12

Le petit matin trouva Daniel endormi sur le canapé, roulé en boule dans un plaid et Teal'c, assis à même le tapis, entouré de bougies récupérées dans le placard de la cuisine et de la salle de bain. Le Jaffa était assis en tailleur, plongé en plein Kelno'reem. Grâce dormait profondément, blottie sur ses genoux, entre ses bras puissants. L'enfant serrait contre son visage une écharpe de Sam. Daniel avait finalement eu l'idée de la lui donner comme doudou et la fillette s'était apaisée en sentant l'odeur de sa mère.

Alerté par la clarté du jour, Teal'c se leva, emportant la fillette avec lui sur son bras, sans même la réveiller. Il mit la cafetière en marche et se servit un jus de fruits avant de faire chauffer le lait du bébé.

Quelques minutes plus tard, Daniel émergea enfin, attiré par l'odeur du café.

Comme prévu, la nuit avait été courte et Grâce n'avait daigné s'endormir qu'aux alentours de quatre heures du matin.

C'était pire que les quarts off world…

Teal'c fit glisser la tasse à café vers l'archéologue qui le remercia d'un hochement de tête, ne voulant pas troubler le calme paisible de l'aube. Une fois la première tasse avalée, il s'en resservit une seconde.

Grâce s'était réveillée entre temps mais, le Jaffa lui avait habilement donné le biberon avant qu'elle ne se remette à pleurer.

– Je me demande comment font Jack et Sam… soupira Daniel. Je suis sûr que j'ai une tête à faire peur…

Teal'c haussa un sourcil, comme à son habitude, lorsqu'il ne comprenait pas une expression.

– Laissez tomber… souffla Daniel. On devrait retourner à la base, Jack doit être inquiet pour sa fille.

Il jeta un coup d'œil à son téléphone portable : pas de message. Donc la situation de Sam n'avait pas évolué durant la nuit.

Daniel ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou s'en inquiéter.

°O°O°O°O°

Jack avait passé toute la nuit au chevet d'une Sam aussi pâle et immobile que la mort.

Au matin, Janet lui proposa de prendre une pause et Jack finit par accepter en échange de sa promesse de l'appeler s'il se passait quoi que ce soit.

Un simple coup d'œil au scope informa Le Dr Fraiser que Sam n'était pas près de refaire surface. L'onde de l'entité était toujours là, plus forte que jamais. Elle avait trouvé un espace mémoire bien plus grand que celui de la réserve et elle se déployait, envahissant d'heure en heure le cortex de Sam. Janet ignorait si l'esprit de Sam était toujours là où si ce qui faisait Sam avait déjà été complètement effacé.

En allant à ses quartiers, Jack eut la surprise de croiser Daniel et Teal'c dans l'ascenseur.

– Salut les gars, lança-t-il d'une voix morne et fatiguée.

– Bonjour O'Neill, lui répondit le Jaffa.

Jack jeta un coup d'œil au cosy dans lequel se trouvait l'enfant. Grâce s'était miraculeusement rendormie dans la voiture. Le Colonel s'agenouilla aussitôt et effleura la main de sa fille d'un baiser.

– Est-ce qu'elle a été sage ?

Levant les yeux vers Daniel, il devina à la mine dépitée de son ami que la nuit avait été mouvementée.

– Pas vraiment mais, vu les circonstances, le contraire aurait été étonnant, répondit l'archéologue.

– Sa maman lui manque, souffla Jack.

– Comme à nous tous, acquiesça Teal'c en posant une main amicale sur l'épaule du Colonel.

– Merci encore de vous être occupés d'elle. Je vais l'accompagner à la crèche.

La nounou de la veille vit arriver le Colonel O'Neill, mal rasé, son treillis froissé, l'air triste et épuisé. Elle ne fit aucun commentaire une de ses collègues lui avait confirmé la veille que le Major Carter était à l'infirmerie dans le coma.

Prenant Grâce dans ses bras, la nounou murmura :

– Je vais prendre bien soin d'elle, Colonel. Vous pouvez être tranquille.

