Musique : Jay-Z et Alicia Keys : Empire State Of Mind
Une brume épaisse recouvrait la ville, une sorte de duvet qui courbait la nuque des passants et accélérait leurs pas. La jeune femme resserra son écharpe pour se protéger du vent qui tentait de s'infiltrer dans son cou. Elle se fraya un chemin à travers la foule compacte autour d'elle. La plupart des gens se pressaient sur le trottoir. Il n'était que huit heures du matin et pourtant l'allure effrénée des habitants se ressentait déjà. Une course contre le temps. Image habituelle d'une ville chargée et très active. New York est un endroit historique et moderne, tellement beau, accueillant mais très peu de personne s'arrête encore pour l'admirer. S'arrête-t-on encore pour quoi que ce soit d'autre que pour un planning du quotidien millimétré, couché sur un agenda ? Ces personnes qui hâtent leurs pas sur le trottoir, courent après leur transport en commun, timing à la seconde près pour une réunion ennuyeuse à la recherche de dollars supplémentaires, il y a également ces nourrices et ces mamans qui pressent les enfants à l'école alors que les supers héros de la télé n'ont pas encore fini de sauver le monde, ces castings pour la prochaine pub à la mode qu'il ne faut pas rater, ces couches tôt qui ont du mal à émerger et ces couches tard qui titubent de sommeil en recherchant leurs clés. Et ces post it qui n'en finissent pas de décorer le frigo : le cours de danse de l'aînée, le rdv du pédiatre du plus jeune, la bouteille de vin chez l'épicier sinon le diner sera foiré...
La jeune femme s'engouffra dans un café, petite échoppe au coin d'une rue, chaleureuse et très bien décorée où des effluves doucereuses l'accueillir avec gourmandise. La chaleur qui se dégageait de l'endroit la fit frissonner, l'automne new yorkais était bien là !
"- Bonjour Mlle Berckley.
- Bonjour.
- Un café noir avec un sucre et une touche de lait ?
- Comme d'habitude Franck merci.
- Autre chose ?
- Je vais prendre un beignet à l'abricot.
- 5.50$ s'il vous plaît.
La jeune femme lui tendit un billet en esquissant un sourire.
- Passez une bonne journée.
- A vous aussi, au revoir."
Rachel Berckley ressortie du salon de thé et remonta la rue en serrant précautionneusement sa boisson entre ses mains pour en récupérer la chaleur. A vingt-cinq ans Rachel était une belle jeune femme aux cheveux mi-long bruns, aux profonds yeux marrons et au visage clair. Discrète et simple, presque invisible, aucun artifice ne brillait sur elle, la foule la dissimulait parfois complètement, si bien qu'on en oubliait sa présence. Grande, gracile, presque fragile, Rachel était douce et prévenante, posée, intelligente et réfléchie. Elle avait grandi sur les terres humides et montagneuses du Nord Ouest des Etats-Unis, loin de l'agitation effrénée des grandes villes, un bonheur simple, sans plaisir futile, concentrée sur l'essentiel d'une vie de famille aimante et presque sereine.
Elle arriva bientôt devant un immeuble massif et gris, dont la façade en vieilles pierres commençait à s'effriter. Elle monta les premières marches et poussa la lourde porte vitrée afin de s'introduire dans le bâtiment. Elle montra son badge au gardien et passa le portique de sécurité en adressant un sourire aux différentes personnes qu'elle croisait et qu'elle reconnaissait. Puis ses pas la menèrent jusqu'aux ascenseurs qui la hissèrent jusqu'au cinquième étage où elle déboucha sur un couloir assez sombre comportant plusieurs bureaux fermés. A l'heure précise, le calme régnait encore, très peu d'employés étaient arrivés et ce silence avant l'agitation d'une journée surchargée était le bienvenue. La porte la plus éloignée du couloir principale comportait son nom avec une petit bannette sur le côté dans laquelle elle récupéra son courrier. Puis elle inséra sa clé et pénétra dans le bureau en refermant derrière elle.
La pièce était de taille moyenne avec une grande vitre qui donnait vue sur la ville. Les murs étaient gris clairs, l'éclairage assez doux, un grand bureau en chêne trônait près de la fenêtre comportant un fauteuil de couleur chair et deux autres assises en face . Près du mur gauche, un canapé et une table basse complétait le décor. En rappel à ses origines tout droit venues de l'état de Washington, un tableau se trouvait au dessus du canapé : le Mont Rainier en fond de vue de l'une des embouchure du Pacifique. Le mur opposé quand à lui était garni d'étagère et d'une armoire fermée.
