Enjoy & Review!


"I keep thinking about this river somewhere, with the water moving really fast. And these two people in the water, trying to hold onto each other, holding on as hard as they can, but in the end it's just too much. The current's too strong. They've got to let go, drift apart. That's how it is with us. It's a shame, Kath, because we've loved each other all our lives. But in the end, we can't stay together forever."
— Kazuo Ishiguro (Never Let Me Go)

"Je n'arrête pas de penser à cette rivière, quelque part, dont le courant est tellement fort. Et il y a ces deux personnes dans l'eau, qui essayent de s'accrocher l'un à l'autre, de s'accrocher aussi fort qu'ils le peuvent, mais, au final, c'est trop pour eux. Le courant est trop fort. Ils doivent se lâcher, dériver loin l'un de l'autre. C'est la même chose pour nous. C'est dommage, Kath, parce qu'on s'est aimés toute notre vie. Mais, au final, on ne peut pas rester ensemble pour toujours. »
— Kazuo Ishiguro (Never Let Me Go)


Chapitre 75 : Let Go, Drift Apart


Narcissa adorait le jardin d'hiver.

Lorsqu'elle avait épousé Lucius et avait emménagé au Manoir, l'endroit n'était plus qu'une pièce inutilisée, à l'abandon, envahi de plantes dont les elfes s'étaient à peine occupés. Personne n'y avait touché depuis la mort de la précédente Lady Malfoy, quand Lucius était encore enfant. Elle avait dû batailler avec Abraxas pour obtenir le droit de le remettre au goût du jour et, encore, c'était Lucius qui avait financé les travaux sur sa rentre personnelle parce que son vieux grippe-sous de père refusait de dépenser pour les lubies d'une gamine. Selon Abraxas, elle aurait mieux fait de se concentrer sur la conception d'un enfant que sur la décoration du Manoir.

Ce jardin d'hiver, elle en avait rêvé, l'avait pensé, l'avait aménagé… C'était sa fierté. C'était le sésame que leurs visiteurs s'arrachaient. Être invité à la rencontrer dans cette pièce était un privilège, une marque d'estime…

Les rosiers y occupaient la plus grande place, des rosiers spécialement greffés et bouturés pour elle, uniques en Angleterre… Chaque rose était d'une couleur différente et leur parfum enivrant se mariait parfaitement à celui, plus sucré, des plantes grimpantes qui s'entortillaient le long des colonnades et des orangers en pots. Les grandes baies vitrées s'ouvraient sur la gloire du jardin, la verrière transparente de propreté laissait croire qu'on était à l'extérieur…

Le mobilier, élégant mais plus sobre que celui du reste de la maison, se perdait entre les plantes, se fondant si parfaitement dans le décor que la pièce avait des airs enchantés. Aucune magie là-dessous si ce n'était son goût impeccable. Les canapés satinés d'un vert forêt, la table en bois brut taillé à même le tronc d'un arbre…

Elle adorait cet endroit.

Mais, songea-t-elle, en effleurant une rose à la teinte bleutée, elle n'était pas tout à fait sûre de comment elle était arrivée là.

« Tu es à couper le souffle dans cette robe. »

Souriant à la voix caressante de l'homme qui se tenait derrière elle, elle baissa les yeux vers sa tenue. La robe était d'un vert clair, presque d'eau, d'une coupe moderne pour une tenue sorcière, audacieuse, et épousait ses formes. Les manches diaphanes en voile tombaient jusqu'aux bouts de ses doigts et ondulaient à chacun de ses gestes. Le peigne qui retenait ses cheveux en un chignon élégant était en or massif, orné d'émeraudes et de rubis, et c'était Draco qui le lui avait apporté à la table du petit-déjeuner, tout solennel dans un adorable costume de sorcier trois pièces identique à celui de Lucius…

Leur dixième anniversaire de mariage.

La soirée avait été grandiose.

Le feu d'artifice s'était vu à des kilomètres à la ronde.

Abraxas rechignait peut-être à la dépense mais pas lorsqu'il était question d'impressionner les gens, d'étaler la suprématie des Malfoy…

Mais ce n'était pas leur dixième anniversaire de mariage.

Leurs dix ans de mariage étaient loin derrière eux.

Et elle ne pouvait pas être dans le jardin d'hiver parce que…

Parce que…

Des mains se posèrent sur sa taille et elle ferma les yeux, s'abandonnant aux lèvres qui trouvèrent son cou, respirant à pleins poumons le parfum de l'eau de Cologne qui se mêlait à celui des roses et à celui, plus subtil, de sa peau… Elle lâcha sa tête en arrière jusqu'à la poser sur son épaule, se laissa aller contre son torse, lutta contre la brûlure des larmes qui lui obstruaient la gorge.

« Où sommes-nous ? » demanda-t-elle.

« Un entre-deux. » murmura Lucius.

La conclusion s'imposa d'elle-même. « Les limbes. »

À aucun moment elle ne douta que c'était lui, que c'était vrai, que…

« Lucius… »

Sa voix se brisa.

Durant ces dernières heures, elle avait voulu être forte pour lui. Digne. L'épouse exemplaire. La mère parfaite. Elle n'avait pas craqué, n'avait pas laissé passer la moindre fissure, elle…

« Lucius… »

Elle leva un bras jusqu'à ce que sa main trouve sa nuque, lâcha un souffle tremblant lorsque ses bras l'enlacèrent plus près encore…

« Cissy. » murmura-t-il, déposant un baiser sous son oreille. « Ma courageuse, ma radieuse Cissy… »

« Courageuse, je n'en suis pas certaine. » répondit-elle, luttant pour garder contenance.

Si elle avait véritablement été courageuse, elle se serait tournée dans ses bras, l'aurait enlacé pleinement, l'aurait embrassé à pleine bouche, se serait répandue en confessions comme une adolescente…

Elle ne le pouvait pas.

Elle savait qu'à la seconde où elle se tournerait, elle s'écroulerait.

Elle savait que…

Elle connaissait ses classiques.

Orphée et Eurydice.

Se retourner était toujours le moyen le plus certain de briser en mille morceaux les plus fragiles miracles.

« Courageuse. » insista Lucius. « Et tu dois l'être encore un peu, mon amour. »

Un courant d'air subit agita ses robes et elle rouvrit les yeux. La porte qui menait à l'extérieur était entrouverte. Une invitation.

Elle n'avait pas besoin d'une explication plus détaillée.

Mais le vent était froid.

La vie était froide.

Et son corps était chaud derrière le sien, son étreinte familière…

« Et si je préfère rester ici avec toi ? » murmura-t-elle.

Ses bras se resserrèrent légèrement, comme s'il envisageait lui aussi cette possibilité, comme si…

« Draco élèvera notre enfant comme s'il était le sien parce qu'il n'est pas homme à se dérober à ses responsabilités. » répondit-il. « Et comme ta famille ne le permettrait pas, il ne serait pas livré à lui-même. Nymphadora et Severus se dévoueront pour les recueillir, j'imagine. Ou bien ta sœur et son mari. Ton cousin, peut-être. »

« Ils ne manqueraient de rien. » remarqua-t-elle, le regard rivé sur la porte qui donnait sur les jardins.

Elle entendit le sourire triste dans la voix de Lucius. « De rien, sauf de nous. »

À nouveau, elle ferma les yeux. « Je ne peux pas vivre sans toi. »

Son rire était dans les tons graves, intime… C'était le rire qu'il réservait à leurs moments de famille, le rire qui lui arrachait toujours un sourire, si loin du ricanement conquérant de politicien qu'il offrait à tous les autres… « Bien sûr que si. »

Elle perdit la bataille contre les larmes.

Elle les refoulait depuis si longtemps...

Elles roulèrent sur ses joues, la laissant à bout de souffle. Il enfouit son visage dans son cou. Il tremblait lui aussi, tremblait de devoir la laisser à nouveau, de…

« Draco… Tu serais si fier de Draco… » offrit-elle, entre deux sanglots qu'elle s'efforça de ravaler.

« J'ai toujours été fier de lui. » affirma-t-il. « Je n'ai pas toujours su comment le montrer mais j'ai toujours été fier de lui. Je n'aurais jamais dû… J'aurais dû mieux nous protéger tous les trois, Narcissa. Pardonne-moi. »

« Tout est pardonné. » souffla-t-elle. « Bien sûr que tout est pardonné… »

« Tu dois y retourner, à présent. » insista-t-il. « Ils ont besoin de toi. Nos fils ont tous les deux besoin de toi. Cette porte ne restera pas ouverte éternellement. »

« Je ne veux pas te quitter. » avoua-t-elle. « Je ne veux pas… »

« Je t'attendrai. » murmura-t-il à son oreille, une promesse. « Je t'attendrai les dizaines et dizaines d'années nécessaires… Prends ton temps. J'ai quelques petites choses à expier, dans l'intervalle. »

Elle secoua la tête mais ne résista pas lorsqu'il relâcha un peu son étreinte, juste assez pour exercer une légère pression sur ses hanches. Lentement, en ayant l'impression qu'on lui arrachait le cœur, elle se tourna et leva le visage vers lui.

Il était si beau.

Les rides causées par les derniers mois d'inquiétude avaient disparu. Il ressemblait au jeune homme qui avait ravi son cœur.

Elle glissa la paume sur sa joue, laissa échapper un sanglot lorsqu'il tourna la tête pour prolonger la caresse…

« Je t'ai aimée au premier regard. » lui rappela-t-il. « La mort n'est rien. Pas pour nous. »

La mort n'était pas rien.

La mort était un gouffre.

« Aurais-tu le même discours si nos places étaient inversées ? » le gronda-t-elle.

Son sourire était triste. « Probablement pas. »

Malgré tout, malgré elle-même, un bruit amusé s'arracha à sa gorge. « Lucius… »

« Je t'aime. » dit-il, en se penchant pour l'embrasser. Pas un des baisers chastes qu'ils échangeaient en public ou devant leur fils mais un baiser avide, désespéré, de ceux qu'ils avaient partagés en privé. « Je t'aime. »

« Je t'aime. » répondit-elle, contre sa bouche. « Je t'aime. »

Elle était consciente que le baiser était une diversion, que, tout en l'embrassant, il la poussait à reculer vers la porte, que…

Lorsque leurs bouches s'arrachèrent l'une à l'autre pour la dernière fois, ils restèrent immobile une seconde, front contre front, à partager le même air…

« Narcissa, lorsque le moment viendra, n'hésite pas. » déclara-t-il, avec urgence. « Ma Maison avant tout. »

Elle fronça les sourcils, voulut lui demander ce qu'il entendait par là…

Il la poussa par l'embrasure de la porte.

Et elle tomba, tomba…

Et puis, soudain, ce fut comme si elle heurtait son propre corps.

Et plus rien n'avait de sens.

La lucidité des moments précédents laissa place à une torpeur qui l'empêchait de comprendre où elle était et ce qu'elle y faisait.

« … te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît… » suppliait inlassablement une voix à son oreille, pétrie de douleur.

Des bras la retenaient fermement contre un torse solide mais ni les bras, ni l'étreinte n'étaient familiers. Les baisers qui étaient régulièrement déposés sur sa joue irritaient sa peau parce que l'homme était mal rasé et… L'odeur de tabac froid perçait sous celle plus écœurante du sang et de…

« S'il te plaît, Cissy. » murmurait-il, entre deux baisers sur sa joue. « Ne nous fais pas ça… Ne… »

« Sirius, elle est revenue ! » s'exclama une voix féminine.

Les bruits venaient de loin.

Elle avait l'impression que son corps pesait une tonne. La douleur était accessoire – désagréable mais accessoire. Son esprit était enveloppé d'un coton ouaté qui l'empêchait de réfléchir. Rien n'avait de sens. Rien de…

« Oh putainOh putain… Merci, Merlin… Putain… »

L'homme qui la tenait pleurait. Elle sentait les larmes sur sa peau là où il avait enfoui son visage dans son cou. Son étreinte s'était encore raffermie.

Des mains pressèrent quelque chose contre ses lèvres, la forcèrent à avaler…

Combien de potions ?

Deux, au moins.

Elle reconnut vaguement l'amertume au goût de rouille d'un reconstituant sanguin.

Il y eut des questions, son nom appelé plusieurs fois…

Mais il fallut près d'une minute avant qu'elle ne puisse véritablement se concentrer sur le visage d'Andy.

« Narcissa ? » appela sa sœur, d'un ton où le soulagement se disputait à l'inquiétude.

Elle s'humecta les lèvres, se força à reprendre pied. « Oui… »

Sirius pleurait à gros sanglots et elle aurait préféré qu'il cesse parce que, vraiment, son cou était trempé de larmes et de ce qu'elle suspectait être de la morve et c'était répugnant et…

« Tu m'as fait la peur de ma vie. » l'accusa son cousin, en tentant de reprendre sa respiration – et contenance. Il pressa un autre de ces baisers qui piquaient sur sa tempe. « Je t'interdis de me refaire un truc comme ça, tu m'entends ? Je te l'interdis. »

Elle allait lui offrir un rasoir.

Elle n'avait pas conscience d'avoir parlé à haute voix mais elle avait dû le faire parce que les sanglots se transformèrent en un de ces rires qui ressemblaient à un aboiement. Ça la secoua assez pour raviver la douleur, cependant, et elle ne put retenir un gémissement.

« Doucement, Sirius ! » le rabroua Andy, en agitant sa baguette au-dessus de Narcissa. « L'hémorragie est sous contrôle mais ce n'est pas une raison. Cissy ? Cissy, est-ce que tu m'entends ? »

Narcissa peinait à se concentrer.

Andy lui fit boire une nouvelle potion qui dissipa un peu le carcan qui l'empêchait de réfléchir.

Les dernières minutes… heures ? …avaient la qualité fiévreuse des rêves lucides… Elle se souvenait à peine du moment où le travail avait vraiment commencé… Et puis il y avait eu cette sensation de plonger dans un bain chaud… Lucius… Avait-elle rêvé Lucius ou…

« Le bébé ! » s'exclama-t-elle, soudain, en tentant de se redresser.

« Tout va bien. » promit Sirius, en dégageant les mèches blondes trempées de sueur qui lui collaient au visage. « Arrête de gigoter, tu m'écrases. »

« Sérieusement ? » se moqua Andromeda, entre deux nouveaux sorts de diagnostic. « Tu vas vraiment te plaindre parce qu'elle t'écrase un petit peu ? Après ce qu'elle vient de faire ? »

« Je suis un homme, j'ai zéro tolérance à la douleur. Les femmes nous sont mille fois supérieures. » répondit son cousin, avec un respect qui n'était pas feint.

« Mon bébé. » insista-t-elle, un peu moins faiblement.

« Ici. » déclara quelqu'un, à l'autre bout de la chambre.

Molly.

Et dans ses bras…

Narcissa fondit en larmes et tendit les bras, sans se préoccuper de ce à quoi elle ressemblait ou du fait qu'elle soit quasiment indécente. Elle n'était certainement pas en état de recevoir des gens, que ce soit Molly ou Sirius, mais elle s'en moquait. Elle s'en moquait. Elle voulait son bébé…

« Comment va-t-il ? » demanda-t-elle. « Andy ? Andy, comment va-t-il ? »

Molly lui passa l'enfant, le posant sur son décolleté pour qu'il soit collé à sa peau nue. Elle l'avait nettoyé mais même ainsi, il restait petit, beaucoup trop petit, et il n'était pas aussi rose que Draco l'avait été et… Et il y avait une couche de magie autour de lui, comme une pellicule qui enveloppait tout son corps, invisible à l'œil nu mais hautement perceptible.

