violent lui colora le visage.

— Je ne voulais pas vous manquer de respect non plus ! Oh par les déesses, ceci est la situation la plus gênante qui me soit arrivée depuis…

Mais il fut interrompu par un léger rire provenant de cet inconnu et, étrangement, ce son parut le détendre, la ligne de ses épaules s'arrondissant.

— Il faut vous détendre, vous savez ! Ce n'est qu'un prénom, et j'ai découvert que j'étais loin d'être le seul à le porter, rien qu'à la Citadelle, alors je ne vais pas vous en tenir rigueur !

Le rire joyeux qui ponctua sa déclaration parut illuminer la ruelle et détendit les épaules de son interlocuteur qui lui répondit d'un faible sourire.

— Vous êtes bien bon, tout le monde ne laisse pas passer cet affront.

— Alors, ce sont des crétins. Il n'y a bien que les prénoms royaux qui nous restent hors de portée, pour le reste, nous sommes libres de les utiliser pour nommer ce que bon nous semble.

— Je m'appelle Jehd, se présenta-t-il finalement. Je possède un commerce dans le quartier. Vous pouvez passer quand vous voulez pour rendre visite à Link, enfin mon chat, si vous en avez envie.

— Mon séjour tire à sa fin, à voir.

En voulant quitter l'endroit, il se rapprocha de lui et offrit une dernière caresse au félin qui l'accueillit avec toute la gratitude hautaine attendue de sa part. Avec cette nouvelle proximité, il se permit la liberté de plonger ses yeux dans ceux de cet hylien plus grand que lui, amusé de le voir détourner le regard, les joues rosissant légèrement.

Ce n'était pas très gentil, mais il sentait que ce Jehd pouvait être une source sans fin de taquinerie bon enfant. À voir ce que le futur leur réservera…


Jehd était un homme à routines. Tout chez lui était sujet à une routine, peu importe la tâche. Le moindre imprévu était un événement qui lui demandait de longues réflexions.

Pourtant, quand un nouveau client/visiteur passa la porte de sa librairie, non pas pour le savoir contenu entre ces murs, mais pour tenir compagnie à Link, il ne réagit pas en-dehors d'un sourire amusé qui devint attendri au fur et à mesure que les visites se multipliaient.

À chaque fois qu'il tombait sur eux, Link, l'hylien, prétendait être absorbé par sa lecture, pendant que Link, le chat, somnolait paisiblement à ses côtés.

Mais aucun des deux ne pouvait être constamment sur ses gardes et, plus d'une fois, Jehd les surprit dans leurs jeux silencieux ou des séances de gratouilles sans fin auxquels l'animal, bon prince, se laissait faire avec complaisance.

Plus d'une fois ses habitués durent le sortir de sa contemplation afin d'obtenir leurs renseignements, et il devint à son tour le destinataire de ces sourires amusés, ce qui le fit s'empourprer.

Seul son chat en était la cible !

Enfin, normalement…

Mais il était vrai qu'au fur et à mesure qu'il les observait, petit à petit, son regard attendri englobait de plus en plus les deux idiots qui se roulaient dans la poussière inexistante. Mais il s'en défendra jusqu'à la mort !


— « Le potiron à travers les âges » ? Tiens, je pensais l'avoir égaré…

Surpris, Link sursauta presque en réaction à la prise de parole. Pour une fois, il ne faisait pas semblant de lire et s'était perdu dans l'étude documentée, bien que son rythme était lent dû à son manque d'habitude. Certains termes lui restaient obscurs, par ailleurs.

— Euh, désolé, vous voulez que je vous le rende ?

Depuis qu'il avait pris l'habitude de passer une partie de sa journée dans cette étrange librairie, c'était peut-être la première fois qu'on lui adressait la parole, et c'était évidemment son propriétaire.

S'attendant à se faire remonter les bretelles, il tenta de se relever, mais à la place, Jehd se laissa glisser sur le sol, à ses côtés, nettoyant ses lunettes à l'aide d'un coin de sa chemise.

— Ma pile à lire est plus grande que moi, actuellement, et c'est une thèse, elle restera ici pour être consultée, donc j'ai tout le temps du monde pour m'y plonger de nouveau.

— Je peux rester par terre ? J'ai cru voir que les autres utilisent des tables, mais je suis mieux ici…

— Il n'y a pas vraiment de règle, tant que les ouvrages sont respectés. Ce sont principalement des chercheurs alors ils prennent des notes, ce genre de chose. Pour travailler, il vaut mieux être bien installé.

Ils se turent, Link retournant timidement à sa lecture, hésitant, s'attendant à tout instant à en être sorti pour plus de conversation. Mais contre toute attente, ce fut finalement lui qui la relança.

— Comment en êtes-vous arrivé à acheter ce livre ?

— C'est une thèse. Je ne l'ai pas acheté. Elle a été rédigé suite à la volonté d'un universitaire, après qu'il se soit rendu compte que nos ancêtres, quand ils vivaient encore dans les cieux, cultivaient énormément de potirons. Ou, du moins, de nombreuses traces de ce cucurbitacée se retrouvent à travers les différents témoignages que nous avons pu recueillir.