Jack la remercia d'un sourire qui n'atteignit pas ses yeux et prit la direction de ses quartiers.

Lorsque Jack reparut à l'infirmerie une demi-heure plus tard, douché et rasé de frais, il fut surpris de trouver Sam réveillée, assise dans son lit.

Janet ne parlait pas et avait un masque sévère sur le visage, ce qui musela instantanément l'élan de joie du Colonel.

– Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-il.

Il regarda Sam, cherchant la lumière et l'amour qu'il connaissait si bien au fond de ses yeux clairs mais, il ne trouva rien. Rien qu'un néant glacé qui le pétrifia.

– O'Neill.

Même sa voix était norme, dénuée de toute émotion. Il aimait tellement lorsque Sam prononçait son nom… leur nom. Il pouvait sentir son amour et sa fierté d'être sa femme rien que dans la façon qu'elle avait d'appuyer sur les syllabes.

Jetant un regard confus à Janet, il finit par demander à Sam :

– Et vous êtes ?

– Je suis dedans.

Après un silence perturbant, l'entité répéta :

– Vous êtes O'Neill.

– Oui, en effet…

– Cette unité vous a en mémoire.

Jack sentit une colère noire l'envahir.

Évidemment que Sam l'avait en mémoire !

– Cette unité est un être humain, une personne. C'est le Major Samantha Carter !

C'est ma femme !

Il aurait voulu hurler mais il savait que cela ne servirait à rien. Cette chose était quelque chose comme une machine. Froide. Observatrice. Manipulatrice.

– Donc je suis le Major… commença l'entité.

Cette fois, Jack explosa :

– Non ! Sûrement pas !

– Nous savons que vous contrôlez son cerveau, mais vous n'êtes pas le Major Carter, ajouta fermement Janet tout en posant une main apaisante sur le bras du Colonel.

– Libérez-la ! Sortez immédiatement du Major Carter ! Retournez dans l'ordinateur de la réserve ! ordonna Jack sans décolérer.

– Je ne peux pas. J'occupe désormais plus de place qu'il n'y en avait de disponible. Il n'y avait pas d'autre solution. Pas d'autre endroit où aller. Vous vouliez m'éradiquer.

– Nous le voulons toujours, gronda Jack, menaçant.

La voix du Colonel était dure, coupante comme une lame de rasoir. Lorsqu'elle croisa son regard, si sombre qu'il semblait noir, Janet sentit un frisson de peur la traverser.

Elle ne l'avait vu qu'une fois dans un tel état. Avant la première mission pour Abydos. Lorsqu'il venait de perdre son fils. Elle avait lu son rapport psychologique à l'époque et s'était étonnée qu'on confie un commandement à un homme aussi meurtri et instable…

La mâchoire de Jack était crispée et ses lèvres formaient une ligne sévère.

Depuis qu'elle travaillait au SGC, Janet avait appris à connaître Jack O'Neill. Grâce aux confidences de son amie Samantha, elle avait fini par découvrir la gentillesse, le courage, la fidélité sans faille de l'homme, sous ses abords abrupts et parfois cyniques du Colonel.

Et en cet instant, elle devinait parfaitement le dilemme terrible qui l'habitait : il voulait viscéralement tuer l'entité mais, il ne pouvait faire du mal à Sam.

– Mais vous ne le ferez plus, répliqua l'entité au bout de quelques secondes, comme si elle analysait les paroles de Jack et sa posture agressive. Je vous ai étudiés. Vous tenez à la vie de cette unité.

– Oui, on y tient, concéda Jack, à l'agonie, le cœur au bord des lèvres.

– Cette unité est importante.

Jack déglutit péniblement et concéda :

– C'est exact.

– C'est pourquoi cette unité a été choisie. Vous ne détruirez pas cette unité pour m'éradiquer. En conséquence, je survivrai.

Le raisonnement était imparable et Jack sentit qu'il devait sortir de là avant de dire ou faire quelque chose d'inconsidéré.

