Après une éternité, je poste enfin le troisième chapitre de cette histoire. Je suis vraiment désolée pour toute cette attente !

Comme pour les deux précédents, le titre du chapitre est inspiré de la chanson Rolling in the deep d'Adele.

Un tout tout grand merci, Moira-chan, pour ta relecture, tes corrections et pour m'avoir donné ton avis qui m'a bien rassurée ! :)

Je vous souhaite une belle lecture :)


Chapitre 3

Les cicatrices de notre amour

« Il n'en est pas question ! »

La voix de Natsuo claqua dans l'air. Les sourcils froncés, le jeune homme lança un regard noir à son frère qui lui faisait face. Ses doigts se mirent ensuite à tapoter nerveusement la table de sa salle à manger.

« Et puis quoi encore ? reprit-il d'un ton tout aussi énervé. Tu ne crois pas que tu as déjà assez souffert comme ça ?

—Je sais ce que je fais, se défendit Touya. Je veux juste avoir une autre occasion de lui parler, une seule autre.

—C'est ce que tu dis toujours, mais tu ne sais jamais quand t'arrêter, Touya ! Et si tu n'es pas satisfait de cet échange, il va se passer quoi ?

—... Je veux juste essayer de m'excuser auprès de lui. Il le mérite, Natsuo.

—Oui, sans aucun doute. Mais tu mérites aussi de passer à autre chose ! »

Natsuo ne voulait vraiment pas en démordre. Seulement, en voyant le visage défait de son frère, il soupira. Il n'aimait pas le voir comme ça. Il ne supportait pas non plus de devoir se montrer aussi dur envers lui, mais il n'avait pas le choix. Natsuo se devait de protéger son frère de lui-même.

« Tu ne te rends pas compte de l'état dans lequel tu te mets à cause de lui, souffla-t-il. Tu étais si nerveux à la fête et tu es parti tellement vite. Je me suis inquiété pour toi ! Sans parler de tes cheveux ! Tu le laisses avoir une trop grosse emprise sur toi ! »

Touya pinça ses lèvres. Il avait envie de s'énerver à son tour, mais il fit de son mieux pour rester calme. Dans le fond, il pouvait comprendre pourquoi Natsuo réagissait comme ça. Même si ça lui faisait mal. Avoir revu Keigo, c'était... ça avait été très compliqué. Malgré tout, Touya devait rester fort. Peut-être qu'il était égoïste de vouloir à ce point parler une dernière fois à Keigo, mais il sentait au plus profond de lui-même qu'il en avait terriblement besoin.

« Je ne te demande pas ta permission, Natsuo, répondit-il alors. Je veux juste savoir combien de temps il reste en ville et comment je peux le contacter.

—Tu veux juste, ah, elle est bien bonne, celle-là ! »

Son frère ne semblait pas vouloir changer d'avis. Il était si furieux. Dépité, Touya tourna ses yeux vers Tenko qui n'avait pas parlé depuis que le sujet houleux avait été lancé. Croisant son regard, Tenko haussa les épaules.

« Tu ressemblais à de la merde quand tu es parti de la fête, Natsuo a raison.

—Merci, Tenko, siffla Touya.

—De rien. »

Touya soupira. Visiblement, c'était perdu d'avance. Mais pourquoi ne comprenaient-ils pas ? Touya avait bêtement gâché sa chance ! Ça ne pouvait pas se finir comme ça, n'est-ce pas ? Ne pourrait-il donc jamais simplement s'excuser auprès de Keigo ? C'était... Ah, c'était sans doute tout ce qu'il méritait. Après l'avoir tant fait souffrir, Touya n'avait probablement pas le droit d'exiger quoi que ce soit de Keigo. Mais la réaction de Natsuo lui semblait si injuste ! Touya sentit des larmes de désespoir lui monter aux yeux. Il serra les poings, enfonçant ses ongles dans ses paumes pour tenter de les chasser.

« C'est pour ton bien que je te dis ça, reprit Natsuo d'une voix douce. Touya, je t'en prie... essaye de comprendre...

—Je comprends, murmura Touya. Je t'assure que je comprends, mais... »

Mais quoi ? Mais je l'aime. Mais je ne veux pas le perdre. Les mots se formaient si facilement dans son esprit, meurtrissant son coeur. Ses sentiments pour Keigo n'avaient aucune importance. Et il l'avait déjà perdu. Il s'en était pleinement rendu compte quand il l'avait revu. Ils avaient été si loin l'un de l'autre, comme si une vie entière les séparait, à présent. Ce qui était le cas, en réalité. Keigo avait su aller de l'avant. Il vivait sa vie, tandis que lui... lui était toujours aussi pathétique. Il avait beau avoir arrêté la drogue, ce n'était pas un remède miracle pour lui rendre l'existence qu'il aurait pu avoir. Il était toujours aux études, il dépendait encore financièrement de son père et il avait fait souffrir la seule personne qu'il ait jamais aimée. Il ne pourrait jamais se le pardonner. Il ne comptait d'ailleurs pas demander pardon à Keigo. Mais s'excuser auprès de lui... reconnaître enfin tout le mal qu'il lui avait fait... prendre ses responsabilités... ça comptait tant pour lui.

« Mais je veux quand même lui parler, continua-t-il au bout de quelques secondes. S'il le désire aussi, bien sûr. Je ne veux pas m'imposer. Seulement... j'aimerais simplement avoir une chance de lui présenter mes excuses. »

Natsuo le regarda un moment, avant de soupirer à nouveau. Les mots de Touya résonnaient, malgré tout, en lui. Il ne se sentait pas la force de lutter contre son frère quand il avait l'air si... si misérable. Tout ce que Natsuo voulait, après tout, c'était son bonheur. Est-ce que ces excuses lui permettraient réellement de tourner la page une bonne fois pour toutes ? Peut-être... peut-être pas... La vraie question était : est-ce que Natsuo était prêt à prendre ce risque ? Il se tourna alors vers Tenko, pour avoir son avis. Son petit ami secoua la tête, incertain.

« Je comptais organiser une soirée jeux vendredi, marmonna-t-il. J'hésitais à inviter Keigo, alors... ça pourrait se faire, j'imagine. »

Natsuo haussa les sourcils, avant de comprendre sa stratégie. Si leur rencontre se faisait ici, Natsuo et Tenko pourraient, au moins, surveiller l'état de Touya. Oui... Ça pouvait sans doute se tenter, même si ça ne lui plaisait pas du tout. Il souffla, sentant qu'il commençait, malgré tout, à flancher.

