Rose posa sa plume et relut son texte, visiblement concentrée. Elle soupira en décidant que son devoir de Métamorphoses était officiellement terminé. Elle leva le nez et constata que ses quatre amis étaient toujours penchés sur leurs parchemins. Derek étouffa un bâillement et lui adressa un sourire.
- T'as fini ?
- Oui. J'arrête là, sinon je vais le reprendre une troisième fois et je n'en finirai jamais.
- Sage décision, approuva-t-il.
Il marqua la page de son manuel et le ferma. Rose tripota ses cheveux et ouvrit la bouche pour la refermer la seconde d'après. Elle avait bien envie de discuter mais ne voulait pas déranger les trois filles qui étaient très studieuses ni se faire réprimander par Madame Pince. Derek se leva et l'entraina par le bras avec douceur. Ils s'assirent à une table libre un peu à l'écart et leurs visages se firent face. Rose leva la main et lui caressa la joue avec tendresse.
- Très bien, céda-t-il alors qu'elle n'avait encore rien dit.
Ses yeux noirs happèrent ceux de Rose et bientôt le monde autour d'eux s'évanouit.
- Quelque chose te trotte dans la tête ?
- La semaine a tellement démarré en fanfare que j'ai pas eu le temps de te remercier, pour vendredi soir.
- C'est-à-dire ?
- De m'avoir portée jusque dans ton lit et d'être resté avec moi jusqu'à ce que je m'endorme.
L'indécision de Derek les enveloppa.
- Je suis à peu près sûr que c'était pas moi.
Un silence.
- Pardon ?
- J'ai un vague souvenir de l'entendre annoncer qu'il allait te coucher car tu étais dans les vapes. J'ai dû valider car il est parti avec toi dans ses bras, et il est redescendu genre dix minutes plus tard.
Il fit une pause, attendant que Rose réagisse.
- C'était qui ?
Mais elle savait déjà. Évidemment, que c'était lui.
Son juron résonna dans la tête de Derek qui s'esclaffa.
- Je pensais que tu étais au courant. Rose, pourquoi tu as les yeux tout mouillés ?!
- Parce que… oh Derek, je pensais que c'était toi, et j'ai dit des trucs… j'ai parlé de William… à William… Oh non…
Les grandes mains se refermèrent sur les siennes.
- Qu'est-ce que tu as dit ?
- J'ai dit que je n'arrivais pas à l'oublier, que je ne pouvais pas être son amie, des trucs comme ça…
Elle jura à nouveau, au désespoir.
- Vu comme tu étais ivre, ça n'avait probablement pas beaucoup de sens…
Elle n'eut même pas la force de rire. Elle secoua la tête et rompit leur contact spécial pour le regarder.
- Panique pas mon chat, rassura-t-il à voix basse en l'attirant dans ses bras.
- Je comprends mieux pourquoi il évite mon regard depuis samedi, marmonna-t-elle.
Elle leva les yeux et replongea dans ceux de Derek.
- Pourquoi ?
- Imagine, quelqu'un te fait ce genre de déclaration alors que tu n'es pas intéressé ? Je ferais pareil à sa place…
- Non, toi, tu l'enverrais promener, taquina-t-il.
Elle eut un petit sourire.
- Oh je suis tellement ridicule… et il doit se sentir super mal à l'aise lui aussi…
- Vous devriez en parler.
- Mais t'es fou ? Il doit déjà me prendre pour une dingue à lui faire des déclarations avec trois grammes dans chaque bras, je vais pas en rajouter une couche et débriefer avec lui !
- Justement, s'il te prend pour une dingue comme tu dis, un peu plus, un peu moins…
Ses épaules se haussèrent et elle resta muette un moment, indécise.
- Et puis tu ne lui as pas fait une déclaration, tu discutais avec ton meilleur ami, rappela Derek. D'ailleurs, ça m'étonne qu'il ne t'ait pas arrêtée avant.
- Moi aussi…
Elle croisa les bras, agacée à l'idée qu'il l'ait laissée se ridiculiser sans intervenir.
- Bon, on verra. Je me sens débile, râla-t-elle une dernière fois.
Le rire de Derek qui résonna dans sa tête la fit sourire malgré tout.
En dépit de sa conversation avec Derek, Rose décida de ne pas confronter William à ce sujet. Elle gardait un tout petit espoir : qu'il ne se souvienne pas de ce qu'ils s'étaient dit. Cependant, sans l'ignorer ni l'éviter, il était un peu distant avec elle ; elle croisait rarement son regard et quand elle posait les yeux sur lui, il semblait souvent pensif. Cela ne les empêchait pas de discuter ou de jouer aux cartes, mais Rose sentait la différence et le doute subsistait dans son esprit.
Un matin dans la Salle Commune, une partie de leur groupe était en train de faire des devoirs en attendant que leurs cours commencent après la récréation. Rose était très consciente de la présence de William en face d'elle et s'efforçait de ne pas le fixer. Elle hésitait encore : allait-elle lui parler de vendredi soir ? Avait-elle vraiment envie de savoir s'il se souvenait ?
Elle le vit lui jeter un coup d'œil avant de revenir sur son parchemin sur lequel il écrivait méthodiquement. Rose secoua un peu la tête et se mordilla la lèvre, indécise.
- Tu me fais signe quand tu es prête, s'amusa-t-il, les yeux toujours sur son devoir.
Comment le savait-il ? Elle hésita encore, subitement un peu intimidée.
Non mais vraiment, Rose ? Intimidée ?! C'est William ! Pas un examinateur des ASPIC !
Elle se redressa et prit une inspiration.
- C'est toi qui m'as aidée à me coucher vendredi soir.
Ce n'était pas une question, et elle n'attendait pas de réponse. Seulement une réaction.
William posa sa plume et leva la tête, attendant la suite.
- Merci. C'était gentil de ta part.
- Je t'en prie.
Comme elle n'ajoutait plus rien, il fit un geste pour reprendre son devoir. Elle avala sa salive, sans savoir si elle était soulagée ou pas qu'il ne réagisse pas plus que ça. Ça voulait probablement dire qu'il avait oublié ce qu'elle lui avait dit. Mais une autre pensée lui traversa l'esprit.
Par Merlin. Et si elle avait fait quelque chose de tellement gênant qu'il n'osait pas en parler ?! Quelque chose qu'elle avait complètement oublié ? Ça devait être ça. Ça expliquait pourquoi leurs yeux ne se rencontraient plus et qu'il paraissait beaucoup réfléchir quand il ne parlait pas.
- William, murmura-t-elle.
Son ton bas, peut-être un peu paniqué, capta immédiatement l'attention de William.
- Il s'est passé quelque chose ce soir-là ?
Il fronça les sourcils.
- Quand je t'ai aidée à te coucher ?
Elle acquiesça en silence.
- Tu ne te souviens pas ?
Rose secoua la tête, la mine pensive fit son retour sur le visage de William.
Oh non, oh non, oh non, qu'est-ce que j'ai fait… Plus jamais je ne boirai d'alcool.
- Non, il ne s'est rien passé, dit-il finalement.
Ses épaules se détendirent visiblement et William sourit.
- Tu as l'air soulagé.
- Plutôt, admit-elle.
- Pourquoi ?
La question la déconcerta et elle haussa un sourcil.
- Hé bien, parce que mes souvenirs sont… flous, dirons-nous.
Ils échangèrent un sourire.
- Et aussi parce que tu es un peu distant avec moi depuis quelques jours, débita-t-elle avant d'en perdre le courage. J'ai eu peur d'avoir fait quelque chose de déplacé et que tu m'en veuilles.
Il posa son menton sur son poing et eut un petit sourire en coin.
- Donc, je t'en voudrais pour quelque chose que tu aurais fait, mais j'aurais quand même dormi au pied de ton lit pour m'assurer que tu allais bien ?
Elle ouvrit la bouche. Elle avait oublié ce détail.
- Tu vois, ça colle pas ton histoire, taquina-t-il. Désolé si je semble distant, ce n'est pas volontaire. Je suis juste un peu sous l'eau avec tout le travail à fournir pour les cours, et les entrainements de Quidditch.
Rose opina, rassurée. Puis leva encore un sourcil.
- Je savais pas que tu t'étais installé à côté de moi pour ça…
- Dans mon état un peu éméché, mon cerveau d'homme préhistorique a pris le dessus et s'est persuadé qu'il fallait que je te protège. Principalement de ta jumelle maléfique imbibée de shots de Pur-Feu, termina-t-il avec un grand sourire.
Rose pouffa en même temps que lui.
- Tu remercieras ton double viril et protecteur de ma part, alors.
- Mon double viril ?! s'insurgea-t-il. Je suis toujours viril, marmonna-t-il pendant que Rose riait de nouveau.
- Pardon. Tu es toujours viril, répéta-t-elle.
Ce qui n'était absolument pas un mensonge, mais elle avait pris l'air le plus joueur qu'elle pouvait et s'efforça de ne pas garder la bouche ouverte, ni de le détailler du regard.
Il lui renvoya un de ses sourires qui lui affaiblissaient les genoux. Et lui fit un clin d'œil.
Il y eut une seconde ou deux de flottement.
- Oups, grimaça-t-il. Numéro six. Toutes mes excuses.
Rose hocha sévèrement la tête et mit une claque à la fille amoureuse dans sa tête qui hurlait à William de la prendre dans ses bras.
Bon, alors, le sortilège d'apparition d'oiseaux…
Sa plume à la main, elle occulta tout autour d'elle jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller en cours.
Le soir, William se planta face à elle et elle baissa lentement son livre. Il pointa ses cheveux puis la baguette de Rose posée sur la table basse.
- Ah non, tu vas pas t'y remettre !
- T'as promis, contra-t-il.
- J'ai rien promis du tout, maugréa-t-elle.
- Allez, s'il te plait… essaie, au moins !
- Mais pourquoi moi ? gémit-elle. Tu dis constamment que je sais rien faire de mes dix doigts, je vois pas pourquoi ce serait différent !
Il haussa les épaules, elle se mordit la lèvre pour ne pas lui balancer qu'il avait une petite amie qui ferait sans doute ça très bien, car au fond d'elle, elle aimait bien être spéciale pour William. Même si c'était pour lui couper les cheveux. Elle soupira exagérément et se leva.
- Je vais chercher mon livre.
- Cool !
Elle redescendit, le nez sur la bonne page, clairement nerveuse.
- Et si je me plante ?
- On fait repousser, je t'ai dit. On peut même s'entrainer jusqu'à ce que tu sois une pro.
- Ben tiens. J'ai pas l'intention de devenir coiffeuse.
- Et pourquoi pas ? C'est très bien comme métier.
- Non mais il faut faire des trucs. Et parler à des gens.
- Quelle horreur, soupira-t-il, faussement compatissant.
Elle marmonna en lisant encore une fois le paragraphe dans le livre.
- C'est bon, tu connais maintenant ! insista-t-il en saisissant et posant le livre sur la table.
Elle considéra encore une fois les mots inscrits, puis les cheveux de William et attrapa doucement sa baguette.
- Non mais attends, tu sais quoi ?
Elle défit ses propres cheveux avant qu'il ne puisse répondre et saisit une mèche du dessous.
- Diffindo !
La mèche se coupa net et Rose examina le résultat. Elle hocha la tête, satisfaite de ce qu'elle avait fait, et releva la tête vers William, qui la regardait, bouche bée.
- Mais… mais !
- Au moins je sais que j'y arrive. J'aurai moins peur de te louper.
Elle posa les boucles à côté du livre.
- Bon, euh, assieds-toi alors…
Il plaça une chaise devant Rose et s'assit face à elle. Elle haussa un sourcil puis le contourna pour se placer derrière lui.
- Comme ça tu ne verras pas l'horreur sur mon visage quand je ferai un trou.
- Su-per.
Elle pouffa et reprit son sérieux, inspira, bloqua sa respiration, et glissa ses mains dans les cheveux de William.
Flute, flute, flute, j'aurais jamais dû accepter.
Repoussant toutes ses idées déplacées au fond de sa tête, elle suivit à la lettre les – quelques – instructions du livre, murmurant la formule magique, faisant les gestes indiqués lorsque c'était nécessaire. C'était plus facile que ce qu'elle imaginait, même si c'était loin d'être parfait. Peut-être qu'elle n'était pas trop angoissée parce que William semblait très serein. Il avait même fermé les yeux et Rose avait vu ses épaules se détendre petit à petit. Elle tournait autour de lui et finit par se mettre bien en face et se pencha pour évaluer son travail sur les côtés de sa tête. Il entrouvrit un œil, puis le second en la voyant très près de lui. Elle esquissa un faible sourire, toujours concentrée sur sa tâche.
- Je vérifie la symétrie, souffla-t-elle en lui jetant un regard rapide.
- Prends ton temps, murmura-t-il.
Sa voix chaude et tranquille s'insinua en Rose et il lui fallut faire tous les efforts du monde pour ne pas venir s'installer sur ses genoux et l'embrasser sauvagement. Elle fit quelques ajustements et passa encore sa main dans les cheveux bruns. Puis elle décida que c'était terminé, en partie parce qu'elle était sûre de ne pas pouvoir faire mieux, mais aussi parce qu'elle était sûre de ne pas pouvoir se retenir de lui sauter dessus dans la minute.
Je l'avais dit que c'était beaucoup trop intime comme activité !
- Je pense que c'est fini, annonça-t-elle, la voix un peu enrouée.
- Tu penses ? taquina William en retrouvant son sourire habituel.
- J'ai fait de mon mieux. Tu voulais bien la même coupe de cheveux que Rogue ?
- Absolument ! Tu as tout compris !
- Alors c'est parfait, on ne peut pas faire plus ressemblant. Ah attends, j'ai pas nettoyé. Evanesco.
Elle le regarda glisser une main dans ses cheveux fraichement coupés et baissa les yeux vers ses chaussures, sans avoir manqué son air de pur contentement.
- Rien qu'au toucher, je sais que c'est bien.
- Oui alors calme-toi hein. Tu vas te regarder, déjà.
Elle fouilla dans son sac et lui sortit un petit miroir de poche, il sourit.
- T'as pas plus petit ?
- Je me balade pas avec des miroirs en pied dans la poche, figure-toi.
Il manœuvra le petit objet – qui semblait ridiculement petit et fragile dans sa main d'ailleurs – avant d'abandonner.
- Je vois rien. Je vais regarder dans la salle de bains, je reviens !
Et il fila rapidement. Rose expira longuement et se força à penser à des choses peu plaisantes : un cours d'Astronomie, une plante carnivore qu'elle devrait toucher, un discours de Rogue… cela fonctionna le temps que William redescende. Sa lèvre se fit malmener par ses dents jusqu'à ce qu'il se tienne devant elle.
- C'est parfait ! déclara-t-il. Enfin, non, pas parfait, parfait, mais c'est vraiment bien !
- Vraiment ?
Il opina et lui sourit.
- La prochaine fois, c'est toi qui me coupes les cheveux. Comme ça, plus besoin d'aller chez la coiffeuse de chez mes parents pendant les vacances.
- Tu l'aimes pas ?
Il prit une petite inspiration et lui décocha un sourire.
- Elle est constamment en train de me draguer, avoua-t-il à voix basse.
- Oh, fit Rose, à défaut de faire mieux.
- Et, d'habitude, je me plains pas, mais c'est un peu délicat de refuser d'aller boire un verre avec quelqu'un qui tient une partie de ton succès auprès de la gent féminine entre ses mains.
Rose n'avait jamais autant levé les yeux au ciel, ce qui déclencha un rire en face d'elle, puis il replaça la chaise près d'une table. Le temps qu'il se laisse aller dans le canapé à côté duquel ils se trouvaient, Rose avait reposé les yeux sur le livre ouvert, les doigts jouant avec sa baguette.
- C'est bon, tu peux arrêter de le lire maintenant…
Elle allait faire quelque chose de radical. Enfin, peut-être pas complètement radical non plus. Mais ça faisait longtemps qu'elle avait envie d'essayer, et puis elle connaissait quelqu'un qui pouvait faire repousser des cheveux, alors…
- Je reviens, annonça-t-elle en reprenant son livre et en fonçant vers la chambre des filles.
William sembla comprendre et il lui sembla qu'il avait commencé à protester, mais elle ne l'écouta pas et se planta bientôt face au grand miroir de la chambre.