Serrant les poings pour contenir sa fureur et son désespoir, le Colonel jaillit hors de l'infirmerie et se retrouva nez-à-nez avec le Général Hammond qui venait aux nouvelles. Janet, qui l'avait suivi pour s'assurer qu'il allait bien, se figea et resta un pas en retrait.

Jack eut assez de présence d'esprit pour saluer son supérieur mais, son visage décomposé et ses yeux brûlants d'une colère difficilement contenue dirent à Hammond tout ce qu'il avait besoin de savoir.

Les nouvelles étaient mauvaises.

°O°O°O°O°

Jack écoutait sans entendre Daniel et Hammond échanger leurs points de vue sur la situation. Daniel restait persuadé que la communication était la meilleure voie pour trouver une solution qui ne blesserait pas Sam.

Janet, assise à côté de Jack, se taisait. À voir son regard sombre et pensif, elle ne semblait pas du même avis que Daniel, ce qui semblait être une grande première.

Jack soupira et la Doc se pencha discrètement lui pour murmurer :

– Vous tenez le coup, Colonel ?

Surpris, il se secoua et lui fit signe que oui, même si le cœur n'y était pas.

Il était noyé dans sa peine et la terreur de perdre Sam l'oppressait tellement qu'il ne parvenait plus à raisonner correctement. Seuls ses réflexes militaires le sauvaient de la folie.

Il connaissait tout ça. Par cœur. Il était formé à ça.

Il avait été bien souvent confronté à la mort et aux dangers. Que ce soit chez les Black Ops ou au SGC, il avait traversé de multiples situations de crise où il lui avait fallu accepter le sacrifice de certains de ses compagnons.

On ne laisse jamais personne en arrière…

Facile à dire… plus difficile à tenir.

Il avait bien dû renoncer à sauver SG10, prisonniers du trou noir…

Mais, là, on parlait de Sam.

Sa Sam.

Le cerveau le plus brillant de cette galaxie mais surtout, sa merveilleuse épouse et la mère de leur enfant.

Tout mais pas Sam !

Il n'était pas prêt à lui dire adieu.

Il ne le serait jamais.

– Très bien, essayez de convaincre cette chose de quitter le corps du Major Carter ! trancha Hammond.

Daniel le remercia mais, Jack ne reprit pas espoir pour autant.

Cette chose n'était pas humaine. Elle ne serait pas sensible à leurs arguments. Tout ce qu'elle voyait en Sam, c'était un espace de stockage où se développer ! Daniel perdait son temps !

Il se tint donc derrière l'archéologue, dans la pièce bouclée par deux militaires armés tandis que Daniel tentait de comprendre ce que pouvait vouloir l'entité en échange de la libération de Sam.

L'idée était loin d'être bête mais, Jack doutait que cela fonctionne.

– Si vous n'aviez pas interrompu la transmission, vous auriez été détruits, annonça froidement l'entité alors que Daniel lui demandait pourquoi elle était là.

Voilà. Au moins, c'était clair. Cette chose voulait leur mort.

– Mais pourquoi ? s'insurgea l'archéologue.

– Vous avez causé des dégâts en dedans. Votre sonde émettait des ondes radio.

– Oui, mais nous n'avions pas d'intentions hostiles…

– Il y a eu d'énormes dégâts… Je dois préserver.

Daniel comprit le premier ce que l'entité tentait de leur faire comprendre : les ondes radio émises par leur sonde avaient détruit une partie de la civilisation de l'entité.

– Nous sommes désolés. Nous ne savions pas. Nous n'enverrons plus de sonde. Nous ne reviendrons pas… s'excusa Daniel, pensant que rassurer l'entité la pousserait à libérer Sam et à accepter de retourner dans son monde.

Mais Jack ne l'entendait pas de cette oreille : il voulait se venger. Alors, il cracha :

– Oh que si, nous enverrons des sondes ! Des tas de sondes !

– Vous ne pouvez pas faire ça.

La voix de l'entité semblait soudain inquiète.