Le coeur de Touya, quant à lui, s'emballa à cette idée. Il lui faudrait donc attendre une petite semaine avant de le revoir, ce serait un timing parfait ! Il aurait bien le temps de se préparer comme ça ! Il regarda alors Natsuo avec espoir. Bien sûr, il n'avait pas besoin de l'accord de son frère – d'autant plus que c'était son petit frère – mais c'était important pour lui de l'avoir quand même. Après tout ce qui s'était passé entre eux, Touya ne voulait plus jamais le décevoir.

« Bien, finit alors par céder Natsuo en voyant son regard si enthousiaste. Si Keigo est d'accord, je ne m'y opposerai pas. Mais je te préviens, Touya, c'est la dernière fois qu'on organise une rencontre entre vous deux ! Et si ça se passe mal, je rentrerai avec toi, cette fois-ci. Hors de question que tu restes à nouveau seul. C'est clair ? »

Touya hocha la tête. Il se sentait soulagé. Ça allait pouvoir se faire. Il allait avoir une autre chance avec Keigo. Enfin, en espérant que ce dernier accepte, bien entendu. Ce qui était loin d'être une certitude.

« Merci... Quand est-ce que tu vas le proposer à Keigo ? »

À ces mots, son regard se tourna à nouveau vers Tenko. Ce dernier ne lui répondit pas, mais il prit son téléphone et se mit à taper rapidement.

« Voilà, je lui ai dit pour la soirée jeux et j'ai précisé que tu serais là. Mais s'il vient et qu'il ne veut pas te parler, ne va pas le harceler, hein !

—Tss, comme si c'était mon genre. »

Bon, d'accord, ça l'avait sans douté été lorsqu'il avait été trop loin pour réaliser tout le mal qu'il faisait autour de lui. Mais c'était différent maintenant. C'était différent parce que plus jamais il ne se laisserait tomber aussi bas. Il se l'était promis cette nuit-là, lorsqu'il avait enfin pris la décision d'arrêter de prendre de la drogue. Et jamais il ne reviendrait sur cette promesse. Jamais...

Mais, soudain, une vibration se fit entendre, coupant net ses pensées. Tenko baissa les yeux sur son téléphone, avant de soupirer.

« C'est Keigo. Je reviens. »

Il ramassa son téléphone et s'éloigna dans la chambre. Les portes étant fermées, Touya ne pouvait rien entendre de la conversation. C'était frustrant ! Son coeur avait raté un battement lorsque Tenko avait prononcé le nom de Keigo. Pourquoi est-ce qu'il l'appelait ? Ce n'était pas bon signe. À tous les coups, il allait refuser de venir. Touya inspira profondément. Il ne devait pas commencer à s'angoisser pour ça. Il n'avait aucune emprise sur les décisions de Keigo et c'était bien, c'était normal. Il tâcha alors de se calmer. Il ne pouvait pas se mettre à paniquer pour un simple coup de téléphone.

« Tu es vraiment sûr que c'est une bonne idée ? reprit Natsuo. Je comprends à quel point c'est important pour toi, mais j'ai tellement peur que... »

Il hésita un moment, avant d'oser lui avouer le fond de sa pensée.

« J'ai tellement peur que ça te fasse replonger.

—Non ! lui répondit aussitôt Touya. Je ne replongerai pas, je te le promets ! »

Natsuo lui lança un long regard qui serra le coeur de Touya. Il savait bien qu'il avait prononcé cette phrase un nombre incalculable de fois. Mais comment pouvait-il faire comprendre à Natsuo qu'autrefois, il n'y croyait pas lui-même, qu'il la disait surtout pour qu'on ne l'abandonne pas, alors que maintenant... maintenant, il était vraiment sincère.

« Je veux reconstruire ma vie, assura-t-il. Je ne vais pas m'accrocher à Keigo. Quand il repartira, je le laisserai s'en aller sans histoire. Je sais très bien que c'est terminé entre nous. Je ne veux plus jamais me mettre entre lui et ses rêves. J'ai fait assez de dégâts comme ça. »

Touya serra ses doigts tremblants sur ses cuisses. Aujourd'hui encore, c'était difficile pour lui d'y repenser. Comment avait-il pu lui faire autant de mal ? Il ne comprenait pas. Cette noirceur en lui... elle était juste écoeurante. Touya se doutait qu'elle ne partirait sans doute jamais. Mais il ne la laisserait plus ressortir. Grâce à sa thérapie, il reprenait le contrôle sur elle. Mais ça n'effaçait, malgré tout, pas ses actes.

« C'est juste que... que je l'ai tellement aimé... et qu'il mérite mieux que ça... Je veux qu'il sache qu'il vaut mieux que moi. Et qu'il a eu raison... raison de partir. »

Ses propres mots le firent frissonner. C'était la première fois qu'il les prononçait à haute voix. Le départ de Keigo l'avait pourtant mis à terre. Il l'avait haï pour ça. Mais, à présent, il comprenait. Keigo avait dû se protéger. Il s'était choisi lui-même. Et c'était ce qu'il fallait faire.

Face à lui, Natsuo continua à le fixer intensément. Les paroles de son frère le touchaient, mais il ne pouvait s'empêcher de rester inquiet pour autant. Toutes ces émotions... C'était sans doute trop pour Touya. Natsuo ne savait pas non plus ce que Keigo pensait exactement de son frère, à présent. Ils ne s'étaient pas beaucoup parlé à la fête, se contentant de se saluer. Natsuo allait devoir en discuter avec Tenko pour avoir une meilleure vision de la situation. En attendant... Eh bien, il ne pouvait faire qu'une seule chose, n'est-ce pas ?

« Très bien, souffla-t-il. Je te fais confiance alors.

—Merci, Natsuo. »

Touya afficha un léger sourire. Cette situation entre son frère et lui n'était pas idéale, mais il sentait qu'ils étaient, quand même, sur la bonne voie.

Quelques minutes plus tard, Tenko revint dans la salle à manger, le visage indéchiffrable.

« C'est bon, il viendra. »

Et il n'ajouta rien d'autre avant de s'asseoir et de se resservir à boire. Touya mourait d'envie de lui poser une tonne de questions, mais il s'abstint. Même s'il était curieux de ce que Keigo avait bien pu lui dire, ça ne le regardait pas. Il inspira profondément. Il allait venir, c'était tout ce qui comptait. Touya allait mettre à profit les jours suivants pour se préparer à cette nouvelle rencontre. Cette fois-ci, il ne pouvait pas tout foutre en l'air !

