Chapitre 8

Plus tard, Mitch s'en voudrait réellement.

Quelqu'un d'aussi calme, posé, positif et pacifique que lui aurait savoir quoi faire. Rester détendu, un brin moqueur, comme il l'avait toujours été. Être cette force bienveillante, cette montagne d'amour qui protégeait ses amis et ceux qu'il aimait, comme un genre de guerrier super stylé qui tank et protège en toutes circonstances sans faillir. Qui blague. Rassure. Apaise. Inspire, parfois. Parce qu'il était assez fort pour ça. Parce que c'était qui il était.

Pourtant, face à Emma et Eugène, face à l'absurdité abasourdissante de la situation, ses balls cramèrent. Il se retrouva à cligner des yeux comme un con, son regard passant d'Emma à Tom à Eugène à Emma sans savoir quoi faire – ni même quoi penser.

- Alors, super, balbutia-t-il. Vous avez fait une toupie pour illuminés. Félicitations.

Voilà qui manquait cruellement d'aplomb. Emma sourit encore sans se laisser impressionner.

- C'est vous qui foutu la merde à la sortie du calendrier ? demanda Stan en fronçant les sourcils.

- Bien sûr, répliqua Eugène. Vous ne pensiez tout de même pas que vous vous en tireriez avec votre délire de bilboquet « sexuel » (il mima des guillemets avec ses doigts) sans encombre ? Il faut protéger nos enfants, voyons. C'est une figure de style, on n'a pas d'enfants avec Emma, elle ne veut p…

- On a compris, chéri, fit Emma en lui attrapant le bras.

Tom n'avait toujours pas repris des couleurs, ce qui inquiétait Mitch au plus haut point.

- C'était quand même un beau calendrier, ajouta Emma. On se demande de qui venait une idée aussi dépravée…

Son regard coula vers Roxanne dont le visage, lui, ne manquait pas de couleurs, au contraire.

- Dis donc, la frigide, si tu veux te détendre, ta toupie, tu peux te la rentrer dans le…

- C'était si mignon de voir Tom en écolier, coupa Emma. Même si tu as pris un peu de poids, mon chou. Quel dommage qu'il n'y ait plus personne pour veiller sur toi, maintenant.

Elle eut un petit coup d'œil en direction de Mitch.

- Personne de responsable, en tout cas.

- Haha ! lança soudain Eugène en levant un poing au ciel triomphant. C'est enfin l'heure de mon monologue ! Voilà la véritable fin de l'histoire des baaaalls ! Le héros autrefois brisé, démon déchu, qui s'envole dans l'espace avec la belle jeune fille, et qui prend sa revanche sur les méchants dépravés, à la sexualité douteuse, qui n'ont jamais cru en lui ! Et ils devinrent riches et eurent beaucoup de – enfin non, mais beaucoup de thune.

Il agrippa Emma par la taille, leva la paume et traça un rond dans l'air.

- Vous voilà bien baisés, les nuls ! Salutations de Produce®. Et là, normalement, l'autrice me fait disparaître de manière hyper classe !

Et ils disparurent dans un éclat de lumière blanche.

Stan leva un sourcil.

- Euh… et si on retrouvait les autres ?


Mitch arpentait les rues du village en balayant chaque recoin des yeux.

Le sandwich au poulet qu'il avait avalé l'avait modérément requinqué après la confrontation avec Eugène et Emma, qui n'étaient, pour son plus grand bonheur, pas réapparus du reste de la journée. Il était à présent à la recherche de Tom, disparu depuis plusieurs heures. Mitch avait trouvé une grosse pomme d'amour bien rouge chez un marchand de bonbons, se disant qu'une dose de sucre pourrait aider Tom à passer le cap du « Je-revois-par-surprise-mon-ex-fiancée-que-j'ai-lâchée-devant-l-autel-pour-un-mec ».

Il finit par le trouver près du stade de football, assis dans ce qui ressemblait à un vieux banc de touche en bois fait maison. Tom avait la mine basse et était toujours assez pâle, ses boucles sombres pendant tristement sur son front.

- Hey, mec, dit doucement Mitch.