— Vraiment ? Je n'y aurais jamais cru…

— Ce n'est pas le seul à s'être penché sur la question ! s'enflamma subitement l'érudit. Il y a d'autres études sur la question, et peut-être même deux/trois impressions officielles qui trainent quelque part !

Il sauta sur ses pieds et entreprit de scruter les étagères remplies à déborder, avant que Link ne l'arrête.

— Euh, je ne suis pas un très grand lecteur, alors ne vous fatiguez pas, ça va me prendre un temps fou pour finir ça…

Jehd revint s'installer à ses côtés, calme.

— Pas de problème, vous n'aurez qu'à me faire signe quand vous le pourrez. Et que vous le souhaitez, bien sûr ! Je ne voudrais pas vous forcer non plus. La lecture se doit de rester un plaisir !

Link força un petit sourire à cette déclaration, bien qu'il n'en croyait pas un mot. Il avait très vite compris qu'un immense gouffre le séparait de ceux passant le seuil. Il devait dire ça par politesse.

— Par contre, si je peux me permettre, pourquoi ce sujet ?

— Les potirons ?

Il ferma l'ouvrage, gardant sa page en y glissant son doigt, montrant la couverture où de nombreux dessins du cucurbitacée s'étalaient, ainsi que sur la tranche.

— Je viens d'un village de Latouane. Le potiron, c'est tout un pan de notre vie.

— Oui, j'en ai entendu parler. Il paraît qu'il y a des champs à perte de vue recouverts par eux. C'est vrai ?

— Non, notre culture est assez réduite, nous ne sommes pas assez nombreux pour nous étendre autant que la demande le souhaiterait. On aurait besoin de plus de bras, mais d'un autre côté, ça prend six mois à pousser, donc l'installation de plus de gens serait contre-productif. Et, à vrai dire, la région n'est pas aussi fertile qu'on pourrait le penser.

Distraitement, il s'était mis à jouer avec les bandages recouvrant ses poignets pendant qu'il parlait, les yeux rivés sur l'étagère en face.

— Oh, je l'ignorais… Je suis navré de l'entendre.

Link haussa les épaules sans rien dire.

Il aimait son village et la vie qu'il y avait vécu. Initialement, il avait l'intention de rentrer chez lui au bout d'une semaine, mais étrangement, il ne l'avait pas fait, allongeant sa présence à la capitale pour une raison qui lui échappait encore. Pourtant, la seule chose qu'il faisait, c'était venir ici pour jouer avec le chat du propriétaire puis retourner à sa location, à attendre le jour suivant. Et, bien sûr, effectuer les corvées nécessaires, comme faire les courses ou cuisiner. Enfin, ne pas mettre le feu à la demeure.

— Ce que je trouve intéressant avec cette étude, reprit Jehd, ce sont les contes que l'étudiant est allé recueillir…

Pour illustrer ses propos, il se pencha dans le champ de vision de Link, feuilletant l'ouvrage jusqu'aux pages énoncées. Le jeune hylien avait retenu sa respiration involontairement, ses yeux rivés sur ces mèches rousses un peu ébouriffées qui envahirent sa vision. Leurs mains se frôlèrent et Link dut inspirer à nouveau. Un surprenant parfum de jasmin atteint ses narines et il manqua de peu de tenter de le suivre, se reprenant quand il conclut qu'il devait provenir du propriétaire. Et, aussi poli qu'il soit avec lui, pas sûr qu'il apprécierait de se retrouver avec son nez planté contre son crâne.

Heureusement pour lui, Jehd ne parut pas s'en rendre compte et poursuivit sur sa lancée.


— Ça fait longtemps que nous n'avons pas vu Link, déclara l'un de ses anciens professeurs en sortant ses lunettes du boîtier.

— Ah, navré, il tenait à se rendre au marché fermier. Il devrait passer dans l'après-midi. Vous voulez que je lui dise que vous vouliez le voir ?

Au lieu de lui répondre, le doctorant fronça les sourcils, déconcerté.

— Votre chat… vous a informé de son planning ?

Saisissant le quiproquo, Jehd piqua un fard monumental et tira sur son nœud, se râclant la gorge.

— Pardon, je pensais que vous parliez de mon… locataire. Mon chat l'accompagne, cela-dit, ils sont inséparables ! D'où son absence ces derniers temps.

— Ce qui est formidable avec vous, c'est qu'à chaque fois que je m'entretiens avec vous, j'ai l'impression de revenir à l'époque où vous étiez mon étudiant.

Il ponctua sa déclaration d'un rire puis revint à sa lecture, laissant le gérant plus rouge qu'un blob, ouvrant et fermant la bouche, formant des mots sans le son, avant qu'il ne se reprenne et n'aille prétendre avoir quelque chose à faire ailleurs, remuant des livres pour faire bonne mesure.

Les heures s'écoulèrent dans l'habituelle petite routine quotidienne, à peine troublé par la clochette sonnant à chaque mouvement de la porte, jusqu'à ce qu'un salut énergique ne retentisse à la place, accompagné d'un miaulement bien connu.