L'esprit ailleurs, il décida alors de ne pas s'attarder chez son frère et Tenko. Après les avoir remerciés, il annonça son départ. Natsuo lui rappela une dernière fois qu'il pouvait l'appeler quand il le voulait, avant de le laisser partir. Lorsqu'il entendit les portes de l'ascenseur se refermer, Natsuo inspira longuement, puis se tourna vers Tenko.

« Qu'a dit Keigo au téléphone ?

—Tu veux vraiment le savoir ? lui demanda Tenko.

—Oui. Je ne sais pas du tout ce qu'il pense de tout ça et je préfère être au courant pour me tenir prêt vendredi en cas de problème. »

Tenko hocha lentement la tête. Sa nuque le démangeait, mais il parvint à ne pas se gratter.

« Il m'a demandé si ça irait pour Touya s'il venait. Il m'a dit qu'il ne voulait pas le mettre dans une position inconfortable et qu'il comprendrait si Touya préférait qu'il ne vienne pas. »

Natsuo afficha un sourire désabusé. Keigo était décidément trop gentil pour son propre bien. Il parvenait encore à penser au bien-être de Touya après tout ce que ce dernier lui avait fait. Ça ne l'étonnait pas tant que ça, vu toutes les précautions que Keigo avait prises avant de quitter son frère, mais tout de même...

« Qu'est-ce que tu lui as répondu ?

—Que ce ne serait pas un problème, que Touya voulait qu'il vienne.

—Tu ne lui as pas tout dit, quand même ? » s'inquiéta Natsuo.

Tenko n'avait pas toujours une bonne façon de communiquer et se montrait souvent trop cash. Ça n'avait jamais dérangé Natsuo, qui s'y était habitué, mais là, il espérait que son petit ami n'en avait pas trop dit. Il aurait l'impression d'avoir trahi Touya sinon.

« Bien sûr que non, souffla Tenko. J'ai juste dit que Touya voudrait peut-être lui parler, mais qu'il ne devait pas se sentir obligé. C'est tout. »

Natsuo fut soulagé en entendant ces mots. Tenko avait bien fait. Au moins, Keigo ne serait pas étonné par l'approche de Touya comme ça et il aurait assez de tact pour l'éconduire en douceur s'il ne souhaitait pas discuter avec lui.

« Tu penses que c'est une bonne idée ? lui demanda, malgré tout, Natsuo.

—Vu comment Touya a réagi à la fête, pas vraiment. Mais tu le connais, il est horriblement têtu, ça ne sert à rien d'essayer de le convaincre du contraire. »

Natsuo soupira. Ses épaules se firent basses. Tenko avait raison, mais Natsuo aurait tant voulu que son frère soit raisonnable, pour une fois. Toute cette situation l'épuisait. C'était si fatiguant de s'inquiéter sans cesse pour Touya. Il espérait qu'au moins Keigo et lui parviendraient à se parler vendredi et à régler enfin cette histoire. Mais était-ce seulement possible ? Touya avait beau lui sortir toutes les belles paroles qu'il voulait, Natsuo savait bien qu'il était encore très amoureux de Keigo. Avait-il alors bien fait de l'aider à le revoir ?

« Arrête d'y penser, grinça Tenko. Aide-moi plutôt à passer le dernier niveau de Mario ! »

Et sur ces mots, il se dirigea tranquillement vers la télé pour allumer sa console. Natsuo savait très bien que Tenko n'avait besoin d'aucune aide à ce jeu (ni à aucun autre jeu, d'ailleurs), c'était juste sa façon de lui changer les idées. Natsuo sourit légèrement. Ce n'était pas facile, mais, à ce stade, il ne pouvait rien faire de plus, de toute façon. Alors... oui... autant essayer de penser à tout autre chose...


Le temps se mit à défiler. Deux jours avant cette rencontre qu'il attendait avec impatience et nervosité, Touya s'installa à sa table, un crayon à la main et une feuille blanche sous les yeux. Il venait d'avoir un rendez-vous téléphonique avec sa psychologue. Cette dernière lui avait conseillé de coucher sur papier ce qu'il souhaitait dire à Keigo. Elle lui avait expliqué que ce serait plus facile pour lui de lui parler après ça. Touya voulait tant être à la hauteur qu'il avait décidé de s'y mettre directement. Seulement... il se rendait bien compte que... que ça n'avait rien de simple. Sortir ces mots de son esprit, c'était surtout s'y confronter réellement et... et ça lui rappelait tant d'horribles souvenirs...

Inspirant profondément, Touya finit malgré tout par se lancer. De ses doigts tremblants, il se mit à écrire ces mots qu'il désespérait tant de prononcer à haute voix. Mais plus il avançait, plus il se sentait pris de vertige. Chaque phrase lui faisait réaliser avec plus de force encore tout le mal qu'il avait fait à Keigo. Toutes... Toutes les horreurs qu'il avait dites... Touya pouvait même encore entendre le son de sa voix cruelle...

« Ils t'ont accepté par charité. C'est une belle histoire à raconter pour eux d'aider un gosse des rues. Tu crois vraiment qu'ils t'ont choisi pour ton soi-disant talent ? »

« Arrête de te prendre pour quelqu'un de bien ! Tu es juste minable ! »

« Toute cette merde que je prends, c'est de ta faute, Keigo ! »

Un haut-le-coeur secoua violemment son corps. Gémissant, Touya se mit à serrer ses cheveux avec force. Des frissons désagréables. L'envie de vomir. Son estomac semblait se retourner dans son ventre. Et Touya... Touya se sentait si sale. Comment avait-il pu dire toutes ces horreurs à Keigo ? Pire même, comment avait-il pu les penser ? Il était juste dégoutant.

Touya avait tant envie de se réfugier dans son lit et de prétendre que rien de tout ça n'était arrivé. Il lui suffirait de ne pas aller voir Keigo vendredi. Rien ne l'empêcherait de mettre son passé de côté et d'ignorer le mal qu'il avait fait. Rien... sauf lui-même. Touya avait toujours préféré la fuite dans sa vie, reprochant aux autres ses propres torts. Mais c'était fini maintenant. Peu importe la douleur qu'il ressentait, il comptait bien faire face à ses démons.

