Lorsque Noah monta à l'étage le soir venu pour annoncer à son fils que le repas était prêt, il trouva celui-ci allongé par-dessus les draps et profondément endormi. Stiles avait le sommeil léger : en temps normal, il se serait tout de suite réveillé en entendant le bruit caractéristique et à moitié discret que faisait sa porte chaque fois qu'on l'ouvrait ou qu'on la fermait. En tout cas, c'était quelque chose qu'il entendait toujours.
Mais pas cette fois.
Il dormait à poings fermés, épuisé. Pas complètement remis de ce qui l'avait conduit à l'hôpital. La mort qui l'avait frôlé ne l'avait finalement pas laissé indemne. Une tristesse immense traversa Noah, qui hésita à le réveiller. Juste pour avoir une réaction de sa part, quelque chose… Et lui faire reprendre ces forces qu'il lui manquait. A l'hôpital, Stiles n'avait pas beaucoup mangé et il fallait avouer que la nourriture n'y avait pas été très ragoutante – elle l'était rarement. Alors, Noah s'imagina le fait qu'il comprenait. Que Stiles n'avait pas bien mangé parce que… Ce n'était pas bon. En tout cas, il préférait cette version à l'autre, tout aussi tenace, dans laquelle Stiles n'avait juste… Plus envie de manger. Plus envie de reprendre quelque force que ce soit. Plus envie de faire fonctionner son corps. Plus envie de vivre.
Oui, Noah continuait à avoir du mal à digérer cette histoire et peinait à accepter pleinement la version de Derek qui était pourtant beaucoup plus rassurante que celles qu'il s'imaginait. Disons que le shérif ne voulait pas non plus se faire de faux espoirs trop vite. Il avait besoin d'attendre, d'avoir des preuves de cela. Il était de ceux qui ne croyaient qu'à ce qu'ils voyaient – ou presque.
Figé sur le seuil de la chambre, le shérif se demanda si le réveiller était une bonne idée. Après tout, manger pouvait attendre. Stiles se reposait et… Pour qu'il n'ait pas entendu le bruit qu'avait fait sa porte, c'est qu'il devait être réellement épuisé – et non, il ne faisait pas semblant de dormir. Au fur et à mesure des années, Noah avait appris à voir le mensonge… De ce côté-là, du moins. Là, son visage était extrêmement détendu, trop pour que cela soit feint. L'adolescent avait tout de même vécu une rude épreuve qui l'avait obligé à rester à l'hôpital quelques jours… Ce n'était pas anodin et même si Stiles avait passé une bonne partie de son temps à dormir, il avait passé le reste à penser – Noah ne le savait que trop bien. C'était fatigant et ça ajoutait à l'épuisement de son corps. Alors, le shérif soupira en refermant doucement la porte. Stiles pouvait se reposer, il mangerait plus tard.
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Le problème avec la situation présente, c'est qu'elle comportait bon nombre de trous. Le lendemain, Stiles gardait le silence dans chacune de ses actions. Trois jours plus tard, rien n'avait changé non plus. Qu'importe s'il croisait Noah ou Derek dans la maison, il maintenait sa bouche close et son regard se posait partout, sauf sur leurs silhouettes. Il n'était même pas surpris de constater que Derek était toujours là. Le fait que celui-ci ait dormi ici devrait l'étonner, lui faire avoir une réaction.
Mais non.