Rachel avait quitté la région de son enfance sept ans auparavant, son diplôme du secondaire en poche avec mention et félicitations lui avait permis d'obtenir une bourse d'étude afin d'étudier dans l'une des meilleures facultés du pays : Columbia. Son choix s'était portait sur le cursus de la psychologie. La jeune femme était donc arrivée à New York avec une grande soif d'apprentissage. A sa sortie il y a trois ans Rachel avait eu de nombreuses propositions d'emplois, toutes plus alléchantes les unes que les autres, tant au point de vue travail, que du point de vue salaire mais depuis qu'elle avait commencé ses études, elle savait parfaitement dans quel service elle voulait exercer et c'est la raison pour laquelle, elle avait bataillé durement pour se retrouver dans ces locaux.
Le département de la police de New York.
Il y avait deux aspects qu'elle appréciait particulièrement dans sa formation pour intégrer la police : le suivi des employés et sa collaboration avec la justice afin d'expertiser les criminels ou d'évaluer les victimes. Mais fraîchement sortie de la théorie, elle avait rapidement était confrontée à la réalité du terrain et malgré toutes ses compétences et l'approbation de ses professeurs, la jeune femme n'avait pour le moment qu'un statut de collaboratrice partielle. Elle ne travaillait que sur l'aide psychologique dédiée à la police : choc post traumatique, gestion du stress, évaluations internes et tests d'aptitude avant intégration ou promotion. Le volet judiciaire était un écran brumeux, ses supérieurs ne lui faisait pas assez confiance et la trouvait trop frêle pour supporter toutes les horreurs qui pouvaient circuler dans un tribunal ou dans le couloir du service de la criminelle.
En parallèle, Rachel poursuivait ses études afin d'approfondir davantage ses connaissances en psychologie comportementale, elle ne comptait ni ses heures au bureau, ni ses heures de travail chez elle mais c'était un perpétuel besoin d'apprentissage qui la motivait et qui la faisait se lever tous les matins.
Alors qu'elle triait son courrier tranquillement, un petit coup retentit contre sa porte et Arnold Miller entra. Son supérieur avait cet éternel aspect renfrogné qui agaçait la jeune femme, il se plaignait de tout et de tous le monde en permanence : la météo, le menu de la cafétéria, sa femme, les études de ses enfants, la circulation, la bourse, sa voiture, les gens et ses salariés parfois trop zélés ou trop fainéants selon lui. Mais quand il s'octroyait des jours de congés supplémentaires sans prévenir personne, là par contre il fallait que le service se démène pour le remplacer au pied levé quitte à finir les journée à vingt-trois heures passées. Trapu et petit, il plaquait ses quelques cheveux éparses sur le côté de sa tête et sentait l'after-shave bon marché du matin au soir. Ses cravates n'étaient jamais assortie au reste de son costume et il trébuchait constamment sur ses lacets qu'il ne prenait pas la peine de faire : trop de temps perdu ! C'était son grand cheval de bataille : le temps. Il fallait quotidiennement que ses collaborateurs aient quelques choses à faire, que les pauses soient chronométrés, que les comptes rendus soient tapés, signés, enregistrés avant la fin de la semaine, que leurs agendas respectifs soient bien remplies et que les patients n'espacent pas trop leurs séances...Rachel ne l'aimaient pas mais par chance, elle ne le côtoyait que lors des réunions hebdomadaires, pendant une heure, le reste du temps, elle était enfermée dans son bureau, en séance quotidienne et tranquille. Arnold avait son bureau à l'autre bout et il passait son temps, non pas, à soutenir des policiers parfois à la dérive mais plutôt à jouer à une version en ligne des échecs.
Quand il ouvrit la porte ce matin là, la jeune femme fronça les sourcils. Arnold ne faisait que rarement de reproche à ses collaborateurs. Le service roulait plutôt bien et le taux d'efficacité avait largement était prouvé. Elle se demanda pourquoi il faisait irruption dans son bureau de si bonne heure.
"- Bonjour Rachel.
- Bonjour Mr Miller, je peux vous aider ?
- Oui, j'ai deux mots à te dire.
Il entra et fourra ses mains dans ses poches en soupirant, bombant son ventre en avant, signe d'une quarantaine dépassée et d'un abus de mauvaise alimentation arrosée aux échecs virtuels assis dans un siège confortable derrière son bureau.
