Maoki Nakoyama entra dans la salle de réunion.
Son regard passa sur les quatre professeurs vautrés dans leurs chaises et discutant bruyamment. Ils avaient plus l'air de mercenaires avec leurs cicatrices et leurs airs débraillés que d'adultes respectables.
- Bonjour à tous
Ils levèrent la tête et la saluèrent poliment.
Elle n'était pas assez crédule pour croire qu'aucun ne l'avait entendue ouvrir la porte, mais au moins cette fois personne ne l'avait accueillie avec un couteau à la gorge en lui demandant si elle était vraiment celle qu'elle prétendait être.
Les RH seraient contents de savoir qu'ils faisaient des efforts.
- Miss Connors, si vous le voulez bien…
La quadragénaire alluma le vidéoprojecteur à l'aide de la télécommande.
Maoki s'assit en bout de table.
- Bonjour à tous et à toutes et bienvenus à notre réunion annuelle d'évaluation
Elle s'assura de croiser le regard de chacun.
- Avant de commencer, est-ce que quelqu'un a des questions ?
Connors leva la main.
- Oui ?
- Je voulais juste vous rappeler que personne n'avait eu de nouvelles du petit Prager depuis les dernières vacances
Maoki commença à farfouiller dans sa pile de feuilles pour en tirer son dossier.
Mizuki rit.
- 'Petit' ? Le laisser monter sur un des poneys du centre c'était de la maltraitance animale
De Rives le regarda d'un air réprobateur :
- Nous parlons d'un élève qui a disparu
Mizuki croisa les bras sur son torse, toujours amusé :
- Et ? Des élèves qui disparaissent ça arrive tous les ans. Et puis ce gosse était obèse. Il est resté quoi, environ huit mois ici ?
Maoki extirpa la feuille 'Anton Prager' des autres. Elle la scanna rapidement.
- Huit mois et demi, c'est bien ça
- C'est ce que je disais. Si il est resté autant de temps à S et W sans perdre le moindre gramme c'est qu'il n'a pas voulu y mettre les efforts. Vous savez tous qu'on ne peut rien faire si les élèves n'y mettent pas du leur. Sa disparition lui incombe.
Personne n'y trouva rien à redire mais personne non plus ne se joignit aux moqueries de Mizuki.
- La disparition d'Anton Prager est certes tragique, reprit Maoki, mais Mizuki-sensei a raison. Notre école et l'entraînement fourni permet de réduire de soixante pourcent les risques de disparition et de mort prématurée de nos étudiants mais si le pire doit arriver, il arrivera.
Tout le monde hocha la tête sombrement.
'Si le pire doit arriver, il arrivera' était le credo non-officiel des professeurs de Sword and Cross.
A force de voir même leurs meilleurs élèves disparaître au fil des années, ils avaient tous commencé à se distancer des enfants pour éviter de souffrir s'ils ne les voyaient pas revenir après les vacances.
Mizuki avait été particulièrement touché par le cas d'un petit garçon coréen, il y a quelques années, qu'il avait prit sous son aile.
Le garçon avait été kidnappé pour une rançon et, une fois la somme reçue, les ravisseurs avaient envoyé ses doigts par boîte postale à ses parents.
Sa mère avait quitté la scène héroïque peu après.
Tout le monde avait une histoire à peu près similaire sur un enfant duquel ils avaient fait l'erreur de trop se rapprocher.
Maoki savait à quel point c'était dur de se distance d'eux surtout dans la mesure où certains souffraient déjà de traumatismes et avaient besoin d'affection et de chaleur humaine.
Mais elle savait aussi qu'il était encore plus dur pour ses collègues de se rapprocher d'enfants qui avaient presque cinquante pourcents de chance de disparaître sans jamais laisser de traces.
C'était cruel à dire mais elle préférait qu'ils soient cyniques comme Mizuki plutôt qu'ils ne s'effondrent à chaque nouvel enfant disparu.
Et puis il y avait toujours soixante pourcents qui survivaient.
C'était déjà ça.
Mizuki leva son verre.
- Remercions le petit Anton de nous avoir écourté la réunion !
Il le but cul sec.
Maoki échangea un regard avec De Rives : il huma l'air et secoua la tête.
- Reprenons
Connors activa la première diapositive.
Les photos des douze élèves s'affichèrent sur l'écran par ordre alphabétique.
Ils avaient tous l'air fatigués ou indifférents à des degrés différents. Pas vraiment le genre d'expression qu'on s'attendrait à voir chez des enfants de leur âge.
- Nous avons donc onze élèves en classe Alpha cette année, dit Maoki. J'aimerai entendre vos opinions respectives sur leur groupe.
Mizuki haussa les épaules.
- Meh, pas différents des autres années
Tanjiro secoua la tête :
- On en a juste un au cours d'armes blanches…
Connors inspectait le tableau comme si elle les voyait pour la première fois.
- Ah ouais le gamin là-bas, il est vachement doué pour les travaux manuels. Mais c'est une vraie loque pour tout ce qui est pratiques de survie.
Mizuki suivit son regard.