Bon, si elle avait pu le faire sur des cheveux courts et lisses, il n'y avait pas de raison qu'elle ne puisse pas enlever une bonne longueur à ses cheveux bouclés.
- Nooon ? s'exclama Lisa en entrant et en voyant Rose, très concentrée avec la baguette dans la main, l'autre dans les cheveux. Tu vas te les couper ? T'es sûre ?
- Certaine.
La rousse la regarda faire dans un mélange d'admiration et d'appréhension. Rose inspira brutalement et, en quelques secondes, de longues mèches tombèrent au sol. Lisa avait plaqué sa main sur sa bouche et Rose haussa un sourcil.
- C'est moche ?
- C'est très bien, contra son amie. Je suis juste choquée par ton calme et ta précision.
Elles se mirent à rire et Rose regarda par terre, poussant du pied les cheveux épars, puis les fit disparaitre.
- Tu veux bien vérifier derrière, si ça tient la route s'il te plait ?
- C'est pas mal, confirma Lisa. Tu sais quoi, je me dis que ce serait plus facile de voir si tout est droit s'ils étaient mouillés. Dans ce cas, je pourrais ajuster peut-être ?
- Ah pas bête… c'est gentil.
Rose se mouilla les cheveux, les démêla et laissa Lisa regarder et confirmer qu'elle pouvait faire en sorte que tout soit plus égalisé. Rose valida avec sérénité et se laissa faire.
- Voilà ! déclara Lisa, apparemment contente de son travail. Tout est droit.
- Merci, merci !
- Je t'en prie. C'est marrant, mouillés, ils sont bien longs.
- Ah la magie des cheveux bouclés, s'amusa Rose en commençant à se sécher les cheveux de la pointe de sa baguette.
Elles admirèrent toutes les deux le résultat.
- Pas mal du tout. Maintenant ils t'arrivent juste sur les épaules, c'est sympa.
Rose lui fit un grand sourire, nettoya les derniers cheveux qui trainaient par terre et rangea le livre sur son bureau.
- Ça fait bizarre, s'amusa-t-elle. Ils me chatouillent.
- Tu t'habitueras, rassura Mandy qui venait d'entrer.
Elle leva un pouce vers Rose qui lui sourit.
- On se demandait ce que vous faisiez, alors je suis venue en éclaireuse. Idriss veut jouer.
- Évidemment, qu'il veut jouer, s'amusa Lisa.
Elles redescendirent rapidement et Rose récolta plusieurs exclamations de surprise.
- Ça te va bien, décréta Terry.
- Tout lui va bien, précisa Derek.
Elle lui adressa un sourire affectueux, puis se tourna vers William qui la considérait sans rien dire, enfoncé dans le canapé. Elle haussa un sourcil et attendit sa réaction.
- C'est… court, chuchota-t-il à son attention.
Elle réprima un sourire et s'empêcha de lui rétorquer que c'était le but : qu'il trouve ses cheveux trop courts et par conséquent, Rose moins intéressante physiquement.
- Mais c'est bien, ajouta-t-il avec maladresse. C'est bien coupé, je veux dire.
Elle força un petit sourire sur ses lèvres et accorda toute son attention à Idriss qui leur expliquait – encore – un nouveau jeu de cartes. William replongea peu à peu dans le silence qui le caractérisait normalement très peu, mais qu'il avait récemment adopté à l'égard de Rose, à sa grande surprise et sa plus grande incompréhension.
Cependant, ils parlèrent tous des longs silences de William lors d'une de ses absences, et Rose fut rassurée : tout le monde le ressentait. Peut-être que ce n'était pas lié à leur étrange fin de soirée, en fin de compte.
Vendredi soir, les Serdaigles jetèrent des coups d'œil réguliers à William, qui mangeait tranquillement. Trop tranquillement. Il finit par soupirer et poser sa fourchette.
- Qu'est-ce qui vous arrive ?
Les onze autres s'entreregardèrent, puis Nassim se lança.
- Tu dis rien.
- Je dis rien ?
- Ça fait au moins trois jours que tu ne parles presque pas, élabora Derek.
- On commence à être inquiets, pour tout te dire, ajouta Marc.
- Ah, vous aviez remarqué ?
- Évidemment qu'on a remarqué, rétorqua Rose. D'habitude tu as toujours la bouche ouverte pour parler. Ou manger.
- Ou boire, glissa Lisa, déclenchant quelques rires.
- Vous saviez qu'il discute même quand il se brosse les dents ? lança Nassim.
Rose lança un regard à William et réprima un sourire, pendant que les deux autres septièmes hochaient la tête en approbation.
- Donc : qu'est-ce qui se passe ?
- Peut-être qu'il n'a pas envie d'en parler devant tout le monde, lança doucement Padma.
- Oui, mais au moins nous dire qu'il va bien, ou quelque chose…
- Parce que là ça devient bizarre.
- J'ai l'impression qu'il ne veut plus participer à nos conversations.
- Dites, vous pourriez arrêter de parler comme si je n'étais pas là ?
Onze paires d'yeux l'observèrent à nouveau.
- J'essaie justement de moins parler tout le temps…
Le silence qui suivit le fit sourire.
- Mais pour quoi faire ? demanda finalement Anthony.
Rose plissa les yeux et échangea un regard avec Derek. Il allait parler de Rebecca, c'était évident.
- Parce que Rebecca m'a dit récemment – après Halloween d'ailleurs – que je parlais beaucoup.
- C'est pas une nouveauté ça…
Il n'y avait aucune moquerie dans la voix de Terry, seulement de l'incompréhension.
- Beaucoup trop pour un homme, précisa William. Elle dit que normalement les hommes ne parlent pas autant que les femmes et que c'était étrange que je dise autant tout ce que je pense, que je devrais faire attention à moins bavarder.
Il grimaça un peu et reprit sa fourchette.
- Alors, bon… je fais un effort. J'essaie de moins parler.
- C'est complètement con.
Les mots avaient franchi les lèvres de Rose avant qu'elle ne puisse les retenir et elle plaqua sa main sur sa bouche. Tout le monde la regarda avec stupeur : Rose ne jurait quasiment jamais à voix haute.
- Numéro cinq, Miss Wayne, rétorqua aussitôt William en dardant ses yeux bleus sur elle, son expression indéchiffrable.
- Désolée, murmura-t-elle.
Elle baissa le nez vers son assiette et recommença à manger, autant embarrassée d'avoir juré que d'avoir exposé aussi clairement son opinion de Rebecca et ses idées sorties du siècle dernier. Elle n'en pensait pas moins : William était bavard, et c'était complètement idiot de vouloir changer sa personnalité. Elle estimait même que c'était en partie ce qui faisait son charme. Et puis, ce n'était pas comme s'il parlait constamment pour ne rien dire, ou qu'il était ennuyeux ou méchant par exemple.
Elle ne comprenait vraiment pas cette fille, qui semblait vouloir un William qui n'existait pas vraiment. Mais ça ne la regardait pas, et il fallait qu'elle se fasse violence un peu plus efficacement que ça.
Lorsqu'ils quittèrent la Grande Salle, William garda ses yeux posés sur Rose jusqu'à ce qu'elle ralentisse et le laisse la rattraper pendant que les autres avançaient devant.
- Je te prie de m'excuser pour mon commentaire, commença-t-elle avant qu'il n'ouvre la bouche. Je n'aurais pas dû dire ça.
Elle ne put s'empêcher de rajouter tout bas :
- À voix haute.
Il opina sans répondre et elle pensa que leur échange était terminé. Il allait vraiment faire ce que Rebecca lui demandait alors ? Rose pinça les lèvres, irritée à cette simple idée, et accéléra le pas.
Une main lui attrapa le bras et la força à ralentir. Rose le regarda, un sourcil levé.
- Tu ne trouves pas que je parle trop alors ?
William semblait très sérieux et Rose arrêta carrément de marcher. Elle réfléchit un instant avant de répondre, formulant sa pensée dans sa tête pour être sûre de ne briser aucune de leurs règles – et de ne pas avoir l'air éperdument amoureuse de lui.
- Absolument pas. Ça fait partie de ta personnalité et je ne me suis jamais posé la question de savoir si tu parlais trop ou pas.
Il acquiesça, et Rose pensa qu'il avait l'air soulagé.
- Même quand je me brosse les dents ? sourit-il.
- Même quand tu te brosses les dents, confirma-t-elle en gardant son sérieux, malgré un sourire qui soulevait les coins de ses lèvres.
Ils reprirent leur route.
- Parle. Tu te retiens de dire quelque chose, justifia-t-il devant le sourcil haussé de Rose.
Elle hésita, peu encline à transgresser de nouveau la règle numéro cinq. Mais les prunelles bleues qui ne la lâchaient pas la poussèrent à dire ce qu'elle pensait.
- C'est juste… je ne comprends pas qu'on veuille changer la personnalité de quelqu'un quand on est en couple avec, débita-t-elle. Pourquoi être intéressé par une personne si c'est pour vouloir la changer après ? Soit on accepte ce qu'elle est, et ça fait partie de ce qui nous plait, soit on n'accepte pas et c'est inutile de vouloir se mettre avec.
Elle leva les mains en un geste de défense sans attendre de réponse.
- Désolée, règle numéro cinq, je sais.
- Ne t'excuse pas. J'aime bien savoir ce que tu penses.
- Vraiment ? demanda-t-elle en le regardant enfin.
Il haussa les épaules.
- Ton opinion est importante pour moi.
Le cœur de Rose fit un bond stupide et la phrase de William l'enveloppa d'une chaleur inattendue. Elle lui sourit, attendrie.
- J'aime bien que tu réussisses à me faire parler, confessa-t-elle soudainement.
- C'est mon super pouvoir de mec bavard, ça. Je fais parler les aristos.
Elle pouffa devant son air sérieux et son cœur battit un peu plus vite alors qu'ils se regardaient.
- Moi aussi je trouve la suggestion de Rebecca surprenante, avoua-t-il finalement.
- Tu vas le faire alors ?
- Je ne pense pas, annonça-t-il après un instant de réflexion. Moi non plus, je n'aime pas qu'on me dise ce que je dois faire.
Son air amusé fit sourire Rose en retour.
- Elle va mal le prendre, non ?
- Tant pis…
- Méfie-toi, on n'est que début novembre… et j'ai bien noté « fin novembre » dans mon carnet de paris.
Il se mit à rire.
- Je prends le risque. Et puis, si je ne parle plus, je vais imploser à un moment donné. Ou devenir très insupportable.
- Ça, je veux bien te croire…
- Merci d'avoir donné ton opinion. Et de me laisser parler.
- C'est à ça que les amis servent, rétorqua-t-elle avec douceur alors qu'ils s'arrêtaient devant la porte de la Salle Commune et répondaient à l'énigme. William…
- Oui ?
- Il faudrait que tu me lâches le bras avant qu'on entre. Je n'ai pas envie de me faire attaquer par ta copine.
Rose avait gardé le ton le plus détaché du monde. Les yeux bleus s'agrandirent et la pression sur le bras de Rose disparut. Il lui envoya un sourire contrit et s'excusa.
- Disons que ton numéro deux annule mon numéro cinq ? proposa-t-elle.
Il la considéra un moment. Est-ce qu'il pensait lui aussi à la dernière soirée de Slughorn et à leur dérapage à l'endroit même où ils se tenaient maintenant ?
- Ça me convient, finit-il par répondre.
Sa voix était un peu plus grave que d'ordinaire et Rose ne put s'empêcher d'être convaincue qu'il y pensait aussi. Elle mit toutes ces pensées de côté en rejoignant leur groupe d'amis qui avait déjà commencé une partie de cartes. Ils s'installèrent côte à côte mais ne passèrent pas leur soirée à parler dans leur coin, comme ils avaient pu le faire auparavant. Cela n'empêchait pas Rose d'être plus détendue ; peut-être que les choses revenaient à la normale ? Et même si ce n'était pas parfait, au moins, elle n'était pas privée de son amitié, il n'y avait aucun malaise entre eux. Ça ne lui suffisait pas, mais si c'était tout ce à quoi elle avait droit, elle prenait. Y compris les flirts maladroits et inopportuns, elle s'en contenterait. Elle se trouva pathétique d'en revenir toujours à la même chose et regarda Nassim s'exclamer de joie en gagnant la première manche.
- Allez vas-y, tu y es presque !
Terry multiplia les grimaces devant les mines tout aussi concentrées de ses amis. Et soudain, la cruche remplie d'eau se vida.
- BRAVO ! rugit Derek en levant les bras au ciel.
Terry baissa sa baguette et respira enfin.
- Trop, trop dur, souffla-t-il. À toi maintenant !
Il laissa la place à Rose, qui riva ses yeux à la cruche et pointa sa baguette dessus. Elle fit un petit mouvement du poignet, les lèvres serrées. De l'eau jaillit de la pointe de sa baguette et remplit le récipient jusqu'au bord. Ravie, Rose fit une petite danse victorieuse sous les rires de ses amis.
- Maintenant le sortilège de Sècheresse !
Rose haussa un sourcil un instant, puis dans sa concentration, sa lèvre supérieure se souleva instinctivement pour dévoiler ses dents. Avec un petit grognement satisfait, elle regarda la cruche s'assécher et être bientôt vide.
- On a tous réussi ! se réjouit Anthony. Les sortilèges d'Eau et de Sècheresse !
- Flitwick va être ravi.
Derek se planta devant Rose et leva sa baguette. Elle lui renvoya un rictus provocateur. Les neuf autres s'écartèrent prudemment. Un flash de lumière rouge rencontra un large bouclier bleu et les deux sorts s'évanouirent en même temps. Les deux amis échangèrent des sourires enchantés.
- À nous, à nous ! s'enthousiasma Mandy.
Bientôt elle défia silencieusement Nassim et des sortilèges rebondissaient dans la chambre des garçons de sixième, à mesure que des duos s'entrainaient aux Sortilèges informulés, profitant de leur fin d'après-midi pour cette séance de pratique. Seul William manquait à l'appel et tous savaient qu'il passerait son lundi soir avec Rebecca, ce qui expliquait la férocité de Rose et sa concentration sans faille. Elle était bien décidée à ne pas laisser sa jalousie l'empêcher de progresser et d'avoir de bons résultats scolaires.
Essoufflés et fatigués d'avoir essayé à peu près tous les sorts auxquels ils avaient pu penser, les onze Serdaigles terminèrent leur séance avec le sortilège d'Apparition d'oiseaux, qu'ils réussissaient tous à peu près bien à voix haute.
- Pause devant la cheminée en attendant l'heure du diner ? proposa Idriss, ce que tout le monde accepta.
Ils s'étalèrent autour d'une cheminée libre et papotèrent tranquillement. Derek surveillait l'heure, impatient d'aller manger. À chaque fois qu'il fixait sa montre, Rose le regardait avec espoir, mais il secouait négativement la tête, la faisant soupirer avant qu'elle ne retourne au plateau d'échecs posé entre Terry et elle. Ils discutaient de la pertinence de savoir conjurer des fleurs en sortilège informulé quand la porte de la Salle Commune s'ouvrit dans un grand « bang » qui les fit tous sursauter. Ils virent Rebecca passer le seuil et traverser la pièce, clairement furieuse. Leur ébahissement s'approfondit quand elle cracha en arrivant à hauteur des sixièmes et des garçons de septième :
- Je te déteste !
Elle pointa quelqu'un du doigt, mais ils n'eurent pas le temps de comprendre à qui elle s'adressait qu'elle avait déjà monté bruyamment les marches et claqué la porte de son dortoir.
Hébétés, ils avaient tous suspendu leur conversation et leurs activités et suivi la septième des yeux. Puis ils s'entreregardèrent, perplexes.
- Heu, oui ? fit doucement Padma. Qui elle déteste au juste ?
- Je sais pas, mais ça doit être grave, supposa Michael.
- C'est la première fois que je l'entends crier, s'étonna Nassim.
- Qu'est-ce que t'as fait encore ? râla Marc en se tournant vers Idriss, qui bafouilla immédiatement.
- Mais euh, rien ! Je lui parle jamais !
Puis il se détendit en voyant son ami lui sourire d'un air moqueur.
- Pourquoi c'est toujours sur moi que ça tombe ? geignit-il alors que les autres riaient.