- La réunion interne concernant la restructuration du service a eu lieu la semaine dernière, elle était réservée aux différents chefs de secteurs et à leurs adjoints et comme tu l'as peut-être entendu nous allons fusionner plusieurs postes de collaborateurs afin d'améliorer l'organisation des psychologues de la police et des psychiatres de l'expertise judiciaire.
Le cœur de Rachel s'emballa et une angoisse sourde s'insinua dans son esprit. Elle était l'une des dernières collaboratrices arrivées et si l'idée était de revoir l'organisation, cela signifiait certainement faire ses cartons. Elle ne s'occupait que du volet de soutien psychologique de la police, elle n'était pas polyvalente donc pas l'employée la plus intéressante pour faire un double travail même si ses compétences disaient autres choses sur son C.V.
- Le Docteur Emily Benson était jusqu'à présente chef du service d'expertise psychiatrique judiciaire à Manhattan et elle vient d'être promue, c'est elle qui va diriger le département psychiatrique au sein de la police de New York.
La jeune femme écarquilla les yeux. En face Arnold afficha une grimaça cinglante.
- Je...Je serais transféré à la fin de la semaine à l'hôpital militaire de Fort Derick dans le Maryland, visiblement il manque de personnel.
- Pour combien temps ?
- Indéterminé pour le moment mais Emily a signé un contrat juteux donc même si je reviens, je ne serais plus ton chef.
Rachel avala péniblement sa salive.
- Ca signifie quoi exactement pour moi ou...pour les autres ?
- Emily passera vous voir séparément tout on long de la journée, elle a déjà investie mon bureau et je subodore qu'elle ne va pas traîner à refaire les peintures. Bref...
Il s'approcha du bureau de la jeune femme et lui tendit la main. Rachel se leva précipitamment et attrapa ses doigts.
- Je ne te l'ai peut être jamais dit mais tu es un très bon élément Rachel, tu as toujours fais du très très bon travail et si aujourd'hui tu as l'occasion d'évoluer alors n'hésite pas, saisi ta chance.
- Merci Mr Miller."
Sans un mot de plus il quitta la pièce et Rachel resta debout, encore sous le choc de ces dernières révélations.
Quelques heures plus tard, elle reçut la visite d'Emily Benson, médecin psychiatre renommée, de trente-cinq ans, qu'elle avait croisé de temps en temps dans des réunions sans avoir jamais eu l'occasion de travailler avec elle. Jeune femme aux très longs cheveux noirs et raides, de type asiatique, élancée, au physique rigide, elle ne laissait que très peu transparaître ses émotions, sa voix était toujours douce, quelques fois murmurée, elle avait la réputation de tenir son service d'une main de fer. En la voyant passer le pas de sa porte, Rachel avait peur d'avoir, en fin de journée, à regretter le départ d'Arnold et de son after-shave.
"- Mlle Rachel Berckley c'est bien ça ?
- Oui, bonjour Dr Benson.
Rachel contourna son bureau et salua poliment son nouveau chef. Emily regarda autour d'elle avant de faire face à sa nouvelle collaboratrice.
- Nous allons être amené à travailler très souvent ensembles Rachel, alors j'aimerais que tu fasses l'effort de m'appeler Emily et de me tutoyer.
La jeune femme écarquilla les yeux.
- Euh d'accord.
- Très bien. Alors à partir de demain matin huit heures, tu vas ajouter une nouvelle fonction à ton travail. Le Docteur Arnold Miller n'a pas arrêter de faire des éloges te concernant et les thèses personnelles que tu as signé en collaboration avec tes professeurs de l'université de Colombia le prouvent également, tu n'es pas faite pour continuer, une journée de plus, à faire des évaluations et des tests psychologiques pour des entretiens d'embauche de futurs policiers.
Le cœur de Rachel se remit à battre furieusement dans sa poitrine pour la deuxième fois de la journée. Emily croisa les mains sur son tailleur beige impeccable.
- Tu vas intégrer la brigade criminelle.
La jeune femme se recroquevilla sur place comme une tortue qui rentrerait sa tête dans sa carapace.
- Ton travail à partir de demain consistera en deux plannings distincts : le premier, sera la poursuite de tes entretiens personnalisés avec tes patients c'est à dire le suivi psychologique sur les troubles du comportement, dépression, choc post-trauma... et le deuxième, une collaboration étroite avec la brigade criminelle, tu as étudié et fait un mémoire de fin d'étude sur les comportements violents et l'étude de la victimologie criminelle, tu leur seras très utile dans leurs enquêtes, si tu fais du bon travail, ce dont je ne doute aucunement, on verra pour un t'envoyer faire un stage chez les profilers dans un an ou deux au sein du FBI pour parfaire ta maîtrise. Ce deuxième volet comprendra également l'animation de séances de groupe, expertise des suspects, soutien des victimes et bien sûr collaboration avec le procureur judiciaire. Tu as des questions ?