Pourtant, Derek avait choisi de ne pas s'alarmer et donc de tranquilliser Noah à ce sujet. La saine colère qu'il avait déjà sentie dans son odeur était toujours là… Sous couvert toutefois d'une forme de résignation qui, elle, ne lui plaisait pas. L'on avait essayé de le faire parler, de lui faire sortir au minimum quelques mots, en vain. Stiles se bornait à rester silencieux et à les ignorer tout en montrant qu'il les voyait. Il devait sans doute leur en vouloir, mais… Pour quelle raison ? Derek lui-même ne saurait le dire avec précision. Une chose était certaine, il était d'avis qu'il fallait lui laisser du temps et ne pas le brusquer. Même s'il n'avait hypothétiquement pas été l'auteur de ce qui avait été identifié comme une tentative de suicide, se réveiller à l'hôpital et apprendre cela avait été un choc. Parce que, qu'il soit l'auteur de cet acte ou non, Stiles n'avait aucun souvenir de cet évènement. Rien. Il en connaissait juste les conséquences. Son coma, l'attitude de Noah… Et c'était tout. Au final, Stiles était peut-être le plus perdu dans cette histoire qui, aux yeux de Derek, n'avait pas de sens. De son avis à lui, on avait attenté à la vie de l'hyperactif en faisant passer cela pour un suicide. Jusque-là, c'était à peu près cohérent. Le problème là-dedans, c'était le motif. Qu'est-ce qui pourrait, chez Stiles, susciter suffisamment de haine pour pousser quelqu'un à essayer de lui ôter la vie ? Cela obligeait notamment à se questionner sur l'identité du tueur, ce qui ramenait indubitablement Derek à cette fameuse motivation.
De son côté, Noah était retourné au poste, même si ça ne l'enchantait pas. Savoir Stiles surveillé en permanence par Hale le rassurait néanmoins : Derek lui avait prouvé sa valeur suffisamment de fois pour qu'il cesse d'avoir des doutes à son sujet. C'était un homme sombre d'attitude, mais bon à l'intérieur. D'un autre côté, travailler permettait au shérif de s'évader un peu de ce quotidien devenu difficilement supportable. Il avait beau être fort, Noah marchait sans arrêt sur un fil. Celui de sa santé mentale. Alors, un retour à la normalité était nécessaire – et encouragé par Parrish, qui ne le quittait pas d'une semelle. D'ailleurs, l'adjoint, qui avait découvert Stiles lors de ce funeste jour, faisait en sorte de ne pas évoquer le sujet. Pour les nouvelles, il préférait passer par Derek, et pas juste parce qu'il connaissait le passif alcoolique de Noah Stilinski. Disons qu'il faisait de son mieux pour l'aider à penser à autre chose, tout en prenant soin de lui à sa manière.
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Stiles n'en voulait à personne, du moins… Pas à proprement parler. Quoique si, il en voulait à son père de ne pas l'avoir cru, lui. D'avoir pu imaginer qu'il lui fasse cela à lui, son dernier parent. Enfin ça, c'était au départ. Cette rancœur-là n'existait plus vraiment et on pouvait dire que Stiles… Essayait juste de se reposer sans trop ruminer. Et puis il devait accepter. Accepter que son père allait devoir payer une note monstrueuse pour son hospitalisation. Accepter qu'il avait été à l'hôpital, tout simplement. Accepter qu'il lui était arrivé quelque chose. Accepter le fait que sa parole était remise en doute – comme d'habitude. Accepter sa faiblesse actuelle.
Accepter la simple idée que les choses risquaient de ne jamais réellement revenir à la normale.
Mais Stiles ne voulait plus se morfondre. Réfléchir, oui, ruminer, non.
Déjà, Stiles partait du principe que la présence de Derek était un poids, une mesure drastique prouvant l'étendue de la situation merdique dans laquelle il se trouvait. Utiliser un loup-garou pour surveiller le moindre de ses faits et gestes, c'était franchement bas… Et en même temps compréhensible. Stiles aurait peut-être fait la même chose, s'il était arrivé malheur à son paternel. Mais une chose était certaine : l'hyperactif n'aurait à aucun moment douté de son paternel. C'était ça, la confiance. C'était juste… Se fier à un être cher et avancer avec ça.