Ils n'avaient pas aperçu William entrer d'un pas pressé dans la Salle Commune, mais Lisa le vit se planter en bas des marches. Elle donna un coup de coude à Mandy, et comme une réaction en chaine, bientôt les onze Serdaigles regardaient leur ami qui leur tournait presque le dos fixer le couloir des filles. Une porte s'ouvrit sans qu'ils ne voient rien. Puis une voix cria :
- T'es vraiment immonde !
Fascinés, ils ne firent même pas semblant de ne pas écouter. Comme tout le restant des Serdaigles dans la Salle Commune à ce moment-là, ils tendaient l'oreille et se tordaient le cou pour essayer de voir.
Un visage apparut en haut des marches. Les yeux furibonds de Rebecca étaient posés sur William, qui fit un pas vers les escaliers et sembla prendre une inspiration pour parler. La jeune fille ne lui laissa pas le temps d'en placer une.
- J'arrive pas à croire que t'aies fait ça ! Tu me dégoutes ! Retourne dans ses bras puisque t'es incapable de penser à quelqu'un d'autre !
Elle reprit son souffle, puis continua, sa voix montant d'un cran.
- Et tiens, tu sais quoi ?
Rebecca lança avec force un vêtement sur William, qui se le prit en pleine figure et le rattrapa avant qu'il ne tombe par terre.
- Reprends ton pull, t'as qu'à lui donner ! hurla-t-elle, le visage rouge.
- Rebecca… commença William.
- Tais-toi, j'ai pas envie d'entendre tes justifications pourries ! Je veux plus jamais te voir !
Puis elle fit demi-tour et tout le monde entendit une porte claquer avec violence. Les mains de William trituraient le pull bleu qu'il tenait. Le déclic de la porte se fit entendre de nouveau.
- T'es un porc ! brailla une deuxième voix.
La porte claqua pour la troisième fois avant que le jeune homme puisse faire le moindre commentaire. Ils virent William faire un mouvement, mais il n'eut pas le temps de bouger plus que la porte s'ouvrait encore.
- Nous adresse plus jamais la parole ! s'écria une troisième voix.
Et le battant fit un bruit sec en se refermant. William avait les épaules basses et ses amis commençaient à se sentir mal à l'aise pour lui.
- Vraiment dégueulasse ce que tu as fait ! clama d'une voix forte une quatrième fille.
Puis, dans un chuchotement, elle ajouta :
- Y'a bien entrainement pour tout le monde demain à dix-huit heures ?
William confirma, confus, et essuya une nouvelle injure avant que Cho ne referme la porte, définitivement cette fois. Il se racla la gorge et ignora toutes les personnes qui le regardaient, puis monta à son tour dans son dortoir, disparaissant à l'intérieur.
Bouche bée, ses onze amis se jetèrent de nouveaux regards. Rose et Terry avaient abandonné leur partie d'échecs et ne s'étaient pas rendu compte que leurs pièces se détruisaient mutuellement sans attendre d'ordres de leur part. Derek avait perdu sa page dans son manuel de Potions, Marc avait fait une tache d'encre sur son parchemin.
- Mais qu'est-ce qui vient de se passer ? questionna finalement Mandy.
- Il a clairement fait une grosse, grosse bêtise…
Nassim regarda autour d'eux. Les conversations allaient bon train puisque tout le monde avait assisté à la scène de ménage des deux septièmes. Le petit groupe échangea spontanément des théories toutes plus absurdes les unes que les autres, mais c'était plus fort qu'eux, et ils finirent à moitié hilares, leurs jeux et devoirs oubliés.
- J'ai faim, lança une voix plaintive.
- Moi aussi, grogna une seconde.
Lisa leva les yeux au ciel et Michael soupira.
- On l'attend peut-être ? suggéra Marc.
Deux grognements répondirent, puis Rose et Derek se rassirent de mauvaise grâce sous le regard sévère d'Anthony.
- Et si jamais il décidait de sauter le diner ? s'affola Rose.
- Ah non hein ! Je vais le chercher ! s'exclama Derek en sautant sur ses pieds.
- J'y vais, contra Nassim en le dépassant. Je saurai être moins…
- Bourrin ? proposa Mandy.
- Voilà, s'esclaffa-t-il avant de les laisser.
Le grand blond croisa les bras et prit un air mécontent, imité par Rose qui se leva pour faire les cent pas sur le tapis. Quatre étudiantes sortirent de leur chambre, ce qui interrompit leurs réflexions sur leur diner. Ils les observèrent passer et eurent tous un mouvement de recul lorsque Rebecca se planta brièvement devant Rose, la menaçant du doigt et s'écria en la fusillant du regard :
- C'est bon, je te le rends, t'en fais pas !
Puis elle continua sa route, entourée de ses trois amies qui évitèrent le regard de tout le monde en sortant de la Salle Commune.
Éberluée, Rose ne réagit pas et resta plantée entre un fauteuil et une table basse, les bras toujours contre sa poitrine. Elle secoua la tête, confuse.
- Heu, d'accord ?
- Au moins on sait à qui elle parlait quand elle est entrée tout à l'heure… fit remarquer Padma.
Leurs yeux se tournèrent vers les dortoirs masculins. Nassim était à mi-chemin des escaliers, son geste suspendu et William était figé en haut des marches. Son regard était posé sur ses amis et il avait l'air d'un lapin pris dans des phares.
- J'ai faim… rappela Derek, le ton presque suppliant.
Il croisa les yeux de Rose et soupira.
- On peut parler de tout ça plus tard ? tenta-t-il, désespéré, alors que Terry étouffait un rire.
- Non, on va en parler maintenant, décida Rose en se tournant vers William, toujours bloqué dans les escaliers.
Son regard étincelant sembla ramener les deux garçons à la vie et ils terminèrent leur descente. Rose attendit patiemment que William soit assez proche d'elle pour hausser un sourcil.
- On peut savoir pourquoi je viens de me faire incendier par ta copine ?
Sa réponse fut incompréhensible et tous se penchèrent un peu vers lui.
- Pas compris, se plaignit Mandy.
William soupira et se pinça l'arête du nez.
- J'ai dit, peut-être que je vais pas faire une conférence non plus ?
Les expressions sérieuses de ses amis lui arrachèrent un nouveau soupir.
- J'ai commis une erreur…
Nassim ricana.
- T'as fait une belle connerie, oui.
De nouveau, la curiosité des autres se reporta sur William. Il regarda ses pieds, incapable de soutenir leurs regards. Rose était toujours plantée devant lui, les bras croisés.
- J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas dire, marmonna-t-il tout bas. C'est tout. Elle s'est énervée et elle avait raison.
Ils eurent tous l'air déçu.
- C'est tout ? Ben dis donc, elle est susceptible…
- Allez, crache le morceau, sinon ils vont jamais te lâcher ! s'exclama Nassim, qui cachait mal son hilarité.
William croisa les bras et contempla de nouveau le tapis, semblant amèrement regretter qu'ils soient tous si proches.
- C'était dans un moment… intime… souffla-t-il, gêné.
Idriss éclata de rire et les épaules de Marc se soulevèrent aussi.
- Mais quel boulet !
Rose avait une grimace dégoutée sur le visage et fit quelques pas en arrière. Elle ne s'attendait pas à cette précision. Et elle ne voulait connaitre aucun, mais absolument aucun, détail sur la vie sexuelle de William.
- Beurk, fit Derek. Je veux même pas savoir, arrête de parler.
Rose lui lança un regard reconnaissant et enchaina immédiatement :
- On va manger.
Puis elle partit en tête du petit groupe, essayant à tout prix d'oublier ce qu'elle venait d'entendre. Ce n'est qu'une fois tous attablés qu'elle eut une illumination et osa se tourner vers William de nouveau.
- Quel est le rapport ? demanda-t-elle d'un coup, un sourcil haussé.
- Ça m'étonnait aussi qu'elle pose pas la question, glissa Mandy à Michael, qui hocha la tête.
William se racla la gorge et posa un regard incertain sur Rose.
- Le rapport ?
- Entre ta muflerie et le fait qu'elle se soit défoulée sur moi ?
Les autres eurent des sourires railleurs au vocabulaire de leur amie. Elle en revanche, gardait la bouche pincée et intériorisa sa stupéfaction en voyant William rougir. Légèrement d'accord, mais rougir quand même.
Un millier d'hypothèses tournoyèrent dans son esprit et elle décida subitement de l'épargner, pour s'épargner elle-même de connaitre des détails dont elle ne voulait pas.
- Laisse tomber, fit-elle alors, levant une main pour l'empêcher de parler. Je veux pas savoir finalement.
Puis elle se préoccupa de son assiette et changea de sujet de conversation. Elle fut soulagée que tout le monde la suive dans cette idée et l'incident fut clos le temps du diner.
De retour dans la Salle Commune, un échange de regard intrigua Rose qui avait automatiquement haussé un sourcil. Lisa regardait William, puis vers les dortoirs féminins, puis vers Rose… et recommençait. La rousse tapota sa bouche du bout de son doigt, geste qu'elle faisait quand elle était en grande réflexion. Terry n'avait rien manqué non plus et finit par lui mettre un petit coup de coude, pour l'inciter à partager sa pensée. Elle secoua discrètement la tête et arrêta. Puis elle sauta soudainement sur ses pieds et fila vers leur chambre. Mandy fronça les sourcils, Rose haussa les épaules, plus intriguée qu'elle ne le laissait paraitre.
Lisa réapparut en bas des marches, un large sourire aux lèvres, et sautilla jusqu'à leur place. Ils la regardaient tous avec incrédulité. Elle sembla se retenir une seconde de plus, puis elle craqua et déplia le parchemin qu'elle avait à la main.
- J'ai gagné mon pari ! s'exclama-t-elle en agitant le papier.
Rose se mordit les lèvres mais son fou rire fut plus fort que sa volonté et elle éclata de rire, très vite imitée par tout le monde.
- Et vous avez tous perdu !
Elle fit un petit mouvement victorieux et se rassit de nouveau près d'Anthony, qui avait retiré ses lunettes pour rire. Même l'attitude un peu guindée de William ne les arrêta pas, et à chaque fois qu'ils se regardaient, ils repartaient pour un tour.
- Félicitations, grogna William, redoublant leurs rires.
Mandy tentait vaguement de se contrôler, Nassim avait enfoui son visage dans ses mains et Idriss tapotait l'épaule de William avec ce qui devait être de la compassion, mais il tremblait tellement il riait.
- On est… vraiment… désolés… hoqueta Padma. Merci Terry.
Il venait de lui tendre un mouchoir pour qu'elle y essuie ses larmes.
- Votre compassion me touche énormément, ironisa William en se laissant aller dans son fauteuil.
Derek le regarda intensément jusqu'à ce qu'il lève les yeux vers lui.
- Quoi ? soupira le brun.
- Douze. Shots.
Et leur hilarité reprit instantanément. Rose faisait bien attention à ne pas croiser le regard de William, mais se sentit rassurée quand elle se rendit compte que les coins de ses lèvres se soulevaient, peut-être malgré lui.
- Vous savez ce qui va le plus me manquer ? murmura d'un coup Marc. Son costume d'Halloween.
Ils hurlèrent de rire, incapables de s'arrêter pendant un moment.
- Je viens de me faire larguer, et ils rigolent.
Cette phrase eut le mérite d'apaiser les plus sensibles d'entre eux. Michael plaqua sa main sur sa bouche.
- Merlin, mais c'est vrai… c'est la première fois que tu te fais larguer !
- Nooon ? s'étonna Mandy en le scrutant.
- Si, rétorqua William en croisant les bras.
- Allez, fichez-lui la paix, intervint Rose à voix basse.
Impossible de parler plus fort, sinon elle allait encore glousser.
- Merci.
- C'est pas pour toi, répliqua-t-elle aussitôt. C'est que sinon… on va jamais arriver à arrêter de rire.
Ses épaules se secouèrent et elle ne fut pas la seule.
- Aucune pitié.
- On te demande pardon, parvint à articuler Derek.
William haussa les épaules et posa la tête sur le dossier du fauteuil puis ferma les yeux.
- Je vous ignore. Allez-y, défoulez-vous, dites du mal d'elle ou de moi. J'écoute pas.
Ils échangèrent des regards amusés et quelques têtes se secouèrent pour refuser.
- Mec, désolé pour toi, vraiment, finit par dire Idriss en se levant. Je vais me coucher les enfants, à demain.
William avait levé un pouce à la première phrase de son ami et rouvert les yeux. Le départ d'Idriss motiva les autres et ils se séparèrent pour retourner dans leurs chambres.
Rose se forçait à ne pas penser au fait qu'il était célibataire. Et elle aussi. Il allait falloir qu'elle redouble de prudence si elle ne voulait pas être la prochaine sur la liste, maintenant qu'il n'y avait plus le bouclier « Rebecca » pour les empêcher de se sauter dessus. Enfin, il suffirait de ne jamais se retrouver dans une situation qui le permettrait. Heureusement que la fête d'Halloween était déjà passée et qu'ils n'en avaient pas prévu d'autre pour le moment.
Rose et Derek regardèrent leurs amis aller se coucher l'un après l'autre. Elle ne se tourna vers son meilleur ami que lorsqu'il ne resta plus que Lisa et eux deux devant le feu brulant dans la cheminée.
- Bon, accouche, le pressa-t-elle.
- Vous voulez que je parte ? proposa Lisa avec gentillesse.
Derek leva une main.
- Non, non… reste, de toute façon elle va tout te raconter.
- Mais de quoi tu parles ? ronchonna Rose.
Il les regarda sérieusement, les coudes plantés sur les cuisses.
- Je sais ce qui s'est passé hier entre William et Rebecca.
- Comment ça se fait ? s'étonna Lisa.
- Il a tout dit à Nassim, qui l'a raconté à Idriss, qui me l'a répété après l'entrainement de ce soir.
- Rappelle-moi ce que Michael a dit la semaine dernière ? demanda Rose en se tournant vers Lisa.
- Oh c'était une incroyable phrase du genre « ah les filles, toutes des commères ! ».
- C'est ce qui me semblait.
Ils échangèrent un sourire. Rose reporta le regard sur Derek.
- T'es sûre que tu veux savoir ?
- J'aimerais autant ne pas être la seule dans l'ignorance… d'ici demain, grand maximum, tout le groupe le saura.
- On est tout ouïe, confirma Lisa en posant le menton dans ses paumes.
Derek opina et prit son temps.
- Il s'est trompé de prénom.
- Hein ? firent-elles en chœur.
- Quand il était « dans un moment intime » avec elle, il s'est trompé de prénom.
Les yeux de Rose s'écarquillèrent et Lisa plaqua sa main sur sa bouche.
- Mais quel gros…
Rose fit un geste et ne termina pas sa phrase.
- Quel moment intime ? questionna Lisa immédiatement.
- Lisa, franchement, la gronda Rose.
- Ben quoi, quitte à être au courant…
Derek eut un petit gloussement et fit un geste peu équivoque avec sa langue. Lisa se mit aussitôt à rire.
- Quoi Rose, me dis pas que tu n'as pas compris, protesta Derek devant l'air interdit de son amie.
- J'ai très bien compris, marmonna-t-elle.
- Il a même dit à Nassim qu'il s'estimait chanceux qu'elle ne lui ait pas mordu la…
- C'est bon, arrête ! le coupa Rose, le rouge aux joues.
Elle ferma les yeux et serra les paupières, comprenant quelque chose.
- Oh me dites pas que… Rebecca qui est venue me crier dessus, moi spécifiquement…
- Si, avoua Derek doucement. Il a dit ton prénom.
Ils se considérèrent un moment.
- Je crois que je vais vomir, articula Rose avec une grimace.
- Alors ça… j'en reviens pas. Quand il a avoué qu'il avait dit un truc à ne pas dire, je m'attendais à un commentaire déplacé, ou une demande qui aurait mis Rebecca trop mal à l'aise… mais penser à Rose alors qu'une autre fille le…
Lisa fit à son tour un geste vague de la main sans terminer sa phrase. Elle fronça les sourcils.
- Je comprends sa réaction. Si Anthony me faisait un coup pareil, ce serait terminé en deux secondes.
Derek acquiesça, bien d'accord avec elle.
- Dans le feu de l'action, tes pensées partent un peu dans tous les sens, mais ça c'est fort quand même, renchérit-il. Rose ?
Elle regardait le feu qui dansait et ne parlait plus.