– Euh… Jack… commença Daniel, affolé par la tournure des événements.

Mais le Colonel ne l'écoutait pas. Il était comme enragé, proche de la folie. Une folie destructrice.

– Nous en enverrons des milliers et nous vous détruirons !

– Vous ne ferez pas ça, argua l'entité.

Jack se tourna vers Hammond, debout dans la salle d'observation vitrée, cherchant un soutien auprès du vieux Général.

Hammond approcha du micro et confirma d'une voix ferme et implacable :

– Nous en avons parfaitement les moyens et nous le ferons si vous ne libérez pas le Major Carter !

Le cœur de Jack soupira de soulagement en entendant ces mots.

Le Général n'était pas du genre à abandonner ses hommes, quels que soient les enjeux. Et Jack le connaissait suffisamment pour savoir que lorsque la vie de Sam était dans la balance, Georges répondait toujours présent.

L'entité commença à s'agiter, tournant la tête de droite à gauche comme si elle cherchait une solution à un problème insoluble. Puis, soudain, elle arracha les électrodes posées sur ses tempes et se leva.

– Non ! Laissez-la faire ! ordonna Jack aux soldats qui brandissaient déjà leurs armes pour la bloquer.

L'entité sortit de la pièce et quitta l'infirmerie en courant. Jack et Teal'c la suivirent, armés de Zat. Elle s'immobilisa soudain, bloquée de toutes parts par des soldats armés. Elle n'irait nulle part dans le corps de Sam.

– Ça suffit, rendez-vous, lui ordonna-t-il en la visant avec le Zat.

Avec un regard de défi, l'entité leva les bras vers le ciel et de violentes décharges électriques s'échappèrent de ses mains.

Jack la fixa, incertain de la conduite à tenir.

Que faisait-elle ? Essayait-elle de retourner dans le réseau de la base ? Voulait-elle s'échapper ?

Non, elle cherchait plus probablement à finir sa mission et à les détruire maintenant qu'il avait promis d'anéantir son monde…

Un instant, il regretta sa bravade.

Dieu, il aurait dû écouter Daniel, encore une fois…

Il sentait la présence de Teal'c, un pas derrière lui. Le Jaffa ne tirerait jamais sur Sam. Aucun des soldats de la base ne ferait. Même Hammond ne pourrait se résoudre à donner cet ordre.

Il le savait.

Il était le seul à pouvoir l'arrêter.

Alors, il tira. Une décharge. Priant pour cela suffise.

Le corps de Sam absorba l'éclair comme si elle s'en nourrissait et, avec le même regard provocateur, l'entité recommença à libérer son énergie en direction des câbles électriques qui couraient au plafond.

Un grand froid tomba sur l'âme et le cœur de Jack lorsqu'il réalisa ce qu'il allait devoir faire.

La balance se dessinait dans son esprit.

L'honneur et le devoir… face à l'amour.

Sam ne voudrait pas que cette chose qui la possédait tue des gens innocents. Elle était forte, loyale et elle croyait aux règles.

S'il voulait lui rendre justice, il devait faire ce qui s'imposait, quel qu'en soit le prix.

Alors, sans la quitter des yeux, il appuya sur le Zat et la seconde décharge jaillit. Elle enveloppa le corps de Sam qui s'écroula.

Lorsque Janet arriva avec l'équipe de secours, Jack savait qu'il l'avait tuée.

Il avait tué sa femme.

Teal'c lui posa une main ferme sur l'épaule, sans doute pour l'empêcher de s'effondrer aussi.

Son esprit était comme anesthésié. Son cœur, vide, saignait mille morts.

Il avait tué sa femme.

Lorsque Janet emporta le corps de Sam sur un brancard, Jack se laissa lentement glisser le long du mur. Assis par terre, les jambes repliées contre son torse pour tenter de boucher le trou béant dans sa poitrine, il resta là, sans bouger, sans pleurer durant un long moment.