Rouge à nouveau, Jehd se précipita à l'avant pour avoir une meilleure vision des deux Link, clairement ravis de leur matinée et oublieux des préceptes des lieux. Il tenta de le rappeler à leurs mémoires en appuyant son index contre ses lèvres, mais peine perdue.

Son chat se frotta contre ses tibias en ronronnant bruyamment, faisant savoir à son maître tout le plaisir qu'il ressentait à le revoir et l'hylien lui tendit un sac dont une odeur merveilleuse s'échappait.

— J'ai croisé mon père au marché, il m'a donné ça ! J'ai pensé que tu apprécierais y goûter ? C'est un plat typique de Toal !

Aussitôt, la salive sembla inonder la bouche de l'érudit à cette déclaration, alors que son nez était honteusement soudoyé par le parfum savoureux qui se dégageait du mystérieux sachet.

Jusqu'à maintenant, il s'était essentiellement nourri par l'entremise du réfectoire de l'université, puis grâce aux quelques recettes basiques qu'il connaissait mais aussi les commerces de bouches environnants. Cuisiner ne le passionnait pas, préférant utiliser tout ce temps pour d'autres tâches ou, tout simplement, lire.

Il avait redécouvert - ou simplement découvert ? - le plaisir des papilles que pouvait être la vraie cuisine, des condiments relevant l'aliment le plus simple, les couleurs dans l'assiette, la pièce devenant le lieu de vie qu'elle était sensée être.

Link s'était tellement éternisé à la capitale qu'il était arrivé au bout de ses économies mais ne parvenait pas à se résoudre à rentrer chez lui. Pourquoi ? Il ne lui avait jamais vraiment répondu, et lui n'était pas du genre à forcer les gens pour obtenir une réponse, surtout quand ça ne le concernait pas. Alors, Jehd lui avait proposé de s'installer dans la chambre d'amis vide qu'il avait chez lui.

Après tout, ils se connaissaient depuis quelques semaines, maintenant, et même son chat l'avait adopté sans trop de difficulté, donc c'était parfaitement normal à ses yeux.

Il l'avait accueilli et une nouvelle routine s'était créée de manière si naturelle qu'on aurait pu croire qu'ils avaient vécu toutes leurs vies ensemble. Il n'y avait pas de gène ou d'incertitude, ils savaient.

Et Link avait fait de la cuisine son territoire, faisant rugir sa cuisinière à bois comme jamais il ne l'avait vu faire, lui faisant craindre le pire les premiers jours, avant que ça finisse par être la norme.

Il allait toujours quérir les commandes de ses clients pour leurs déjeuners, mais pour sa part, Jehd rejoignait Link dans leur appartement pour goûter au menu du jour, ou bien Link lui en apportait une part avant de s'absenter, mais c'était plus rare.

— Quel trésor caches-tu ? gémit-il presque.

Au lieu de lui répondre, Link rit, retirant l'objet de sa convoitise de sa vue.

— Pour le savoir, il faudra que tu me rejoignes à l'appartement, le taquina-t-il. Sinon, je mangerai tout !

Et sur ces mots, il quitta le commerce, suivi de très près par l'animal, ne laissant plus que le délicieux fumet comme preuve de son passage.

Quelques spectateurs impromptus rirent plus ou moins discrètement à cette scène, à l'incompréhension du gérant qui les contempla, perdu.

Son ancien professeur arriva à sa hauteur et lui tapota l'épaule, affichant un sourire entendu.

— Je suis ravi de voir que vous vous êtes trouvés quelqu'un. Vous ferez mieux de lui courir après mais aussi de revenir avec la recette ! Je crois bien que les estomacs de tout le monde ont gargouillé à la seconde où la porte s'est ouverte !

Confus au plus haut point, l'historien les salua et rejoignit Link qui terminait de mettre la table, s'asseyant devant un bol rempli jusqu'à ras-bord.

— Soupe de citrouille rôtie avec harissa et pois chiches ! Ma mère l'a confié à mon père, afin que tu puisses y goûter à ton tour !

— Est-ce que ça a une signification ? Une symbolique ?

Pensif, Link porta sa cuillère à ses lèvres, en suçotant l'extrémité, les yeux fixant le plafond.

— Pas que je sache. Au village, on prétend que c'est uniquement pour les gens à qui on tient, mais on en mangeait régulièrement. On est une petite communauté, après tout ! Bon appétit !

Une fois de plus, Jehd eut l'impression de revivre dès les premières bouchées, réchauffé de l'intérieur par les épices. Il fut sortit de ses pensées par l'onomatopée poussée par son voisin de table.

— Ah si, il y a quelque chose que mes parents répétaient souvent ! Il paraît que c'est avec cette soupe que ma mère a séduit mon père ! Tu veux du pain ?

Pour la troisième fois de la journée, l'érudit se sentit rougir, sans savoir pour autant si c'était en réaction aux piments ou si c'était autre chose…


Voracity Karn