- T'es pas vexée ?
- Pourquoi je le serais ? Je suis pas responsable de ce qui se passe dans la tête de William. Remarque c'est bien qu'il puisse imaginer ça, puisque ça n'arrivera jamais, grogna-t-elle.
Lisa et Derek échangèrent une moue dubitative qu'elle ne vit pas.
- D'ailleurs, je trouve pas ça très… intéressant, avoua-t-elle à voix basse en regardant ses genoux.
- De quoi ?
Elle imita le geste de Derek.
- Ah bon ? Moi j'aime bien, fit son meilleur ami.
Rose lui mit un coup de coude en esquissant un sourire.
- Je parle de mon point de vue.
- Mais je pensais également à ce point de vue, figure-toi, s'amusa-t-il.
Ils attendirent l'opinion de Lisa.
- Moi aussi j'aime bien le faire. Anthony aime encore plus, évidemment, gloussa-t-elle.
- Oui, bon, forcément, marmonna Derek. Moi aussi hein, j'aime bien être dans l'autre rôle.
Ils échangèrent des sourires amusés et un peu gênés.
- T'aimes pas alors ? s'étonna Lisa.
- Pas trop… c'est pas très confortable, pour les genoux et pour…
Elle fit un geste vers sa gorge. Derek croisa les bras en s'adossant au canapé.
- Mais qu'est-ce qu'il t'a appris, ce type ? maugréa-t-il.
- Blaise ? osa souffler Lisa.
- Ben oui, qui d'autre ? rétorqua Rose.
Elle haussa les épaules et reprit, sa voix basse.
- On l'a fait qu'une fois. J'ai bien compris qu'il aimait, mais moi… j'ai pas trouvé ça fou. Je pense que je le ferai plus jamais.
- Il t'a fait mal ? demanda brutalement Derek.
- Un peu, admit-elle avec une grimace. Les mouvements n'étaient pas délicats.
- Ça fait pas forcément mal, intervint Lisa. Honnêtement, je pense qu'il s'y est mal pris… jamais Anthony ne m'a fait mal.
Rose les regarda et sembla se rassurer un peu, même si elle n'était pas prête à réessayer.
- Bon, en tout cas…
Elle vit la lueur taquine dans le regard de Derek et attendit patiemment.
- Si tu veux retenter le coup, t'as un volontaire tout trouvé !
Lisa se mit à rire et Rose, après les avoir considérés avec sévérité, les imita rapidement.
- Se tromper de prénom, franchement, chuchota-t-elle en secouant la tête. Il faut vraiment avoir le cerveau vide hein…
- Sans prendre sa défense, c'est plus ou moins ce qui se passe, imagine-toi bien. On peut pas alimenter toutes les parties du corps en sang en même temps. C'est soit le cerveau, soit la…
Il eut un geste qui fit glousser les filles. Rose posa ses mains sur ses joues.
- Mais je vais plus jamais oser le regarder dans les yeux maintenant…
- Pourquoi, t'as l'intention de regarder plus bas ?!
Un nouvel éclat de rire les empêcha de parler.
Rose soupira en s'allongeant finalement dans son lit. Un nouvel épisode étrange dans la relation parfaitement bizarre qu'elle entretenait avec William. Et bien sûr, elle se posa d'autres questions.
Est-ce que c'était la première fois qu'il pensait à elle quand il était avec une fille ?
Est-ce qu'il l'avait déjà imaginée, nue avec lui, quand il était seul ?
Est-ce qu'il en avait envie ?
Elle ferma les yeux et se força à chasser ces interrogations. Peu importait, puisqu'elle n'avait pas l'intention de faire quoi que ce soit avec lui, malgré le fait que si ça avait été elle, elle aurait répondu « oui » aux deux dernières questions. Un sourire moqueur étira ses lèvres. Voilà une nouvelle phrase qu'elle pouvait se faire tatouer…
« Je ne serai pas une fille de plus. »
Elle caressa distraitement Kietel et se laissa emporter par le sommeil.
Après le double cours de Potions jeudi matin, Rose et Anthony prirent la direction de la Bibliothèque avec Terry et Michael, qui avaient abandonné leur option de Soin aux Créatures Magiques et avaient une heure libre comme elle et Anthony.
- Dis, Rose… commença Michael.
Elle haussa un sourcil vers lui.
- Maintenant que Will est célibataire, tu vas faire quoi ?
Terry parut choqué face à la question très directe de leur ami et ouvrit la bouche pendant qu'Anthony remontait ses lunettes sur son nez. Rose resta muette un instant avant de pouvoir répondre.
- Euh, mais, rien…
- Ah bon ?
Elle haussa les épaules, puis soupira devant l'air curieux de ses trois amis.
- Non, je ne vais rien faire… William et moi, c'est pas possible.
Elle en avait marre de répéter sans cesse la même chose.
- Il ne cherche pas de relations stables, et j'ai pas envie de briser notre amitié pour seulement…
Rose chercha vainement les mots justes.
- Quelques jours de plaisirs charnels ? proposa Terry avec délicatesse.
- C'est très joliment dit, lui accorda Rose avec un sourire. Et c'est exactement ça.
- Qui te dit que ça la briserait ?
Parce que je suis amoureuse d'un « Don Juan », espèce de gros curieux.
Elle sourit néanmoins à Michael.
- Est-ce que je suis toujours amie avec Blaise ?
- Non, concéda Anthony. Je comprends ce que tu veux dire. Si c'était moi et Lisa, j'aurais du mal à rester son ami pendant qu'elle enchainerait les mecs…
Il eut un frisson à cette seule pensée, Rose et Terry échangèrent un regard attendri. Michael persista, au grand agacement de Rose.
- Mais, ça n'a rien à voir… vous, vous êtes amoureux, alors que… oh.
Il s'était interrompu après une œillade appuyée de Rose.
- Ah. Je savais pas.
Il avait l'air tout penaud, alors Rose lui mit un coup de coude joueur.
- C'est pas écrit sur mon front. Bon, voilà, tout le monde est au courant, c'est parfait… ironisa-t-elle.
- Ça m'étonnerait que Will le sache, estima Anthony.
Rose poussa un petit grognement et dévoila sans entrer dans les détails ce qu'elle lui avait dit le vendredi de la fête d'Halloween.
- Franchement, s'il n'a pas additionné deux plus deux…
- Il était à moitié ivre, rappela Terry. C'est quand même possible que ça lui soit passé au-dessus de la tête, tu n'as pas exposé vraiment clairement tes sentiments… Si ?
- Aucune idée, je me souviens pas de tout. En tout cas, lui, il ne m'en a pas parlé…
Elle leur sourit devant la porte de la Bibliothèque.
- Allez-y, j'attends Ernie.
Ils lui firent un signe de la main et s'engouffrèrent dans la vaste pièce. Elle attendit à la porte, les bras croisés, en pleine réflexion. Il ne lui en avait pas parlé… et d'ailleurs, il ne lui avait pas parlé, tout court, depuis que c'était terminé entre lui et Rebecca. Ce n'était plus qu'il évitait habilement ses regards, c'était qu'il l'esquivait complètement et ne lui parlait plus directement. Rose était perdue et de plus en plus vexée, et avait décidé qu'elle ne lui courrait pas après s'il n'avait plus envie de passer du temps avec elle. Cette situation lui retournait le cœur, surtout quand elle le voyait tourner discrètement la tête quand elle était près de lui, ou qu'il n'engageait plus la conversation avec elle, mais elle avait trop de fierté pour se jeter à ses pieds et l'obliger à la prendre en considération. Donc, pour le moment… plus d'amitié avec William. Elle se sentait fatiguée de ne jamais savoir comment ils allaient se comporter l'un avec l'autre. Rose s'obligea à l'oublier quand elle aperçut Ernie la rejoindre, le salua chaleureusement et entra dans la Bibliothèque avec lui.
- Alors, ce devoir, t'en as pensé quoi ?
- Horrible, confia-t-il à voix basse en le dépliant devant lui. Ça m'a pris des heures pour trouver les informations nécessaires.
- Pareil. On échange ?
Ils prirent le parchemin de l'autre et lurent en silence, puis échangèrent leurs opinions. Ils faisaient une bonne équipe pour ce cours et Rose se félicitait d'avoir accepté d'étudier avec lui.
- C'est pas mal ton crayon, là, lança Ernie en regardant le crayon à papier avec lequel elle faisait des annotations sur son papier.
- Ah oui c'est super pratique !
- Quand je t'ai vue écrire avec, je me suis dit que j'en achèterais à Pré-au-Lard, mais j'ai pas eu le temps…
Ils parlèrent à voix basse des événements qui avaient entrainé l'annulation des sorties dans le village sorcier avant de reprendre le fil de leur session de devoirs, puis se quittèrent lorsque la cloche de la pause de midi sonna.
Le lendemain, Rose guetta l'arrivée d'Ernie dans la Grande Salle à l'heure du déjeuner. Lorsqu'elle le vit, elle se leva et abandonna momentanément son repas.
- Hé, Ernie !
Il se tourna vers elle et fit quelques pas vers leur table pendant qu'elle le rejoignait.
- Tiens ! s'exclama-t-elle en brandissant un crayon. C'est pour toi.
- Un crayon à papier ? Merci, Rose !
Ils échangèrent un grand sourire.
- Tu n'aurais pas dû, si jamais tu en as besoin…
- Ne t'inquiète pas, j'en avais acheté plusieurs avant la rentrée. Si jamais je suis coincée, je demanderai à mon père de m'en envoyer.
- C'est très gentil de ta part.
Elle fit une petite moue.
- Je n'avais pas pensé… tu auras besoin d'un taille-crayon…
- Un taille-crayon ?
- Oui, c'est un objet pour affûter la mine. Si tu n'en as pas, tu ne pourras pas utiliser le crayon très longtemps.
- Regarde-nous, de vrais professionnels des objets moldus, dit-il soudainement.
Ils partagèrent un rire. Elle lui fit signe d'attendre et prit son taille-crayon dans son sac, puis sortit sa baguette en revenant vers lui. D'un mouvement agile, elle dupliqua l'objet et le tendit à Ernie qui lui sourit en le prenant.
- Ce ne sera pas d'aussi bonne qualité qu'un original, mais tu pourras l'utiliser jusqu'aux vacances de Noël je pense… et au pire, tu n'auras qu'à me demander, je dupliquerai le mien de nouveau.
- Je le trouve très réussi, complimenta-t-il en examinant le taille-crayon.
- Merci, sourit-elle. C'est un de mes sorts fétiches.
- Avec le sortilège de Réduction ? demanda-t-il.
- Bien deviné, s'amusa-t-elle. La réunion de l'an dernier ?
- C'était assez spectaculaire, commenta-t-il. Je n'avais jamais eu l'opportunité de te le dire.
Elle lui renvoya un sourire rayonnant et se rappela ses prouesses à lui.
- Ta maîtrise de la Stupéfixion était aussi impressionnante. Tu as réussi au bout de quoi, deux essais ?
- Trois, corrigea-t-il avec humilité, ce qui fit sourire Rose. Merci pour le crayon et le taille-crayon, ça va m'être très utile.
- Avec plaisir ! À bientôt, Ernie.
Ils échangèrent un dernier sourire et Rose reprit place à table, juste à temps pour entendre une voix masculine grommeler :
- Moi aussi j'ai réussi au troisième essai, et elle m'a jamais fait de compliment.
- Gros bébé, se moqua Rose en regardant Michael. Bravo Michael, tu maitrises très bien la Stupéfixion aussi, je suis très impressionnée.
- Hypocrite.
Elle lui adressa un large sourire forcé, auquel il répondit de la même manière avant qu'ils ne se mettent à rire.
- Je n'avais jamais entendu Ernie complimenter quelqu'un. À part Harry, peut-être, ajouta Terry après réflexion.
- C'est parce que je suis brillante, ça.
- Et modeste, ajouta Mandy.
- C'est ma première qualité. Ça, et la fortune familiale.
Des rires retentirent autour d'elle et elle joua un instant avec sa fourchette.
- Ça vous gêne ?
- De quoi elle parle ? chuchota Nassim.
- Du fait qu'elle soit pleine aux as, répliqua Derek sur le même ton.
- Moi, non, les Wayne, oui, corrigea-t-elle. Est-ce que vous trouvez que… j'étale trop notre argent devant tout le monde ?
Onze regards perplexes étaient posés sur elle. Enfin, dix. Rose haussa les épaules et tenta d'expliciter.
- Je sais pas, je me dis que peut-être je vous mets mal à l'aise parfois, que j'en fais trop…
- Mais… pas du tout, Rose, protesta Lisa après avoir consulté les autres du regard.
- Je n'ai jamais été mal à l'aise, ajouta Padma.
- Même au Manoir ? marmonna Rose.
- Même au Manoir, confirma Mandy avec fermeté.
- D'accord. Merci.
Un petit silence s'installa, pour être brisé après une petite minute.
- Mais qui t'a mis ces idées dans la tête ?
Derek venait de s'adosser à sa chaise et avait croisé les bras, l'air soucieux. Elle esquiva son regard.
- Pas l'un de nous quand même ? s'affola Terry.
- Non, non, le rassura Rose. À la fête d'Halloween, j'ai entendu des gens parler de ça, et je me suis dit que peut-être vous aussi vous trouviez que j'étais prétentieuse parce que ma famille est riche.
- Mais n'importe quoi, articula Anthony, visiblement écœuré. Qui a dit ça ?
Elle haussa les épaules.
- Peu importe.
Lisa fronça les sourcils, bientôt imitée par Mandy et Derek.
- On les connait alors, comprit Michael. Sinon tu aurais balancé les noms plus tôt.
- Allez, crache le morceau, on va pas te lâcher de toute façon, dit Anthony d'un ton raisonnable.
- On est tous beaucoup trop curieux pour notre propre bien, soupira Padma.
- Ça… Rebecca et Marietta, avoua Rose du bout des lèvres. Et un peu Cho aussi.
Ne le regarde pas, ne le regarde pas, ne… trop tard.
Mais William regardait ailleurs. Rose fit un sourire désolé à ses amis qui la regardaient avec consternation.
- Je suis désolé, dit finalement Michael.
- Tu n'y es pour rien, répliqua Rose. Merci de m'avoir répondu.
Derek passa son bras autour de ses épaules et lui embrassa la tempe.
- Enfin si, il y a un truc qu'on a compris à ton sujet quand on était au Manoir, lança Nassim.
- Quoi ? s'enquit Rose avec appréhension.
- Pourquoi tu es bordélique, s'esclaffa-t-il.
- Toutes ces personnes qui s'affairent derrière toi pour tout ranger… moi non plus je ne rangerais rien si j'étais à ta place, estima Idriss.
- Tu ranges déjà pas des masses, ronchonna Marc, alors j'ose même pas imaginer…
Les autres rirent à leur tour, y compris Rose qui s'était enfin détendue.
- Au fait, lança Anthony, vous avez reçu une invitation pour le prochain diner de Slughorn ?
Derek, Rose et William opinèrent.
- Vous y allez ?
- Nous deux, oui, répondit Derek pour lui et Rose. Toi ?
- Oui, on n'est pas de service vendredi prochain. William ?
- Oui, j'irai aussi, confirma-t-il.
Rose n'essaya même pas de capter son regard. À quoi bon ? Il l'évitait depuis le début de la semaine.
- Ah, parfait, on ira ensemble alors.
Rose lui adressa un large sourire, contente d'y aller avec lui et Derek. Et William.
- Tu veux que je lui parle ? souffla une voix dans son oreille alors qu'ils se levaient tous.
- Mais ça va pas, grogna-t-elle.
- J'aimerais bien savoir pourquoi il t'ignore depuis quelques jours, confessa Derek.
- Oui, moi aussi, mais écoute… je peux pas le forcer à interagir avec moi s'il n'en a pas envie.
Son meilleur ami eut une moue peu convaincue, Rose leva les yeux au ciel.
- Allez, dépêche-toi sinon tu vas être en retard pour aller tripoter des trucs sales.
- Euh pardon ? fit Terry en se tournant vers eux.
Rose éclata de rire.
- Elle parle de Botanique, précisa Derek, hilare aussi. À tout à l'heure, mon chat.
- À tout à l'heure, sourit-elle, toujours amusée par la tête de Terry.