- Euh...Non...Oui...Euh...
Elle bafouillait, sa tête lui tournait et pourtant elle savait qu'elle n'aurait pas le choix que d'assurer car il s'agissait de la brigade criminelle de New York et elle savait que ce service, était le rêve de beaucoup de monde, y compris pour une simple psychologue.
- Rassures-toi, pour demain je t'ai prévu un truc très simple à gérer pour débuter. Une séance de groupe sur une journée type : tu auras environ cinq policiers que tu vas rencontrer, le but c'est de les faire verbaliser sur ce qu'il ressente en intervention par exemple, trouves un thème à aborder, présentes-toi, poses-leurs des questions sur leur travail, n'entame pas tout de suite le volet personnel et ça ira très bien. C'est un premier test, si tu cafouilles c'est normal, ok ?
- D'accord.
- Très bien...Je suis vraiment ravie de collaborer avec toi, vraiment. On fera un débriefing toutes les deux en fin de semaine.
Au même moment un autre coup résonna contre la cloison, coupant court à cet étrange entretien. Rachel releva la tête après avoir brièvement regarder sa montre.
"- Oui ?
Un homme d'une quarantaine d'années se présenta. Mal rasé, en costume bon marché, il semblait gêné.
- Bonjour Mlle Berckley, je suis désolé de débarquer à l'improviste mais le service m'a dit que j'avais une visite médicale cet après midi et du coup je me suis demandé si vous pouviez me prendre ce matin ?
Emily plissa les yeux avant tendre le bras et tapoter l'épaule de Rachel.
- Je te prépare un mémo sur ce que j'attends de toi pour cette première semaine, en contre partie je voudrais que tu me transmettes par mail ton planning du mois. Je voudrais restructurer les choses. C'est le capitaine Charlie Price qui dirige la crim', il te rencontrera demain avant la séance de groupe, si tu as des questions tu n'hésites pas à me contacter. On fera désormais une réunion tous les lundis matins avant de démarrer la semaine.
Rachel hocha la tête sans pouvoir ajouter un mot de plus, car Emily tournait déjà les talons pour quitter le bureau.
- Bon séance, lança-t-elle au loin.
Après ce nuage émotionnel, Rachel secoua la tête et essaya de se concentrer sur son patient qui se tenait toujours debout dans l'embrasure de la porte.
- Mr Malarko, entrez. Je n'ai que trois quart d'heure avant ma prochaine séance, on rallongera le rendez-vous de vendredi. Asseyez-vous.
L'homme s'installa dans le canapé et Rachel attrapa un bloc note et un stylo avant de s'installer sur une chaise en face de lui, en soupirant pour reprendre ses esprits.
- Alors Austin, comment c'est passé votre week-end ?
- Horrible, ma femme a débarqué avec son nouveau mec.
- Elle est venue récupérer ses affaires ?
- Oui.
- Vous vous êtes disputés ?
- Non en fait, elle a sonné à la porte, j'ai ouvert, soupiré et je lui ai balancé les clés. Je me suis tiré.
- Vous êtes allez où ?
Le patient de Rachel haussa les sourcils en pouffant de rire.
- A votre avis ?
- Un bar ?
- Un club de strip-tease.
- Vous avez bu ?
- Evidemment.
- Beaucoup ?
- C'est relatif.
- Pourquoi ?
- Pourquoi pas ?
- C'est pas comme ça que ça marche Austin.
- Comment est-ce que ça devrait marcher ? Je devrais laisser ma femme m'humilier sans rien dire, ni ressentir alors qu'elle vient de demander le divorce après vingt ans de mariage et qu'elle se pavane dans toute la ville au bras d'un gigolo qui a quinze ans de moins qu'elle ?
- Ressentir les choses c'est bien mais pas quand ça vous met en danger. Ca vous détruit davantage.
- C'est ma femme qui me détruit.
- Non c'est l'alcool depuis plus de vingt ans et on travail sur le déclencheur et tant que vous n'aurez pas compris ça, vous ne pourrez pas avancer. Vous vous y réfugiez comme dans une bulle en espérant que ça apaisera votre douleur mais c'est faux. Ce n'est qu'un artifice.