« Il est parfait. » murmura Andromeda, en posant brièvement une main sur le dos du bébé.

« Pourquoi… La magie, pourquoi… » balbutia-t-elle, complètement dépassée par le tourbillon d'émotions qu'elle ressentait.

Et l'amour.

L'amour au-delà du reste.

Plus fort que tout.

Un ras-de-marré d'amour.

L'aurait-elle voulu qu'elle n'aurait pas pu arrêter de pleurer.

« Simple précaution. » répondit Andy, en lui souriant. « Nous en avons discuté, tu te souviens ? Il est en avance, ce petit gredin. C'est simplement pour l'aider à terminer de grandir en toute sécurité. Dans quelques semaines, il n'en aura plus besoin. »

Avec précaution, elle explora la peau toute neuve de son enfant, sa douce chaleur, sa minuscule menotte…

« Il va bien ? » insista-t-elle.

« Il a crié comme une mandragore lorsqu'il est né. » offrit Molly Weasley, avec un sourire attendri.

Un doigt qui semblait énorme en comparaison du petit être s'aventura à caresser le dos de la minuscule main.

« Il est tellement parfait. » murmura Sirius, avec fascination. « D'accord, il ressemble à une crevette tout juste pêchée mais… »

« Sirius ! » s'exclamèrent simultanément Molly et Andy.

« Hé ! Je ne me suis pas évanoui et je n'ai pas vomi ! » protesta l'Animagus. « Vous ne pouvez plus me hurler dessus. »

C'était une remarque tellement stupide que Narcissa, prise dans cette bourrasque d'émotions, se retrouva à rire.

Elle riait encore, à travers ses larmes, lorsque Andromeda convainquit Sirius de sortir un moment. Son cousin obéit, un peu à contrecœur visiblement, s'extirpant de derrière eux avec quelques difficultés, mais pas sans déposer un dernier baiser sur son front.

« Ma grande sœur est une putain de guerrière. » déclara-t-il.

« Tu n'as pas de sœur. » répondit Narcissa, son rire s'éteignant de fatigue. « Et veux-tu surveiller ton langage ? »

« Et toi et Andy, tu crois que vous êtes quoi, alors ? » contra-t-il très sérieusement. Il osa effleurer à nouveau le dos du bébé. « Parfait. Il est parfait. Félicitations, Cissy. »

« Il est vraiment parfait. » confirma Andromeda, avec un grand sourire. « Tu veux bien le confier à Molly, quelques minutes ? »

Son premier réflexe fut de le serrer sur son cœur, comme pour le protéger.

Mais, après une seconde, elle se reprit et autorisa la matriarche des Weasley à le soulever.

Lucius, songea-t-elle avec un chagrin mêlé d'amour, Lucius, nous avons un autre fils…

°O°O°O°O°

Mettre un bébé au monde prenait des plombes.

Nymphadora savait cela parce qu'elle avait perdu le compte du nombre de fois où sa mère était partie en urgence pour un accouchement et n'était revenue que le lendemain. Toutefois, assise sur ce canapé, à échanger régulièrement des regards discrets avec son père, à regarder Draco se décomposer davantage d'heure en heure dans les bras d'Hermione, et à écouter le cliquetis des aiguilles de Luna, cela lui parut vraiment très long.

Plusieurs fois, elle songea à retourner chez elle pour dormir quelques heures, à moitié persuadée que cela ne ferait aucune différence et que Narcissa serait toujours en train d'accoucher quand elle reviendrait. Un seul coup d'œil à Draco et elle faisait taire ce désir égoïste.

Si son expression ne trahissait pas grand-chose, la pâleur du garçon et la manière dont il avait posé la tête sur l'épaule de sa petite-amie en disaient long.

Alors Nymphadora ne bougeait pas.

Mais rester assise là, sans parler, sans trop bouger mis à part pour se servir une tasse du thé que Kreattur avait apportée au milieu de la nuit, était difficile. Elle n'était pas quelqu'un qui pouvait attendre calmement assise quelque part. Se perdre dans ses pensées, ces derniers temps, amenait rarement quoi que ce soit de bon, de toute manière.

Par exemple, dès qu'elle relâchait un peu trop sa prise sur ses boucliers mentaux, elle était assaillie par l'image de Bellatrix, penchée au-dessus d'elle, débitant tout ce qu'elle comptait faire à sa famille… Elle n'était pas sûre que ce soit mieux que le souvenir de l'expression de Charlie juste avant qu'il ne la poignarde… Ou de la sensation que le monde s'écroulait dans la cuisine de ses parents lorsque son père lui avait appris que Voldemort avait capturé Severus… Et c'était sans seulement mentionner le reste.

Dans un effort pour chasser les souvenirs intrusifs, elle voulut se concentrer sur les horcruxes et la théorie qu'elle avait développée mais ses pensées s'embrouillaient.

Parce qu'il lui était très difficile, à chaque fois que son regard tombait sur Draco, de ne pas réfléchir à ce qu'il se passerait si Narcissa n'en réchappait pas. Ce n'était pas productif, elle le savait très bien, et elle avait grondé son cousin pour seulement y avoir pensé. Néanmoins…

C'était elle qui avait servi de tutrice à Draco jusque là.

Elle savait très bien que Sirius ou sa mère se dévoueraient dans la seconde mais il lui semblait que ce serait se dérober que de ne pas reprendre son rôle. Or, en admettant que le bébé s'en sorte, lui… Draco ne s'en séparerait pas.

Fatiguée, sous le coup de cette étrange attente qui n'en finissait pas et du manque de sommeil, elle imagina la tête de Severus si elle rentrait à la maison un adolescent et un bébé sous le bras. Elle imagina une conversation absurde où elle faisait remarquer qu'Harry avait bien eu le droit de garder un niffleur… Elle imagina l'expression horrifiée, nauséeuse de panique du Maître des Potions…

Son ricanement fut couvert par la porte de la chambre qui s'ouvrait enfin.

Sirius fut le seul à apparaître dans l'embrasure de la porte du salon. Il avait du sang dessus. Ses yeux étaient rouges comme s'il avait pleuré et, de fait, des traces de larmes se perdaient dans sa barbe. Il avait l'air décomposé.

« Non… » souffla Draco, en se détachant d'Hermione pour se lever. « Non… »

Luna posa ses aiguilles et se leva elle aussi pour aller glisser sa main dans la sienne.

Oh merde, songea Nymphadora, étrangement détachée de la scène. Peut-être qu'il y avait un point où l'on ne pouvait plus ressentir quoi que ce soit quand les catastrophes s'enchaînaient, où l'on était anesthésié. Merde, Severus va vraiment me tuer. Ou me mettre dehors. Je suis beaucoup trop jeune pour être mère célibataire de deux gosses.

Mais Severus ne la tuerait pas et ne la mettrait pas dehors non plus, elle le savait. Pas plus qu'il ne jetterait dehors un gamin qui n'avait plus personne ou un bébé sans défense. À supposer qu'il y ait seulement un bébé.

Il ne va pas être content, se répondit-elle à elle-même, refusant de penser à cette possibilité. Il ne va pas être content du tout.

Sirius les dévisagea tous tour à tour, hébété, puis sembla se rendre compte de l'impression qu'il donnait parce qu'il leva brusquement les deux mains, un air paniqué sur le visage.

« Non, non, non ! Elle va bien ! » s'empressa-t-il de les rassurer, trouvant le regard de Draco. « Ils vont bien. »

Draco avait-il retenu sa respiration depuis qu'il s'était levé ? Il laissa échapper un souffle rauque. « Tu… Ils… »

« Ils vont bien. » répéta Sirius, avec un sourire doux que Nymphadora lui voyait de plus en plus rarement. « Il y a eu une petite… frayeur mais ça va. Ils vont bien. »

« Quel genre de frayeur ? » s'inquiéta Draco, en faisant un pas vers le couloir. « Je veux les voir. »

Sirius se décala légèrement, lui coupant la route, ses deux mains toujours levées. « Crois-moi, tu veux attendre un peu. C'est une vraie boucherie. » Son regard gris passa de Draco à Hermione, puis à Luna, puis s'arrêta sur elle. « Les filles, n'ayez jamais de bébés. Jamais. »

« Sirius! » protesta Ted, avec amusement. « J'espère bien quelques petits-enfants supplémentaires en plus d'Harry. »

La simple panique que cette idée fit naître confirma à Nymphadora que ce n'était pas quelque chose qu'elle voulait envisager dans l'immédiat. Non merci.

Hermione et Luna eurent la même réaction de rejet instantané.

« Attends quelques minutes. » insista Sirius, en tapotant l'épaule de Draco. « Andy t'appellera quand tu pourras y aller. » D'un geste négligeant du pouce, il désigna le couloir. « Je vais juste aller me doucher vite fait, si vous permettez. Ted, sors le whiskey, tu veux? On en a tous besoin, je crois. »

Non seulement son père sortit le whiskey mais il en servit également le fond d'un verre à tous les adolescents. Nymphadora sentait confusément qu'elle aurait dû protester mais il y avait à peine de quoi tremper les lèvres dans leurs verres et Draco paraissait effectivement en avoir besoin.

Son verre à elle était à moitié plein et son estomac trop vide mais elle en but quand même une bonne gorgée.

Ni Andromeda, ni Molly n'était ressortie de la chambre le temps que Sirius revienne, au bout de quelques minutes, lavé et changé. Il avait l'air un tant soit peu moins sonné et accepta le verre que lui tendit Ted. Avec un grand sourire, il le leva dans un toast. Ils l'imitèrent tous.

Mais Draco, une fois qu'il eut avalé le filet d'alcool, se mit à faire les cents pas avec une impatience affichée, l'appréhension ayant laissé place à l'excitation.

Nymphadora se demandait s'il aurait été très impoli de s'éclipser à présent que la situation semblait sous contrôle…

« Attends ta mère, au moins. » lui glissa Ted, remarquant sans doute les coups d'œil de plus en plus fréquents qu'elle jetait à la cheminée.

Il était près de six heures du matin. Severus était probablement déjà débout, s'il s'était seulement couché, et Harry, qui était généralement debout avant l'aube, était probablement dans la cuisine. Si elle partait maintenant, elle avait des chances de les rejoindre pour le petit-déjeuner et…

Molly et Andromeda quittèrent toutes les deux la chambre en papotant joyeusement malgré la fatigue qui alourdissait leurs traits. Sa mère fut immédiatement accostée par Draco.

« Tante Andromeda, vont-ils bien ? » demanda le garçon. « Êtes-vous certaine que… »

« Ils vont bien. » promit la Médicomage, en attrapant ses épaules avec un sourire. « Tu as un petit frère, Draco. »

Objectivement, le garçon devait déjà le savoir mais il sembla à Nymphadora que ce ne fut que qu'à ce moment-là seulement qu'il l'intégra.

« Un petit frère… » répéta-t-il, abasourdi.

Andromeda eut un petit rire face à sa réaction qui s'éteignit vite cependant. « Il y a eu quelques complications pendant l'accouchement. Ta mère… » Devant son air alarmé, elle s'empressa de serrer ses épaules. « Elle va bien. Tout va bien. Mais elle a besoin de se reposer, d'accord ? »

Le garçon hocha immédiatement la tête. « Oui, bien sûr. Mais… »

« Oui. » anticipa la sorcière. « Tu peux la voir. Sirius, Nymphadora, vous aussi. »

Nymphadora, qui s'était levée pour mieux discrètement se rapprocher de la cheminée, se figea. « Moi ? Pourquoi moi ? »

« Oh. » lâcha Sirius qui avait visiblement compris de quoi il retournait. Il fit tourner pensivement ce qu'il restait de whiskey dans le fond de son verre puis le vida d'un trait, avant de le poser sur la table d'un geste décidé. Lorsqu'il se releva, il avait l'air grave de celui qui part à la bataille. Il échangea un regard lourd avec Andromeda puis sourit. Un vrai sourire qui atteignit ses yeux.

« Ce n'est pas ma place… » insista-t-elle, cherchant le regard de sa mère ou celui de son père. « Je… »

« Viens et arrête de discuter. » ordonna Draco, en attrapant son poignet pour la tirer derrière lui, trop impatient pour faire preuve de ses manières d'habitude impeccables.

Contrainte et forcée, elle le suivit dans la chambre de sa tante qui sentait fort le produit de nettoyage. Un berceau occupait désormais l'espace entre le mur et le lit. Kreattur s'agitait, disparaissait et réapparaissait avec davantage de layettes et de…

Son attention fut détournée par Narcissa qui était semi-allongée dans son lit aux draps changés de frais et attendait dans une chemise de nuit en satin vert, ses longs cheveux blonds retenus en arrière par un peigne doré serti de pierres précieuses. Et, dans ses bras…

Ce qu'il était petit, songea Nymphadora.

Les doigts de Draco glissèrent d'autour de son poignet alors qu'il avançait lentement vers le lit et le frère qui l'attendait. Sirius ferma discrètement la porte derrière eux.

Narcissa sourit à son fils aîné et, malgré l'épuisement visible sur son visage, cela sembla l'illuminer et la rajeunir. D'un geste du menton, elle encouragea Draco à approcher plus près.

« Lord Malfoy. » déclara-t-elle avec une émotion palpable dans la voix. « Votre héritier. »

Nymphadora fut surprise par la formalité des mots, de la scène…

Mais lorsque sa tante passa avec précaution le bébé à Draco qui paniqua l'espace d'une seconde, ne semblant pas savoir comment le porter correctement jusqu'à ce que Sirius et Narcissa ne guident chacun un de ses bras pour mieux soutenir la chose minuscule, l'émerveillement sur le visage de l'adolescent effaça toute froideur que le rituel Sang-Pur étrange aurait pu faire naître.

Les deux frères se regardèrent longtemps, le bébé laissant de temps en temps échapper des petits bruits, puis Draco sembla se reprendre et regarda sa mère qui l'encouragea d'un sourire, puis Sirius qui haussa les épaules. Se redressant légèrement, les épaules plus rigides, le menton soudain plus haut, le garçon se racla la gorge.

Et, juste comme ça, en un claquement de doigts, il avait à nouveau l'air trop adulte pour son âge.

« Moi, Lord Malfoy, te reçois en ma Maison. » déclara-t-il, en se penchant avec prudence pour déposer le plus léger des baisers sur le front du bébé. « Bienvenu, sang de mon sang. Mon toit sera ton toit. Ma baguette sera ton bouclier. Puisses-tu apporter honneur et gloire à ta Maison. Sur ma magie, je t'accueille. »

Nymphadora sentit la magie qui tourbillonna autour d'eux, cimentant l'étrange serment.

Elle n'avait jamais entendu parler de cette coutume mais elle dut admettre que l'émotion la prit à la gorge parce que… C'était beau. Et, bien qu'elle n'ait eu aucune affection pour Lucius, il était bien trop évident qu'il était le grand absent de cette scène, qu'il aurait dû se tenir à la place de Draco… Elle avait mal pour son cousin.

Sirius se racla la gorge, guettant le regard de Narcissa qui hocha la tête avec un sourire serein.

Nymphadora observa alors que Draco, semblant comprendre ce que voulait leur cousin, lui passa précautionneusement le bébé.