Elle perdit son sourire quand elle se rappela qu'elle allait passer une heure toute seule, probablement à la Bibliothèque – pour changer. Une heure seule, ça voulait dire une heure à ressasser les mêmes pensées, qui convergeaient toutes vers William. Déprimée à cette idée, elle rajusta son sac sur son épaule, pour ne le poser qu'une fois installée à une petite table de la Bibliothèque.
Elle avait bien avancé sur son devoir de DCFM à rendre lundi quand une voix la sortit de son monde.
- Rose ?
Elle leva le nez et sourit à Marc, qui pointa la chaise libre à côté d'elle. Elle opina et poussa ses affaires. Il posa le livre qu'il avait à la main et prit le temps de sortir un carnet et un crayon avant de parler.
- Je suis désolé pour le comportement de William.
Surprise, Rose le considéra avec un sourcil levé.
- Je sais pas ce qui lui prend. Avec nous aussi il est distant en ce moment. Pas autant qu'avec toi, ajouta-t-il après réflexion.
Rose ne savait pas trop quoi lui répondre et se contenta de lui faire un sourire, se rendant compte qu'il était plus triste qu'autre chose.
- J'ai essayé de le faire parler l'autre soir, mais il a botté en touche et je ne sais rien de plus.
- Pour quelqu'un qui passe son temps à parler…
- C'est parfois difficile de lui soutirer de vraies informations, sourit Marc. Surtout s'il n'a pas envie que ça se sache.
- Il fait bien ce qu'il veut.
Tiens, ça faisait longtemps.
- Je veux dire, il n'est pas obligé d'être amical avec moi s'il n'en a pas envie.
- Ça te convient ?
- Non, lâcha Rose spontanément. Mais je ne vais pas le forcer…
- Je suppose que tu sais ce qui s'est vraiment passé entre lui et Rebecca ?
Elle acquiesça rapidement, et à son grand soulagement, Marc ne rajouta rien à ce sujet.
- Mardi soir, après le cours de yoga, tu étais où ? demanda Rose avec curiosité. On t'a perdu pendant, quoi, une demi-heure ?
Il prit une inspiration, s'arrêta, considéra son amie un instant qui sembla regretter sa question.
- Pardon, ne te sens pas obligé de rép…
- J'étais avec Charlotte, dévoila-t-il.
- Vous faisiez quoi ? … Oh ! s'exclama-t-elle alors qu'il lui jetait un regard pénétrant. Mais… ?
Marc eut un rire devant les interjections peu élaborées de Rose.
- Ben je savais pas. Je croyais que tu étais…
- Oui, aussi, coupa-t-il rapidement. Les deux, quoi.
- On peut arrêter d'en parler si ça te gêne, proposa Rose alors qu'il se tortillait sur sa chaise.
- Non, c'est juste que c'est la première fois que je le dis à quelqu'un.
- C'est inattendu. Mais ça explique les regards énamourés que Charlotte t'envoyait pendant le cours, s'amusa Rose. Elle sait qu'elle a une chance.
- Qui s'est concrétisée après le yoga, marmonna Marc.
- En vrai ?! Par Merlin tu perds pas de temps.
- Tu rigoles ? Je l'avais repérée dès le premier cours, avoua-t-il.
Rose lui fit un grand sourire.
- C'est trop mi…
- Si tu dis mignon, je m'en vais.
- …stérieux. C'est trop mystérieux.
Il se mit à rire et Rose l'imita.
- Bon, j'espère qu'elle est moins méchante que Rebecca.
- Aucun souci à te faire à ce niveau, elle est adorable.
- Ne lui dis jamais qu'elle est adorable, avertit Rose. C'est comme si je te disais que tu es mignon.
- Qu'est-ce que je lui dis ?
- Qu'elle est intéressante. Et sexy, répondit-elle après réflexion.
- Bien noté, rit-il. Ça devrait pas être difficile de lui dire ça.
Rose sourit, attendrie par son ami, qui était trop mignon. Voilà, elle ne le lui dirait pas, mais elle avait bien le droit de le penser. Marc croisa les bras et regarda le plafond un instant.
- Bon, après on change de sujet, je te promets. Je pense que si Rebecca…
Rose étouffa un grognement qui le fit sourire.
- Était peu amène avec toi, c'était de la jalousie.
- De la jalousie ? ça n'a aucun sens… On se connait à peine…
- Tu trouves ça bizarre ? Moi, ça me parait logique. Toi et William, vous avez une relation un peu différente – en tout cas d'habitude – et elle l'a forcément senti, ou vu. Ça explique son attitude possessive dès que tu étais dans les parages. Je te garantis qu'elle ne se comportait pas comme ça quand on était seulement entre septièmes, à lui sauter dessus ou le toucher toutes les trente secondes. Ça explique aussi son costume ridicule à Halloween, ses commentaires déplacés sur ta famille…
Rose était fascinée par ce qu'il disait et hocha la tête pour qu'il continue.
- Et lundi soir, elle a eu confirmation de ce dont elle se doutait quand il a…
Ils grimacèrent en même temps.
- Ok, j'ai terminé, on peut changer de sujet.
Rose eut un petit rire silencieux et pointa le livre qu'il avait emprunté.
- Les baguettes magiques ?
- Ah oui, c'est mon nouveau sujet de mémoire : la confection des baguettes magiques.
- Tu ne vas plus le faire sur les Animagus ?
- Tu as l'air déçu, s'amusa Marc alors qu'elle opinait. Après en avoir parlé avec Flitwick, on a décidé que le sujet avait été vu et revu par des générations d'étudiants… il m'a demandé de considérer les baguettes magiques, qui est un sujet un peu délaissé. Il a même pensé que ça m'intéresserait…
- Et ?
- Et il avait raison, admit-il avec le sourire. C'est passionnant.
- Tant mieux pour toi.
- D'ailleurs, je vais peut-être vous demander tous de l'aide. Mais j'en reparlerai, je dois lire pas mal de documents avant.
- Pas de problème ! Oh, il faut que j'y aille… j'ai Sortilèges dans cinq minutes.
- Je te suis, moi aussi j'ai cours.
Rose le salua de la main au bout du couloir et rejoignit les sixièmes pour leur dernier cours de la semaine, l'esprit serein. Marc avait cette incroyable capacité à parler avec un calme qui aidait à aborder des sujets même peu agréables. Comme le comportement de William à son égard depuis le début de la semaine, ou celui de Rebecca, en particulier pendant la fête d'Halloween. Elle fit part aux autres des réflexions de Marc concernant l'ancien couple, à voix basse entre deux charmes pendant le cours, mais ne parla pas de Charlotte. Ce n'était pas à elle de partager cette information. Même si… il était très mignon. Rose réprima un sourire en repensant à leur conversation et se concentra sur le sort qu'ils étudiaient.
Ce n'est que le lundi suivant, après diner, que Marc leur parla de son sujet de mémoire de dernière année.
- La création de baguettes magiques ? Ça doit être super intéressant, commenta Anthony.
- Ça l'est, confirma-t-il. Je voulais vous demander, justement. Est-ce que vous seriez d'accord pour participer et me parler de vos baguettes ? Je pense que ça m'aiderait beaucoup pour en comprendre le fonctionnement, et ce serait une partie « pratique » dans mon mémoire.
Il considéra ses onze amis puis ajouta :
- Vous êtes pas obligés hein, je sais que certaines personne n'aiment pas parler de ça, c'est un peu intime.
Rose fut évidemment la première à réagir.
- Moi je veux bien. Je suis sûre que tu vas m'apprendre plein de trucs sur ma baguette !
L'idée d'en apprendre plus motiva instantanément Anthony et Lisa qui annoncèrent qu'ils participaient aussi. Puis les autres approuvèrent à leur tour et Marc sembla ravi.
- Merci, glissa-t-il à Rose qui lui renvoya un grand sourire. Si vous êtes d'accord, je voudrais bien que vous me notiez les caractéristiques de vos baguettes… j'ai préparé un document, attendez…
Il fouilla dans son sac et sortit un parchemin sur lequel il avait tracé un tableau. Tout le monde le regardait avec attention et il leur fit un petit sourire.
- Voilà, il faudrait écrire le bois, le cœur, la longueur et le niveau de souplesse… si vous vous en souvenez. Pour la longueur, j'ai ça, termina-t-il en montrant un mètre ruban. J'ai déjà rempli avec les informations de ma baguette, vous pouvez prendre exemple.
Un regard incertain de sa part fit tendre le bras à Derek.
- Donne, je veux bien commencer.
- Ah, celle de Derek c'est facile, lança Michael avec amusement. Du bois de séquoia, un poil de géant et une longueur d'un mètre cinquante.
Tout le monde se mit à rire et Derek finit par secouer la tête, un sourire malicieux aux lèvres.
- N'importe quoi, un mètre cinquante c'est la longueur de mon…
- Derek ! protesta aussitôt Terry.
- De mon balai. Pervers.
Leur hilarité se prolongea pendant que le grand blond remplissait le tableau de Marc. Il mesura méticuleusement sa baguette et inscrivit l'information, puis releva la tête.
- À qui le tour ?
Un à un, ils notèrent les caractéristiques sur le parchemin. Terry se mit à rire en regardant Marc.
- Mais arrête de nous remercier, ça doit faire trente fois que tu le dis !
- C'est parce que je vous suis très, très reconnaissant.
- Je n'y croirai que quand je verrai du chocolat, rétorqua Mandy avant de tendre le document à Rose, qui était la dernière.
- Terry est peut-être un pervers, mais toi tu es une obsédée du chocolat.
- Hé ! ronchonna Terry en croisant les bras pendant que Padma lui tirait la langue.
Marc regardait par-dessus l'épaule de Rose.
- Hein ? chuchota-t-il en regardant ce qu'elle écrivait. Tu me fais marcher ?
- Pas du tout, pourquoi ? s'enquit-elle en haussant un sourcil.
Il désigna la colonne « cœur » et lui jeta un regard étonné.
- C'est la première fois que j'entends parler de ce cœur…
- Ah, c'est peut-être parce que…
- Bon, coupa Mandy, de quoi vous parlez ?
Ils levèrent la tête et virent dix personnes les fixer. Même William avait levé le nez, même s'il regardait Marc et absolument pas Rose.
- Ah non, protesta Marc. Je ne vous parle pas des caractéristiques des baguettes des autres…
- Ça me gêne pas, dit Rose.
- Oui et puis, elle a les yeux sur le tableau qu'on a tous complété.
- J'ai pas lu, je te signale. Même, regarde.
Elle roula le parchemin de manière à ne voir que la ligne qu'elle était en train de remplir.
- Le cœur de ma baguette, c'est une plume d'oiseau-tonnerre, fit Rose sous la pression des regards.
- En vrai ? s'étonna Padma.
- Vrai de vrai, confirma-t-elle.
- Je savais pas qu'Ollivander utilisait ce type d'animal… réfléchit Michael.
- Pourquoi pas ? demanda Nassim.
- Parce que l'oiseau-tonnerre vient des États-Unis, répondit Lisa. Il me semble qu'il utilise des cœurs de baguettes plus locaux.
Marc fit un grand sourire à Rose, apparemment enchanté.
- Je n'ai aucune idée des propriétés de cette plume, ça va être passionnant à découvrir !
- Ravie que ça te convienne, s'amusa-t-elle.
- Tu n'as pas acheté ta baguette chez Ollivander ?
- Non, je l'ai achetée pendant un voyage aux États-Unis avec Père, l'été avant notre première année à Poudlard.
- Fais voir, réclama Idriss.
Rose la sortit de sa poche et la lui tendit. Il l'attrapa et la fit tourner entre ses doigts.
- Méfie-toi, elle est un peu…
- Wow ! s'exclama-t-il alors que des étincelles en jaillissaient.
- Caractérielle, termina Rose avec un sourire.
Idriss secoua son pull abîmé en maugréant et rendit son arme à Rose.
- C'est un bois américain aussi ? s'enquit Marc.
- Aucune idée… c'est du prunellier. Vous connaissez l'étendue de mon savoir en botanique, donc je peux pas vous dire…
- Non, c'est un arbre assez répandu, fit remarquer Michael.
Marc était en train de tourner les pages d'un des livres de la Bibliothèque. Son doigt suivait le paragraphe qu'il lisait et Rose se pencha vers lui à son tour. Ils échangèrent un sourire entendu et Rose se redressa.
- « Tisse des liens profonds avec son maître après avoir traversé des périls ou des épreuves ensemble », lut Marc à voix haute.
Rose réfléchit un instant.
- C'est vrai qu'elle est plus… réactive depuis quelques temps, admit-elle. Comme si elle me comprenait mieux. Et elle n'aime pas que quelqu'un d'autre que moi la touche.
- J'avais pigé, ronchonna Idriss.
- C'est un joli bois en tout cas, jaugea Marc. J'aime bien la poignée, avec le cercle doré ici…
- Très luxueux, taquina Derek.
- Elle est jolie, mais elle mord, résuma Michael.
- Comme Rose, glissa Lisa avec un sourire, récoltant un « n'importe quoi » de la part de l'intéressée.
Rose se plongea dans ses souvenirs.
- Je me souviens que l'artisan avait dit quelque chose dans le genre, qu'elle ne me serait attachée qu'une fois qu'on aurait passé des épreuves ensemble…
Elle ferma les yeux pour se concentrer.
- Bois de prunellier et plume d'oiseau-tonnerre, annonça l'artisan en saisissant une boite.
Rose le regardait intensément, impatiente de la tester.
- Un bois très intéressant, le prunellier, commenta-t-il en dépliant les papiers de soie qui dissimulaient la baguette.
- Pourquoi ? demanda-t-elle.
- On dit que ces baguettes ne deviennent vraiment fidèles qu'après avoir vécu des épreuves difficiles avec leur propriétaire. Mais quand le danger est vaincu, elles sont d'une loyauté sans faille.
Il sourit aux deux clients.
- Combiné avec la plume d'oiseau-tonnerre, cela fera une arme formidable une fois sa fidélité acquise.
Erwan Wayne fit un geste pour arrêter l'homme en face de lui, qui posa la baguette, surpris.
- Je voudrais qu'elle en essaie une autre, annonça son père de son ton implacable.
- Mais, Père…
Rose voulait essayer celle-là, elle la trouvait jolie avec son bois sombre et son anneau doré. Elle ravala ses protestations sous le regard sévère de son père. L'artisan sembla hésiter, puis prit une nouvelle boite parmi ses étagères bien ordonnées. Il déballa la baguette et la tendit à Rose, qui l'agita légèrement. Rien ne se passa.
- Pas celle-ci alors, concéda-t-il avec un sourire.
Rose en essaya une deuxième qu'elle trouva très courte. Puis une troisième, sous le regard pesant de son père. Elle ne cessait de jeter des coups d'œil à la baguette en prunellier qui était toujours sur le comptoir. Le vendeur allait et venait dans ses rayonnages, proposant des baguettes qui ne convenaient jamais. Rose ne ressentait rien et elle était à deux doigts de la panique : et s'il y avait une erreur et qu'elle n'avait pas de magie en elle ?
Elle retint son souffle à ce qui lui sembla être la centième baguette – en vérité, la treizième. Son père gardait sa patience et les bras croisés. Elle se mordilla la lèvre et jeta un regard désespéré vers l'artisan derrière son comptoir. Ses yeux retombaient systématiquement sur la baguette de prunellier, malgré ses efforts pour essayer de l'ignorer. La porte du magasin s'ouvrit dans un tintement de clochettes et son père se retourna par réflexe. La main de Rose bondit et saisit la baguette qui l'appelait depuis le début, sans que son père ne la voie ni que l'artisan ne puisse l'arrêter. Elle la serra dans sa main droite et recula d'un pas ou deux.
- Oh… murmura-t-elle, émue.
- Ah oui, très bien Miss ! félicita l'homme en face de Rose.
Elle lui fit un petit sourire et considéra la baguette qui venait de lui envoyer une sensation de chaleur et de bien-être dans le corps quand elle avait fait quelques gestes avec. L'artisan eut une mimique satisfaite en regardant l'enfant devant lui et osa relever les yeux vers Erwan Wayne. Ce dernier avait les sourcils froncés et l'air mécontent.
- Père, c'est moi qui l'ai prise, annonça directement Rose. Je n'ai pas demandé la permission.
Il avait l'air furieux et regardait l'arme avec mépris.