Rassemblant tout son courage, il se força donc à finir sa lettre. Ses mots n'avaient rien de glorieux. Mais au moins, il reconnaissait enfin sa responsabilité. Maintenant, restait à savoir s'il parviendrait à les dire à Keigo et si ce dernier voudrait bien les entendre. Sa psychologue l'avait prévenu, après tout. Keigo n'avait peut-être pas besoin de cette conversation pour aller mieux. Touya devait donc se préparer à un refus de sa part. Il fallait impérativement respecter ses limites. Il le savait et il le ferait, même si la perspective d'un rejet de Keigo l'inquiétait plus que de raison...

Au fil des derniers jours qui le séparaient de sa rencontre avec son ancien petit ami, Touya ne cessa de relire les mots qu'il avait écrits et de visualiser la conversation qu'il pourrait avoir avec lui. Bien que pris dans ses angoisses, Touya décida, tout de même, de ne pas aller voir Giran. Même si l'autre homme lui faisait beaucoup de bien, Touya ne voulait pas oublier cette fois-ci. Il voulait, au contraire, regarder son existence bien en face et tout assumer. Son état d'esprit était enfin clair. Alors, Touya tâcha d'ignorer les tremblements de ses doigts, les accélérations de son coeur, les nausées qui lui brûlaient la gorge. Ce n'était pas lui qui comptait. Cette fois-ci, pour rien au monde, il ne ferait passer ses sentiments en premier.

Le vendredi même, Touya était donc bien décidé à enfin oser parler à Keigo. Avant de partir, il relut une nouvelle fois sa lettre et fit quelques exercices de respiration. Ça allait bien se passer. Oui... Tout allait bien. Il pouvait le faire. Il avait déjà fait le plus difficile en le revoyant la dernière fois. Maintenant, il devait juste placer un pied après l'autre et aller de l'avant. Touya se répéta cette phrase encore et encore tout au long du trajet. Un pied après l'autre. Mais plus il se rapprochait de l'appartement de son frère, plus sa volonté faiblissait. Touya se sentait de plus en plus mal. Les palpitations de son coeur le rendaient malade. Il avait l'impression d'avoir de la fièvre. Autrefois, il aurait fait demi-tour, il se serait enfui loin de toutes ces émotions qu'il ne savait contrôler. Mais il n'en fit rien. Parce qu'il n'avait pas le choix. Il devait le faire. Pour Keigo.

Sur cette pensée, il franchit les derniers mètres qui le séparaient encore de sa destination. Il monta ensuite jusqu'à l'appartement de son frère. Il était venu assez tôt pour s'assurer qu'il serait le premier à arriver. C'était plus facile à gérer pour lui comme ça. Malgré tout, en poussant la porte d'entrée, il eut peur que Keigo soit déjà là. Heureusement, il fut uniquement accueilli par un Tenko ronchon.

« Je préfère les chips au fromage », grogna-t-il en voyant son paquet de chips paprika.

Touya ne lui répondit même pas, habitué à sa mauvaise humeur. Il retira tranquillement ses chaussures et s'avança dans l'appartement. Il posa ensuite négligemment le paquet et sa bouteille de soft sur la table.

« Natsu n'est pas là ?

—Il a eu une urgence à l'hôpital, il sera un peu en retard. Mais puisque tu es là, aide-moi à tout préparer ! »

Touya avait bien envie de l'envoyer bouler, mais au moins, les préparatifs occuperaient son esprit. Il se laissa alors exploiter par Tenko et plaça les chips dans des bols séparés sur la petite table du salon pendant que Tenko sortait ses différentes consoles de jeux. Lorsque la sonnette retentit, Touya eut un sursaut et manqua de renverser le paquet qu'il tenait en main. Le coeur battant fortement, il regarda Tenko s'éloigner vers l'interphone. La voix de Keigo s'éleva soudainement dans les airs, arrachant un souffle à Touya. Merde. Keigo était déjà là ! Il n'était pas prêt ! Il allait encore tout faire foirer ! Il- Non. Il fallait qu'il se calme. Touya se força à inspirer longuement plusieurs fois. Une inspiration. Deux inspirations. Lentement. Calmement. Tout allait bien. Il pouvait gérer ça. Et il n'était pas seul. Même si Tenko et lui avaient une drôle de façon de le montrer, ils étaient amis. Tenko ne le laisserait pas s'écrouler.

Tout en tentant de se rassurer, Touya posa le paquet de chips sur la table, puis se redressa. Il lissa rapidement la chemise qu'il portait, passa un rapide coup de main dans ses cheveux et attendit. Il eut l'impression que c'étaient les secondes les plus longues de sa vie. Son coeur cognait contre ses tempes. Il avait du mal à respirer. Mais il fit de son mieux pour paraitre normal. Malgré tout, ses mains devenaient moites. Et lorsqu'il entendit les portes de l'ascenseur s'ouvrir dans le hall, il eut l'impression que son coeur coulait dans sa poitrine. Ce fut pire encore lorsque la voix de Keigo se fit à nouveau entendre pour saluer Tenko.

Resté dans le salon, Touya ne pouvait pas le voir directement. Mais sa voix lui ramenait déjà tant de souvenirs. Et si ça se passait aussi mal que l'autre fois ? Et si Touya ne parvenait pas lui parler ?

« Tu peux donner tout ça à Touya, grogna Tenko en revenant dans la même pièce que lui. C'est lui qui s'occupe des chips. »

Keigo apparut alors dans son champ de vision. Il était toujours aussi beau. Ses cheveux étaient ébouriffés comme s'il descendait du ciel. Et ses yeux... Ses yeux si profonds... Touya crut qu'il allait défaillir lorsqu'ils se posèrent sur lui. Le silence s'installa dans la pièce, inconfortable. Touya ne parvint pas à bouger. Ni même à parler. Non ! Pas encore ! Pas une nouvelle fois ! Heureusement, Keigo finit par afficher un doux sourire.

« Bonjour Touya, commença-t-il calmement. Tiens, je te donne ça du coup. »

Il lui passa un sachet de provisions. Comme un automate, Touya tendit le bras pour le prendre. Sans faire exprès, il frôla la main de Keigo. Tout son corps fut aussitôt parcouru d'un frisson. Le regard de Keigo se plissa quelque peu, martelant douloureusement le coeur de Touya.

« Désolé, murmura-t-il alors. Je ne voulais pas...