« Moi, Lord Black, te reçois en ma Maison. » répéta Sirius, la voix tout aussi étranglée par l'émotion que celle de Draco l'avait été. Lui aussi déposa un baiser sur le front du bébé. « Bienvenu, sang de mon sang. Mon toit sera ton toit. Ma baguette sera ton bouclier. Puisses-tu apporter honneur et gloire à ta Maison. Sur ma magie, je t'accueille. »

Le crépitement de la magie ne fut pas aussi fort, cette fois-ci, mais la jeune femme devina que le serment s'était bel et bien ancré, là aussi.

Et ce fut à ce moment-là qu'ils se tournèrent tous vers elle, attendant visiblement quelque chose. Instinctivement, elle fit un pas en arrière et secoua la tête. « Je suis pas une Sang-Pure, je n'ai rien à… »

« Nymphadora. » la coupa gentiment Narcissa. « Voudrais-tu nommer le bébé, s'il te plaît ? »

« Nommer le… » répéta-t-elle, en ayant de plus en plus l'impression d'être un poisson hors de l'eau.

« Elle ne te demande pas de choisir le nom. » clarifia Sirius, avec un amusement évident, en avançant vers elle, son précieux fardeau dans les bras. « Elle te demande de le nommer officiellement. En tant que marraine. »

« Quoi ? » lâcha-t-elle, trop choquée pour protester lorsqu'il lui mit le bébé dans les bras.

Le dernier qu'elle avait tenu était celui de Fanny. L'espace d'une seconde, elle se retrouva dans une maison à moitié détruite, aux murs repeints de sang, à regarder ce qu'il restait du cadavre de son amie, sa famille, et son bébé d'un mois. Fanny était-elle morte cette année ? Cela lui semblait avoir eu lieu des siècles auparavant.

C'était ce jour-là que Remus lui avait avoué sa lycanthropie, se souvint-elle, avec un battement de cœur de retard, le jour où Fanny et…

« Tonks ? » Elle cilla, revint à la réalité, au bébé bien vivant dans ses bras, à la main inquiète que Sirius avait posé sur son épaule. « Tu ne vas pas tourner de l'œil, quand même ? Non, parce que j'ai survécu à un accouchement sans m'évanouir et… »

« Oh, Circé ! Peut-être souhaiterais-tu une médaille pour être parvenu à rester conscient pendant que je mettais au monde un bébé ? » ironisa Narcissa. « Un Ordre de Merlin ? Une carte de Chocogrenouille à ton effigie ? »

« Est-ce que tu sais combien de temps il va me falloir avant de pouvoir regarder à nouveau une femme nue ? » rétorqua Sirius. « Je suis traumatisé, Cissy. Marqué à vie. Peut-être vais-je sombrer dans la folie et… »

« Je crains que ce ne soit déjà fait, cher cousin. » l'interrompit-elle, d'un ton faussement onctueux.

Draco secoua la tête. « Quand vous en aurez terminé tous les deux, peut-être pourrions-nous nommer mon frère ? »

Nommer son frère

Marraine

« Vous voulez… Vous voulez que je sois sa marraine ? » balbutia-t-elle. « Mais je n'ai jamais été la marraine de personne… Je ne sais pas… »

« Je dirais qu'avec Potter, tu as de l'entraînement. Et un bébé sera probablement moins contraignant. » ironisa Draco. « C'est un grand honneur, tu t'en rends compte ? »

C'était surtout une grande responsabilité et…

« Je ne sais pas ce qu'il faut faire. » avoua-t-elle.

« Tu réponds à la question de Cissy, puis tu dis juste je te nomme et tu répètes son nom. » expliqua Sirius. « Et, si tu le sens, tu peux le prendre sous ta protection. Il n'y a pas de mots rituels pour accepter la charge de parrain et marraine. C'est plus… l'inspiration du moment. Ta magie fera le reste. »

Tout ça allait bien trop vite.

Seulement, elle baissa les yeux sur le bébé, croisa le regard gris qui était semblable au sien, à celui de sa mère, de Narcissa, de Draco et de Sirius et elle eut la sensation subite et inédite de n'être que le maillon d'une longue chaîne. Et, dans ses bras, il y avait le tout dernier maillon.

Elle n'avait jamais compris l'obsession de certains sorciers pour leur origines, pour leur arbre généalogique…

Mais peut-être que c'était ça qui les fascinait autant. Cette impression d'appartenir à un tout plus grand que soi, parce que, à cet instant, elle se sentait plus Black que Tonks.

Il y avait une certaine beauté dans ces vieux rituels…

« Pas de parrain ? » demanda Sirius. « Ou bien Draco… »

« Sirius. » soupira Narcissa. « Pourquoi crois-tu que je t'ai fait venir ? »

« Pour la bénédiction des Black. » répondit l'Animagus, soudain moins sûr de lui.

Nymphadora releva les yeux et croisa ceux, fatigués, de Narcissa.

« Nymphadora Tonks, acceptes-tu la charge de marraine ? » demanda la Sang-Pure, sans plus se préoccuper de leur cousin.

« Oui. » répondit-elle, la voix nouée. « Ma tante. »

Ce n'était pas naturel de l'appeler ainsi, trop formel, trop loin de la manière dont elle vivait sa vie. Mais une exception n'avait jamais tué personne. Pour une fois…

Elle sentit une toute petite décharge de magie, si légère que… Elle ravala un petit glapissement de surprise à cette sensation inédite.

« C'est la magie du bébé qui répond à la tienne. » expliqua Narcissa, avec un sourire ravi. « Cela n'arrive pas toujours… »

« Sa magie sera forte. » commenta Draco.

« Comme celle de son père. » confirma la Sang-Pure. « Comme celle de son frère. »

« Comme celle de sa mère. » murmura Sirius. « Pourquoi est-ce que je sens que ce bébé va être une terreur ? »

Nymphadora était trop enchantée par le bébé dans ses bras pour relever. Qu'une si petite chose puisse déjà avoir de la magie, que…

« Nomme-le, maintenant. » reprit Narcissa, son sourire s'adoucissant. « Nomme-le Orion Lucius Malfoy. »

La respiration de Sirius se bloqua dans sa gorge. « Orion pour mon père ou… »

« Nommerais-je mon enfant d'après ton père ? » riposta la matriarche des Malfoy. « Réfléchis. »

Pour couper court à la dispute, Nymphadora prit une grande inspiration, reportant son attention sur le bébé.

« Je te nomme Orion Lucius Malfoy. » annonça-t-elle, d'une voix plus forte qu'elle ne l'avait voulu. Elle était censée dire autre chose et, l'espace d'une seconde de panique, sa tête fut entièrement vide. Puis elle se reprit et, parce qu'elle était la seule qui ne l'avait pas encore fait, elle embrassa délicatement le front du bébé. « Tu es sous ma protection et je jure que je serai toujours là pour toi quand tu en auras besoin. » Elle jeta un coup d'œil à Draco. « Et pour ton frère aussi. »

Ce n'était pas très élégant.

Ce n'était pas aussi pourléché que les discours rituels de Sirius ou Draco, mais ça parut fonctionner tout de même parce qu'elle sentit sa magie brièvement caresser celle du bébé. Un brasier s'enroulant précautionneusement autour d'une braise.

Les joues de Draco avaient un peu rosies mais il lui adressa un hochement de tête appréciateur. Elle lui fit un clin d'œil.

Un peu à regret, elle repassa le bébé à Sirius qui paraissait étrangement mal à l'aise. Ce qui n'échappa pas à Narcissa.

« Tu n'es pas obligé d'accepter si l'idée te dérange autant. » déclara la sorcière, clairement vexée.

« Ce n'est pas ça, Cissy. » soupira Sirius, en baissant les yeux vers le bébé. « C'est juste… »

« Potter. » devina Draco.

Leur cousin grimaça. « Si tu m'en avais parlé avant, j'aurais pu en discuter avec lui. Je ne voudrais pas… » L'expression de Narcissa était plus blessée que contrariée à présent et celle de Sirius se décomposa. « Très bien, très bien… D'accord. Oui. » Il se racla la gorge. « Oui, j'en serais honoré. »

« Je ne te mets pas le couteau sous la gorge. » riposta la Sang-Pure. « Il y a d'autres options que toi. Draco… »

« Je veux être son frère, pas son parrain. » contra immédiatement l'adolescent. « Mais il y a Oncle Ted. Ou même… »

« Oui. » renchérit Narcissa. « Il y a Oncle Ted. Ou bien Severus, tiens. Cela ferait sens puisque Nymphadora est sa marraine. Bien entendu, si j'avais su, je ne l'aurais peut-être pas nommé Orion en hommage à son parrain mais ce qui est fait est fait. »

« Oh, arrête. » grommela Sirius. « Severus a déjà mon autre filleul, celui-ci je le garde. » Il sourit au bébé qu'il avait dans les bras. « Après tout, j'étais là quand il est né et il a failli me donner une attaque… Petite terreur… Il ressemble toujours à une crevette toute fripée. Ma terrible crevette. »

« Tu ne vas certainement pas affubler mon fils de ce surnom ridicule. » l'avertit Narcissa.

« Ma terrible crevette. » répéta l'Animagus, en riant.

Draco, lui aussi, paraissait amusé et osa toucher la petite main qui s'agitait légèrement.

Nymphadora, elle-même, ne put retenir un petit rire devant l'air outré de Lady Malfoy qui avait plissé le nez.

« Peut-être pouvons-nous nous passer de parrain purement et simplement, après tout. » lâcha cette dernière.

Le rire de Sirius finit par s'éteindre mais pas l'affection évidente dans son regard. « Pose-moi la question. »

L'espace d'un instant, il sembla que Narcissa allait refuser par pur principe, puis elle soupira et lui jeta un regard irrité où se disputait la même affection que celle qui brillait dans les yeux de leur cousin. « Tu as toujours été un insupportable garnement. »

Sirius lui fit un clin d'œil mais ne tarda pas à reporter son attention sur le bébé qu'il berçait avec une facilité que Nymphadora envia immédiatement.

Il n'était pas dur de l'imaginer avoir fait ça avec Harry, cependant.

« Sirius Black, acceptes-tu la charge de parrain ? » s'enquit finalement Narcissa.

« Oui. » répondit-il, sans une hésitation et d'une voix forte. À nouveau, ils sentirent la magie à l'œuvre. « Tu es sous ma protection, ma terrible crevette, et je jure de faire tout ce que je peux pour que tu grandisses en sécurité et dans un monde en paix. »

Narcissa leva les yeux au ciel à ce surnom mais ils étaient très embués. Lorsqu'elle tendit les bras, Sirius lui rendit le bébé avec toutes les précautions qui s'imposaient.

Pendant un moment, ils ne firent rien d'autre que de contempler le tout nouveau membre de la famille et Nymphadora se demanda comment c'était possible qu'une si petite chose qui ne faisait rien du tout puisse être aussi fascinante – et puisse se nicher, aussi rapidement, dans leurs cœurs. Lorsque Sirius passa un bras autour de ses épaules et l'attira contre lui, elle se laissa faire. Draco s'était assis sur le bord du lit et retraçait du bout des doigts la petite main d'Orion…

Narcissa, elle, paraissait lutter contre le sommeil…

La jeune femme aurait suggéré qu'il la laisse se reposer si de légers coups à la porte n'avaient pas précédé sa mère qui les chassa tous gentiment de la chambre. Sirius décréta qu'il allait aller se coucher, Draco alla rejoindre Hermione et Luna… Elle s'approcha de son père qui jouait avec sa pipe toujours éteinte.

« Alors ? » demanda Ted, une étincelle amusée dans les yeux. « À quoi il ressemble ? »

« À une crevette toute fripée. » répondit-elle, sans réfléchir, avant de sourire. « La plus mignonne de toutes les crevettes. » Elle secoua la tête. « Elle m'a demandé d'être la marraine. »

« Oui, je m'en doutais quand elle t'a fait appeler. » offrit-il. « Félicitations. »

C'était allé si vite qu'elle n'avait pas vraiment eu le temps de réfléchir à ce qu'elle en pensait mais elle se rendit compte, à cette seconde, qu'elle était fière. Fière à exploser. Stupidement, c'était comme si elle avait participé à la création de ce bébé. Elle était impliquée maintenant, du moins.

Elle remercia son père et, après un moment d'hésitation sur ce qu'elle devait faire à présent, quitta les lieux. Elle avait définitivement raté le petit-déjeuner en famille et, puisque Sirius était occupé, Severus avait probablement fait l'impasse sur son entraînement matinal… Elle alla droit dans son bureau, saluant distraitement les quelques Aurors qu'elle croisa à cette heure-ci.

Elle frappa à la porte mais n'attendit pas pour entrer, les protections sur les lieux cédant automatiquement devant elle comme celles sur leurs appartements.

Severus venait à peine de s'installer visiblement. Il y avait une tasse de thé encore fumante devant lui et un tas de mémos qui s'étaient accumulés dans la nuit et parmi lesquels il faisait du tri… Il leva la tête dès qu'elle franchit le seuil.

« Eh bien ? » demanda-t-il. Son sourire rendu beaucoup trop rêveur par la fatigue dut répondre à sa question parce qu'il leva un sourcil. « Et qui est donc le dernier membre en date de la famille Malfoy ? »

« Orion Lucius Malfoy. » lâcha-t-elle, tout en se laissant aller dans un des fauteuils libres face à lui. Elle vola la tasse de thé, sans s'embarrasser de demander. Il ne fit aucun commentaire. « Il est à croquer. »

Le Maître des Potions l'observa une seconde, un peu trop gardé. Peut-être parce qu'elle avait volé son thé, peut-être parce qu'elle avait l'air trop songeuse.

« Orion ? » releva-t-il. « D'après le père de Sirius ? Cela n'a pas dû lui plaire. »

« D'après Sirius. » corrigea-t-elle, en prenant une gorgée de thé.

Severus jeta le mémo qu'il était en train de déplier sur la pile sans même l'ouvrir, lui donnant sa pleine attention. « Il est le parrain. »

C'était une déduction, pas une question.

« Il a hésité. » le défendit-elle. « À cause d'Harry. »

« Il aurait dû refuser. » trancha-t-il froidement. « Harry n'a pas besoin qu'on lui donne l'impression de le remplacer. C'est… »

« Personne n'a parlé de remplacer Harry. » le coupa-t-elle. « Mais c'est un bébé, Severus. Un tout petit bébé. Lui aussi il a le droit d'avoir l'assurance qu'il aura des adultes dans sa vie quoi qu'il arrive. Surtout en ce moment. Ça ne veut pas dire que Sirius va abandonner Harry ou le remplacer ou l'aimer moins. Tu projettes. »

« Peut-être. » admit-il, toujours un peu sèchement. « Toutefois, je ne suis pas certain qu'Harry verra les choses sous cet angle. »

« Oui, eh bien… Tu étais dans la liste des remplaçants s'il avait refusé. » soupira-t-elle, en avalant la moitié de la tasse d'un trait. Elle aurait donné cher pour du café.