A croire que lui, il n'y avait pas droit. En somme, il n'avait, pour résumer, que ses souvenirs absents et ses pauvres certitudes. Mais pour Stiles, c'était désormais clair : il n'avait pas tenté de mettre fin à ses jours. D'ailleurs, plus il y pensait, plus il trouvait ça stupide. Il n'était pas comme ça et ne s'était jamais senti mal au point de vouloir passer l'arme à gauche. Merde, sans lui, ses amis seraient déjà morts et enterrés ! Et connaissant Beacon Hills, la chose se serait passée plusieurs fois. On n'y restait jamais vraiment mort… Au final, Stiles pensa cyniquement que c'était vrai le concernant aussi. Néanmoins, il n'avait pas dit son dernier mot. Il gardait le silence, prenait du temps pour lui et se reposait… Mais cela ne l'empêchait pas de penser à ce qui l'intéressait, ce qui titillait réellement sa curiosité.
Stiles voulait savoir ce qu'il lui était arrivé et si ça ne tenait qu'à lui, il serait d'ores et déjà en train d'enquêter, de fourrer son nez là où on ne l'attendait pas.
Oui, s'il n'était pas surveillé nuit et jour par un ancien alpha qui n'avait rien à faire là, il se serait déjà lancé.
Décidant que cet étrange séjour avait assez duré, Stiles décida un matin de prendre le taureau par les cornes. Il avait longuement réfléchi à une manière d'aborder la chose après plusieurs jours de silence et n'avait rien trouvé d'autre que quelque chose d'extrêmement simple : la franchise. Ainsi, il trouva Derek dans la cuisine, en train de se servir un café comme s'il était chez lui. Si la scène avait de quoi surprendre tant elle n'avait pas de sens, Stiles mit cela de côté et ne perdit pas de temps.
- J'aimerais que tu partes.
La réaction de Derek ne se fit pas attendre et son incroyable regard bleu-vert accrocha tout de suite le sien, bien plus ordinaire. Stiles ne savait pas réellement ce qui surprenait le loup à cet instant. Il avait… Disons que son air était moins froid que d'ordinaire et qu'il n'arborait pas cette moue grincheuse qu'il lui connaissait. Alors, l'hyperactif interprétait ça comme une forme d'étonnement. Décidant d'être dans l'attaque et de ne pas laisser le temps à l'ancien alpha de réfléchir, Stiles essaya de faire abstraction du côté un peu rauque de sa voix trop peu utilisée ces derniers jours.
- J'aimerais que tu partes, répéta-t-il avec aplomb.
Il continuait de le regarder dans les yeux, sans fléchir. Le jeune homme entretenait l'espoir que Derek accepte de s'en aller sans rien dire, mais il se doutait bien que les choses ne seraient pas aussi simples. En fait, elles ne l'étaient jamais. Pourquoi la vie lui faciliterait-elle les choses ? En un instant, une froideur presque polaire gagna le visage de Derek. Son humanité n'aura pas duré longtemps, songea Stiles, qui décida de ne pas laisser le silence du loup le perturber.
- Arrête de jouer les chiens de garde, ça te va pas.
Un peu de provocation ne faisait jamais de mal, d'autant plus que ça le démangeait depuis son retour à la maison. Stiles n'avait pas besoin qu'on le surveille. Face à lui, Derek haussa un sourcil et croisa les bras sur son torse après avoir lentement bu son café et posé la tasse sur la table.
- Tu veux peut-être que je te laisse te trancher les veines en toute sérénité ? A moins que tu ne préfères retenter les médicaments ?
Les mots attaquèrent Stiles en plein cœur, mais celui-ci choisit d'encaisser en silence, la mâchoire serrée. Oui, les mots lui faisaient mal et pourtant, il n'imaginait pas que ceux-ci avaient été prononcés délibérément, pour obtenir une réaction de sa part. Stiles allait devoir mendier, hein ? D'un autre côté, il était certain de convaincre Derek. Si celui-ci ne cédait pas face à ses mots, Stiles l'aurait à l'usure. Mais un côté de lui avait besoin de faire entendre la vérité… Celle qui était la sienne. Besoin de la sortir, de la dire haut et fort. De la cracher.
- J'ai pas la moindre intention de crever, Derek.