—Ce n'est pas grave, le rassura Keigo. Tenko, est-ce que je peux t'aider ? »

Et aussi simplement que ça, Keigo se détourna de lui. Les doigts de Touya se resserrèrent sur le sachet en plastique. Sa vision devint trouble. Non ! Non, il n'allait pas craquer. Pas comme ça, pas aussi vite. C'était bon, c'était normal que Keigo veuille aider Tenko. Ce n'était pas grave. Tâchant de contrôler ses émotions, Touya sortit les provisions du sachet pour les installer avec les autres. Il fit exprès de prendre plus de temps que nécessaire pendant qu'il entendait Keigo rigoler dans la cuisine. À nouveau, Touya eut l'impression qu'il était si loin de lui. C'était... douloureux...

Un bruit de serrure se fit alors entendre. Touya jeta un coup d'oeil derrière lui et vit rapidement Natsuo entrer dans l'appartement.

« Eh Tenko, regarde qui je ramène ! »

Jin, Toga et Iguchi se tenaient effectivement derrière lui. Tenko vint à leur rencontre.

« C'est pas trop tôt, grogna-t-il. Donnez tout ça à Touya ! »

Il se faisait définitivement exploiter. Mais qu'importe. Touya prit leurs affaires sans rien dire et continua de préparer la table. Après avoir salué Keigo qui était toujours dans la cuisine, Natsuo vint rapidement se poser près de Touya, soi-disant pour l'aider.

« Ça va ? chuchota-t-il. Tu arrives à faire face ?

—Oui, ne t'en fais pas. »

Touya voulait se montrer rassurant, mais dans le fond, il ne savait pas qui il essayait le plus de convaincre entre Natsuo et lui-même. Bien sûr, il ne s'était pas attendu à ce que Keigo lui saute dans les bras, mais il aurait quand même espéré que ce soit plus simple de l'approcher. Enfin... la soirée ne faisait que commencer. Il inspira profondément. Tout allait bien.

« Bon, on se fait un jeu de baston pour commencer, déclara Tenko d'une voix forte. On prend un personnage, interdiction de le changer, et on combat tout le monde. On fait des poules éliminatoires, puis on part en tournoi classique. »

Comme toujours lors de leurs soirées jeux, Tenko s'imposait chef de cérémonie. Touya choisit de ne pas répondre. S'il adorait l'envoyer balader d'habitude, aujourd'hui, il préférait rester en retrait. Il sélectionna son personnage sans beaucoup de conviction. Il essayait surtout de ne pas fixer Keigo, même si tout son être ne voulait qu'une seule chose : plonger à nouveau son regard dans le sien.

La soirée se lança donc. Le premier match – tiré au sort – opposa Jin à Iguchi. Touya s'assit tranquillement sur le fauteuil, à côté de Natsuo. Keigo, lui, s'installa totalement à l'opposé. Délibérément, sans aucun doute. Touya prit quelques chips, essayant de faire passer son amertume.

Mais il n'y avait rien à faire. Le malaise ne cessait de grandir en lui. Il avait l'horrible sensation de se dissocier de plus en plus de lui-même. Son esprit flottait si loin de son corps. Et, tout autour de lui, le stress lui paraissait palpable, comme des trainées de boue qui s'écoulaient de partout. Touya tâchait de faire bonne figure, mais il avait comme un temps de retard. Son cerveau fonctionnait au ralenti. Il suivait à peine le résultat de chaque rencontre. Et lorsque c'était à son tour de jouer, il agissait comme un automate, voyant à peine l'écran face à lui.

Cependant, Touya fut brutalement extirpé de cet état lorsque le tirage au sort annonça que le prochain match serait entre Keigo et lui. À peine Tenko eut-il annoncé leurs deux noms qu'un silence oppressant s'abattit sur la pièce. Si jusqu'ici tout le monde avait fait semblant de rien, là, personne ne pouvait garder son masque d'indifférence. Touya soupira. C'était vraiment ridicule. Ce n'était qu'un match, non ? Ne voulant pas montrer à quel point il était affecté par la situation, Touya bougea de place pour se mettre face à la télé et prit les manettes comme si de rien n'était. Keigo l'imita peu après. Touya fit de son mieux pour ne pas tressaillir lorsqu'il sentit la chaleur de Keigo à ses côtés. Elle était si familière. Autrefois, Touya ne se serait pas gêné pour poser sa tête sur son épaule et Keigo l'aurait aussitôt entouré de ses bras. Mais une telle proximité lui était interdite désormais. Être si près de lui tout en étant aussi loin, ça le rendait si triste.

Le combat commença sans qu'aucun d'eux ne prononce le moindre mot. Touya essaya de se concentrer sur son personnage, un rouquin qui maitrisait le Taekwondo, tandis que Keigo avait choisi un brun qui pratiquait le judo. Même en jouant, Keigo était très rapide. Tous ses coups passaient avant ceux de Touya. Sans surprise, Touya se fit lamentablement battre, ce qui l'éliminait du tournoi puisque c'était déjà sa troisième défaite. Ça n'avait aucune importance. Dès que son personnage fut KO, Touya retourna à sa place, loin de Keigo. Cette chaleur familière, bien qu'insupportable, lui manquait déjà atrocement. Touya avait l'impression que sa tête tournait. Il se sentit à nouveau pris de vertige. Ce n'était vraiment pas comme ça qu'il avait imaginé la soirée. Il était stupide. Tellement stupide. Comment les choses auraient-elles pu se dérouler autrement ? Comme si Keigo pouvait avoir le moindre intérêt pour lui désormais...

Il n'en pouvait plus. Tout tournait bien trop vite dans sa tête. Il allait s'effondrer devant tout le monde à ce train-là. Il murmura alors rapidement à Natsuo qu'il revenait, puis s'éloigna dans la cuisine. Il avait horriblement chaud. Il s'approcha de l'évier pour se passer un peu d'eau sur le visage. Il pouvait entendre ses amis rigoler et se chamailler gentiment dans son dos. L'ambiance avait donc repris dans le salon. Sans lui, l'atmosphère était probablement moins lourde. Touya inspira profondément. Il se sentait de pire en pire. Tout ça était juste ridicule. Il s'était préparé à cette rencontre, mais il n'avait même pas pensé un seul instant à la façon dont il pourrait aborder Keigo. Il avait été si désireux de le revoir qu'il n'avait pas réalisé qu'il ne pourrait pas l'approcher au milieu de tous ses amis. Il était vraiment bête. Pas étonnant que son père lui ait préféré Shoto. Non ! Non... Il ne voulait pas repenser à ça.