- Alors quoi ? Je dois subir l'échec de ma vie et attendre que ça passe ? Le temps apaise tout c'est ça ?
- Non, acceptez le fait que vous devez vous battre. Vous avez quarante ans, vous pourrez connaître d'autres bonheurs. Trouvez-vous un autre refuge que l'alcool, faites des activités, élargissez vos relations sociales. A l'heure actuelle vous êtes trop passifs et ça vous rend vulnérable.
- Je suis en instance de divorce, je suis malheureux, je suis cocu et je suis alcoolique...Qu'est-ce que vous voulez que je fasse de tout ça ?
- Quel est le déclencheur Austin ? Vous parlez clairement de vos différents statuts : divorcé, alcoolique mais le dire c'est bien, l'assumer et trouver pourquoi c'est autre chose. Vous pourriez en parler à d'autre que moi, les alcooliques anonymes sont...
- J'étais sûr que vous alliez remettre ça sur le tapis.
- Parce que ça vous aiderez sûrement.
- Etre au beau milieu d'une bande de soûlards paumés qui pleurent leur sort vous croyez que ça va m'aider.
- Cette description pourrait être la votre vous ne croyez pas ?
L'homme soupira en esquissant un sourire.
- Touché !"
L'entretien se poursuivit pendant encore plusieurs minutes puis Austin quitta le bureau, soulagé mais pas vraiment convaincus pas les conseils de Rachel. Celle-ci prit le temps de rédiger ses notes sur sa séance avant de recevoir son prochain patient.
...
Plus de travail pour peu d'augmentation. Rachel n'avait pas été dupe une seconde, elle ne s'attendait pas à être mieux considérée ni financièrement ni professionnellement sous prétexte que maintenant elle travaillait en collaboration avec la brigade criminelle de New York. Elle était arrivée le premier jour avec une peur irrationnelle au ventre et pourtant, les cinq policiers qu'elle avait vu dans la salle de réunion, l'avaient tout de suite mise à l'aise, sympathiques, acceptant de participer ouvertement à la séance, ils lui avaient décrit leur travail au quotidien car la jeune femme voulait en savoir plus, ils l'avaient également écouter se présenter et expliquer ses objectifs. Puis il y avait eu sa rencontre avec Charlie Price, Capitaine Charlie Price ! Un homme d'une cinquantaine d'année, moustachu, avec beaucoup de cheveux, bourru, très fin, aboyant des ordres mais qui s'était révélé être un véritable ours en peluche face à la jeune femme, trop frêle selon lui, trop belle aussi ! Il dirigeait son service au millimètre près, respecter par ses hommes et craint par certains de ses collaborateurs, Charlie avait la réputation d'être excellent chef avec un taux de réussite quasi systématique sur chaque affaire, logique selon lui lorsqu'on a des têtes de mules névrosées mais efficaces sous ses ordres. Il l'avait rassuré, lui avait apporté du café bien trop fort, beaucoup trop fort, Rachel n'en avait presque pas dormi la nuit. Il lui avait fait un topo sur une partie de ses hommes, qu'elle verrait en séance de groupe, il lui avait parlé de quelques affaires, histoires de la mettre dans le bain, sans trop l'effrayer, attendant le feu vert d'Emily pour l'immiscer concrètement dans les enquêtes. Il la surveillait du coin de l'œil, la chaperonnait discrètement et tentait de faire taire la jalousie des collègues de Rachel envers son nouveau poste. La jeune femme, malgré ses inquiétudes du début, ne regrettait en rien le départ d'Arnold et de son after-shave car aujourd'hui elle se sentait parfaitement épanoui dans son nouveau statut et elle espérait pouvoir encore évoluer.
...
La jeune femme trépignait d'impatience devant l'ascenseur mais visiblement ce dernier n'était pas presser d'arriver. Agacée par son retard, elle se résolut néanmoins à prendre les escaliers. Elle grimpa rapidement jusqu'au sixième étage et arriva dans une glissade devant la salle de réunion.
"- Désolée...Un entretien téléphonique imprévu avec Emily.
La pièce était longue, elle comportait une table ronde avec des chaises et un grand tableau blanc. Six personnes l'attendait pour la séance du jour. Six policiers de nuit, qu'elle avait appris à connaître depuis bientôt un mois et demi maintenant.
- Bien qui commence ?