Severus leva des sourcils surpris. « Moi ? »

« Juste après mon père. » confirma-t-elle, avant de se racler la gorge. « Il faut que je te dise… Narcissa m'a demandé d'être sa marraine. Et… Et j'ai accepté. »

Si possible, l'ancien espion paraissait encore plus étonné. « J'aurais pensé qu'elle demanderait à ta mère. »

Nymphadora haussa à nouveau les épaules. « Moi aussi, mais… » Elle repensa à ce qui s'était joué dans cette chambre et ne put s'empêcher de sourire. « Je ne connaissais pas les coutumes Sang-Pures pour la naissance d'un bébé… »

Severus, en revanche, devait être au fait de la chose parce qu'il acquiesça. « Le rituel de la présentation, je suppose ? » Elle hocha la tête et il poursuivit. « Tout le monde ne s'y prête plus mais il était traditionnel pour les chef de famille d'accueillir ainsi les nouveaux membres, descendants directs ou éloignés. C'était un moyen de garder une cohésion au sein des Maisons et des alliances. »

« Je pensais que ce serait ridicule quand ils ont commencé. » avoua-t-elle. « Le langage était tellement formel… Mais en fait c'était… C'était très émouvant. »

« La suprématie Sang-Pure n'est pas souhaitable. » commenta Severus. « Mais cela ne signifie pas pour autant que nous devrions oublier les vieilles traditions… Il existe une version… plébéienne du rituel de présentation pour ceux qui n'ont ni titre, ni Maison, tu sais. »

Elle ne poussa pas jusqu'à demander si, hypothétiquement, c'était quelque chose qu'il voudrait faire si, toujours hypothétiquement, la question se présentait un jour.

« En tout cas, il est très mignon. » déclara-t-elle. « Oh et, quand j'ai accepté d'être sa marraine, j'ai senti la magie du bébé qui accrochait la mienne… C'était… Wow. »

Severus émit un bruit qui n'était pas tout à fait amusé mais était tout de même enrobé de tendresse. « Je vois que je dois me résoudre à voir un Malfoy envahir régulièrement nos vies dans le futur. »

Nymphadora lui jeta un regard amusé. « Un galion que tu en seras autant gaga que moi après cinq minutes passé avec lui. Monsieur le Harry, ce niffleur n'a rien à faire là. »

L'expression du Maître des Potions demeura d'une neutralité absolue. Rien ne trahissait son amusement si ce n'était l'étincelle amusée qui dansait dans son regard.

« Parlerais-tu du niffleur que tu as autorisé à rester, la première ? » contra-t-il.

Elle termina la tasse de thé, refusant de lui faire le plaisir de lever les yeux au ciel. Un sourire jouait toujours sur ses lèvres parce qu'elle savait qu'il n'était pas vraiment contrarié.

Ce qui lui rappelait…

« L'espace d'un moment, j'ai cru que j'allais rentrer à la maison avec deux autres gosses à adopter, tu sais. » souffla-t-elle. « Il y a eu des complications. »

Le regard de Severus s'était fait plus perçant. « Comment va Narcissa ? »

« Bien. » le rassura-t-elle. « Bien. Du moins ma mère a dit qu'elle allait bien et elle n'avait pas l'air trop mal. Épuisée, oui, mais je suppose que, ça, c'est normal. » Elle secoua la tête. « Draco était dans un état, par contre… C'est différent de Harry parce qu'il se cache derrière son rôle de Lord Malfoy, mais il ne va pas très bien non plus. »

L'ancien espion poussa un léger soupir et s'appuya un peu plus profondément contre le dossier de son fauteuil. « Pour l'instant, aussi cruel que cela semble… L'urgence est de gagner cette guerre. Nous nous occuperons de recoller les morceaux plus tard. »

« En espérant qu'il ne soit pas trop tard. » remarqua-t-elle.

« En espérant qu'il ne soit pas trop tard. » approuva-t-il. Ses yeux noirs la détaillaient, insondables. Il se passa quelques secondes avant qu'il ne reprenne la parole. « Est-ce une réelle possibilité ? S'il arrivait quelque chose à Narcissa, tu te porterais volontaire pour recueillir ses enfants ? »

Le ton était neutre mais sérieux.

Nymphadora croisa les jambes et s'autorisa quelques instants de réflexion mais, à la vérité, sa décision était prise depuis longtemps. « Oui. Je l'ai déjà fait pour Draco. Si la situation se représentait et que je ne le reprenais pas… Ce ne serait pas bien. Et on ne peut pas séparer les frères maintenant, donc… Oui. »

« Tes parents les accueilleraient très certainement de bon cœur. » remarqua-t-il. « Ou Sirius. Encore que laisser un bébé à Sirius sur le long terme n'est probablement pas la meilleure idée et sa vampire allergique aux attaches trop importantes trouverait sans doute à y redire. »

« Oui. » répondit-elle simplement, sans rien ajouter d'autre, un peu mal à l'aise.

Severus l'observa un moment supplémentaire puis soupira. « Soit. Espérons donc qu'il ne lui arrive rien. »

« Soit ? » répéta-t-elle. « C'est tout ? »

« Que veux-tu que je te dises ? » Il agita la main, balayant la question qui n'attendait de toute manière pas de réponse. « Je ne te demanderai jamais de renoncer à ton sens des responsabilités. Et… Tu as accepté ma situation avec Harry sans ciller alors même qu'elle n'était pas encore très claire… Je serais bien hypocrite de te refuser la même chose. »

« Ce serait un peu différent quand même. » contra-t-elle. « Je me suis engagée les yeux grands ouverts. Si on doit un jour accueillir Draco et Orion… »

« Eh bien nous accueillerons Draco et Orion. Ensemble. » la coupa-t-il. « Et nous ne les enfermerons pas dans un placard. Pourquoi me regardes-tu comme ça ? »

Un sourire se dessina lentement sur les lèvres de la jeune femme. « Parce que je t'aime. »

Et qu'il puisse toujours, parfois, douter d'être quelqu'un de bien était aberrant.

°O°O°O°O°

Draco avait l'impression d'être sous l'effet d'une potion euphorisante.

Sa mère s'était endormie et il s'était installé dans un fauteuil que Kreattur avait installé dans un coin de la chambre, refusant de poser Orion dans le berceau prévu à cet effet. La pièce était petite et, avec tous ces nouveaux meubles, paraissait encombrée mais l'elfe était en train de mettre en place une nurserie. De fait, une alcôve était apparue dans le mur quelques minutes plus tôt et il entendait le vieil elfe bougonner que c'était trop étroit.

Sachi allait et venait avec du mobilier du manoir…

Draco n'écoutait leur manège que d'une oreille, fasciné par le bébé qu'il avait dans les bras, calé par l'énorme coussin que Kreattur lui avait collé sur les genoux au cas où il se fatiguerait – et lâcherait l'enfant, attention à la tête, Maître Draco, attention à la tête ! Si l'elfe était terrifiant en temps normal, il était complètement hors de contrôle à présent.

Lorsqu'il avait soulevé le bébé pour la première fois, plus tôt, il avait pleuré. De grosses larmes roulant sur ses joues burinées alors qu'il observait Orion comme si c'était la huitième merveille du monde. Néanmoins, Draco n'était pas loin d'être d'accord avec cette opinion.

Luna, elle, avait souri, aux anges, lorsqu'il lui avait présenté le bébé. Elle avait promptement décrété qu'il était libre de joncheruines et qu'il aurait la tête dans les étoiles.

Granger n'avait pas trop semblé savoir quoi en faire. Elle avait eu trop peur pour le prendre, arguant qu'il était si petit et semblait si bien dans ses bras à lui qu'elle ne voulait pas le déranger.

Il avait envoyé les deux jeunes filles se coucher. Lui-même avait les yeux qui se fermaient un peu dans la semi pénombre de la chambre. La nuit avait été longue et riche en adrénaline.

Pourtant, il ne pouvait se résoudre à poser son frère.

Son frère

Cesserait-il un jour de s'émerveiller de ce mot ?

Il était difficile de trouver une quelconque ressemblance dans les traits du bébé mis à part les yeux gris à présent clos. Sirius n'avait pas tort, il ressemblait un peu à une crevette.

Un flash déchira la lumière trop tamisée et il releva brusquement la tête, sa baguette pointée vers la porte…

Mais ce n'était que sa tante qui abaissait lentement un appareil photo d'un air désolé.

« Je ne voulais pas te faire peur. » murmura-t-elle pour ne pas réveiller Narcissa. « J'ai demandé à Sachi d'aller chercher l'appareil… Je sais que ça peut paraître dérisoire, vu le contexte, mais ce sont des moments qu'on veut immortaliser. »

Il n'avait pas pensé à ça.

Il y avait des albums photos au manoir. Ses premiers jours, semaines, mois, années… Tout ça avait été dûment documenté… Ils devraient faire pareil pour Orion, bien sûr. Ce n'était pas la faute de son frère s'il était né en pleine guerre.

« Comment va le petit bonhomme ? » demanda Andy, en s'accroupissant près du fauteuil.

« Crevette. » corrigea doucement Draco, avec un sourire attendri pour le bébé. « Nous l'appelons crevette. »

Les yeux gris de la Médicomage dansèrent d'amusement. « Je vois que l'influence de Sirius s'exprime. »

Draco haussa légèrement les épaules. Il était conscient que tout ça manquait de décorum mais il avait appris à apprécier, voire respecter, l'irrévérence de son cousin.

« Il ne fait que dormir… » murmura-t-il, en reportant son attention sur le bébé. « C'est normal ? »

« Attends qu'il te réveille la nuit en hurlant. » plaisanta-t-elle.

« Mais il va bien ? » insista-t-il.

Il pouvait parfaitement sentir la couche de magie qui enveloppait le bébé. Invisible à l'œil nu, elle n'en était pas moins présente. Andromeda lui avait patiemment expliqué le pourquoi de chaque sortilège, plus tôt. L'un simplement pour surveiller qu'il n'avait pas de problèmes pour respirer, un autre pour maintenir sa température, un autre pour…

« Il va très bien. » confirma-t-elle, après avoir jeté quelques sorts pour s'en assurer. « Tu devrais aller te reposer un peu. »

Il refusa d'une secousse de tête.

« Têtu comme ta mère. » commenta sa tante. D'un coup de baguette, elle modifia un peu le coussin sur lequel était posé Orion. Il flottait désormais plus qu'il n'était posé sur ses genoux. « Voilà. Si tu t'endors, il ne tombera pas. »

« Je ne m'endormirai pas. » protesta-t-il.

Mais les minutes qui suivirent le firent mentir.

Il aurait juré n'avoir fermé les paupières que quelques secondes mais lorsqu'il les rouvrit Orion n'était plus dans ses bras. Il paniqua immédiatement.

« Tout va bien. »

Il tourna la tête vers le lit et trouva Narcissa appuyée contre les oreillers, le bébé allongé sur sa poitrine.

« Il avait faim. » expliqua-t-elle. « Kreattur me l'a apporté. Tu n'as même pas bronché. »

Étant donné ce que devait manger le bébé, il n'était pas mécontent d'avoir raté cette partie-là. Il y avait des choses qu'il ne voulait pas voir et la poitrine de sa mère en faisait partie.

Il s'étira puis s'extirpa du fauteuil pour venir s'asseoir sur le bord du lit, sans s'embarrasser des convenances. L'arrivée d'Orion semblait les avoir toutes bouleversées, de toute manière.

« Vous sentez-vous bien ? » s'enquit-il, son regard attiré par le bébé emmitouflé dans la couverture que Luna avait terminé de tricoter durant la nuit. Une couverture jaune poussin, striée de bleu, qui était, il fallait l'admettre, assez hideuse. Mais, supposait-il, c'était l'intention qui comptait.

« Parfaitement. » mentit Narcissa. Elle devait être en train de mentir parce qu'il doutait que qui que ce soit aille parfaitement bien après un accouchement. Il leva un sourcil et elle soupira. « Très bien, je suis toujours fatiguée mais on le serait à moins. »

Il ne discuta pas la chose, se contentant de sourire. « Il est si petit, Mère… »

« Il grandira. » décréta-t-elle fièrement. Son regard s'adoucit. « Ton père était fier de toi, tu sais. Il serait d'autant plus fier aujourd'hui. »

« Il me l'a dit. » répondit Draco parce qu'il ne voulait pas dire je sais. Il n'était pas sûr de savoir. Il n'était pas sûr d'avoir cru Lucius. Par réflexe, il toucha le sceau des Malfoy qui trônait désormais à son doigt. « Il aurait été fier d'Orion aussi. J'aimerais tellement que… »

Il s'interrompit.

Lord Malfoy ne pouvait s'abandonner à ce genre de désir enfantin, ne pouvait les exprimer à voix haute…

« Je sais qu'il te manque. » murmura Narcissa. « Il me manque à moi aussi. »

Draco n'était pas certain de pourquoi ils abordaient à présent un sujet autour duquel ils dansaient depuis des semaines. Elle refusait d'en parler, tout comme il s'emmurait dans son silence.

Était-ce la naissance d'Orion qui l'avait poussée à évoquer son père ? Était-ce biologique ? Il avait lu que les hormones…

« Ce n'est pas juste. » souffla-t-il, ne se faisant pas confiance pour parler plus haut, pour ne pas trahir la douleur qui lui broyait la poitrine. « Ce n'est pas juste qu'Orion ne le connaisse jamais. »

Narcissa hésita longtemps puis effleura le bébé avant de tendre la main vers lui. Il s'en saisit, serrant les doigts de sa mère.

« Il le connaîtra à travers nous. » déclara-t-elle. « Et… Il y a un portrait à Gringotts. Il y a toujours un portrait de Lord Malfoy sous clef, au cas où… Ce ne sera pas la même chose, bien évidemment, mais ce sera toujours… Ce sera toujours mieux que rien, je suppose. »

Les portraits n'étaient que des ersatz. Des illusions.

Il n'était pas certain d'être prêt à rencontrer celui de son père.

« Il t'aimait. »

De surprise, Draco leva les yeux et croisa ceux de sa mère.

Elle semblait un peu mal à l'aise mais elle se força à sourire.

« Je sais que nous ne nous disons pas ces choses-là aussi fréquemment que les Weasley… » continua-t-elle. « Peut-être est-ce un tort. Il t'aimait. N'en doute jamais. »

Sa gorge et ses yeux le brûlaient. « Mère… »

« Moi aussi, je t'aime. » ajouta-t-elle. « Au cas où cela ne serait pas évident. »

« C'est évident. » promit-il.

« Quoi qu'il en soit, quoi qu'il arrive… Sache-le. » insista-t-elle. « Je t'aime. Et j'aime Orion. »

Parce que cela valait mieux que de pleurer, il se laissa aller à rire. « Est-ce l'accouchement qui vous rend si expansive ou bien Tante Andromeda vous a-t-elle donné une de ces potions qui rendent très heureux ? »

« Horrible fils. » le gronda-t-elle, sans aucune hostilité réelle. « Je fais un effort pour m'épancher et c'est tout ce que tu trouves à me dire ? »

« Je vous aime aussi, Mère. » offrit-il, un peu gêné.

Elle le détailla des pieds à la tête, émit un bruit réprobateur – probablement parce qu'il avait l'air de quelqu'un qui n'avait pas dormi de la nuit et que ses vêtements étaient froissés – puis pinça les lèvres.

« Ne crois pas que j'ai oublié que tu fricotais dans ta chambre avec Hermione. » remarqua-t-elle. « Il me semble qu'une petite discussion sur le sujet s'impose. »

Il secoua la tête. « C'est inutile, Mère. Vraiment. Je… »

« Oh, c'est très utile, au contraire. » contra-t-elle. « Un seul bébé dans la maison suffit. »

« Mère… » supplia-t-il.