- Monsieur, je vous assure que nos baguettes présentent des qualités irréprochables et que la sécurité de votre fille…
- Je sais bien, coupa-t-il sèchement.
Il allait céder, Rose le savait. Que pouvait-il faire, si c'était la bonne baguette ?
Son père hocha enfin la tête et Rose remit la baguette dans la boite, adressant un nouveau sourire à l'artisan qui le lui rendit prudemment. Lorsqu'ils quittèrent la boutique, Rose n'osait plus regarder son père, sentant sa colère irradier autour de lui. Elle baissa le nez et le suivit sagement dans les rues bondées de Seattle.
Elle s'était toujours demandé pourquoi son père avait été saisi de colère lorsqu'ils avaient acheté sa baguette, mais elle avait oublié la moitié de ce moment jusqu'à aujourd'hui. Rose ouvrit brutalement les yeux.
- Ah, elle revient parmi nous, s'amusa Padma.
- À quoi tu…
Terry s'interrompit en voyant la mine défaite de Rose.
- Quand la baguette m'a choisie, il était furieux. Il ne voulait même pas que je l'essaie, chuchota-t-elle.
Elle se leva brusquement.
- Il faut que j'écrive à Père.
- Me regardez pas comme ça, j'ai pas compris non plus, se défendit Derek.
Rose les ignora et monta les marches du dortoir quatre à quatre. Dans la chambre, elle déplia un parchemin vierge, se saisit de sa plume, la trempa dans l'encre et commença à rédiger, la main un peu tremblante.
« Papa,
Tout va bien au château, rien de très palpitant en ce moment. Les cours sont intenses et nous avons beaucoup de devoirs. Je suis devenue amie avec Ernie Macmillan (il est à Poufsouffle), avec qui je suis en Étude des Moldus. On étudie beaucoup ensemble. Il est gentil et utilise un vocabulaire un peu daté, c'est très amusant – même si je ne le lui dirai jamais. Derek va bien, il s'entraine au Quidditch au moins trois fois par semaine. Je suis sûre qu'il en rêve aussi la nuit.
Nous avons fait une fête pour Halloween et tout le groupe m'a demandé de te remercier pour ta brillante idée de faire des mélanges. Les septièmes ont pris ton conseil très au sérieux et tu as clairement éveillé une ambition de barman chez Nassim qui s'est servi de nous comme cobayes avec beaucoup d'enthousiasme. J'ai pensé que ça te ferait rire.
Ce soir nous avons parlé de nos baguettes magiques – Marc a choisi la création de baguettes comme sujet de mémoire de septième année – et je me suis rappelé le jour où nous avons acheté la mienne, à Seattle.
En lisant le manuel de Marc, j'ai repensé aux explications du vendeur, qui nous disait que le bois de prunellier était spécial, car il fallait que la baguette et son propriétaire « traversent une épreuve » ensemble avant que sa fidélité soit définitivement acquise. Quand il a dit ça, tu as refusé que j'essaie la baguette, et tu as semblé furieux quand je l'ai prise sans autorisation et qu'elle m'a convenu. J'avais oublié ce détail, mais maintenant que je m'en souviens, je ne peux pas m'empêcher de penser avoir compris pourquoi tu as refusé cette baguette en entendant la description du prunellier.
L'explication la plus logique à mes yeux serait que tu savais que j'avais ma pathologie et que la description de l'artisan t'a fait peur, car tu connaissais les risques que j'encourais. Est-ce cela ?
Je n'avais jamais réussi à élucider ce mystère, mais c'est à toi de me confirmer.
J'attends ta réponse avec impatience,
Rose A. W. »
Rose reposa sa plume et souffla longuement en se relisant. Bon, elle n'était pas agressive, et pas trop accusatrice non plus. Seulement curieuse de comprendre, lui semblait-il. Elle espéra qu'il serait honnête dans sa réponse.
Qui serait qu'il savait qu'elle était malade. Et ne lui avait jamais dit, de toute sa vie, même pas quand elle avait failli mourir.
Son deuxième battement de cœur tambourina en chœur avec le premier et elle se massa la cage thoracique, entre ses deux seins, comme elle en avait pris l'habitude.
Pourquoi ne lui avait-il jamais dit, si c'était bien ça ?
Elle se frotta les yeux et décida de ne pas redescendre. Elle n'aurait pas la force de leur expliquer tout ce qui se passait dans sa tête pour le moment. Elle se contenta de penser très fort à Derek et de répéter en boucle « tout va bien. Je t'explique demain. », jusqu'à se décider à aller prendre une douche et à se glisser entre ses draps. Elle divertit son esprit en lisant le Sorcière Hebdo de la semaine, les rideaux fermés autour d'elle et Kietel qui faisait des roulades sur ses genoux.
La semaine s'écoulait lentement, et chaque matin les espoirs de Rose étaient douchés : son père ne répondait pas. À chaque fois qu'ils voyaient le courrier arriver, les Serdaigles regardaient les hiboux et les chouettes avec intérêt, pour être à chaque fois déçus.
- Ça ne fait que deux jours, tempéra gentiment Padma.
- Il n'a peut-être pas eu le temps de répondre, s'il travaille beaucoup… supposa Marc.
- Il travaille toujours beaucoup, rétorqua Rose. Mais je suis d'accord, ça ne fait que deux jours. Je ne suis même pas sûre qu'il soit au Manoir en ce moment en plus…
Elle avait envie qu'il lui réponde, bien sûr, mais surtout, elle en avait besoin : depuis qu'elle avait cacheté son courrier, ses deux battements de cœur battaient en elle et elle commençait à être épuisée par le duel qui se jouait en permanence dans sa cage thoracique. Elle ne put retenir un regard irrité vers William, qui, comme depuis le lundi précédent, ne la regardait pas, ne lui parlait pas, ne la considérait plus, convaincue que son changement d'attitude à son égard n'était pas non plus étranger à l'assourdissant double rythme cardiaque dans sa poitrine. À quoi il jouait, exactement ? Ça faisait plusieurs fois que Derek et Lisa lui suggéraient de faire le premier pas, mais c'était hors de question. Si Monsieur Van Alten avait décidé que Rose n'était plus assez bien pour ne serait-ce qu'admettre son existence, elle n'allait certainement pas ramper devant lui. Même si ça la mettait hors d'elle et l'indignait terriblement.
Rose suivit machinalement le mouvement jusqu'à la Bibliothèque et imita ses amis en sortant ses affaires de cours. Son froncement de nez et ses doigts pressés contre sa poitrine n'échappèrent pas à Lisa qui se pencha vers elle.
- Ça va aller ? C'est pas la première fois que je te vois faire ça depuis quelques jours.
- Oui, oui, c'est juste que… on est plusieurs là-dedans et tout le monde voudrait participer en même temps, expliqua-t-elle mystérieusement.
- Ça passe pas après la nuit ?
- Pendant une petite demi-heure après mon réveil, je suis tranquille. Mais ça recommence, surtout quand on est dans la Grande Salle et qu'aucune lettre ne me parvient.
- Et que lui est dans les parages ? glissa Mandy.
Ce à quoi Rose hocha la tête avant de gonfler les joues.
- Bon, devoir de Potions, marmonna-t-elle pour dévier leur attention, ce qui fonctionna à merveille.
Le repas de midi fut animé par un seul sujet de conversation : le match du lendemain, qui opposerait Serdaigle à Poufsouffle. Le premier de William en tant que capitaine, ce qu'il finit par leur interdire de mentionner après une bonne trentaine d'occurrences.
- Je suis assez stressé comme ça, n'en rajoutez pas une couche, leur demanda-t-il, l'air préoccupé.
La colère de Rose à son égard retomba comme un soufflé. Derek se tourna vers elle et la regarda avec intensité, conscient du changement dans ses émotions. Elle se contenta de hausser les épaules et de jeter des regards en douce à William. Si seulement il lui parlait encore… elle aurait pu, elle ne savait pas, essayer de le rassurer, ou lui lancer une plaisanterie pour le détendre, ou lui faire un compliment sur ses capacités en tant que capitaine de Quidditch – elle avait assisté à plusieurs entrainements, le dernier pas plus tard que la veille, et il ne faisait aucun doute qu'il était un meneur naturel sur le terrain – ou encore passer ses mains sur ses épaules, presser ses doigts contre ses muscles tendus, et poser ses lèvres sur…
Et voilà pourquoi elle s'interdisait de trop le regarder ou penser à lui. Plus il la maintenait à distance, plus elle se vexait bien sûr, mais surtout, plus elle voulait imposer sa présence près de lui. Ce qui était stupide, puisque lui n'en avait visiblement pas envie.
Elle écouta d'une oreille distraite les quatre joueurs parler de stratégie, puis lorsque la cloche sonna, elle remonta seule dans la tour Serdaigle. Elle n'avait pas le courage de faire des devoirs et comptait ranger sa chambre, activité qu'elle avait un peu laissé tomber depuis quelques jours. L'état de son coin reflétait son état mental : c'était le désordre, tout était mélangé et il devenait difficile de s'y retrouver. Rose ramassa ses vêtements en soupirant et s'appliqua à trier le propre du sale, fit des tas distincts, rangea les livres qui trainaient, essuya une larme en reposant le livre offert par William… Ah non, elle n'allait pas se mettre à pleurer ! Elle mit cela sur le compte de la fatigue émotionnelle et continua son rangement, discutant avec Kietel qui semblait très content de la voir à cette heure-ci dans le dortoir.
- Tu sais, tu as le droit de sortir maintenant… Tu peux aller te promener dans la Salle Commune.
Elle sourit en le regardant sautiller, se rappelant que Mandy lui avait demandé récemment si elle s'attendait à une réponse de sa part un jour ou si toutes ses questions étaient rhétoriques. Rose avait répondu avec l'air le plus sérieux du monde qu'elle était persuadée qu'il allait bientôt parler, d'ailleurs l'autre jour il avait presque réussi à dire « maman ». L'expression incrédule de la blonde avait été sa plus belle récompense et elle s'était vite retournée avant d'éclater de rire. Mandy lui avait coulé des regards dubitatifs pendant tout le reste de la journée, ce que personne n'avait compris, mais Rose s'était bien amusée.
Le soir, elle attendit qu'Anthony, Derek et William la rejoignent près de la porte pour se rendre au diner du Club de Slug. Elle sourit en sentant un bras se glisser sous le sien et tourna la tête vers son meilleur ami, qui s'était changé, tout comme elle.
- Anthony arrive, il termine de s'habiller. Ça va le cœur ?
- Les cœurs, tu veux dire ? s'amusa Rose. C'est stable. Ils sont tous les deux là, mais à égalité. J'espère que ça ne changera pas ce soir…
Il hocha gravement la tête. Elle s'en voulait qu'il s'inquiète autant et ne cessait de lui confirmer que tout allait bien, ne serait-ce que pour la tranquillité d'esprit de Derek, et aussi un peu dans l'espoir qu'elle arrive à s'en persuader elle-même. Elle espérait surtout qu'il ne laisserait pas son inquiétude le déconcentrer lors du match de Quidditch du lendemain.
- Mais non, nia-t-il alors qu'elle n'avait rien dit, lui arrachant un sourire. Ah j'ai hâte d'y être…
Rose pressa sa main avec affection.
- Voilà Anthony.
Le grand brun les rejoignit rapidement et força un sourire.
- Désolé. J'ai croisé William, il nous demande de ne pas l'attendre, il viendra plus tard.
Rose pinça brièvement les lèvres puis ouvrit la porte pour qu'ils sortent.
Le souper chez le professeur Slughorn se déroula comme les précédents : tout était prétexte pour le vieil homme à parler de son réseau de relations et bien sûr, de l'élargir avec les élèves présents. Rose ne cessait d'envoyer des sourires vers Hermione Granger qui les lui rendaient, mais elles étaient assises trop loin l'une de l'autre pour pouvoir discuter. La seule différence par rapport à la fois précédente avait été l'arrivée en retard de William, que Slughorn avait excusé d'un geste de bienvenue. Et peut-être, le fait que le septième ne cessait de converser avec Melinda Bobbin, qui était apparemment la sorcière la plus fascinante du monde ce soir. Même Ginny Weasley avait remarqué que William avait activé son mode « charmeur » et lui jetait de fréquents coups d'œil, dont Rose ne voulait pas connaitre la nature – moqueurs ou intéressés ?
- Tu veux qu'on parte ? marmonna Derek à son oreille alors qu'elle pressait une nouvelle fois ses doigts contre sa poitrine.
Elle refusa d'un signe discret, bien décidée à maitriser le fauve en elle. Hors de question qu'elle gâche la soirée en étant dramatique, ni qu'elle laisse comprendre que le comportement de Monsieur Van Alten la touchait. Il avait bien le droit d'adresser des sourires séducteurs à qui il voulait, il était libre. Rose se reprit et se plongea dans les conversations, participant autant qu'elle le put, dégainant elle aussi son sourire – qui n'avait pas le même impact que celui de William, mais au moins, elle passait une soirée intéressante. Slughorn lui demanda des nouvelles de son père, elle broda un peu pour le satisfaire. Lorsqu'il servit du vin, en gloussant et en les faisant promettre de n'en parler à personne, Rose haussa un sourcil amusé en lisant l'étiquette de la bouteille, qu'elle reconnut comme étant une de celles que son père faisait parvenir au maitre des potions annuellement. Slughorn capta son expression et lui retourna un clin d'œil complice auquel elle répondit par un large sourire, et elle fit honneur au verre qui lui était servi – le vin était excellent, mais honnêtement, venant de son père, elle n'en attendait pas moins. Elle discutait calmement avec Anthony et un étudiant dont elle n'avait pas retenu le prénom quand elle vit Derek esquisser un petit sourire.
- Quoi ? chuchota-t-elle dès qu'elle le put.
- McLaggen et Hermione. Elle lui plait beaucoup.
C'était effectivement difficile à manquer. Le Gryffondor était terriblement vaniteux et Rose ne l'aimait pas beaucoup – et vu les expressions un peu crispées d'Hermione, elle non plus. Rose lui envoya un nouveau sourire, compatissant cette fois, et se promit de s'asseoir à côté d'elle la prochaine fois. L'étudiant avec lequel elle parlait réclama de nouveau son attention et elle se tourna vers lui, un sourire plaqué au visage. Qu'est-ce qu'il parlait, celui-là… il était difficile d'en placer une. Elle commençait à connaitre beaucoup de choses à son sujet… à part son prénom, qu'elle n'avait pas retenu. Il était en septième à Poufsouffle, il venait d'Irlande, il avait quatre frères et sœurs et deux chiens, il voulait travailler au Ministère et pensait obtenir tous ses ASPIC parce que « ce n'était pas possible autrement vu la quantité de travail qu'il avait fournie depuis sept ans ». Rose se retint de lui rétorquer que la quantité de travail ne faisait pas tout s'il n'y avait pas de qualité derrière, et se contenta de répondre – quand elle le put – avec amabilité. Il ne lui posa pas une seule question et elle avait du mal à cacher son agacement et son fou rire – à cause de Derek qui faisait de très discrets commentaires à son oreille depuis une bonne demi-heure.
Elle fut stupéfaite quand, à la fin du diner, il la remercia pour cet excellent moment à discuter avec elle et lui souhaita une bonne nuit, espérant la revoir à la prochaine fête de Slughorn. Même Anthony se mit à rire très doucement.
- Il ne nous a même pas demandé nos prénoms…
Les trois sixièmes se mirent à rire un peu plus fort.
- Et lui, comment il s'appelle ? chuchota Rose.
- Nicholas Summerby, répondit aussitôt Derek.
Deux paires d'yeux le dévisagèrent.
- L'Attrapeur de Poufsouffle !
Anthony et Rose poussèrent un long « ah » de compréhension qui fit rire le Poursuiveur.
- Oh mais tu vas le voir demain sur le terrain !
- Oui… en parlant de demain, je vous propose qu'on rentre ? Je voudrais me coucher tôt. Sinon mon capitaine va m'engueuler demain matin.
- Je te le fais pas dire, confirma une voix derrière eux.
William sourit à Derek et marcha avec eux, tout à gauche, loin de Rose qui regarda droit devant elle pour le restant du chemin, concentrée sur sa respiration.
- Il aime bien parler hein ?
- Tu parles de toi à la troisième personne maintenant ? rétorqua Anthony, clairement amusé.
- Pas encore, rit William. Slughorn.