Dépité, il ouvrit la porte-fenêtre et sortit sur le balcon. Il respira l'air frais, tentant de retrouver ses esprits. Peut-être pourrait-il essayer de s'asseoir près de Keigo en revenant et de lui murmurer discrètement qu'il voulait lui parler. Ce n'était pas impossible à faire. En espérant juste qu'il ne se sente plus oppressé par la chaleur de Keigo et que ses amis ne se mettent pas à l'observer comme une bête curieuse. Ça valait la peine d'essayer, en tout cas. Oui, dès qu'il se sentirait plus calme, il-

Un bruit dans son dos coupa net ses pensées. Touya se retourna et vit, avec surprise, Keigo près de la porte-fenêtre. Ce dernier le regardait, d'un air un peu hésitant. L'esprit de Touya se vida aussitôt.

« ... Ça va devenir une habitude qu'on se retrouve ici », fut tout ce que son cerveau trouva de mieux à dire.

À ces mots, Touya eut envie de se frapper lui-même. Quand allait-il arrêter d'être aussi stupide ?! Heureusement, Keigo se montra indulgent et sourit légèrement.

« Je voulais être sûr que tu allais bien », lui avoua ensuite ce dernier.

Le coeur de Touya bondit dans sa poitrine. Pourquoi fallait-il que Keigo soit aussi gentil envers lui ?

« Ça va, se força-t-il à répondre. J'avais juste besoin de prendre un peu l'air, on étouffe là-dedans.

—... Si ma présence te met mal à l'aise, je peux partir.

—Quoi ? Non, pas du tout ! »

Touya commença à paniquer. Si Keigo partait, il n'aurait plus aucune chance de lui parler !

« Tu es sûr ? demanda Keigo tout en plissant les yeux.

—J'en suis sûr. Ne t'en va pas, s'il te plait... »

Touya frissonna en disant cette phrase. Un horrible goût de bile lui monta à la gorge. Combien de fois avait-il prononcé ces mots auparavant ? Les souvenirs désagréables flottaient dans l'air. Touya vit Keigo se tendre également et il se maudit. Il faisait vraiment tout de travers, comme toujours !

« Ecoute, je... j'aimerais te parler... Si tu es d'accord ! Je ne t'impose rien ! Il y a juste quelque chose que... que j'aimerais te dire... »

Sa langue était pâteuse, son coeur tambourinait contre sa poitrine. Il se sentit à nouveau pris de vertige. Il était tellement impuissant en cet instant. Face à lui, Keigo l'observa un long moment – un moment terriblement angoissant – avant de hocher lentement la tête. Il fit quelques pas pour se poser sur la terrasse et referma la porte-fenêtre derrière lui, leur donnant un peu plus d'intimité.

« D'accord, je veux bien t'écouter. »

Keigo paraissait calme, mais Touya voyait bien que sa posture était plus rigide qu'à l'accoutumée. Touya hocha alors la tête, soulagé. Keigo était d'accord... Il avait dit oui... C'était incroyable, inespéré ! Maintenant, il allait falloir que Touya se montre à la hauteur. Il inspira profondément. Ses doigts se mirent à trembler. Il essaya de se remémorer la lettre qu'il avait écrite, mais les mots se bousculaient dans sa tête. Il avait l'impression qu'il allait vomir. Il ouvrit la bouche, mais son esprit n'était rien d'autre que du néant.

« Je... Je voulais te dire que... que... »

Que quoi ? Il n'arrivait plus à retrouver le fil de ses pensées. Toutes les émotions qu'il voulait transmettre à Keigo lui parurent tout à coup terriblement insipides. Non ! Il ne pouvait pas baisser les bras maintenant ! C'était sa chance de lui parler enfin ! Il devait le faire ! Il le devait tant ! Sans pouvoir s'en empêcher, il sentit les larmes lui monter aux yeux et se mettre à couler sur ses joues. Non, pas ça ! Pourquoi fallait-il que son foutu corps le lâche encore ?!

« Hey, hey, c'est bon, respire Touya. Respire lentement. »

La voix de Keigo était si douce. Touya essaya de reprendre le contrôle de sa respiration, mais il avait beaucoup de mal à le faire.

« Lentement, répéta Keigo. Tout va bien. Je ne partirai pas tant que tu ne m'auras pas parlé. Vas-y à ton aise. »

Touya s'y reprit à plusieurs fois. Il inspira longuement, avant d'expirer. Une fois. Deux fois. Il compta ses respirations jusqu'à ce qu'enfin l'air sorte normalement de ses poumons. Il sécha rapidement ses larmes, se sentant juste pathétique.

« Tu veux que j'appelle Natsuo ? lui proposa Keigo.

—Non, ça va... Ça va... »

Sa voix était tremblante. Touya inspira profondément une nouvelle fois, avant de lever les yeux vers Keigo. Ce dernier le fixait intensément, comme s'il se demandait s'il devait le croire. À tout moment, il pourrait changer d'avis et partir. Touya devait se lancer, maintenant. Et tant pis si ce n'était pas parfait, si ce n'était pas exactement comme il l'aurait voulu. Il fallait que ces mots sortent enfin de sa bouche.

« Je suis désolé, Keigo, souffla-t-il alors d'une voix tremblante. Je suis désolé pour tout. C'est... »

Touya prit une seconde pour remettre de l'ordre dans ses idées. Tout tournait autour de lui, il manquait d'air. Mais il fallait à tout prix qu'il continue.

« Je t'ai fait tant de mal. Je t'ai menti. Je t'ai manipulé. J'ai tout gâché. Je t'en voulais tellement d'avoir la vie que j'aurais voulu avoir... Mais ça ne justifie pas mon comportement. Je n'aurais jamais dû agir comme ça. C'était vraiment important pour moi que tu saches que je t'aimais réellement, Keigo. Même si je ne te l'ai pas montré, mon amour était sincère. Je ne voulais pas profiter de toi. Mais j'ai été si... »

Touya avait du mal à garder sa voix stable, il enchainait ses phrases à un rythme bien trop soutenu. Il avait retenu ces mots bien trop longtemps. Maintenant qu'il avait enfin réussi à se lancer, c'était comme s'ils voulaient tous sortir en même temps, se bousculant dans sa gorge.