Narcissa Malfoy était, cependant, impitoyable.

Elle mit donc ses menaces à exécution.

°O°O°O°O°

Sirius rentra dans le bureau du Professeur de Défense sans frapper ou même songer qu'il pouvait déranger, ce qui lui valut un regard courroucé de la part de l'homme qui trônait derrière des piles toujours grandissantes de parchemins. Trop fatigué pour se soucier de sa mauvaise humeur, il se laissa tomber dans son fauteuil favori et cala ses lourdes bottes sur l'accoudoir du deuxième. Après tout, techniquement, ce bureau, ils étaient censés le partager comme ils partageaient le poste de Professeur de Défense.

« Veux-tu ôter tes pieds de là ? » grinça Severus.

« Tu m'as dit de venir. » se défendit-t-il. « Me voilà. »

Son ancien rival leva les yeux au ciel. « Ce soir, Sirius. Pour dîner et parler de tu-sais-quoi. Nymphadora pense avoir une piste. »

« Oh. » lâcha-t-il. Il avait mal compris la lettre envoyée par hibou, alors. Il fallait dire qu'entre l'écriture désormais presque indéchiffrable de Severus et la fatigue, il n'y voyait pas clair. Aucun des entraînements qu'il avait menés ce jour-là n'avait été brillant. « Une piste sérieuse ? »

« Je l'ignore, elle voulait vérifier des détails. » répondit Severus, en retraçant du doigt une ligne imaginaire sur la carte d'Écosse qu'il était en train d'étudier. Le parchemin jeté sur un des coins de la carte était rédigé d'une écriture familière : celle de Remus. Sirius l'observa annoter la carte, devinant qu'il s'agissait des derniers déplacements de la meute de Greyback. Sentant probablement son regard, le Maître des Potions soupira. « Nous avons eu une nouvelle… session. L'Éclat-de-Lune fonctionne mais stabiliser la durée de la transformation est un peu plus compliqué que ce que j'escomptais. »

« Éclat-de-Lune ? » releva-t-il, en sortant machinalement son paquet de cigarettes de sa poche.

« J'avais proposé Crève-Lupin mais, vas savoir pourquoi, on trouvait ça de mauvais goût. » ironisa son ami, en pêchant dans le premier tiroir un cendrier qu'il fit voler vers lui d'un geste agacé. « Sur un tout autre sujet, j'ai cru comprendre que des félicitations s'imposent ? »

Le sourire qui lui étira les lèvres était si grand, si spontané qu'il lui fit presque mal. Il était repassé voir Narcissa et le bébé avant de partir s'occuper de ses groupes de volontaires. Il était complètement sous le charme de la crevette. « Je sais ce que tu vas me dire. Je sais. Harry pourrait mal le prendre. »

Severus ne se donna même pas la peine de répondre, continuant à plancher sur sa carte.

Sirius cala une cigarette entre ses lèvres et fit jouer son briquet, prenant le temps de tirer dessus avant de reprendre la parole. « Je vais aller lui parler dès que je sors d'ici. Ce n'est pas… Ce n'est pas comme si je le remplaçais. »

« C'est exactement ainsi qu'il va le prendre. » rétorqua le Maître des Potions, sans aucune douceur ou diplomatie. Il voulut défendre sa cause mais le sorcier leva la main, l'interrompant d'un geste. « Il ne sera pas jaloux, Black. Il sera soulagé, probablement. Car, ainsi, s'il meurt, tu auras quelqu'un d'autre sur qui reporter ton affection. Tout comme il pense que Nymphadora adoucirait mon chagrin. » Il secoua la tête. « Ce n'est pas entièrement ta faute, je suppose. Narcissa est une excellente manipulatrice. »

« ! » protesta-t-il instinctivement, avant de froncer les sourcils. « Comment ça ? »

Severus lui jeta un regard lourd d'ironie. « Orion ? Elle t'a mise au pied du mur. Je veux bien lui accorder un certain degré de sincérité, parce qu'il est évident que le clan Black reconstitué peut faire trembler la communauté magique, mais ses intentions sont transparentes. Elle veut en faire ton héritier. »

« Elle sait très bien qu'Harry est mon héritier. » riposta-t-il.

« Harry, même pour ceux qui ne sont pas au courant de nos difficultés, n'a pas exactement une grosse espérance de vie. » commenta Severus. « Pas avec le Seigneur des Ténèbres à sa poursuite. Et, s'il devait survivre et rester ton héritier, un mariage arrangerait le tout plus tard. »

« Un mariage ? » répéta-t-il, confus.

« Entre un des enfants potentiels d'Harry et le sien. » clarifia l'ancien espion, d'un soupir. « Vraiment, comment as-tu réussi à survivre entouré de tous ces Serpentards étant donné ton manque de jugeote ? »

Il ne fallait pas croire que cela ne lui avait pas effleuré l'esprit.

Narcissa était très attachée à la lignée des Black et appréciait peu son idylle avec Nyssa, pas seulement parce que c'était une vampire mais aussi parce qu'il ne souhaitait pas d'héritier direct. Or elle jugeait qu'il fallait que la Maison Black demeure aux mains d'un Black. Au demeurant, cela ne le gênait pas tant que ça parce que sa décision était prise.

« Harry héritera de mon titre. » insista-t-il, d'un ton définitif.

Il ne se laissa pas penser à ce qui arriverait s'il survivait à son filleul. Il soupçonnait que le titre et la Maison seraient, dans ce cas là, le dernier de ses soucis. Mais s'il fallait vraiment y penser, Nymphadora deviendrait son héritière. C'était logique. Elle était l'enfant aînée de l'aînée de ses cousines. Et sa préférée de surcroît.

« Je me moque bien de ce dont Harry héritera ou pas. » soupira Severus. « Je m'inquiète, en revanche, qu'il comprenne bien que cela ne signifie pas que tu serais moins dévasté s'il venait à disparaître. Je ne m'encombre pas d'un niffleur simplement pour que tu ailles le convaincre du contraire. »

« Je vais lui parler, je te dis. » promit-il, avant de froncer les sourcils, soufflant un nuage de fumée. « Quel niffleur ? »

Le Maître des Potions prit une expression d'extrême souffrance entièrement surjouée et se pinça l'arrête du nez. « Demande-le lui donc. »

Il y avait une histoire là-dessous et Sirius s'empresserait de l'arracher à Harry pour mieux se moquer de son ami. Il tira à nouveau sur sa cigarette, laissant son regard dériver vers la fenêtre. Pendant plusieurs minutes, un silence s'installa dans le bureau. Il n'était pas gênant, ils avaient pris l'habitude de travailler sans échanger que de rares paroles de temps en temps.

« Severus ? » lâcha-t-il, au bout d'un moment.

L'homme avait délaissé les cartes pour s'intéresser à des rapports et se massait le front avec une lassitude évidente. « Quoi ? »

Sirius savait qu'il était occupé et qu'il aurait dû le laisser travailler en paix mais il lui fallait parler à quelqu'un et, ces temps-ci, Severus était toujours son premier choix pour ce genre de conversations. Distraitement, il écrasa ce qu'il restait de sa cigarette dans le cendrier.

« Tu as déjà vu un accouchement ? » demanda-t-il.

L'ancien espion leva la tête pour lui jeter un regard incrédule. Probablement parce que, vu le contexte, ce n'était pas véritablement une question pertinente. Déduisant pourtant que c'était une vraie question, Severus reposa le stylo moldu avec lequel il était en train de prendre des notes.

« Non. » répondit le Maître des Potions. « La formation au soin d'une Maîtrise de Potions est générale. J'ai choisi de me spécialiser davantage sur mon temps personnel mais pas en obstétrique. »

Sirius hocha la tête, ignorant le sarcasme évident dans sa voix. « Tu veux un conseil ? »

« De ta part ? » rétorqua Severus.

Une nouvelle fois, il choisit d'ignorer l'ironie sous-jacente.

« N'en vois jamais. » offrit-il, continuant d'acquiescer lentement. « Un fils tout fait, c'est très bien. C'est même l'idéal. »

« Tu es ridicule. » se moqua son ancien rival.

« J'ai vu des horreurs, Servilus. » insista-t-il. « Des horreurs. »

Ne le prenant visiblement pas au sérieux, Severus leva les yeux au ciel.

« Tu crois que tu es habitué au sang ? » le défia Sirius. « Tu crois que tu es habitué à la douleur ? Tout ça… Tout ce qu'on a vu, tout ce qu'on a fait… C'est du pipi de chat. »

La comparaison lui valut un tressautement des lèvres de son ami qui l'observait pourtant comme s'il était idiot.

« Je suis surpris qu'ils n'aient pas eu à t'évacuer sur une civière. » railla le Maître des Potions.

« Cissy a failli mourir. » annonça-t-il et cela jeta un froid. L'autre sorcier perdit ton air moqueur. Sirius, lui, s'humecta les lèvres et tira une autre cigarette de son paquet. Il ne l'alluma pas, il se contenta de jouer avec, la tournant et la retournant entre ses doigts. « Elle est morte. Ça n'a duré que quelques secondes. Andy l'a ramenée. Mais elle a cessé de respirer pendant un moment. »

« Nymphadora m'a dit qu'elle et le bébé se portaient bien… » hésita Severus. Pas tout à fait une question, pas tout à fait une affirmation.

« Oui, ils vont bien maintenant. » confirma-t-il. « Le bébé… Le bébé, ça allait. Et Cissy… Andy est douée. » Il haussa les épaules. « Mais… Je l'ai sentie partir. Elle était dans mes bras et… » Il déglutit difficilement, incapable de regarder l'autre homme en face. Il garda les yeux rivés sur la fenêtre et le coin de ciel bleu qui s'y découpait. « Tu crois au destin ? »

La réponse mit du temps à venir.

« Non. » lâcha finalement Severus.

Un mensonge évident.

Mais s'il admettait croire au destin, il admettait croire à la prophétie et s'il admettait croire à la prophétie…

« J'y pense beaucoup, en ce moment. » avoua-t-il. « Au destin. Il y a tellement de choses que je voulais éviter, tellement de choses que je pensais… » Il haussa les épaules. « Peut-être que… »

« Nous créons nos propres destinées, Sirius. » trancha Severus. « Toi et moi en sommes la preuve vivante. »

Sirius n'en était pas sûr mais son ancien rival avait son air buté des grands jours alors il n'insista pas.

°O°O°O°O°

Laura était contrariée.

Remus le vit au premier coup d'œil, à la manière dont elle se tenait, les bras croisés, le visage détourné… Snape n'avait pas poussé l'humiliation jusqu'à le faire raccompagner aux grilles de Poudlard par un Auror mais la menace avait été là, à peine voilée, au cas où il lui viendrait l'idée d'aller embêter quelqu'un.

Comme si ce n'était pas lui qui avait été agressé devant témoins, la dernière fois.

La rumeur avait dû faire le tour du château parce que les regards qu'il avait récoltés ce jour-là étaient tous plus ou moins hostiles. Même Slughorn avait été froid et distant. Poli, certes, attentif à son confort durant la durée de l'expérience, mais froid et distant. Leur ancien Professeur semblait avoir choisi son camp.

Laura l'attendait dans le parc et, lorsqu'il fit mine de ralentir pour la saluer, se mit à marcher sur le petit chemin de terre qui serpentait jusqu'aux grilles. Il dut presser le pas pour la rattraper.

« Laura… » hésita-t-il, peu sûr de sur quel pied danser. Elle ne l'avait jamais habitué à ce genre de scène. Elle n'était généralement pas si…

« Je dois te poser la question, Alpha. » lâcha-t-elle, toujours sans le regarder en face. « Ce qu'ils disent, est-ce que c'est vrai ? » Il ouvrit la bouche pour se défendre, se draper de son outrage, mais, pour la première fois ce jour-là, elle croisa son regard. Et son regard était étrangement dur, presque blessé. « Ne me mens pas, s'il te plaît. »

Lentement, sans un mot, il referma la bouche.

Pendant quelques secondes, le seul bruit fut les échos distants des voix de ceux qui passaient le temps vers le lac.

Lunard était déstabilisé et il n'aimait pas cela du tout.

Tout était suffisamment compliqué dernièrement. Ces derniers jours passés au cottage avec le reste de la meute… Il avait presque été facile de se perdre dans le quotidien. L'espionnage de Greyback et des autres loups, travailler à la cohésion de sa meute, apprendre à connaître ses nouveaux frères et sœurs…

Presque.

Mais ce qu'il s'était passé avec Sirius était une écharde dans son cœur.

Son meilleur ami lui manquait.

Pas tant ce qu'ils étaient dernièrement que ce qu'ils avaient été avant. À la belle époque. Depuis son évasion… Ils avaient fait semblant un moment que tout était normal mais…

Il souffrait de cette rupture qui avait pourtant été courue d'avance.

Alors s'il perdait le soutien de Laura qui, l'air de rien, parvenait toujours à lui arracher un sourire et à alléger ses soucis….

« Je n'aurais pas dû faire ce que j'ai fait. » admit-il, même si cela lui coûtait. « Surtout que j'avais décidé de la laisser partir. » Se rendant compte de comment cela pouvait être interprété, surtout pour elle à qui il avait juré ne plus penser à Dora, il grimaça. « Je l'ai laissée partir. Ce n'était pas… Elle a tellement changé que je ne la reconnais plus. Ses décisions, la manière dont elle sacrifie les gens… Ce jour-là, ça m'a mis hors de moi. »

Laura détourna la tête et resserra encore les bras qu'elle avait passés autour d'elle-même, comme si elle avait froid. « Et ça justifie de tenter de prendre ce qui ne t'appartient pas ? »

La question l'agaça. « Ce n'était pas… »

« Tu sais comment ça se passe dans la meute de Greyback, Remus ? » le coupa-t-elle.

Il se tut, choqué.

D'abord parce qu'elle l'avait appelé Remus et pas Alpha.

Ensuite parce qu'elle ne lui coupait jamais la parole.

« C'est une meute avec une hiérarchie de meute. » continua-t-elle froidement. « Les plus faibles se soumettent aux plus forts. Et s'ils ne veulent pas se soumettre, on les y force. Tu comprends ce que je suis en train de dire ? »

« Laura… » souffla-t-il, horrifié.

« Quand je me suis échappée, quand j'ai quitté Greyback, j'aurais pu exiger n'importe quoi en échange de la potion. J'aurais pu exiger un sauf-conduit pour n'importe quel pays. » insista-t-elle. « Je ne voulais pas me battre, je ne veux pas me battre, mais je suis restée, j'ai intégré ta meute parce que… Parce que tu étais différent de lui. Tu veux toujours sauver les gens. Tu es courageux, tu mets ta vie en jeu pour des innocents… Tu te bats pour les plus faibles, pour ceux qui ont besoin de toi, pas pour le pouvoir en soi. » Le regard ambré de la jeune femme, dans lequel dansait celui d'une louve, revint se planter dans le sien alors qu'elle s'immobilisait au milieu du chemin. « C'est ça que j'ai vu en toi, Remus. »

Il osa effleurer son bras, fut soulagé lorsqu'elle ne se dégagea pas.

Le loup en lui se sentait penaud, dûment châtié par celle qu'il considérait être responsable du bien être mental de la meute. Il respectait son opinion parce qu'elle ne voulait pas sa place. Elle n'était pas dominante. Les loups comme Laura… Tout ce qu'ils voulaient c'était le bon fonctionnement de la meute, le bonheur de ses membres. C'était leur nature profonde.