- Un vrai Serpentard, bien manipulateur comme il le faut, commenta Derek.
- Remarque, il jacasse pas autant que Summerby, fit Anthony en lançant une œillade pleine d'humour à Rose qui sourit et retira sa main écrasée contre sa poitrine.
- Je pense qu'on tient un champion, marmonna-t-elle.
- C'est le charme Wayne ça, taquina Derek.
Elle leva les yeux au ciel et entra dans la Salle Commune en premier.
- N'importe quoi.
- Remarque, ça a marché aussi sur Slughorn, ajouta Anthony. C'était quoi ce petit clin d'œil ?
- Ah, ça… le vin qu'il a servi, c'est mon père qui lui a envoyé.
- C'est comme ça que tu as gagné ta place dans son club ! s'exclama le Préfet.
- Mais non… il lui envoie les mêmes bouteilles tous les ans, c'est une tradition entre eux.
Elle réfléchit un instant et se corrigea en pouffant.
- Enfin, si, c'est exactement pour ça que j'ai été invitée dans son club.
Finalement, elle se tourna vers Derek, planta ses mains sur ses hanches et prit un air sévère.
- Allez, au lit jeune homme !
- Oui Madame, s'esclaffa le grand blond en lui plantant un baiser sur la tempe.
- Demain, huit heures trente ici ! rappela William avant de partir le premier dans les escaliers.
Rose, Anthony et Derek se jetèrent un regard entendu puis se séparèrent. Rose grimaça, sentant la panthère plus proche que jamais, mais ne put s'empêcher de penser à William. Encore une fois, il l'avait complètement ignorée, pas un regard, pas un mot… elle lui rendait automatiquement la pareille, à défaut de savoir ce qu'elle avait loupé dans leur relation pour qu'ils se comportent comme de parfaits étrangers l'un envers l'autre. Elle alla dans sa chambre en soupirant, racontant brièvement la soirée à ses amies qui ne dormaient pas encore avant de se transformer, soulagée.
Des gémissements plaintifs la réveillèrent.
- Mais éteins-moi ça, espèce de marteau…
Rose ouvrit les yeux et se jeta sur son petit réveil qui faisait un raffut terrible.
- Pardon !
Elle attendit une minute ou deux que Mandy se rendorme, puis elle se leva tout doucement. Elle attrapa les vêtements qu'elle avait préparés avant de se coucher et fila dans la salle bains pour se préparer. Quelques minutes plus tard, elle sortait discrètement de leur chambre, sa baguette dans la poche de son jean. Elle voulait voir Derek avant qu'il ne parte prendre le petit-déjeuner avec son équipe – elle ne le verrait qu'après le match si elle ne descendait pas maintenant. En haut des escaliers, elle tomba nez à nez avec les trois membres féminines de l'équipe : Grace, Siobhan et Leah.
- Bonjour ! leur lança Rose avec chaleur. Allez-y, allez-y…
Elle les laissa passer devant et les suivit, les trouvant très silencieuses. Rose leur sourit naturellement et, constatant que les garçons n'étaient pas encore arrivés, décida de discuter un peu avec elles.
- Prêtes pour le premier match ? demanda Rose gentiment.
Trois grimaces lui répondirent, puis Grace prit la parole.
- Je suis super stressée, confia-t-elle.
- Moi aussi, avouèrent à leur tour les deux autres.
- J'espère que je vais pas tout gâcher, souffla Leah.
- Avec ton stress ?
Elle opina.
- Mais non. C'est bien d'être un peu angoissées, vous savez. Je vous assure ! rit Rose devant leurs mines peu convaincues. Ça montre que vous êtes impliquées et que vous voulez faire de votre mieux.
Leah lui adressa un faible sourire.
- Les garçons ont l'air tellement sûrs d'eux pendant les entrainements, lâcha Grace, dépitée.
- C'est normal, ils ont plus d'expérience… et puis, croyez-moi, je les connais bien, ils font bonne figure mais ils ont autant la frousse que vous.
Trois rires incrédules lui répondirent.
- Même le capitaine ?
- Et même Derek ?
- Même eux, promis, s'amusa Rose. Ils se cachent derrière leurs grands sourires charmeurs, faut pas leur faire confiance.
Les rires furent plus francs et Rose les imita. Leah jouait avec une des attaches de sa tenue de Quidditch, puis poussa un soupir exaspéré.
- J'arrive pas à fermer ce truc, là…
- Je peux regarder ? proposa Rose. J'ai l'habitude…
- Merci.
Rose tira sur la lanière et attacha fermement le lacet après l'avoir resserré. Leah leva un pouce et la remercia de nouveau.
- Tu as l'habitude ? s'étonna Siobhan. Je t'ai jamais vue jouer…
- Ah, non, aucun risque, pouffa Rose. J'ai aidé Derek à s'habiller tellement de fois que je pourrais le faire dans mon sommeil.
- Ah…
La quatrième se détourna légèrement de Rose qui haussa un sourcil étonné mais s'abstint de tout commentaire.
- Fais pas attention à elle, souffla Grace.
- Elle craque pour Derek et elle est jalouse de toi, termina Leah.
- Hé ! protesta Siobhan, légèrement rouge, les bras croisés.
Rose ne sut pas quoi répondre, et son sourcil se leva encore plus haut. Après un regard suggestif – et amusé – de Leah, Rose comprit enfin.
- Oooh… Derek et moi ne sommes pas en couple, révéla-t-elle. C'est mon meilleur ami, on se connait depuis qu'on est enfants.
Siobhan sembla se détendre un peu, puis Rose fit une petite grimace.
- Par contre, je suis désolée, mais tu n'as aucune chance avec lui…
- Ah, je te l'avais dit, répliqua Grace en mettant un coup de coude à son amie. T'es pas son genre !
- Littéralement, pouffa Rose. Derek est en couple avec un de nos amis. Ils sont très mignons et je vous interdis de vous immiscer dans leur relation, termina-t-elle avec un clin d'œil.
L'ai déçu de Siobhan les fit rire toutes les trois.
- Michael et Idriss sont hétéro et célibataires si tu veux, suggéra Rose, un autre rire aux lèvres.
- Trop facile, apparemment je préfère me compliquer la vie, sourit finalement Siobhan.
- Ah ça… ça arrive souvent, n'est-ce pas ? murmura Rose, qui avait senti sans les avoir encore vus les garçons arriver.
Elles jetèrent des coups d'œil aux quatre nouveaux arrivants. Rose remarqua que Grace n'arrêtait pas de repousser une mèche de cheveux de son visage.
- Ça m'agace, fit l'Attrapeuse. J'arrive pas à la faire tenir, elle me tombe sans arrêt devant les yeux.
- Ça va pas être pratique pour le Vif d'Or, nota Leah.
- Je sais, gémit Grace, mais y'a rien à faire.
- Attends, on va essayer ça, annonça Rose.
Elle décrocha quelques épingles de ses cheveux et les présenta à Grace qui acquiesça, puis pencha la tête lorsque Rose lui fit signe. Très concentrée, Rose fit une tresse rapide avec la mèche rebelle puis l'épingla fermement jusqu'à la queue de cheval de la cinquième. Puis elle tendit les épingles restantes à Grace.
- Prends-les, si jamais tu en as besoin pendant le match.
- Merci, lui sourit-elle.
Rose adressa un sourire aux trois filles devant elle, ressentant une affection toute sororale pour les trois nouvelles recrues de l'équipe.
- Allez, vous allez tout défoncer, parce que vous avez envie de jouer et que vous vous êtes beaucoup entrainées ! les encouragea-t-elle. J'ai confiance en vous !
- Et en nous ? fit une petite voix à sa gauche qui déclencha quelques rires.
- Mais oui, vous aussi, soupira Rose en regardant Idriss.
Derek le poussa et vint enlacer Rose.
- Amuse-toi bien, mon cœur. Sois le plus fort, comme d'habitude.
- Promis mon chat.
Il s'écarta, Rose pressa le bras de Michael en lui souriant, puis leva les yeux au ciel avant de tendre les bras à Idriss. Ils s'enlacèrent brièvement, il lui adressa un sourire ravi qui fit rire les trois filles.
- C'est bon, on peut y aller ? lança une voix un peu éloignée du groupe.
- Attention, Monsieur le Capitaine devient autoritaire, souffla Rose vers les filles. Soyez braves sinon il va se fâcher et arrêter de sourire pendant au moins quatre minutes.
Elles se tournèrent en riant vers lui. Juste cette fois, elle allait le regarder, tant pis. Elle posa les yeux sur lui et resta figée. Il la regardait aussi. Malgré son souffle coupé, Rose parvint à ouvrir la bouche et murmurer :
- Bon match.
Et juste comme ça, c'était terminé. Elle fit un petit signe de la main aux joueurs qui sortirent de la Salle Commune, puis resta debout quelques instants, coincée sur les yeux bleus de William sur elle qui avaient réveillé toutes les sensations habituelles…
Merlin, elle était pathétique. Il ne lui avait pas parlé, il n'avait même pas montré qu'il avait entendu ce qu'elle avait dit, à quoi bon s'éterniser là-dessus ? Pour autant qu'elle le sache, il était en train de regarder le mur derrière elle.
Elle secoua la tête et remonta dans son dortoir pour attendre ses compagnes en lisant un livre.
Lisa fronça les sourcils et désigna les stands du doigt.
- Mais c'est qui la commentatrice ?
- C'est Luna ! s'exclama Padma en reconnaissant la voix. Ça alors, je savais pas qu'elle faisait les commentaires.
- Derek m'a dit que la dernière fois c'était un Poufsouffle… Zacharias Smith, vous vous souvenez de lui ? demanda Terry.
- Ah oui, il était insupportable à l'A.D., se souvint Mandy. Pourquoi c'est pas lui qui commente ?
- Parce que c'est le capitaine de l'équipe de Poufsouffle, les informa Nassim. Regardez !
Les joueurs et joueuses venaient de faire leur entrée sous les acclamations du public. Rose sourit en constatant que Grace, Leah et Siobhan avaient l'air bien plus sûres d'elles que le matin dans la Salle Commune. Madame Bibine siffla et le match débuta. Bientôt les Serdaigles riaient entre eux, hilares à cause des commentaires lunaires de Luna Lovegood, fidèle à elle-même.
Rose se mordillait régulièrement la lèvre inférieure, en particulier quand le Souafle se retrouvait dans les bras de Derek, ou quand un Cognard s'approchait de lui… ou de William.
Ah zut hein !
Elle se tortilla sur son siège et s'obligea à regarder tous les joueurs de Serdaigle au lieu de baver à moitié devant les incontestables talents du capitaine de l'équipe.
- Ils jouent super bien, admira Marc. Les nouvelles sont vraiment douées.
- William les a bien choisies, approuva Nassim.
- Et ils se sont beaucoup entrainés, rappela Lisa.
- Bon, on se moque de lui, mais… c'est un très bon capitaine, admit Mandy après l'avoir vu donner des instructions à ses équipiers.
- Je t'ai dit, quand il est motivé, il est très impliqué…
Rose eut l'impression qu'une pierre lui pesait dans l'estomac et baissa le nez vers ses genoux, gratouillant une tache qui n'existait pas.
Serdaigle marqua, encore et encore, et l'équipe de Poufsouffle avait du mal à tenir la distance face à l'énergie débordante des bleu et bronze.
- Oh regarde Rose, ton nouveau meilleur ami !
- Très drôle, ronchonna-t-elle pendant que tout le monde riait autour d'elle.
Nicholas Summerby venait de passer près des stands, l'air concentré. Grace volait en rond plus au-dessus du terrain, sa tête tournant dans tous les sens.
- Tu crois qu'il sait comment vous vous appelez ? s'interrogea Padma.
- Il doit au moins connaitre Derek, supposa Anthony. Mais nous…
- Ça m'étonnerait, sourit Rose. On verra bien au prochain diner de Slug s'il nous adresse la parole.
- Oh, joli but ! s'exclama Mandy en applaudissant. Bravo Leah !
- Si on gagne…
Huit mains superstitieuses frappèrent rapidement la rambarde en bois.
- On fait une petite fête ? proposa Rose.
- Je suis outré que tu poses la question, rétorqua Nassim.
- Désolée, rit-elle.
Marc tourna dramatiquement la tête vers elle.
- Mais ! Les paris sont terminés !
- Flûte, j'espérais que personne ne s'en souviendrait.
Lisa posa sa main sur sa bouche pour étouffer son rire.
- Quand il faut, il faut, soupira Anthony.
- Tu te dévergondes mon cher Préfet, le taquina Mandy.
Il remonta ses lunettes, un sourire en coin.
- Bon après… on est pas obligés de tout boire d'un coup, si ? s'enquit Padma.
- Ah si, sinon ça n'a aucun intérêt de parier ! protesta Terry.
- Je veux dire, on peut étaler les verres pendant la soirée, ne pas les enchainer d'un coup ? Non ?
Sa voix s'était faite de plus en plus petite à cause des regards qui s'étaient tournés vers elle.
- Oui mais si on fait ça… on verra pas Will enchainer douze shots, et ça… c'est très dommage, termina Marc sous les rires. Je comptais là-dessus pour passer un bon semestre.
- Bon, on verra, tempéra Rose. Le but n'est pas non plus qu'on vomisse…
- Ah non, sinon c'est du gâchis.
Leur hilarité continua un moment alors que Poufsouffle marquait un but, pour être aussitôt rattrapé par deux du côté des Serdaigles.
- Les scores sont quasiment à égalité non ?
- Soixante-dix à cent-vingt, dit Terry.
- Pas du tout à égalité, pouffa Rose. Allez Grace…
Le match durait depuis une heure et demie et les deux équipes avaient fait une pause pour se rassembler et revoir leurs stratégies, pendant laquelle le groupe de Serdaigles, bien qu'intéressé par ce qui se passait, poursuivit sa conversation qui ne concernait absolument pas le Quidditch.
- Au fait les filles, vous faites une deuxième séance de yoga ? demanda Terry.
- Oui, on a commencé il y a deux semaines, informa Lisa.
- Une deuxième ? s'étonna Marc.
- Oui, on la fait le vendredi, dans notre chambre. On termine les cours à seize heures alors on a décidé d'en profiter.
- Désolée, grimaça Mandy en voyant l'air déçu de Marc. Tu ne peux pas monter dans notre dortoir.
Il réfléchit une seconde.
- Non, mais vous pourriez venir dans le nôtre ? Je n'ai pas cours non plus et les gars ne sont jamais là.
- Bonne idée, sourit Rose.
- Alors, on fait ça la semaine prochaine ? Vous faites une longue séance ?
- On fait environ trois quarts d'heures, ça nous détend après la semaine.
- Ça me va, confirma leur ami.
Ils se sourirent et reportèrent leur attention sur le match, qui affichait trois buts supplémentaires de Poufsouffle et un de Serdaigle.
- Le Vif d'Or, murmura Nassim. Attrape le Vif d'Or…
Grace avait visiblement entendu Nassim : ils la virent plonger à toute vitesse et tendre le bras, avant que Summerby n'ait fait un geste. Ils se levèrent tous spontanément pour la suivre du regard, enfin muets et concentrés sur le terrain.
- OUI !
- Ils ont gagné ! s'écria Mandy.
Les cris de joie et les applaudissements retentirent autour d'eux et ils virent l'équipe de Serdaigle se réunir dans les airs, poussant des exclamations victorieuses. Les deux capitaines se serrèrent la main une fois au sol, et même à cette distance, ils pouvaient voir le sourire de William, qui semblait rayonner – enfin, ça, c'était peut-être seulement Rose qui le ressentait.
Une fois n'est pas coutume, les huit Serdaigles laissèrent tout le monde quitter le terrain et prirent leur temps, afin de pouvoir retrouver leurs amis à la sortie des vestiaires.
Ils reprirent leurs cris joyeux lorsque les sept joueurs sortirent enfin. Derek leva les bras en signe de victoire et Terry vint l'embrasser, pendant que Rose lançait un clin d'œil à Siobhan qui sourit faiblement.
- Bravo pour un premier match très réussi, lança Rose en regardant les trois filles, qui répondirent par de larges sourires.
- Grace, incroyable pour le Vif d'Or ! ajouta Lisa. C'était impressionnant.
- Merci, fit l'Attrapeuse, un peu intimidée par l'attention autour d'elle.