Il lui tendit la pomme à laquelle Tom ne lâcha pas un regard. Mitch soupira, et s'assit à côté de lui.

- Bon ben… c'était bizarre, commença-t-il.

Tom hocha lentement la tête.

- Hé…

Il passa sa main autour de sa taille et le sentit se raidir. Mitch tenta de ne pas se laisser blesser par cette réaction.

- Ecoute, j'imagine pas à quel point ça peut être dur, de revoir son ex… enfin, si, je revois Hélo, et c'est plutôt cool. Enfin, on est amis. Mais c'est pas dur, mais c'est pas forcément facile. Bref.

Il s'enfonçait un peu plus chaque seconde.

- Je veux dire, j'imagine pas à quel point tu dois te sentir bouleversé, et c'est normal.

Tom ne dit rien, mais Mitch le sentit se détendre un peu.

- Enfin, c'est vrai, j'ai plus ou moins pris la place de cette fille dans ta vie alors qu'à une époque j'essayais de t'aider à la reconquérir, et vous êtes restés longtemps ensemble, et vous avez failli vous marier… c'est un peu le bordel niveau balls et tout.

- C'est pas ça…

Tom secoua la tête.

- Je veux dire, ouais, t'as raison, mais c'est pas…

Il s'interrompit et laissa son regard se perdre au loin. Mitch sentit qu'il évitait délibérément son regard.

- Alors, explique-moi, souffla-t-il. Laisse-moi t'aider.

Mais Tom secoua la tête.

Mitch sentit une douleur poindre au niveau de son cœur. Il savait que c'était difficile pour Tom. Il savait que la séparation avec Emma avait été compliquée, que Tom s'était longtemps senti coupable de l'avoir abandonnée, que sa relation avec Mitch était un peu déstabilisante. Mais Tom avait toujours accepté de lui parler. En tant que colocs, en tant qu'amis, en tant qu'amants, ils partageaient des milliers de choses et Mitch avait eu l'audace de croire qu'ils se connaissaient comme personne. Tom avait réussi à s'émanciper d'Emma, il avait réussi à dire non. C'était happy end, pas vrai ? Ils vécurent heureux et firent beaucoup de bisous et de câlins ?

Pourtant, depuis des semaines, Tom ne lui adressait presque plus la parole. Toujours plus distant, il ne laissait même plus Mitch l'aider.

Et Mitch s'était questionné. Au fond de lui, tout au fond, dans cette espèce d'endroit de notre être dont on sait qu'il existe mais on ne veut pas y penser, là où se bousculent les questions les plus sombres qu'on n'a pas envie de formuler clairement dans notre tête, ni même de les considérer comme des possibilités ou des hypothèses. Mitch avait du mal à ne pas se laisser submerger par l'attitude de Tom. Si ses premières semaines en sa compagnie, il avait été le plus heureux du monde, il s'était rarement senti aussi triste que ces derniers temps.

- Tom… je peux te poser une question ?

L'estomac de Mitch s'était retourné en prononçant ces mots. Il se sentait nauséeux. Allait-il vraiment le faire ? Il le fallait. Poser cette question qui lui brûlait les lèvres, lui embrumait le cerveau, lui enflammait les entrailles, assombrissait ses rêves, tant il avait peur de la réponse. Une goutte de sueur perla sur le côté de son front et il eut toutes les peines du monde à contrôler sa respiration.

Tom lui adressa finalement un regard intrigué et un peu inquiet, et Mitch sauta.

- Pourquoi tu ne m'as jamais dit « Je t'aime » ?

Il y eut un silence. Long. Très long. Trop long. Dans les yeux de Tom, un flot d'émotions défila, trop vite pour qu'on puisse les identifier. Il fixa Mitch un moment, clignant des yeux. Finalement, il ouvrit la bouche. Mais aucun son n'en sortit. Il la referma.

Et Mitch s'écrasa. Il se mordit la lèvre et hocha la tête. Les larmes coulèrent sans qu'il puisse les contenir. Il sentit vaguement son corps se lever et s'en aller, tandis que son cœur s'émiettait lentement.