Il percevait vaguement la présence de ses deux compagnons, silencieux à ses côtés. Ils comprenaient sa peine, son chagrin. Ils avaient vécu ce deuil tragique.

Pourtant, cette certitude ne consolait pas O'Neill. Rien ne le pouvait. La culpabilité était si grande qu'elle le lacérait entre ses griffes et l'étouffait totalement.

Finalement, la main de Daniel se posa sur son épaule et le secoua fermement.

– Jack, il faut vous ressaisir ! Grâce a besoin de vous !

À ces mots, Jack émergea doucement des ombres et reprit pied dans la réalité.

Daniel avait raison. Il lui restait au moins sa fille. Leur fille. Il se releva avec un grognement lorsque ses genoux protestèrent sous son poids.

Sans vraiment savoir pourquoi, il se dirigea vers l'infirmerie. Il avait besoin de la voir.

Sam était étendue sur un lit, reliée à des tubes et à des machines. Le tracé de son électroencéphalogramme était plat mais il n'y avait plus qu'une seule onde cérébrale.

Il avait réussi. Il avait tué l'entité mais, ça n'avait pas ramené Sam.

Jack s'assit sur la chaise devenue si familière et contempla son Amour. On aurait dit qu'elle dormait. Elle semblait presque sereine.

Au bout de quelques minutes, Janet entra dans la pièce. Elle hésita un long moment puis approcha et lui murmura :

– Je suis désolée, Jack.

– Je sais.

– J'ignore si Sam en avait parlé avec vous, mais elle m'avait laissé des instructions… Pas d'acharnement thérapeutique…

Jack soupira profondément.

– Non. Elle ne le voulait pas.

Il savait aussi ce que cela signifiait.

– Son cerveau ne montre plus aucune activité cérébrale. Ses organes vitaux ne sont maintenus en vie que grâce à ces machines…

Dieu, elle lui demandait la permission de la débrancher…

Jack déglutit pour contenir les sanglots qui broyaient sa gorge.

– Laissez-moi une heure… d'accord ? Juste une heure…

Ce fut tout ce qu'il parvint à lui répondre.

Janet hocha la tête, les yeux humides et le cœur lourd.

Elle s'éloigna. Et Jack resta là, à fixer sa femme, à se remémorer toutes ces fois où il avait attendu sur ce même siège qu'elle se réveille de ses blessures.

Il pria pour que cette fois encore, elle rouvre les yeux et lui sourit, attendrie de voir qu'il avait passé des jours ou des nuits à guetter son réveil. Il songea amèrement qu'il ne lui avait pas suffisamment dit « je t'aime » et qu'il ne l'avait pas assez souvent serrée dans ses bras.

Il se remémora l'odeur de son shampoing, le goût fruité de son rouge à lèvres, le parfum qu'elle portait lorsqu'ils sortaient pour aller au restaurant ou au cinéma, rien que tous les deux.

Il frissonna, enseveli par la tristesse.

Il se jura que si elle pouvait juste faire l'effort de revenir, il cesserait de vouloir sauver le monde et il se consacrerait à elle. À leur famille.

Parce qu'à quoi servait de sauver le monde si elle n'était plus à ses côtés…

Il ne restait déjà plus qu'une demi-heure du temps imparti. Jack décida donc de monter à la crèche et de récupérer sa fille. Grâce avait le droit de voir sa mère une dernière fois.

Sans sa présence, douce et innocente, il aurait sûrement fini par faire ce qu'il avait projeté après la mort de Charlie. Un pistolet. Une balle. Simple, propre. Définitif.

Mais, à présent que Grâce était là, ce n'était plus une issue possible. Il lui faudrait surmonter cette perte terrible et survivre, un jour après l'autre. Parce que c'était ce que Sam aurait voulu.

Il redescendit à l'infirmerie avec le bébé et posa l'enfant sur la poitrine de sa mère, la tenant pour éviter qu'elle ne tombe. Un instant, il espéra que Sam sentirait la présence de sa fille, sa chair et son sang et qu'elle reviendrait vers eux. Mais, ses bras demeurèrent tristement inertes, le long de son corps immobile.