- C'est pas le neveu de la numéro 1 des US ?
- Si, et il est aussi peureux qu'une souris
Maoki tapota son stylo sur sa feuille vierge.
- On se concentre. J'ai demandé des avis sur le groupe en général.
Il était bon de savoir si une classe avait un esprit de groupe assez développé pour qu'ils puissent la remanier au besoin.
Il ne faudrait pas qu'il y ait trop de paresseux au même endroit auquel cas ils risquaient d'influencer les autres et de les faire plonger avec eux.
- Ils sont corrects dans l'ensemble, dit Mizuki. Sans le petit obèse je peux dire que les taux de survie de cette classe sont passés à 80%.
De Rives lui lança un regard appuyé.
- Ils ont une bonne tête de file avec le quatuor là-haut
Maoki passa la télécommande à Sarah pour qu'elle puisse zoomer sur quelques visages.
Elle montra les jumelles anglo-turques en premier.
- Plutôt renfermées sur elles-mêmes mais elles suivent bien les exercices. Elles sont aussi assez complémentaires pour avoir de fortes chances de s'en sortir tant qu'elles restent toutes les deux.
Maoki notait furieusement sur sa feuille.
- Pourquoi ça ?
- Elles font un genre d'apprentissage sélectif. Chacune a ses préférences et elle apprend ce que l'autre ne veut pas faire.
- Combien d'estimation de survie ?
Sarah prit son temps pour réfléchir.
- A deux 70%. Seules… ça dépendra des circonstances.
De bonnes nouvelles, donc.
Sarah zooma ensuite sur la petite blonde.
Mizuki se redressa en la voyant.
- La française, hein ? C'est vrai qu'elle est plutôt douée au corps à corps.
Sarah hocha la tête.
- Ses parents l'entraînent pour devenir un Héros à ce qu'elle m'a dit. Et elle a un bon Alter. Ce serait bien qu'on puisse l'aider à l'entraîner à partir de l'année prochaine.
- La Télékinésie, oui.
Maoki nota de proposer l'option à ses parents.
- Elle est silencieuse mais elle apprend très vite. 75%.
- 80
Tout le monde tourna la tête vers Mizuki.
- Elle a foutu mon assistant à terre avec une prise de Judo dès le premier jour. Elle l'avait prit par surprise, mais ça compte quand même.
Tanjiro siffla sur un ton admiratif. De Rives haussa les sourcils.
- Elle a mit Kenji K-O ?
- La seconde d'avant il lui souriait et celle d'après il regardait le plafond en se demandant comment il avait fini là
- 80, donc.
Maoki était contente. La tête de file avait l'air extrêmement prometteuse cette année.
Connors zooma un des seuls asiatique de cette année.
- Le petit Shiranui se balade partout avec des aiguilles, vous le saviez ?
Tout le monde secoua la tête.
- Cette petite enflure a essayé de m'en planter un l'autre soir quand je lui ai dis de me les donner. Il a failli me crever l'oeil mais je dois dire qu'il est doué avec. Je recommande qu'on propose l'option armes blanches à ses parents l'an prochain. Qui sait ce qu'il pourrait faire avec un couteau.
Maoki nota avec attention tout ce qu'elle lui disait.
- Combien ?
- Actuellement ? 60. Mais je dirai qu'il a un potentiel de 70 voire 75 si il prend l'option.
Sarah zooma enfin sur un dernier élève.
- Ca fait pas quatre, fit remarquer Mizuki.
- Les jumelles sont siamoises donc ça compte pour un
L'image d'un petit garçon aux cheveux rouges et blancs apparut sur l'écran.
Maoki ne rata pas le regain d'intérêt de Tanjiro et De Rives.
- C'est votre poulain ?
Tanjiro hocha la tête :
- Plus que ça. C'est un vrai génie du kenjutsu.
De Rives prit la relève :
- Il absorbe tout ce qu'on lui apprend comme une éponge. J'avais déjà l'impression qu'il avait apprit les bases quelque part mais il m'a dit que non, donc j'en ai conclu que c'est un naturel dans le domaine.
Tanjiro enchaîna :
- Il n'avait déjà aucun problème à être parmi les meilleurs dans les secondes années mais depuis quelques temps il ne fait que se surpasser. Il n'a aucun mal à tenir tête aux troisièmes années et à il bat même la majorité d'entre eux.
- Raconte leur pour les couteaux
- Ah oui. Comme vous savez on offre en deuxième année de Kenjutsu la possibilité d'apprendre à manier des couteaux. Et bien l'autre jour j'ai voulu voir ce que Todoroki valait, s'il pouvait commencer l'entraînement plus tôt avec, alors je lui en ai confié quelques uns. Et...
Tanjiro se tut. Il promena son regard sur toute l'assemblée, ravi de l'effet qu'il procurait.
Mizuki s'impatienta.
- Et ?
- En plein dans le mile à chaque fois.
Sarah se redressa.
- Combien de fois tu l'as fais tirer ?
- Cinquante
Mizuki et Connors étaient extrêmement surpris.