« J'ai été si égoïste, poursuivit-il alors d'un ton haché. Je n'ai écouté que ma souffrance et je t'ai injustement entrainé dedans. Ça fait quatre ans que tu es parti, mais pas un jour je n'oublie ce que je t'ai fait. Ça me rongeait de n'avoir jamais reconnu ta souffrance jusqu'à maintenant. Toutes ces horreurs que je t'ai fait subir. Je peux blâmer la drogue autant que je veux, c'était moi le problème. Moi qui étais trop jaloux, trop instable, incapable de t'aimer comme tu le méritais. Quand je repense à tout ça, je... »

Touya sentit tout son corps trembler. Face à lui, le visage de Keigo était indéchiffrable.

« J'ai peur... »

Sa voix n'était plus qu'un murmure. Les larmes lui montèrent à nouveau aux yeux. Cette fois-ci, Touya n'eut même pas la force d'essayer de les retenir. Il se sentait si misérable. Il avait enfin su dire à Keigo tout ce qu'il avait sur le coeur, mais à présent, il... il allait savoir... il allait être confronté à sa pire crainte...

« De quoi as-tu peur ? demanda Keigo avec une douceur incroyable.

—... J'ai peur des dégâts que je t'ai infligés. Je me suis détruit moi-même, c'était mon choix, je peux l'assumer. Mais... j'ai tellement peur de découvrir à quel point je t'ai détruit, toi aussi... »

Son souffle se brisa. Ses mains se mirent à trembler plus fortement. Son esprit ne pouvait plus que supplier... supplier de ne pas avoir gâché la vie de l'homme qu'il aimait...

« Tu m'as fait beaucoup de mal, c'est vrai, lui répondit Keigo d'un ton étrangement calme. Tu m'as fait subir une situation que je t'avais expressément dit que je ne voulais plus jamais revivre. J'ai été très malheureux. Pendant longtemps, je me suis juste senti perdu. Je ne savais plus quoi faire. Certains jours, je n'avais même plus envie de rentrer chez nous. J'avais peur de l'état dans lequel tu serais. Pour être honnête, je n'étais même plus sûr de t'aimer encore. »

Touya accusa difficilement le coup. Il le méritait. Il comprenait toutes les paroles de Keigo. Mais les entendre, c'était... ça restait très douloureux... Son coeur se serra dans sa poitrine. Les larmes coulaient sur ses joues, sans qu'il ne les chasse. Il les remarquait à peine, tant il était suspendu aux mots de Keigo.

« Mais tu ne m'as pas détruit, Touya. Tu ne dois plus avoir peur de ça. Et, à vrai dire, moi aussi, je te dois des excuses. Je t'ai abandonné. Je me suis lâchement enfui quand la situation est devenue trop difficile pour moi.

—Non ! le contredit aussitôt Touya, le coeur battant. Non, je ne veux pas de tes excuses. Tu as eu raison de partir. Je suis heureux que tu l'aies fait, sincèrement. Tu n'avais pas à rester enchainé à notre relation toxique... »

Touya n'arrivait pas à croire que Keigo s'excusait auprès de lui. Ça n'avait aucun sens après tout le mal qu'il lui avait fait. Aucun sens...

« Elle n'était pas que toxique, murmura Keigo. Je me souviens aussi de nos bons moments. »

Touya frissonna. Non... Non... Pourquoi Keigo se montrait-il aussi gentil envers lui ? Touya ne méritait aucun réconfort. Il avait été monstrueux. Comment Keigo pouvait-il se souvenir d'autre chose que de sa laideur ?

« Merci pour tes excuses, reprit Keigo d'une voix chaleureuse. Je les apprécie, sincèrement. Et je les accepte.

—... Ne te sens pas obligé de me dire ça...

—Je ne me sens obligé de rien. Je te l'assure. »

Touya se sentit, de nouveau, pris de vertige. Il s'appuya contre la balustrade, respirant profondément. Il ne rêvait pas ? Non seulement Keigo l'avait écouté, mais en plus... il avait accepté ses excuses ? Ce n'était pas une hallucination, n'est-ce pas ? Touya avait envie de pleurer et de rire en même temps. La tension quitta son corps, lui donnant l'impression qu'il allait s'écrouler. Les émotions tourbillonnaient en lui, sans qu'il ne parvienne réellement à les saisir. Mais quelle importance dans le fond ? Keigo avait accepté ses excuses. Il les avait acceptées !

« D'accord, finit-il alors par souffler. Merci... »

Keigo hocha lentement la tête. Son regard se fit ensuite... si doux... Touya se figea. Keigo ne l'avait plus regardé comme ça depuis... depuis tellement longtemps... Ses yeux tendres bouleversèrent totalement son coeur. Plus que perturbé, Touya chercha désespérément une façon de relancer la conversation pour empêcher son esprit de se focaliser sur ce regard troublant.

« Alors... euh... jusqu'à quand tu... tu restes en ville ? balbutia-t-il. Enfin, si tu veux me le dire, bien sûr.

—Je reste six mois, lui répondit Keigo sans souci. Je vais suivre une nouvelle formation, c'est plus simple que je reste dans le coin, du coup.

—Oh... C'est super ! Je... Je suis content pour toi. »

Touya sentit sa poitrine s'alléger en réalisant qu'il était sincère. Pour une fois, aucune jalousie ne venait teinter son esprit. Et c'était si... si libérateur.

« N'hésite pas à venir voir Tenko et les autres, reprit-il ensuite. Je resterai à distance, si tu veux. Tu n'auras qu'à leur dire que tu ne souhaites pas me voir. Je comprendrai et je le respecterai. Je veux pas m'imposer dans ta vie. »

Keigo resta un moment silencieux. La douceur de ses yeux fut remplacée par une autre émotion que Touya ne parvenait pas à saisir. Mais sous son regard, il avait juste l'impression de... de revivre... ?

« Tu ne te drogues vraiment plus ? »

Touya fut déstabilisé par sa question, ne s'y attendant pas du tout. Elle n'avait rien d'agréable, mais il ne pouvait pas lui en vouloir de la lui poser.

« Non. Je n'ai plus rien pris depuis presque deux ans. »

Keigo plissa les yeux, rendant son regard plus intense. Puis, il hocha lentement la tête.

« Il n'y a pas de raison que tu restes à l'écart alors. »

Keigo baissa les yeux, avant de murmurer :

« Je serais heureux de retrouver l'ancien Touya. »

Le souffle de Touya se bloqua dans sa gorge. Ses yeux s'écarquillèrent. Quoi... ? Qu'est-ce que Keigo venait de dire, là... ? Ce n'était... Non... Il avait du mal entendre...