Une fois par semaine Rachel recevait une partie de l'équipe de nuit afin de faire un débriefing sur la façon dont ils géraient leur travail. Selma Lagerlof a écrit : la nuit, toute chose prend sa forme et son vrai aspect. De même qu'on ne distingue que la nuit, les étoiles du ciel, on perçoit alors sur la terre bien des choses qu'on ne voit pas le jour. La nuit fait tomber les inhibitions et les âmes les plus sombres se révèlent.
- Moi je veux bien.
- Très bien Carl...Comment c'est passé la semaine ?
La séance dura une heure, soixante minutes où chacun des membres se libéra de son poids. Un collègue malade qui avait été remplacé par un bleu, un fils qui s'était cassé la jambe en jouant au foot, un divorce, le corps d'un enfant qu'on avait retrouvé dans une poubelle, une voiture banalisée qui avait été canardé par les membres d'un gang.
- La peur est irrationnelle dans un métier comme le nôtre...elle n'y a pas sa place.
- Pourquoi ? Parce que vous êtes membre de la Crim' ? et que par conséquent vous devez vous montrer dur, sans états d'âme, limite un peu macho ? un peu cliché non ?...Anita qu'avez vous ressentie lorsqu'ils vous ont attaqués ?
- J'ai eu un blanc...ça n'a durait que quelques secondes mais je me suis dit qu'on allait tous y passer si les renforts n'arrivaient pas très vite...oui j'ai eu la trouille.
- Vous en avez honte ?
- Non, non parce que je pense que ressentir ce genre d'émotion dans de telles situations c'est normal.
- Mais t'es une fille bien sûr que c'est normal.
- Ca veut dire quoi exactement ? que je suis une chochotte ? j'espère que tu ne vas pas me dire que je n'ai pas ma place dans l'équipe ?
- Bien sûr que non mais les filles ont forcément plus d'appréhension que les mecs, vous êtes plus fragiles et plus impressionnables.
- N'importe quoi !
- La peur n'est pas une caractéristique de la personnalité, c'est un sentiment, une émotion, une réponse face à un danger quel qu'il soit. François Mitterand a écrit dans Mémoires à deux voix que, le courage consiste à dominer sa peur et non à pas à ne pas avoir peur. Vous faites tous partie d'une unité d'élite de la police, vous voyez des choses que les gens n'imaginerait même pas, vous vous forgez une carapace pour ne pas sombrer et devenir vulnérable mais ça ne veut pas dire que vous devez être indifférents face aux émotions qui vous assaillent. Avoir peur ce n'est pas une maladie...on peut avoir peur de pleins de choses et ça peut se manifester de différentes manières...vous risquez votre vie tous les jours, vous ne croyez pas que c'est légitime ?
- Je pense surtout que si on laisse la peur nous dominer, on ne va pas très loin dans ce métier.
- A vous entendre il n'y a pas de demi-mesure, vous êtes prêts à penser que la peur est une faiblesse mais il faut être plus rationnel et puis il va falloir qu'on discute du statut de la parité dans le travail Carl.
Un petit rire parcouru l'assistance alors que Rachel regardait sa montre.
- La séance est terminée, essayez de réfléchir à vos peurs, on en reparle la semaine prochaine. D'ici là soyez prudents."
La psychologue rangea ses affaires avant de regagner le couloir pour rejoindre les ascenseurs mais une grosse voix l'interrompit à mi-chemin, elle aperçut alors le chef de la brigade criminelle lui faire signe depuis son bureau, le téléphone collé à l'oreille.
Le sixième étage se composait d'un étroit couloir, il y avait une porte donnant sur les escaliers, deux ascenseurs et au milieu une double porte vitré qui séparait le hall de l'immense pièce principale. Celle-ci regroupait tous les bureaux des agents du service, au fond il y avait un débarras qui ne servait pratiquement pas, le bureau du chef, vitré et fermé par une porte et sur le côté droit plusieurs autres pièces, notamment la salle de réunion et les salles d'interrogatoire. Il régnait ici à la fois une très bonne organisation et un capharnaüm indescriptible fait de téléphones sonnant en permanence, de bruit de claviers d'ordinateur, de personnes qui parlaient forts et s'interpellaient d'un bout à l'autre de la salle...Les murs étaient gris et le sol étaient une sorte de linoléum verdâtre, il y avait une forte odeur de café froid et de renfermé mais pourtant lorsque Rachel avait pénétré dans cette pièce la première fois, elle s'étaient immédiatement sentie à l'aise.
La jeune femme entra dans le bureau de Charlie et prit place en face de lui.
"- Je me fous qu'il soit en vacances, trouvez-moi cette commission rogatoire.