Maoki nota avec appréciation. Un excellent groupe, cette année.
- Vous l'avez fait passer aux cibles mouvantes j'espère ?
Avec un tel talent ses chances de survie passaient au niveau au-dessus.
- Evidemment. Il a un score moyen de quatre-vingt sur cent mais ça ne fait que trois mois qu'il s'entraîne.
Maoki fit glisser ses feuilles jusqu'à arriver à celle de Todoroki.
Sword and Cross se basait sur un cycle scolaire à l'européenne pour accommoder le plus de leurs étudiants. L'année se finissant en juillet pour eux, ils ne reprendraient qu'en septembre. Et comme le petit était né en décembre…
- Pas encore cinq ans
Elle était agréablement surprise.
Mizuki haussa les sourcils, étonné. Mais il se reprit bien vite.
- Je me disais bien qu'il était plutôt petit pour un gamin de huit ans
Même si S et W était – aux yeux du grand public – une maternelle pour enfants haut de gamme, c'était en réalité plus un centre d'entraînement qu'autre chose.
Les enfants de première année étaient 'censés' avoir quatre ans environ et ceux de dernière année six.
En réalité la moyenne d'âge était de sept ans à dix ans bien qu'il y en ait parfois des un peu plus jeunes et des un peu plus vieux, comme ici le petit Todoroki.
Il leur était impossible d'accepter plus âgés pour l'instant au risque de compromettre leur couverture aux yeux des médias.
En plus de les mettre dans de beaux draps, ce serait le gouvernement Japonais qui prendrait le plus cher une fois qu'il serait révélé qu'ils avaient accepté l'ouverture d'un 'camp militaire d'enfants' dans leur pays.
Plus qu'un avantage, être un enfant de héros était une damnation pour une vie courte et remplie de souffrance.
Les temps avaient beau changer le grand public refusait toujours d'ouvrir les yeux sur cette situation alarmante.
- S'il peut atteindre cent pourcents l'an prochain nous avions dans l'idée de lui proposer une troisième arme.
Maoki prit quelques secondes pour réfléchir.
- S'il est d'accord lui-même je n'y vois pas d'inconvénients
Mizuki leva la main.
- S'il est si bon que ça, je pourrai aussi lui apprendre à faire du corps à corps avec un couteau.
Sarah se tourna vers lui.
- Tu ferais plus d'efforts pour aider un gamin ?
Il haussa les épaules.
- Lui et la petite française progressent trop vite. Si je lui demande de pratiquer les attaques au couteau contre elle ça risque de les occuper tous les deux assez longtemps pour qu'ils arrêtent de m'emmerder pendant mes pauses clopes
Une réponse digne de Mizuki.
- Quelque chose d'autre à ajouter ?
Maoki promena son regard sur l'assemblée.
Connors secoua la télécommande en plastique.
- Ouais, j'ai pas eu le temps de donner mon avis
Maoki lui laissa la parole.
- Il apprend vite mais il est un peu bizarre. Il a du mal avec tout ce qui est tâches manuelles mais pas dans le sens où on l'entendrait. Ce qui le dérange, lui, c'est les trucs triviaux.
- Comme ?
- Il peut faire un feu de camp en une minute mais impossible de lui demander de se salir les mains en allant chercher le bois. En fait dès que ça concerne tout ce qui rapproche de tâches ménagères ou de ce qu'il juge 'indigne' de lui, il est tout bonnement incompétent.
Tanjiro et De Rives avaient l'air un peu surpris d'entendre de telles choses sur leur élève vedette.
- On dirait qu'il a jamais fait la vaisselle ou tenu un chiffon de sa vie. Si il se retrouve seul en terrain inconnu j'ai bien peur qu'il agisse plus comme un prince perdu qu'un des locaux.
Maoki nota les remarques avec application.
- Il faudra que tu trouves un moyen de casser ses manies l'an prochain.
Connors hocha la tête.
- Combien ?
- 70
Les autres professeurs s'agitèrent.
- 80, dit De Rives. Voire même 85.
Sarah refusa en bloc.
- Son arrogance le perdra
- Mets-lui un couteau entre les mains et je peux te dire que ce gosse fera des merveilles.
- Et si il se retrouve dans une situation où il n'a ni accès à une épée – elle sourit – ou à un couteau ? 70.
Mizuki s'immisça :
- Il est plutôt bon au corps à corps et n'a aucun problème à battre les élèves plus vieux. 75.
- Il a deux très bons Alters, dit Tanjiro. On peut aller jusqu'à 85.
Maoki regarda ses professeurs à tour de rôle. Chacun campait sur ses positions.
- Je vais mettre 75 avec un potentiel de 85.
La séance se déroula de la même manière pour les autres élèves. Ceux-là étaient moins prometteurs, mais s'ils avaient du temps ils pourraient augmenter leurs chances de survie.
Maoki finit par taper sa pile de feuille contre la table pour les réaligner les unes avec les autres.
- En conclusion : bonne tête de file, bon groupe, bonnes chances de survie.
Elle sourit à ses collègues.
- Merci à tous et bonnes vacances