« Je veux simplement aider les loups-garous. » déclara-t-il. « Les affranchir. Je veux… J'ai passé trente ans à redouter la malédiction et la potion Révèle-Loup m'a libéré… Je ne veux pas qu'un autre enfant ait à grandir comme moi j'ai grandi. Recensé, traqué… Terrifié. »

« Je te crois. » offrit Laura, les yeux dans les yeux. « Mais je crois aussi que tu as goûté à l'autre potion et que tu confonds la lycanthropie avec une capacité Animagus. Il y a une différence entre atteindre l'harmonie avec notre nature animale et la pousser en permanence au premier plan. Il y a une raison si le loup ne s'exprime qu'à la pleine lune. »

« Mais l'Éclat-de-Lune pourrait nous libérer du carcan de la malédiction. » contra-t-il. « Nous pourrions nous défaire de… »

« Tu ne m'écoutes pas. » le coupa-t-elle, pour la seconde fois. « Cette potion n'est pas naturelle. Greyback est tellement obsédé par son loup… Je suis persuadée qu'il est au commande même sous sa forme humaine. Son obsession, il l'a reportée sur la potion. Il a forcé sa meute à la boire, sans se soucier de s'ils le voulaient ou pas. Et toi… Tu ne parles plus que de ça. »

« Je ne forcerai aucun loup à en prendre. » jura-t-il, en mettant les mains dans ses poches. « Seuls ceux qui le souhaitent… »

« Tu es notre Alpha. » gronda Laura. « Tu n'as qu'à demander pour que ceux qui te sont loyaux se jettent sur la potion, qu'ils le désirent vraiment ou non. » Elle secoua la tête. « Penses-tu vraiment que cette potion devrait être en circulation ? »

« Sous notre contrôle. » corrigea-t-il. « Sous le contrôle des loups. Pour que nous ne soyons plus des armes. »

« Comme nous ne serons pas les armes de Dumbledore ? » rétorqua-t-elle.

Irrité par cet argument qu'il ne pouvait réfuter, Lunard détourna la tête. « Je lui ai promis une armée contre notre indépendance. Mais c'est momentané. La potion ne servira pas qu'à nous vendre comme mercenaires. Une fois que nous aurons créé une communauté, nous pourrions simplement… être loups lorsque nous le désirons. Sans tabou. »

« C'est utopiste. » décréta Laura. « Un braconnier ou un autre finira par s'emparer de la recette et capturer un loup à des fins mercenaires. Ils le font déjà et sans s'encombrer d'une potion. La pleine lune leur suffit. Ou des loups comme Greyback, Loba ou certains de son cercle intime décideront de prendre la potion et d'aller mordre des gens, juste pour le plaisir. »

« C'est pessimiste. » lui retourna-t-il.

« Je comprends qu'on ait besoin de la potion pour gagner la guerre… » hésita-t-elle. « Mais si tu veux vraiment le bien de tous les loups-garous, si tu veux vraiment améliorer notre condition… Tu devrais t'assurer que tous les échantillons soient détruits et la formule avec. »

Il secouait déjà la tête avant qu'elle n'ait terminé. « Laura… »

« Pose-toi la question. » lâcha-t-elle. « Aurais-tu tenté d'embrasser une femme de force avant de te sentir plus loup-garou que homme ? » Ses yeux étaient perçants, plus ambrés encore que précédemment, ce n'était plus la jeune femme qui parlait, c'était la louve. « Ils pensent que tu as fait ça par désir, Alpha, mais je connais la vérité. Ce n'était pas l'amour ou le désir charnel qui s'exprimait, c'était le besoin d'asseoir ton autorité. Parce que tu ne supportes pas qu'elle te défie. Parce que tu ne supportes plus que quiconque te défie. »

Laura cilla, son corps tendu tremblant très légèrement.

Sans doute parce que la main de Lunard venait de se refermer sur sa gorge.

Il n'avait pas serré.

Il n'avait pas serré, se répéta-t-il, sans pour autant se convaincre de la relâcher.

« L'harmonie est une chose. » murmura-t-elle pourtant, plus courageuse qu'elle n'était prête à l'admettre. « Mais ça implique un équilibre. Remus. L'Alpha doit être la somme des deux, pas simplement un loup sous forme humaine. Et cette potion, la tentation de cette potion, n'aide pas. »

Lentement, il caressa sa gorge du pouce, le plaça sur sa carotide, peu surpris de sentir les battements affolés de son cœur.

« Lunard est loup et homme. » gronda-t-il.

« Lunard n'a jamais été un homme. » rétorqua-t-elle. « Lunard est le nom que portait le loup. Et pour atteindre une vraie harmonie, Lunard doit faire de la place à Remus. » Elle déglutit, il en sentit le mouvement sous sa paume. « Et être un Alpha ne veut pas dire écraser tout le monde. »

« Si j'étais ce genre d'Alpha, je ne t'aurais jamais laissée en dire autant. » cingla-t-il.

« Si tu étais ce genre d'Alpha, si tu le devenais… » l'avertit-elle. « Je prendrais les louveteaux et je partirais très loin d'ici, là où tu ne nous retrouverais jamais. Ce sont des enfants et je ne livrerais pas des enfants à un nouveau Greyback. »

La rage le prit au ventre.

« Je ne suis pas Greyback ! » rugit-il, en resserrant sa prise sur sa gorge.

Par réflexe, elle attrapa son poignet.

Elle était terrifiée.

Elle empestait la peur et ses yeux, toujours trop ambrés pour que sa louve ne soit pas toute proche, brillaient. Pourtant, elle refusa de courber l'échine. Luttant contre sa propre nature docile, elle soutint courageusement son regard.

« Prouve-le. » murmura-t-elle.

L'espace d'une seconde, l'instinct lui hurla de serrer juste parce qu'elle lui avait manqué de respect au-delà de ce qui était permissible, juste pour la punir, juste pour…

Horrifié par sa propre réaction, il la lâcha comme si sa peau le brûlait et recula de quelques pas.

Elle se massa la gorge, les yeux rivés au sol.

« Laura. » souffla-t-il.

Elle ne releva pas le regard.

Elle tremblait, visiblement à bout de son courage.

« Laura, regarde-moi. » ordonna-t-il.

Il y avait trop d'autorité dans sa voix pour qu'elle se dérobe. Lentement, elle leva les yeux. L'appréhension, la crainte qu'il y lut acheva de lui faire l'effet d'une potion de sobriété.

« Je ne suis pas Greyback. » répéta-t-il, plus calmement.

« Je doute que Greyback ait toujours été Greyback. » lâcha-t-elle, dans un souffle. « Tout ce que je dis… C'est qu'il ne faut pas s'égarer en chemin. Alpha. »

« Remus. » la corrigea-t-il, en lui effleurant la joue.

Elle tressaillit.

De peur.

Le dégoût lui envahit la gorge.

« Je vais faire mieux. » lui promit-il. « Je vais… Je vais faire mieux. Et je vais réfléchir à ce que tu as dit pour l'Éclat-de-Lune. »

Elle lui sourit mais ça n'atteignit pas ses yeux.

Elle ne le croyait pas vraiment, comprit-il.

°O°O°O°O°

Paillette était un niffleur extrêmement doué mais souffrait de son handicap, décréta Harry, après que son nouvel animal de compagnie eut échoué à déterrer un seul des trois faux galions qu'il avait cachés peu profondément, dans ce coin du parc. Et ce n'était pas faute pour la pauvre bête d'avoir essayé. Il s'était acharné à creuser avec sa patte avant mais s'était épuisé avant d'avoir seulement mis l'or à jour, ce qui conforta le garçon dans son idée que le niffleur ne serait jamais capable de survivre seul.

Assis à même le sol, Harry épousseta la légère couche de terre qu'il restait sur le faux galion et regarda Paillette se jeter dessus, souriant lorsqu'il tenta de le faire rentrer dans sa poche ventrale décidément bien trop petite.

L'atmosphère changea brusquement.

Il le perçut une demi-seconde avant que Paillette ne relève soudainement la tête, le galion oublié, aux aguets.

Il avait choisi ce coin du parc parce qu'il était relativement reculé et que, généralement, les réfugiés ne poussaient pas jusque là. Ses amis, oui, parfois, mais il n'avait croisé qu'Hermione et Ron, plus tôt. Et encore parce qu'il avait fait l'effort de les chercher pour leur présenter Paillette.

Harry ramassa le bébé niffleur sans hésiter, le calant sur son épaule mais sous son tee-shirt où il serait davantage à l'abri. Dans un deuxième temps seulement, il se mit sur ses pieds et sortit sa baguette, laissant son regard parcourir les arbustes et les troncs d'arbres…

L'impression d'être observé s'accentua.

« Hominum Revelio. » murmura-t-il.

Le sortilège ne fonctionna pas. À l'extérieur, dans une zone indéfinie, c'était toujours compliqué.

Il sentit le mouvement brusque dans son dos, pivota tout en se jetant hors du chemin de son attaquant et se retrouva accroupi dans une position de combat, ignorant les griffes de Paillette qui lui déchiraient la peau pour ne pas tomber. Le premier sort qu'il jeta fut défensif, le bouclier suffisamment fort pour miroiter sous la frondaison des arbres centenaires, le second fit couiner le chien qui s'assit, la queue et les oreilles basses.

L'adrénaline mit quelques secondes à se dissiper et il lui fallut un moment pour comprendre que personne n'avait tenté de l'assassiner.

Patmol reprit forme humaine, agitant la main là où Harry l'avait touché à la patte.

« Pas mal. » décréta Sirius. « Mieux que la moitié de mes recrues. »

Lentement, le garçon se détendit. « Tu m'as fait peur. »

« C'était un peu le but. » admit son parrain, en enfonçant les mains dans les poches de son jean avec une grimace d'excuse. « J'aimerais bien que tu reprennes les entraînements, Harry. »

Severus aussi insistait beaucoup avec ça. Même Tonks avait fait deux ou trois allusions, allant jusqu'à lui proposer une session de duel une fois qu'elle serait complètement remise de sa dernière mésaventure.

Il était un peu curieux de se battre contre Tonks, de ce qu'il pourrait en retirer et de ce qu'elle pourrait lui apprendre.

Mais pas assez curieux pour passer au-delà de ce rejet instinctif. Parce que quand il se laissait aller au rythme du duel, il oubliait. Comme l'autre jour, quand il avait assisté Sirius durant ses cours… Il oubliait. Et lorsqu'il se souvenait, il avait l'impression d'avoir la bouche pleine de sang, de viande.

Et si ce n'était que ça, mais…

MacNair était mort.

Il l'avait tué.

Il ne se passait pas une nuit sans qu'il ne se réveille en sursaut. Plusieurs fois. L'Occlumencie avait apaisé ses cauchemars au début de l'année mais contre ça, elle ne servait à rien. La culpabilité, l'horreur… Il la revivait toutes les nuits.

Et Severus avec lui parce que son père refusait d'entendre parler de sorts de silence et s'il lui arrivait, parfois, quand Harry était trop épuisé – ou quand lui était trop épuisé de se lever sans arrêt – de lui donner quelques gouttes de potion de Sommeil-sans-rêves, il avait trop peur que l'adolescent y devienne accro pour en faire une habitude. Pourtant, l'homme venait chaque nuit, à chaque cauchemar, inlassablement. Et il répétait inlassablement les mêmes choses.

Que ce n'était pas sa faute.

Qu'il allait s'en remettre.

Que, oui, c'était difficile mais qu'il fallait avancer.

Des mensonges auxquels il ne croyait pas vraiment.

Alors non, Harry ne voulait plus se battre.

Même pas pour de faux.

« Qu'est-ce que c'est ça ? » demanda soudain Sirius, l'air amusé, en pointant du doigt la tête de Paillette qui venait de sortir du col d'Harry.

Par réflexe, l'adolescent caressa le bébé niffleur, l'encourageant à quitter sa cachette à présent que le danger était écarté.

« Paillette. » répondit-il fièrement. « Severus a dit que je pouvais le garder. »

Son parrain l'observa un moment, observa la boule de poil et réprima avec difficulté visible un éclat de rire. Heureusement, il ne fit aucun commentaire sur la générosité soudaine de son père.

Harry n'était pas tout à fait dupe des manœuvres de Sev et se doutait qu'il comptait utiliser Paillette comme un argument supplémentaire pour le pousser à vouloir rester en vie le plus longtemps possible, quitte à utiliser des extrêmes dont il ne voulait pas. Il avait feint de ne pas comprendre. Déjà parce que ses menaces de mettre le niffleur à la porte s'il mourrait, il n'y croyait pas vraiment. Ensuite, parce qu'il prendrait ses dispositions pour que Paillette ait un endroit où aller si… quand le pire arriverait. Hagrid le reprendrait. Ou Ron.

Délaissant le sujet de son niffleur, Sirius se racla la gorge. « Tu veux faire un tour ? Il faut que je te parle… »

Ça n'augurait jamais rien de bon.

Il acquiesça pourtant, dissimulant son appréhension derrière un mur de flamme dans son esprit. Cela avait-il un rapport avec le tableau noir couvert de l'écriture maladroite de Tonks ? Il l'avait croisée lorsqu'elle était revenue dans les cachots pour prendre une douche et se changer, plus tôt, ce matin-là.

C'était elle qui lui avait dit que Mrs Malfoy avait accouché d'un garçon et qu'elle avait accepté d'être sa marraine.

Mais c'était Hermione qui lui avait rabattu les oreilles du bébé au point qu'il avait fui, un peu agacé parce que, lui, il avait voulu présenter Paillette à ses meilleurs amis et qu'il n'avait pas trouvé qu'ils s'extasiaient assez sur lui.

Il chassa ces souvenirs, les rangeant dans un coin de sa tête pour mieux se concentrer. Sirius avait l'air un peu gêné, trop sérieux. Tonks travaillait sur les horcruxes, en avait-elle trouvé un ? Mais pourquoi serait-ce Sirius qui le lui annoncerait et pas elle ou Severus ? Techniquement, c'était censé être une bonne chose. Techniquement.

Lorsqu'ils arrivèrent en vue de la berge du lac, Sirius décida visiblement que c'était un bon endroit pour s'arrêter et s'assit par terre. Harry l'imita, posant Paillette au sol, après avoir vérifié qu'il n'y avait aucun danger alentour. Il recouvrit un faux galion de terre sablonneuse et le laissa tenter de le récupérer pour l'occuper.

Sirius se racla la gorge et se tourna un peu vers lui pour pouvoir le regarder en face. « Tu sais que Cissy a eu son bébé ? »

Dur de ne pas le savoir quand tout le monde ne semblait parler que de ça avec des paillettes dans les yeux.

« Oui. » répondit-il, en s'efforçant de faire preuve d'enthousiasme. « Elle va bien ? »

« Oui, oui… » offrit son parrain avec un grand sourire. « Ils vont bien tous les deux. Draco est complètement gâteux. »

Il pouvait l'imaginer sans peine.

Pour un fils à papa trop orgueilleux, Draco avait semblé extrêmement emballé par la perspective d'un jeune frère ou sœur. C'était un garçon avait dit Tonks. Orion avait dit Hermione.

Harry avait senti le traquenard dès qu'il avait entendu le prénom.

Et il n'avait déjà pas été ravi d'apprendre que Tonks était sa marraine, même s'il n'en avait rien laissé paraître.