Il raccrocha sèchement avant de soupirer et de regarder la jeune femme. La première fois qu'il l'avait vu, il s'était dit que jamais, elle ne tiendrait le coup face à ces hommes mais la vérité c'est que la petite avait de la ressource. Elle avait su les mettre en confiance, elle avait appris à poser les bonnes questions, à ne pas trop les brusquer pour qu'ils puissent enfin se confier et créer une sorte de parenthèse bienveillante au milieu de la rudesse de leur travail. Rachel était très intelligente mais son apparence frêle et gracile, rendait Charlie nerveux, il avait sans arrêt l'impression qu'elle risquait un accident ou d'attraper une pneumonie dans un courant d'air, il avait du mal à l'imaginer dans le métro au milieu de la foule, à la cafétéria face à tous ces flics en uniformes et pourtant même si elle paraissait fragile, la jeune femme possédait une sorte de force intérieur qui, dès qu'elle posait le nez dans un dossier ou qu'elle commençait à parler de son travail, ressortait et faisait que sa voix était plus ferme et ses convictions plus sûres mais ça ne l'empêchait pas de garder un œil sur elle.
- Je déteste ces enfoirés de bureaucrates.
Rachel esquissa un sourire en haussant les sourcils.
- Alors fillette, ça se passe bien ?
- La séance du jour était intéressante.
- Je parlais de ton boulot en général depuis que tu as intégré la crim'.
- Ca va...pourquoi ? Quelqu'un vous a dit quelque chose ?
Rachel avait toujours peur des reproches qu'on pouvait lui faire sur sa façon de travailler ou sur sa façon d'être. Elle n'avait jamais eu confiance en elle et elle était en permanence en train de se remettre en question même quand elle était sûre de la voie qu'elle suivait.
- Non...tous le monde t'adore ici, pour certains tu pourrais être leur fille et pour d'autre tu es devenue un élément indispensable dans leur travail afin de relâcher la pression. Je veux juste m'assurer que toi ça va, c'est pas forcément facile de bosser avec eux.
- Rassurez-vous chef, moi aussi je les adore. On a trouvé une sorte d'équilibre qui fonctionne bien, j'ai de bons résultats et ils sont très coopératifs.
- Mouais...je voulais aussi te voir pour te parler d'un de mes gars...il est grand temps qu'il consulte.
Rachel pouffa de rire alors que Charlie se penchait en arrière pour attraper un dossier sur une étagère.
- Je vous écoute.
Il jeta le dossier sur le bureau et soupira.
- Un inspecteur de vingt-huit ans, colérique, hargneux, trop sûr de lui, grand gueule et complètement fêlé...C'est quelqu'un qui n'a plus de limite mais malheureusement c'est aussi mon meilleur élément.
Il pointa un doigt vers la jeune femme.
- Ne répète ça à personne compris !
Rachel hocha passivement la tête alors que le chef grimaçait.
- Il est extrêmement doué dans son travail mais son comportement devient de plus en plus problématique.
- Problématique à quel point ?
- Il y a eu une plainte déposée contre lui samedi pour coups et blessures sur un détenu de la prison de Bayview.
- C'est avéré ?
- Pas d'après le dossier...la plainte a été retiré ce matin.
- Et d'après vous ?
- Le dossier dit qu'il n'y a rien.
La jeune femme accrocha le regard du chef et elle haussa un sourcil en guise de suspicion face au ton dur et tranchant du capitaine.
- Je vois...il a un problème de gestion de la colère ?
- Il a un problème tout court et je ne lui laisse plus le choix...soit il accepte de te voir en consultation privée soit il me rend sa plaque.
Rachel cessa de respirer devant la menace.
- D'accord...vous lui avez dit ?
- Oui...il a hurlé, tapé du pied comme un gamin de cinq ans, claqué la porte et il s'est enfilé trois café avant de revenir ramper dans mon bureau en disant qu'il acceptait.
La psychologue leva la main devant sa bouche pour pouffer de rire mais Charlie, lui conserva son air sévère.
- Je te préviens tout de suite c'est pas un cadeau. Ce mec est un chieur mais c'est aussi un excellent flic, ça me ferait suer de devoir le mettre à la porte et ma femme dit qu'il faut que j'évite les situations de stress alors s'il te plaît...donnes-moi un petit coup de main.
Il poussa le dossier en carton qu'il avait préparé pour elle.
- Je n'aime pas lire ces trucs là, c'est bourré d'impressions de jugements sur une personne qu'on a rencontré une heure le jour de l'entretien d'embauche, c'est totalement impersonnel. Je préfère me baser sur ce que la personne me confie en entretien.