- Allez, vous connaissez la tradition : on gagne, on fait la fête ce soir !
- Après le diner, vous serez les reines et les rois de la journée ! s'exclama Mandy.
- Mais d'abord on mange, conclut Derek.
Rose se mit à rire et glissa son bras sous le sien pour mener tout le monde vers le château. Le groupe s'arrêtait fréquemment en route, arrêté par d'autres étudiants qui venaient féliciter l'équipe pour sa performance qui leur assurait pas mal de points pour débuter la saison. Rose finit par lâcher Derek pour pouvoir avancer et rattrapa ses amies qui marchaient devant.
- Chouette match hein ? commença Rose.
- Absolument. Tu veux qu'on continue de parler d'autre chose pour éviter de parler du cas William ou… ?
- Très subtil, Mandy, sermonna Lisa.
Rose se mordit la lèvre et haussa les épaules.
- On peut en parler… mais y'a pas grand-chose à dire.
- Tu veux pas aller lui parler, à lui, justement ?
- Non, refusa Rose. Je vois pas pourquoi il m'ignore comme ça, mais je vais certainement pas lui courir après pour demander des explications.
- C'est pas possible d'être têtue comme ça, maugréa la blonde.
- C'est lui qui a commencé.
- Mais t'as quel âge, vraiment ? enchaina Padma, les yeux grand ouverts.
Rose croisa les bras et releva le nez en s'asseyant à table.
- Gna gna gna.
- Très mature, gloussa Lisa.
Padma eut un geste d'évidence et n'ajouta rien. Elles regardèrent les garçons s'installer et Rose chuchota rapidement :
- Il ne veut plus de mon amitié. Si vous étiez à ma place, vous vous feriez du mal à essayer de le forcer, ou vous l'ignoreriez pour tenter de passer à autre chose ?
Trois regards tristes lui répondirent pendant qu'elle remplissait son assiette et avait à son tour un geste d'évidence.
- Bon, c'est pas le tout, mais on s'est promis une séance d'entrainement cet après-midi, rappela Anthony.
Quelques têtes acquiescèrent, d'autres eurent l'air épuisé d'avance.
- On peut faire une pause quand même, entre le match et l'entrainement ? demanda Idriss.
- Bien sûr, accorda Terry. On pourra avancer nos devoirs en attendant que vous soyez en forme.
- Su-per, ironisa Mandy, ce qui provoqua des rires autour d'elle.
Malgré le manque de motivation de Mandy, les Serdaigles qui n'avaient pas joué au Quidditch passèrent une partie de leur après-midi penchés sur leurs manuels et leurs parchemins, désireux d'en finir au plus vite, pour avoir au moins une partie du dimanche libre de toute obligation scolaire.
Leur entrainement aux charmes et sortilèges ne dura pas plus d'une heure, mais ils y mirent une énergie folle. Plusieurs fois, les yeux de Rose tombèrent sur William, mais jamais elle ne vit les prunelles bleues posées sur elle. Elle commençait à se dire qu'elle avait rêvé leur échange ténu de ce matin… ou alors, il regardait vraiment derrière elle, ou une des autres filles présentes, et elle se faisait beaucoup trop d'idées.
Elle baissa sa baguette et fit un petit signe à Michael.
- Désolée, j'arrête, parvint-elle à dire. J'ai soif.
Son ami n'était pas dupe, elle passait son temps à appuyer le bout de ses doigts sur sa cage thoracique, mais il ne fit aucun commentaire. Rose se servit de l'eau et but lentement, comptant les secondes entre chaque gorgée et chaque respiration, le regard perdu par la fenêtre.
Pourquoi, mais pourquoi elle n'arrivait pas à se contrôler comme ça ?
Les dernières fois où elle avait eu du mal à se maitriser, c'était après de violentes disputes avec Blaise et après la mort d'Olivia. Mais là… elle ne s'était disputée avec personne, et personne n'était mort. Elle grimaça de penser à ça et ignora la douleur de la tristesse à la pensée de sa gouvernante. De toute façon, pour le moment, le seul sentiment qui l'étreignait était la colère, et elle avait tendance à tout écraser sur son passage. Rose posa le verre ; sa main commençait à trembler et elle ne voulait pas le casser. Ses doigts effleurèrent sa lèvre inférieure et elle les regarda, surprise d'y voir du sang. Il fallait vraiment qu'elle perde cette habitude de se mordre les lèvres quand elle était angoissée ou incertaine. Elle se racla la gorge et chercha un mouchoir du regard ; elle était dans une chambre de garçon, ce ne serait pas difficile d'en trouver… Un rictus amusé dessiné sur les lèvres, elle se tourna… et prit celui que lui tendait Derek.
- Merci, murmura-t-elle en essuyant sa bouche.
Elle plaqua le mouchoir pour stopper le sang et laissa Derek la prendre contre lui et planter un baiser sur le sommet de son crâne. Son étreinte affectueuse calma petit à petit le monstre qui se hérissait en elle, comme souvent. Un long soupir lui échappa. Il fallait qu'elle se bouge, et qu'elle sorte de cette pièce dans laquelle elle ne sentait que la présence de William, comme s'il était partout et nulle part en même temps. Derek le sentit et hocha la tête. Il relâcha doucement Rose et se tourna vers le groupe.
- Bon allez, on a assez étudié ! Maintenant, on célèbre notre victoire !
- Yeah ! s'exclama aussitôt Idriss en rangeant sa baguette dans la seconde.
Rose suivit le mouvement de ses amies dans leur chambre où elles se changèrent après s'être rafraichies et recoiffées, et bientôt ils étaient tous en bas. Mandy se chargea d'aller chercher les trois autres héroïnes du jour et rentra dans la Salle Commune avec elles.
- Cachées à la Bibliothèque !
Des applaudissements retentirent en l'honneur de l'équipe de Quidditch. William fit signe à ses coéquipiers de le rejoindre au milieu. Il enlaça spontanément Grace et Rose l'entendit dire :
- Appréciez, mes amis, appréciez !
CRASH !
Tout le monde tourna la tête vers une fenêtre en haut de leur tour. Des bris de verre cascadèrent jusqu'au parquet et s'y écrasèrent violemment.
- Ah, apparemment la météo n'est pas d'accord avec notre victoire, s'exclama William, déclenchant des rires dans la pièce.
Quelques personnes frissonnèrent à cause du vent froid qui venait de s'engouffrer chez eux et Derek se tourna vers la fenêtre, la baguette dans sa main gauche.
- Reparo.
Les morceaux de verre reprirent leur place et la fenêtre fut comme neuve. Les festivités reprirent et de la musique résonna dans la Salle, chacun une Bièraubeurre à la main, en pleine conversation. L'équipe de Quidditch était accaparée par leurs admirateurs et ils riaient tous beaucoup.
Rose était figée dans un coin, la bouche entrouverte, ses battements de cœur résonnant dans ses oreilles.
Elle avait cassé une fenêtre. Comme ça, sans toucher sa baguette, sans prononcer de sort. Parce qu'elle avait été jalouse de voir William enlacer une fille.
Elle avait vraiment un problème. Elle déglutit avec difficulté et se sortit de sa torpeur avec lenteur, pour se diriger machinalement vers la table où étaient empilées des Bièraubeurres, multipliées magiquement par Nassim. Puis elle rejoignit Lisa et Terry qui papotaient un peu à l'écart.
- Ça va Rose ? s'enquit Lisa. Tu es toute pâle…
- Ça peut aller, mentit-elle. Allez, aidez-moi à trinquer à la victoire de Serdaigle !
Leurs trois bouteilles se connectèrent avec un petit bruit et Rose sourit enfin, déterminée à ne pas laisser ses indésirables sentiments gâcher sa soirée. Sa langue se délia à mesure que le sucre de la boisson la détendait et elle passa au moins dix minutes sans chercher William du regard, ce que Lisa considéra comme une grande victoire. Elle se laissa entrainer par Mandy et Padma pour danser sur la chanson classique et ringarde de Célestina Moldubec, Un chaudron plein de passion, le tout en riant beaucoup. Elle accueillit Grace et Leah à bras ouverts quand elles firent quelques pas au milieu du dancefloor improvisé.
- Merci pour tes encouragements avant le match, lança immédiatement Leah.
- Ça nous a beaucoup boosté, confirma Grace avec un sourire.
- Tant mieux ! se réjouit Rose. Maintenant, on danse !
Elles pouffèrent toutes ensemble et se déhanchèrent dans un mouvement synchronisé. Marc vint les imiter, et même Michael remua des hanches en rythme, leur fou rire grandissant et s'étirant pendant toute la chanson. Lorsqu'une troisième chanson démarra, Rose poussa un soupir exagérément dramatique et recula vers la table, ayant dans l'idée de trouver un verre vide et de le remplir d'eau.
- Ah, enfin quelqu'un pour m'aider ?
- Euh, oui Nassim ?
- J'ai besoin d'un coup de main pour aller chercher des… munitions dans notre chambre, lui sourit malicieusement son ami. Et tu es la première que je vois qui n'est pas en train de chanter faux sur Bizarr'Sisters ou de parler de tes exploits sur le terrain de Quidditch, alors…
- Alors je viens t'aider, soupira Rose, résignée. Allons-y.
- Brave Rose. Tu auras droit à un super cocktail de Nassim.
- Ah non hein ! rit-elle. Une fois par an, ça suffit.
Ils discutèrent en montant les escaliers et elle entra dans la chambre avant lui. Elle commença à froncer les sourcils quand elle le vit fermer la porte derrière lui et rester planté devant. Puis sa tête se tourna vivement vers Derek qu'elle avait vu bouger dans un coin de la pièce. Son sourcil se haussa si haut qu'elle se rendit compte de sa propre mimique et arrêta son geste. Une troisième personne fit quelques pas et Rose se figea.
- Ah, vous étiez déjà là, commença-t-elle faiblement. Tu vois Nassim, on est montés pour rien…
- Mon chat, je suis désolé.
- Derek ?
Il rejoignit Nassim près de la porte ; William était près de son lit et regardait les deux garçons avec perplexité, Rose resta au milieu de la pièce.
- Il est temps que vous vous parliez, annonça Derek calmement.
- Hein ?
Rose et William avaient parlé en même temps, mais elle refusa de tourner la tête vers lui.
- Vous êtes malheureux tous les deux, poursuivit Nassim. Ce soir, vous allez vous expliquer.
- On n'en peut plus de voir nos meilleurs amis tristes.
Les bras de Rose se croisèrent et elle sentit, au mouvement, que William faisait la même chose.
- Alors voilà ce qu'on va faire : vous allez rester ici, tranquilles.
- Et dans quinze minutes, on revient vous voir.
- Si vous n'avez pas encore réglé vos soucis, on vous laisse encore un quart d'heure. Puis on reviendra.
- Et ainsi de suite… mais vous ne sortirez pas de cette chambre tant que vous n'aurez pas clarifié votre situation.
- Et vous allez nous empêcher comment de partir, au juste ? défia Rose avec condescendance.
- Vous allez nous donner vos baguettes.
- Pardon ? lâcha William avec incrédulité.
Rose se rapprocha rapidement de Derek et le vrilla de ses yeux verts furieux.
- Non mais ça va pas ?
- Désolé mon chat, je t'assure… mais il faut que vous avanciez.
- Il veut pas de moi ! Je vois pas ce qu'i discuter !
- S'il te plait mon chat… fais-le pour moi au moins. Ça me brise le cœur de te voir comme ça.
Les lèvres de Rose se pincèrent, puis elle esquissa un sourire malgré elle.
- Manipulateur.
- Non, vraiment, ce n'est pas pour te faire culpabiliser, c'est juste vrai…
Le ton de Derek acheva de la convaincre. Elle lui devait au moins ça.
- Très bien, lâcha-t-elle doucement, radoucie.
- Euh, qu'est-ce qui vient de se passer ? interrogea Nassim. Ils ont rien dit ?
- Laisse tomber, soupira William. Tiens.
Il tendit sa baguette à son ami qui s'en saisit avec un petit sourire coupable. Nassim tendit ensuite la main vers Rose, clairement hésitant.
- Tournez-vous, fit brutalement Rose.
Devant leur incertitude, elle répéta :
- Tournez-vous, ou je garde ma baguette.
Nassim et William obtempérèrent, clairement confus, pendant que Derek restait les bras croisés, un sourire amusé aux lèvres. Rose leva les yeux au ciel et souleva sa robe en velours et vint déloger sa baguette du bas dans lequel elle était coincée. Le rire sonore de Derek emplit la pièce et elle ne put s'empêcher de sourire largement en rajustant son vêtement.
- C'est bon.
- Mais, elle était cachée où sa baguette au juste ? chuchota Nassim vers William qui ne répondit pas.
Il tendit néanmoins la main vers Rose, qui y posa son arme. Elle se mit aussitôt à vibrer et Nassim recula machinalement la main et laissa tomber la baguette.
- Mais c'est quoi ce truc !
- Bois de prunellier, mec, grommela William sans relever les yeux vers Rose ni Derek.
Un nouveau rire échappa à Derek qui se pencha pour ramasser l'arme de Rose.
- Et pourquoi lui il peut ? geignit Nassim.
Rose haussa les épaules et s'excusa pour le tempérament de sa baguette.
- Parce que moi, j'ai du talent, rétorqua le grand blond.
- Ha, ha.
- Allez… on revient dans quinze minutes.
Derek et Rose échangèrent un dernier regard, puis il entraina Nassim hors de la pièce. Elle n'entendit pas le sortilège, mais l'immanquable bruit de succion l'informa qu'ils étaient à présent enfermés. Elle fit quelques pas en arrière, se rapprochant du coin des lits d'Idriss et Marc, les bras croisés. Elle se racla la gorge et regarda dans le vague, vers la fenêtre.
- On peut toujours faire semblant d'avoir parlé, et dans quinze minutes on est libres, affirma-t-elle.
- Très bien.
Ils se jetèrent un regard involontaire. Rose le vit contracter les muscles de ses bras, ce qu'il ne faisait que lorsqu'il était irrité et elle se mordilla la lèvre pour tenter de contrôler son humeur, qui mêlait colère et tristesse.
- Arrête ou tu vas encore saigner, maugréa la voix chaleureuse.
Elle tourna la tête vers lui, surprise, et relâcha sa lèvre malmenée. Elle prit une inspiration, comme pour parler, puis se ravisa au dernier moment, préférant se passer la main dans les cheveux. Elle n'arrivait pas à s'habituer à la longueur, et ce, depuis le début. C'était joli, mais ce n'était pas… elle.
Oui, parfait, pense à autre chose !
Ça fonctionnait plutôt bien, ses battements de cœurs s'apaisèrent un peu. Ou du moins, se stabilisèrent pour un unisson moins douloureux.
Alors, ses cheveux… elle devrait écrire à Benson pour lui demander de prendre rendez-vous avec la coiffeuse à domicile qui saurait faire des merveilles à Noël. Ce n'était plus si loin maintenant, un petit mois et elle pourrait retrouver sa longueur habituelle… elle pourrait même faire une coupe un peu plus moderne que les longueurs toutes uniformes. Et même, si elle était bien partie, changer la couleur, pourquoi pas ?
- Rose.
« Laisse-moi tranquille », eut-elle envie de répondre. Mais elle n'était pas sûre que sa voix aurait été bien calme et posée, alors elle préféra faire comme si elle n'avait rien entendu et retourna à ses considérations capillaires.
Il faudrait qu'elle demande à la coiffeuse des astuces pour attacher efficacement les cheveux de Grace pour le prochain match de Quidditch, peut-être un sort par exemple ?
- Tu vas vraiment m'ignorer pendant quinze minutes ?
Rose eut un reniflement méprisant qu'elle regretta aussitôt.
On a dit qu'on l'ignorait !
- Non mais c'est bien, vu que c'est ce que tu fais depuis une dizaine de jours, je suis pas dépaysé.
Mais quel culot !
Elle en décroisa les bras et se tourna vers lui, la bouche entrouverte d'indignation.
Leurs yeux se croisèrent à peine, mais leurs mots ricochèrent les uns contre les autres alors qu'ils parlaient en même temps.
- Mais c'est toi qui nies mon existence depuis deux semaines !
- Je peux savoir pourquoi tu m'évites depuis tout ce temps ?
- Parce que tu m'ignores ! s'écrièrent-ils en chœur.