« Et puis, reprit Keigo d'un ton taquin et léger, tu dois aussi prendre ta revanche, parce que tu as été vraiment nul aujourd'hui lorsqu'on s'est battus l'un contre l'autre. »

Touya fut surpris par le brusque changement de sujet. Mais le sourire espiègle de Keigo eut vite fait de le détourner des émotions que sa phrase avait provoquées en lui. C'était si facile de se laisser porter par la chaleur réconfortante de Keigo que Touya ne put résister.

« Je t'ai laissé gagner exprès, lui répondit-il alors sur le même ton. Je sais à quel point tu peux être mauvais perdant. Je ne voulais pas gâcher l'ambiance.

—Oh ! Moi ? Je suis un mauvais perdant ? fit semblant de s'offusquer Keigo. Tu veux qu'on reparle de nos dernières parties ? Et du fait qu'on achetait plus que des jeux de société collaboratifs parce que tu ne supportes pas de perdre ?

—Évidement, tu trichais tout le temps, se défendit Touya avec un petit sourire.

—Ce n'est arrivé qu'une fois... ou deux, allez. »

Touya rigola, bien vite suivi par Keigo. Et cette sensation était juste... incroyable. Depuis quand n'avait-il plus ri comme ça ? Mieux encore, depuis quand n'avait-il plus ri avec Keigo ? Touya ne s'en souvenait même plus. Tout cela était si loin. Bien sûr, quelques mots échangés ne rattraperaient jamais le temps perdu. Touya n'osait même pas espérer pouvoir revenir en arrière. Mais... En cet instant précis, ça n'avait pas d'importance. Parce que le rire de Keigo était tout ce qui comptait. Touya se sentait si bien en l'entendant. Une rare tendresse envahit son coeur. Les larmes menaçaient à nouveau de couler sur ses joues, mais pour une tout autre raison que la tristesse, cette fois-ci.

Face à lui, Keigo semblait si rayonnant. Avec un beau sourire sur le visage, il reprit la parole.

« Allons rejoindre les autres, ils doivent se demander ce qu'on fait. Sauf si tu voulais encore me dire quelque chose, évidemment !

—Non, répondit Touya. Non, c'est bon. Je t'ai enfin tout dit. »

Keigo hocha la tête. Il hésita un moment, eut un drôle de geste de la main, comme s'il voulait la tendre vers lui, avant de se raviser. L'estomac de Touya chavira. Mais Keigo garda ses distances.

« Merci Touya, répéta Keigo. Tes mots, c'est... ça compte vraiment beaucoup pour moi. »

Touya ne put qu'acquiescer. Il ne faisait pas confiance à sa voix pour parler en ce moment. Il avait l'impression d'être sur un petit nuage. Jamais il n'aurait pu imaginer que ça se passe aussi bien ! Surtout pas au début de la soirée où Keigo avait eu l'air si distant. Mais il l'avait écouté. Mieux encore, il avait accepté ses excuses ! Touya pouvait à peine y croire. Il avait angoissé toute la semaine, mais il se sentait enfin plus léger. Incroyablement léger, même.

D'un commun accord, ils retournèrent alors à l'intérieur. Touya sécha ses joues, espérant qu'on ne remarquerait pas qu'il avait pleuré, même s'il en doutait malheureusement. Il suivit Keigo jusqu'au salon. Lorsque les autres les aperçurent, ils ne firent même pas semblant de les ignorer. Leurs yeux se tournèrent vers eux sans aucun scrupule. Heureusement, aucun d'eux ne poussa le vice jusqu'à leur poser des questions. Keigo s'assit auprès de Jin, comme si de rien n'était. Touya l'imita en allant se remettre près de Natsuo, quelques places plus loin. Il pouvait sentir le regard brûlant de son frère sur lui.

« Alors, ça en est où ? demanda Keigo, d'une voix tranquille.

—On va jouer les quarts de finale, avec Tenko contre Toga, répondit Iguchi.

—Toga n'a aucune chance.

—Eh ! se plaignit cette dernière. Je pensais que tu serais de mon côté, Kei-chan ! »

Keigo rigola. Touya l'avait entendu tant de fois, mais il n'avait jamais réalisé jusqu'à aujourd'hui à quel point ce simple son lui avait manqué. Il avait l'impression que le rire de Keigo pénétrait sa peau pour entourer directement son coeur.

« Tout va bien ? »

La voix de Natsuo n'était qu'un chuchotement, de sorte à ce que seul Touya puisse l'entendre. Ce dernier se tourna alors vers lui, avec un doux sourire.

« Tout va bien, oui. Tu n'as plus à t'en faire. »

Oui... En ce moment même, Touya ne s'était jamais senti aussi bien depuis, oh ! il ne savait même pas combien de temps. C'était comme si l'épais brouillard qui entourait son esprit s'était enfin levé. Bien sûr, le passé ne s'oublierait jamais. Mais il avait enfin assumé ses responsabilités. Oui... Il pouvait le dire. Il était en paix avec lui-même.

Il restait encore tant de problèmes à régler. Sa vie n'allait pas devenir rose en un instant, mais... mais le poids qui pesait sur son estomac depuis toutes ces années s'était enfin volatilisé. Touya pouvait à nouveau respirer. Il ne s'était pas rendu compte de toute la tension qui parasitait son corps. Il avait juste envie de rire, à présent. Parce que, pour la première fois depuis plus de quatre ans, Touya était heureux.

Rien n'effacerait le mal qu'il avait fait. Rien ne pourrait lui retirer l'impression qu'il avait été monstrueux. Mais il était tout de même heureux. Parce qu'il avait enfin pu s'excuser auprès de l'homme qu'il aimait plus que tout au monde. Et même si ça ne lui rendrait jamais ce qu'il avait perdu, Touya se sentait bien, malgré tout. Il avait fait face à ses actions. Il s'était montré à la hauteur, pour une fois. Et Keigo avait accepté ses excuses. Que pouvait-il demander de plus ?

Alors oui, en cet instant précis, et même s'il ne savait pas combien de temps cela durerait, Touya se sentait juste heureux. Et il comptait bien se laisser emporter par cette sensation incroyable qui lui avait tant manqué...


Merci de m'avoir lue. Le prochain chapitre sera le dernier. A bientôt :)