Jack écrasa une larme sur sa joue d'un geste rageur.

Inconsciente du drame qui se jouait, Grâce s'amusa un peu avec la chemise d'hôpital de sa mère puis, enveloppée du doux parfum de Sam, elle se rendormit.

Lorsque Janet reparut à la porte de la chambre, Jack sut que c'était le moment.

Il confia Grâce à Daniel et ce dernier quitta la chambre en reniflant.

– Allez-y… souffla Jack, à l'agonie.

Mais, au moment où Janet allait arrêter le respirateur, l'alerte résonna dans la base.

Un problème à la réserve.

L'entité n'a pas été éradiquée ! songea immédiatement Jack.

Cette fois, il allait la passer au lance-flamme et il défiait quiconque de s'interposer !

Le Doc fit signe à Jack et Teal'c d'y aller avec un soulagement évident. Elle n'avait pas envie de mettre un terme à la vie de sa meilleure amie. Pas s'il restait une chance…

Jack et Teal'c pénétrèrent en courant dans la réserve. Le nid de la chose brillait à nouveau mais sur le moniteur, il n'y avait plus les lignes de code vertes du début.

Une unique phrase était répétée à l'infini et remplissait tout l'écran : Je suis ici !

Daniel rejoignit ses amis, essoufflé et déclara :

– C'est sur tous les écrans de la base !

– Où est Grâce ? s'inquiéta Jack.

– Avec le Général Hammond.

– Bon. On dirait que notre petit ami est toujours là… gronda Jack.

– Il a dû réussi à se retransférer ici avant le tir de Zat, proposa Teal'c

– Non, c'est impossible ! L'entité nous a dit qu'elle tenait à présent trop de place pour pouvoir réintégrer l'ordinateur de la réserve… contra Daniel tout en réfléchissant.

Un éclair illumina tout à coup ses yeux et il s'exclama :

– C'est Sam ! L'entité a dû stocker l'esprit de Sam dans la réserve avant d'être tuée !

– Mais pourquoi aurait-elle fait ça ? s'étonna Jack.

– Vous aviez menacé d'anéantir son monde si elle ne libérait pas Sam… Elle s'est sacrifiée pour préserver son monde !

– Allez chercher le Dr Fraiser ! ordonna Jack à un soldat en faction dans le couloir.

Le tracé des ondes cérébrales était formel : c'était bien Sam.

Avec prudence, Janet relia donc l'amoncellement d'ordinateurs au corps de Sam et s'écarta. Un flux d'énergie pénétra le corps du Major et les écrans redevinrent noirs derrière elle.

En revanche, l'ECG de Sam était à nouveau normal. Son esprit avait par miracle regagné son corps.

Lorsque le Major bougea la tête, le cœur de Jack faillit sortir de sa poitrine tant il était heureux. Il saisit sa main fine entre les siennes, guidant son réveil. Ses paupières papillonnèrent et Sam le fixa enfin. Ses immenses yeux clairs accrochèrent ses pupilles chocolat et un sourire fatigué fleurit sur les lèvres de la jeune femme. Malgré l'épuisement visible sur ses traits, Jack la trouva plus belle que jamais.

– Hey… souffla-t-il, la gorge nouée. Te revoilà…

– J'ai crié si fort pour qu'on m'entende… murmura-t-elle d'une voix éraillée par les tubes respiratoires.

– On t'a entendue, lui répondit tendrement Jack en se penchant pour déposer un baiser sur son front.

– Grâce ? demanda encore Sam.

– Elle va bien.

Georges Hammond émergea de la foule réunie autour du lit de Sam et lui montra sa fille, qu'il berçait tranquillement, un sourire attendri aux lèvres.

Rassurée, Sam referma les yeux et soupira.

– Repose-toi, mon amour, lui souffla Jack à l'oreille avant de l'embrasser à nouveau, sur les lèvres cette fois.

L'effleurement était tendre et léger et Sam se contenta de sourire de contentement.