Ce n'était pas juste, bien sûr.

Orion n'était qu'un bébé sans défense, tout comme Paillette.

Et ce n'était pas comme si on allait lui prendre Tonks. Elle vivait toujours avec eux. Orion serait peut-être son filleul mais lui il était son… Son quelque chose. Et le bébé méritait d'avoir quelqu'un comme elle pour veiller sur lui. Elle serait une fantastique marraine, il en était certain.

Cette contrariété qu'il n'arrivait pas tout à fait à occluder était stupide.

« Le truc, Harry… » hésita Sirius, en l'étudiant à la dérobée, comme s'il craignait que l'adolescent ne s'enfuit en courant. « C'est que… Euh… Narcissa m'a demandé… Elle m'a proposé d'être le parrain. »

Et voilà, c'était dit.

Ses traits s'étirèrent en une expression polie et vaguement intéressée tandis qu'il renforçait le brasier qui protégeait son esprit et reculait loin, loin derrière ses marécages. C'était mieux que de laisser la contrariété devenir colère et le prendre à la gorge. Mieux que d'éprouver la morsure de la jalousie dans son ventre.

Parce que c'était ridicule.

Il savait que c'était ridicule.

Tout était pour le mieux, au final.

Sirius aurait un autre filleul et…

« Ça ne change rien. » déclara rapidement son parrain, en posant une main sur son bras. « Tu le sais, n'est-ce pas ? »

« Bien sûr. » répondit-il, s'assurant de garder un ton égal.

Ce n'était probablement pas très convainquant parce que l'Animagus fit la grimace. « C'est totalement différent. Ce qu'on a tous les deux… Je compte bien être dans la vie d'Orion et m'impliquer mais c'est totalement différent de notre relation à nous. Je… Tu sais que je te considère comme… J'aurais fait un très mauvais père, on le sait tous les deux, mais ça n'empêche pas que tu es ce que j'ai de plus proche d'un fils. »

Les mots apaisèrent un peu la brûlure dans son ventre et il relâcha légèrement ses boucliers.

« Et je n'en voudrais aucun autre. » insista Sirius. « S'il t'arrivait quelque chose… Je ne m'en remettrais pas. »

Ce n'étaient que des mots.

Des mots qu'employaient souvent Severus.

Mais l'humain était plus tenace que ça, il en était persuadé.

Sirius avait survécu à la mort de James. Il survivrait à la sienne.

Et il aurait des raisons de le faire, des gens pour se soucier de le sortir du chagrin, ce qui était encore mieux.

Vraiment, c'était égoïste de la part d'Harry d'en vouloir à ce bébé de lui prendre des morceaux d'une chose qu'il ne pourrait, de toute manière, pas garder longtemps. Orion lui rendait service au fond. Un bébé, c'était sans défense. Les gens faisaient des efforts pour les protéger, pour passer au-dessus de leurs problèmes et de leur chagrin parce qu'il fallait bien s'en occuper…

« Il est mignon ? » demanda-t-il, pour faire la conversation.

Hermione lui avait déjà décrit le nourrisson sous toutes les coutures. Même Ron avait semblé désespéré de s'enfuir de là.

Il laissa Sirius déblatérer, n'intervenant que de temps en temps pour maintenir la conversation, n'écoutant que d'une oreille, surveillant distraitement Paillette… Progressivement, il relâcha de plus en plus sa prise sur ses boucliers jusqu'à être un peu plus présent.

Il ressentait toujours cette pointe de contrariété et si la jalousie s'était apaisée, elle n'avait pas disparu. Mais elle se teintait un peu de tristesse.

Ce n'était pas tant de Sirius ou de Tonks qu'il était jaloux mais de la vie qui s'ouvrait en grand devant ce bébé alors que la sienne arrivait à son terme.

Une dernière fois, alors qu'ils se séparaient aux abords du château, Harry promit à Sirius que ça ne le dérangeait pas qu'il ait un deuxième filleul. Il dut être convaincant, cette fois-ci, parce que son parrain lui sourit et l'étreignit brièvement. Le garçon lui rendit son étreinte, peut-être avec un peu trop de désespoir.

Tout lui glissait entre les mains.

Et s'il était en paix avec l'idée de partir, l'attente qui ne se terminait pas rendait la chose difficile à supporter.

Il rentra à la maison, lançant un salut que personne ne lui rendit. Tonks avait dû retourner au bureau et Severus… Il repéra la porte ouverte qui menait au laboratoire, n'hésita qu'un instant avant de déposer Paillette dans sa chambre… Le niffleur ronflait tout son saoul, épuisé par les jeux, et il fallait bien le laisser seul de temps en temps…

Le passage qui menait au laboratoire était glissant et, plusieurs fois, il manqua de trébucher. La luminosité n'était pas excellente non plus et il se guida à l'aide de sa main sur le mur… Les pierres suintaient d'humidité et il dut se forcer à respirer profondément pour ne pas céder à la panique que sa claustrophobie irrégulière voulait déclencher.

Il n'eut même pas besoin de manipuler les protections lorsqu'il atteignit finalement la porte du laboratoire, elles s'effacèrent pour lui. La magie de Severus caressant la sienne avec une affection paternelle qu'il ressentit jusque dans ses os.

Ça contribua à le détendre.

Il passa la tête en premier, juste au cas où il aurait interrompu une session de travail avec Slughorn, mais Severus était seul derrière la table de travail.

« Je te dérange ? » demanda tout de même Harry.

« Non, je réfléchissais… » répondit Severus, sans se retourner. « Toutefois, sache que si tu emmènes un niffleur dans mon laboratoire, il finira dans un chaudron. »

Parce que l'homme lui tournait le dos, le garçon leva les yeux au ciel. « Je l'ai laissé à la maison. Il dort. »

Son père lui jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et lui fit signe d'approcher. Il était en train de couper – ou de charcuter, plutôt – des racines de la main gauche.

« Tu veux de l'aide ? » proposa-t-il aussitôt.

C'était rare de trouver Severus devant un chaudron désormais.

Harry pouvait comprendre, d'une certaine manière. S'il n'avait plus été capable que de voler à basse altitude et à une allure limitée, il n'aurait peut-être plus jamais voulu remonter sur un balai.

Preuve que sa théorie était la bonne et que les humains survivaient vraiment à tout, cependant, le Maître des Potions paraissait déterminé à trouver un moyen de contourner son handicap. Que sa main gauche soit plus stable depuis le retrait de la Marque était un miracle inespéré pour lui.

« Occupe toi de peler les bulbes. » exigea Severus, en désignant un bol plein de sphères brunâtres. « C'est encore au-dessus de mes compétences. »

L'adolescent jeta un coup d'œil aux racines qu'il s'appliquait à trancher. C'était dur de le voir faire autant d'efforts alors qu'il se souvenait encore de la vitesse et de la précision avec laquelle l'homme avait manié le couteau auparavant. La lame allait si vite qu'Harry pouvait à peine la suivre du regard. Désormais, elle était lente et maladroite.

Mais toujours moins lente et maladroite que quelques semaines plus tôt.

« Qu'est-ce que tu prépares ? » s'enquit-il curieusement, en attrapant un tabouret pour s'installer dans un coin. Il sélectionna un couteau qui lui semblait approprié dans la collection de son père et se mit au travail.

« Tu as tous les ingrédients sous les yeux. » remarqua Severus. « À toi de me le dire. »

Il étudia les diverses jarres, assiettes et bols organisés devant le Maître des Potions selon un ordre qu'il savait précis parce que Severus n'était rien si ce n'était méthodique.

« Un baume antidouleur ? » décida-t-il, sans pourtant reconnaître cette variation-ci.

« Est-ce une question ou une affirmation ? » rétorqua le Professeur, d'un ton neutre.

Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas eu un échange comme ça. Au lieu de lui rappeler que c'était l'été et que l'école était finie, Harry se prit à sourire. « Une affirmation. »

Il fut récompensé d'un hochement de tête. « Un baume antidouleur de ma création. Du moins, si je parviens à un résultat semi-correct. »

« Pour l'épaule de Dora ? » devina-t-il, en pelant soigneusement le bulbe entre ses doigts.

« En partie. » soupira son père. « Mes réserves personnelles sont dangereusement basses en tout. »

« Il n'y a plus beaucoup de potions calmantes. » remarqua-t-il, l'air de rien.

Cela lui valut tout de même un coup d'œil acéré. « Déjà ? Slughorn m'a fait passer un chaudron, il y a deux semaines à peine. »

« Il n'y a pas que moi qui m'en sert. » se défendit-il, gardant les yeux rivés sur le couteau. Il ne savait pas si c'était son père ou Dora qui puisait aussi dans la réserve. Il soupçonnait la jeune femme. « Et ce n'est pas une potion qui provoque une dépendance. »

« Toutes les dépendances ne sont pas physiques mais soit. » marmonna Severus. « Je verrais avec Draco ou Granger s'ils peuvent en préparer davantage. »

La mention de Draco était une transition toute trouvée pour aborder le sujet d'Orion qui paraissait déterminé, à peine né, à lui voler tous les adultes de sa vie. Elle était, d'ailleurs, un peu trop évidente.

Harry évita de tomber dans le panneau.

Parfois, Severus oubliait que lui aussi était un Serpentard désormais.

Ils travaillèrent en silence un moment. De temps en temps, son père abandonnait ses racines pour aller gribouiller dans un carnet posé sur l'autre table de travail – celle qui accueillait les recherches de la potion pour les loups-garous.

« Le prototype ne marche pas ? » demanda-t-il curieusement, après le deuxième de ces allers-retours. Il n'était pas censé poser la question, c'était un secret d'état à ce stade. Il n'était pas non plus censé savoir qu'il y avait un prototype, cela dit. Ce n'était pas sa faute si lui et Dora en parlaient devant lui ou là où il pouvait les entendre. Si Severus avait véritablement voulu le lui cacher, il aurait fait plus d'efforts.

« Le prototype, si. » répondit le Maître des Potions distraitement, en reprenant son couteau. « Nous avons du mal à stabiliser la transformation. La durée semble aléatoire malgré tous mes calculs. Mais nous touchons au but. Il suffit juste que je comprenne ce qui ne fonctionne pas… »

D'où la raison pour laquelle il s'échinait à tenter de préparer autre chose. Pour s'occuper les mains et laisser son esprit vagabonder.

Sev avait fait ça souvent en soixante-quinze.

Harry le laissa à sa réflexion durant plusieurs minutes, du moins jusqu'à ce que son père lui jette un regard amusé.

Avec un temps de retard, il s'aperçut qu'il fredonnait une des chansons que Dora passait régulièrement sur son tourne-disque. Rougissant légèrement, il fit la grimace. « Désolé. »

Severus balaya ses excuses d'un geste.

Il fallait dire que la maison était rarement silencieuse depuis l'emménagement de la jeune femme. Elle aimait la musique et Harry avait découvert, un peu stupéfait, que Severus s'y connaissait assez bien lui aussi. Les entendre débattre de ce qui était vraiment du rock et de ce qui ne l'était pas – tout groupe sorcier, apparemment, selon lui – était divertissant. Leurs chamailleries étaient bon enfant.

Malgré les moments de tension parfois, les choses paraissaient assez simples entre eux. Évidentes. Un peu comme cela avait été entre Mr et Mrs Weasley. Ils avaient développé un don pour communiquer sans rien dire.

Parfois, non pas qu'il était prêt à l'admettre, Harry se plaisait à imaginer comment cela aurait été de grandir avec eux. Pas de placard, pas de dessins jetés à la poubelle, pas de rejet pour avoir demandé un câlin…

« Tu veux des enfants ? » s'entendit-il demander, avant d'avoir pu mesurer la portée de la question.

Severus lâcha un rare juron et, lorsque le garçon tourna des yeux alarmés vers lui, il vit que l'homme s'était coupé. Avant qu'il n'ait pu paniquer, le Maître des Potions avait sorti sa baguette et, après un instant de concentration, refermé la plaie. Il nettoya le couteau d'un sort puis le stérilisa d'un autre et mis à l'écart les bouts de racine sur lesquelles son sang avait goutté parce qu'elles étaient désormais inutilisables.

« J'ai déjà un enfant. » répondit calmement le Professeur. Trop calmement.

Son expression était trop lisse également.

Il faillit lâcher l'affaire. Que son père ait recours à l'Occlumencie était un avertissement en soi. Pourtant, Harry n'avait jamais su quand faire preuve de prudence alors il insista. « Un vrai, je veux dire. »

Les yeux noirs se posèrent sur lui, un peu moqueurs. « Es-tu fait de bois, Pinocchio ? »

Ça lui arracha un rire mais cela ne fut pas assez pour détourner sa curiosité, pas à présent qu'il était parvenu tout seul à la piquer. « Je veux dire un à toi. »

« Tu es à moi. » contra Severus, sans se départir de son flegme étudié.

« Ce n'est pas ce que je veux dire… » soupira-t-il.

« Je sais ce que tu veux dire. » admit son père. « Ma réponse reste la même : j'ai déjà un enfant. »

« Mais pas Tonks. » remarqua-t-il, en attrapant le dernier bulbe qui restait dans le pot.

Le Maître des Potions resta silencieux un moment puis émit un bruit pensif. « Elle n'aurait peut-être pas le même avis que toi sur la question. »

Il rougit un peu à nouveau. À moitié gêné et à moitié heureux de cette remarque.

« Cette conversation n'aurait rien à voir avec une certaine naissance, par hasard ? » s'enquit Severus.

Il n'avait fait aucun geste pour recommencer à couper ses racines.

Harry haussa les épaules. « Peut-être. C'est juste que… »

Sa phrase resta en suspens.

« Que ? » pressa l'homme.

Le bulbe était aussi pelé qu'il pouvait l'être et, à court d'excuses, il leva le regard vers son père. « Que ce serait dommage que vous n'ayez pas d'enfants, tous les deux. Parce que… Parce que vous seriez vraiment de bons parents. C'est juste une idée. Comme ça. »

« Juste une idée. Comme ça. » singea le Directeur de Serpentard, absolument pas dupe. « Et où serais-tu dans ce scénario où nous jouerions la comédie de la parfaite famille heureuse ? »

Il ne voulait pas mentir.

Mais Severus ne voulait pas entendre la vérité.

« Tu me suffit amplement. » asséna son père. « Ôte-toi immédiatement de la tête que je pourrais te remplacer, particulièrement par une chose aussi atrocement incommodante qu'un nouveau-né. » Ses yeux se plissèrent légèrement. « Je présume que Sirius t'a expliqué qu'il a fait le choix douteux d'accepter d'être le parrain de ce bébé… »

« Ce n'est pas un choix douteux. » protesta-t-il immédiatement. « Sirius est un bon parrain. Orion a de la chance. »

Severus lâcha un bruit extrêmement dubitatif. « Peut-être. Mais cela ne signifie pas qu'il n'est plus ton parrain. On ne remplace pas un enfant par un autre, Harry. Pas plus qu'on ne remplace un parent par un autre. Ai-je pris la place de James ? »

Le garçon déglutit. « C'est différent. Je ne les ai jamais connus. Pas… Pas en tant que parents, du moins. Ce… »

« Ai-je pris la place de James ? » réitéra l'homme, un peu plus sévèrement.

Harry hésita, sachant ce qu'il voulait entendre, sachant aussi que sa réponse n'allait pas lui plaire.