- Va falloir que tu le lises quand même ma belle, parce que crois-moi il ne te dira rien du tout. Il n'a pas envie de te voir et il ne veut pas assister à ces séances, il ne viendra que pour éviter de se retrouver devant la commission disciplinaire c'est tout. Je te jure que la première séance va être mémorable.
- Vous me faites peur Charlie.
Le chef esquissa un sourire rassurant en secouant la tête.
- Ne le laisse pas croire qu'il dirige la discussion, montres-toi ferme et ne te laisse rien imposer. Pendant ces entretiens ça sera toi le boss, compris ? Il est grincheux mais pas méchant, c'est un petit con, un gamin paumé mais sous la couche c'est, quelqu'un sur qui on peut vraiment compter, il est loyal et intelligent mais avec un lourd passif derrière lui et des séquelles qui ne ressortent qu'aujourd'hui et du coup il n'arrive pas à gérer ses émotions, ça le rend explosif et ça commence à rendre son quotidien compliqué notamment envers ses collègues.
- Ok je vais voir ce que je peux faire.
- J'irais brûlé quelques cierges en rentrant.
Ils rigolèrent ensembles avant que Rachel ne se lève pour prendre congé.
- Rachel...si jamais ça ne se passe pas bien, n'hésite pas à venir me voir, je me ferais un plaisir de lui remonter les bretelles.
- Ne vous inquiétez pas, j'ai plus de ressources que vous ne le croyez."
Le reste de la journée, s'étira au rythme des entretiens que Rachel mena et qui constituaient son emploi du temps. Elle s'arrêta pour déjeuner rapidement puis relut ses notes et compléta ses dossiers. Lorsqu'elle referma la porte de son bureau pour ressortir du bâtiment de la police, le ciel était d'un bleu grisâtre et le vent soufflait plus fort. La rame du métro était une fois de plus bondée et lorsqu'elle arriva dans l'East Village elle souffla enfin. Son appartement se situait dans une rue plutôt calme, l'immeuble en question était petit, il y avait un rdc qui abritait une épicerie espagnole, un premier étage où habitait sa propriétaire et amie et un deuxième étage : son appartement. Elle avait trouvé ce logement alors qu'elle commençait tout juste ses cours à Columbia, certes l'université se trouvait de l'autre côté de Central Park mais au moins ça lui coûtait moins cher d'habiter là. Sa propriétaire était née à Madrid, immigrée aux Etats Unis peu après son mariage, elle avait ouvert son commerce, aujourd'hui elle avait une malle pleines d'anecdotes à raconter à Rachel et elle la couvait de petites attentions : comme de la paella maison.
Rachel grimpa les quelques marches menant à son appartement, celui-ci possédait un petit couloir qui donnait tout de suite sur la cuisine, tout en longueur jusqu'au salon avec canapé, télé et vue sur New York, sur la gauche il y avait une porte menant à la chambre, petite mais suffisante pour la jeune femme et juste à côté la salle de bain.
Après une bonne douche, elle réchauffa son plat et s'installa confortablement sur son sofa pour regarder un peu les informations du jour mais bien vite elle se rendit compte qu'aucun programme ne pourrait l'intéresser. Elle éteignit le petit écran et attrapa son roman du moment mais là aussi son esprit divagua. En fait la jeune femme se triturait la tête depuis ce matin pour savoir si elle devait consulter ou non le dossier de son nouveau patient. Elle n'aimait pas lires les informations récoltées par les bureaucrates lors des premiers entretiens administratifs avant toute embauche au sein de la police, ni même les comptes rendus des chefs de service, trop souvent porter sur le jugement, elle préférait que les patients livrent leurs vérités, leurs sentiments, qu'ils se racontent eux-mêmes. Or Charlie lui avait spécifié que cette fois les choses seraient différentes. C'est pourquoi elle tendit la main vers le dossier et ouvrit le carton de la première page.
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In New York (à new york)
Concrete jungle where dreams are made of (jungle de béton où les rêves se construisent)
Theres's nothing you can't do (il n'y a rien que tu ne puisses pas faire)
Big lights will inspire you (ces lumières t'inspireront)
Let's here it for new york new york new york (faites du bruit pour new york new york new york)
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Voilà un premier chapitre, pour ceux qui connaissent déjà l'histoire, vous verrez qu'il y a pas mal de modifications, pour les autres j'espère que vous aurez apprécié ce premier chapitre/ N'hésitez pas à me donner vos impressions, bye ^^