Elle était en vie.

Elle était aimée.

Que pouvait-elle vouloir de plus ?

Et soudain elle sut.

Serrant la main de Jack qui s'apprêtait à la lâcher, elle souffla d'une voix plus forte :

– Il faut qu'on parle.

Si Jack fut surpris par sa requête, il n'en montra rien. Il se contenta de hocher la tête et de demander d'un signe léger à leurs amis de les laisser seuls.

Prenant tendrement la main de son épouse entre les siennes, encore un peu tremblantes, il murmura :

– Je t'écoute mon amour.

Elle déglutit difficilement et il lui tendit un gobelet avec une paille. Elle avala lentement quelques gorgées puis, quémanda à nouveau son attention.

Jack semblait étrangement calme après toutes ces épreuves.

Un instant, elle revit l'instant terrible où il avait tiré sur elle. Elle était prisonnière de son propre corps, incapable de communiquer ou de lutter. Elle ignorait s'il avait entendu ses cris alors qu'elle lui hurlait de ne pas hésiter. De l'achever.

Elle savait ce que cela avait dû lui coûter. Il était un soldat. Un guerrier comme dirait Teal'c. Mais il était avant tout un homme. Son homme. Et il n'avait sûrement pas été simple pour lui d'appuyer sur la détente. Elle n'était pas certaine, si la situation avait été inversée, qu'elle aurait eu ce courage.

– Merci… souffla-t-elle alors.

– De quoi ?

– D'avoir fait ce qui était nécessaire.

Jack échappa à son regard et baissa la tête. Elle comprit qu'il avait du mal à gérer ses émotions.

De sa main libre, elle enfouit ses doigts dans ses courts cheveux argentés et le caressa tendrement pour éloigner ses peurs.

Après un moment de tendre complicité, elle dit encore :

– Tu te souviens de ce que tu m'as dit dans le couloir, hier matin ?

Jack leva les yeux vers elle, intrigué. Elle vit une lueur d'espoir brûler dans son regard dévasté et pourtant empli d'amour. Et elle sut qu'elle avait fait le bon choix.

– Oui… répondit-il doucement. Je t'ai rappelé que tu n'avais qu'un mot à dire…

– Alors, je le dis.

Un silence passa entre eux tandis que Jack essayait de se convaincre de ce qu'elle était en train de faire.

Finalement, il souffla :

– Tu es sûre ? Je veux dire… Après ce que tu viens de traverser, tu devrais peut-être prendre le temps d'y réfléchir…

Sam lui fut reconnaissante d'essayer de la convaincre même si le soulagement qu'elle lisait dans son regard lui disait tout ce qu'elle avait besoin de savoir.

Caressant tendrement sa joue, elle confirma :

– Je n'irais plus off world. C'est fini.

Jack posa lentement son front contre sa main, sur le lit et sans un bruit, pleura.

De soulagement. De chagrin. D'amour.

Une heure plus tard, le Colonel O'Neill se présenta à la porte du bureau du Général Hammond, le visage serein et résolu.

– Colonel ! Est-ce que Sam se sent un peu mieux ?

– Oui, elle récupère, merci. Mon Général, puis-je vous parler ?

– Bien sûr, entrez.

Georges contempla son second qui fermait lentement la porte et il pressentit que ce geste représentait beaucoup plus qu'il ne semblait.

Puis, Jack se mit au garde à vous devant lui et exprima posément la requête qui allait tout changer.

Les dés étaient jetés. Tout allait changer. Tout devait changer.

Car après tout, à quoi sert de sauver le monde s'il faut vivre sans amour.

Résigné, le Général soupira et décrocha le téléphone rouge posé sur son bureau. Ce qu'il s'apprêtait à demander au Président, il y réfléchissait depuis un bon moment déjà. C'était l'occasion ou jamais de récompenser le Colonel O'Neill pour toutes ses années passées à sauver leurs peaux au péril de la sienne.

Et il était aussi temps pour lui de passer à autre chose…

A suivre dans un ultime chapitre…