« Non. » avoua-t-il. « Mais, même si c'est horrible à dire, je t'aime plus que je ne l'aime lui. Il est abstrait; toi, tu es concret. » Il haussa les épaules. « Je n'ai eu qu'un seul père dans ma vie. Enfin… Un seul dont je me souvienne. »

Il n'osa pas vraiment regarder Severus après cette déclaration. Mais, lorsque l'homme reprit la parole, sa voix était légèrement étranglée sous le coup de l'émotion.

« Ce n'était peut-être pas le meilleur exemple. » admit le Maître des Potions. « Surtout après soixante-quinze. Néanmoins… »

« Je ne dis pas que tu dois me remplacer. » le coupa-t-il, toujours sans le regarder. « Je dis juste… Je dis juste que je ne serais pas contre avoir un petit frère ou une petite sœur, un jour. Même si… » Il ne termina pas cette phrase là. Même si je ne suis plus là pour le voir. Severus ne voulait pas le savoir. « Même si c'est dans quelques années. »

Il aimait l'idée, se rendit-il compte.

Loin d'éprouver la contrariété et la jalousie qu'il avait ressenties à propos d'Orion qui lui aurait emprunté Tonks et Sirius, l'idée d'un petit frère ou d'une petite sœur qui naîtrait après qu'il soit parti… Ce serait différent. Ce serait… juste. Et, ainsi, même si sa mort brisait momentanément le cœur de Severus…

On ne remplaçait pas un enfant, soit… Mais peut-être que ça pouvait recoller un cœur brisé ?

Lentement, il tourna le sceau des Prince jusqu'à le faire glisser jusqu'à la première phalange.

Il aimait même l'idée qu'un autre adolescent porte un jour cette bague. Ce serait un peu comme si lui la lui avait donnée. Ce serait un peu comme si…

Il ne bougea pas lorsque son père vint se tenir à côté de lui, ne résista pas quand il l'obligea à croiser son regard d'une légère poussée sous le menton.

« Tu es mon fils. » déclara Severus, avec une intensité qui frôlait la panique. « Tu es ma priorité. Mon unique priorité. Tu me suffis. Tu me combles. » Le Maître des Potions posa sa main droite sur son épaule et serra. La poigne n'était plus aussi ferme qu'autrefois. « Arrête de chercher à me consoler avant l'heure parce qu'il n'y aura aucune raison de me consoler. Je te sauverai. »

« Papa… » souffla-t-il, las de ce jeu de faux-semblants et de faux espoirs.

« Je te sauverai. » siffla Severus avec ferveur.

Protester n'aurait servi à rien.

Alors il se força à sourire, occludant le reste.

« D'accord. » acquiesça-t-il, modelant sa voix jusqu'à ce qu'elle se fasse plus légère. « Mais n'empêche… Ça ne te tente pas ? »

« La seule chose qui me tente, à cet instant précis, c'est une tasse de thé et d'échapper à cette conversation. » gronda Severus, après avoir fouillé son regard un long moment. Il semblait relativement satisfait de ce qu'il y avait lu.

De la résignation, un vague espoir…

Autant d'émotions fabriquées projetées à l'avant de son esprit.

Harry avait appris à copier quelques unes de ses techniques, après tout. L'ancien espion ne s'attendait tout simplement pas à ce qu'il les retourne contre lui.

Le garçon s'efforça de garder la conversation plaisante, loin de la guerre ou du futur.

Loin des horcruxes et du compte à rebours.

°O°O°O°O°

Les draps glissèrent sur la peau pâle de Nyssandra lorsqu'elle s'étira et le regard intéressé de Sirius suivit la chute du tissu alors qu'il caressait une hanche puis la courbe d'une cuisse…

Il l'avait réveillée en affirmant qu'il ne pourrait plus jamais toucher une femme.

Elle s'était fait un devoir de lui prouver le contraire.

Sur le ventre, les deux bras passés sous l'oreiller, elle tourna la tête pour le regarder lorsqu'il laissa courir ses doigts à l'endroit que le drap venait de dénuder, le poussant davantage… Le sourire sur les lèvres de la vampire était mutin, la lueur dans ses yeux était affamée… Sirius se sentit sourire en réponse, remplaçant ses doigts par ses lèvres…

Il ne fut pas surpris qu'elle roule sur le dos.

Le traumatisme que lui avait imposé Narcissa fut oublié dans la seconde, chassé par un instinct beaucoup plus primaire et une faim insatiable.

Plus tard, alors qu'il sommeillait, la tête posée sur son ventre, ses yeux se fermant lentement sous l'effet de ses longs doigts courant dans ses cheveux, les mots lui échappèrent.

« Je donnerais ma vie pour n'importe lequel d'entre eux. D'entre vous. » murmura-t-il. Pas juste ses filleuls mais sa famille recollée à partir des fragments de l'ancienne. Et, ne lui en déplaise… Il sacrifierait toujours probablement sa vie pour celle de Remus.

Il avait fait le choix de rompre les liens mais…

Mais une part de lui appartiendrait toujours aux Maraudeurs.

« Ne me dis pas des choses comme ça avant le petit-déjeuner. » râla Nyssa. « Ça me donne envie de chasser et pas la version de la chasse que tu préfères. »

Il tourna la tête juste assez pour déposer un baiser sur son abdomen. « C'est juste que… À quel moment on commence à envisager un plan B ? »

« Un plan B ? » releva-t-elle, sa main s'immobilisant dans ses cheveux.

Il retraça du regard le mobilier de la toute petite chambre, ses murs en pierre…

« On est dans l'œil du cyclone. » lâcha-t-il. « Et je suis l'optimiste du groupe, je sais, mais… Il y a un bébé à protéger maintenant. Cissy est beaucoup de choses mais je ne suis pas sûr qu'elle soit une combattante hors pair. Andy est une maestro des sorts de soin mais pas des sorts d'attaque. Ted se défend mais mets-le contre Bella et elle en fera des brochettes. Tonks et Severus finiront par se faire tuer par pur héroïsme. Draco a déjà trop traversé pour qu'on lui en demande plus. Luna… Je ne sais pas trop comment je me suis retrouvée responsable d'elle mais elle n'a rien à faire sur un champ de bataille. Et Harry… » Sa voix se serra. « On est dans l'œil du cyclone, Nyssa, mais les cyclones, ça finit toujours par bouger. »

« Tu veux fuir ? » demanda-t-elle.

Aucun jugement dans sa voix, juste un pragmatisme presque détaché.

Fuir…

Ce n'était pas son genre de fuir.

Non, il ne voulait pas fuir.

Il voulait se battre, quitte à mourir baguette à la main.

Mais il n'était plus seul, à présent.

Ce n'était plus comme dans les années soixante-dix ou quatre-vingt quand il n'avait eu qu'à se soucier de lui-même.

« On n'a pas assez de troupes. » avoua-t-il. « On n'a pas assez d'espoir. S'ils attaquent à nouveau… Les protections tiendront un moment mais elles finiront par céder. Combien de temps avant que Vol… Tu-sais-qui se lasse de ce petit jeu de chat et de la souris ? » Il déglutit, étudiant plusieurs scénarios. « Le Square Grimmaurd serait une option mais le Fidelitas… Narcissa, Draco et le bébé ne pourront pas y accéder. Il y a le Manoir Malfoy mais combien de temps tiendront-ils, là bas ? On pourrait les faire passer à l'étranger mais je ne donne pas une semaine à Bella pour les traquer à travers son sang et… »

« Sirius. » l'interrompit-elle, la voix si basse que ça en était presque un ronronnement apaisant.

« Je sais. » soupira-t-il, en fermant les yeux. Il tourna légèrement la tête, pressant le visage contre son ventre. « Je sais. »

« Je devrais peut-être retourner dans mon essaim. » offrit-elle. « J'y pense depuis un moment. »

Il se figea. « Tu veux partir ? »

« Momentanément. » s'empressa-t-elle de clarifier. « Notre reine ne changera pas d'avis mais peut-être… Peut-être que je peux convaincre Nicolas et quelques autres de venir nous aider. »

Il leva la tête, cherchant son regard. « Nicolas… C'est celui qui t'a transformée. »

« Qui m'a sauvée. » corrigea-t-elle doucement, avec une certaine réserve. « Ne sois pas jaloux. »

C'était dur de ne pas être jaloux de tout un pan de sa vie auquel il n'avait pas accès. Il se concentra pourtant sur l'essentiel. « Tu penses pouvoir rallier d'autres vampires ? »

« Honnêtement ? » demanda-t-elle. « Probablement pas. Les sorciers nous ont rejetés. Peu d'entre nous sommes prêts à risquer nos vies pour eux. Mais ça me donnerait l'impression de faire quelque chose de concret. Davantage que de patrouiller la Forêt toutes les nuits. »

« Je pourrais venir avec toi. » hésita-t-il.

Elle caressa sa joue du revers de la main. « Ce serait mieux que j'y aille seule. »

La perspective de la voir partir…

« Ce ne serait que quelques nuits. » promit-elle. « Et puis, ce n'est qu'une idée. Il faut que Dumbledore approuve. Ou Snape, je suppose. »

« Severus ne dira pas non si on peut gagner quelques combattants. » répondit-il. « Et Dumbledore non plus. »

« Ce ne sera pas pour toujours. » insista-t-elle. « Juste quelques nuits. »

Il savait qu'il était censé sourire et acquiescer, principalement parce que l'avenir sur lequel ils s'étaient mis d'accord serait composé de ces petites absences. Pourtant, en plein milieu de cette guerre…

La journée avait été très longue et trop riche en rebondissements émotionnels.

Ce fut son excuse pour l'embrasser avidement, comme s'il était sur le point de la perdre.

°O°O°O°O°

Parce que Sirius avait été extrêmement en retard pour dîner, ils en étaient toujours au dessert lorsque Bill et Albus se présentèrent à sa porte.

Ils étaient loin du conseil de guerre organisé que Severus avait imaginé, songea-t-il, en observant Albus s'extasier sur la part de brioche que lui avait servie Harry – et qu'il avait faite lui-même. Le garçon rougissait sous les compliments pourtant sincères mais paraissait relativement content. Davantage, qu'il ne l'avait été dans le laboratoire. Davantage que son parrain qui s'était contenté de remuer la nourriture dans son assiette sans décrocher un mot de toute la soirée.

Lorsqu'ils passèrent tous au salon pour enfin attaquer la question des horcruxes, l'ancien espion attrapa la manche de l'Animagus et le retint dans la cuisine. Albus fut le seul à le remarquer mais ne fit aucun commentaire, se contentant de poursuivre sa conversation avec Bill. Nymphadora et Harry parlaient de Paillette que le garçon avait dûment exhibé à leurs visiteurs avec la même fierté que Narcissa mettait probablement à présenter son nourrisson. Là encore, le Directeur y avait répondu avec la même affabilité qu'il aurait mis à complimenter un véritable bébé.

« Que se passe-t-il ? » demanda-t-il.

Les épaules de Sirius s'affaissèrent et il se frotta le visage. « Rien. »

Il fronça les sourcils. « Tu es à peu près aussi convainquant qu'Harry lorsqu'il essaye de me faire croire que tout va bien. »

« Oui, mais je ne suis pas ton fils. » rétorqua son ami. « Alors, laisse-moi tranquille. »

« Laisse-moi deviner… » railla-t-il, vexé. « Soit Lupin a, à nouveau, pointé le bout de sa truffe, soit ta vampire t'a encore… »

« Severus. » coupa l'autre sorcier, un peu sèchement. « Ne me cherche pas, ce soir. »

Ce fut la touche de supplique dans sa voix qui convainquit le Maître des Potions d'obtempérer. Néanmoins…

« Tant que tu es certain que tu vas bien. » marmonna-t-il, gêné.

Sirius lâcha un bruit amusé, lui claqua l'épaule avec une affection brutale et le poussa vers le salon. « Allons écouter la théorie géniale de ta femme. »

Severus jeta un regard alarmé dans le couloir, soulagé de le trouver vide et d'entendre les voix dans le salon qui auraient couvert celle de l'Animagus.

« Cesse de l'appeler ainsi. » siffla-t-il.

« Passe-lui une bague au doigt et ça réglera le problème. » riposta Sirius, en agitant les sourcils de manière ridicule.

« Est-ce Lord Black qui parle ? » se moqua-t-il.

Ce coup-ci, l'expression de son ami se fit un petit peu plus sérieuse. « Peut-être. »

Le Maître des Potions leva les yeux au ciel. « C'est une obsession, décidément. »

Refusant de continuer cette conversation qui ne regardait que lui et Nymphadora mais qui paraissait intéresser tout le monde dernièrement, même leurs ennemis, il ouvrit la voie vers le salon. La jeune femme avait tiré le tableau du coin de la pièce jusqu'à devant la cheminée.

Plus tôt, pendant qu'ils attendaient Sirius, elle avait passé un moment à réécrire de la main droite tout ce qu'elle avait gribouillé la veille de la main gauche et, de fait, le tableau était plus lisible. Mais, à première vue, Severus ne remarquait toujours aucun nouvel élément.

Quelqu'un – Harry probablement – avait demandé un plateau aux cuisines et Albus était joyeusement en train de servir du thé à chacun. Severus se demanda brièvement s'il s'ennuyait tellement dans sa tour d'ivoire qu'une réunion au sujet aussi glaçant pouvait faire office de divertissement.

« Tu veux que je reste ou que je parte ? » hésita Harry, en les rejoignant discrètement sur le seuil.

« Reste. » l'invita-t-il, en fronçant légèrement les sourcils. « T'ai-je jamais caché aucun des développements au sujet des horcruxes ? »

Il ne voulait pas qu'Harry risque sa vie pour aller les chercher ou les détruire. C'était totalement différent de lui refuser l'accès à des informations qui le concernaient en premier lieu.

Il plaça une main sur l'épaule d'Harry et le guida jusqu'à un fauteuil, non sans échanger un regard discret avec Sirius. L'Animagus semblait tout aussi perplexe de cette question étrange.

Pourtant, à la seconde où le garçon se recroquevilla dans son fauteuil, posant son niffleur sur ses genoux repliés pour mieux le caresser, Severus comprit qu'il ne souhaitait pas entendre. Parce qu'il était toujours persuadé que la destruction des horcruxes signifiait sa mort.

Albus et Bill partageaient le canapé, Sirius s'empara du dernier fauteuil autour de la table basse… Severus fut contraint de faire léviter celui plus abîmé et qui servait régulièrement de griffoir à Masque, qu'il avait poussé contre l'une des bibliothèques, des années plus tôt. Il utilisa sa baguette ce qui lui demanda un peu de concentration mais il fut satisfait du résultat. Le fauteuil se souleva et alla exactement où il le souhaitait sans percuter un mur ou le plafond.

Son contrôle grandissait jour après jour.

Nymphadora se tenait un peu nerveusement à côté du tableau, donnant presque l'impression d'une écolière sur le point de se lancer dans un exposé… Il chassa de sa tête les souvenirs d'elle durant ses classes d'A.S.P. faisant exactement cela. La majorité du temps, il parvenait à faire totalement abstraction des années qu'elle avait passées dans sa salle de classe. Cela lui paraissait avoir eu lieu des siècles auparavant. Mais, parfois, quelque chose rallumait un souvenir fugace et cela le mettait mal à l'aise, bien qu'il n'ait techniquement rien à se reprocher.

De fait, un sourire de sa part et il oublia volontiers cette réminiscence.

« Miss Tonks. » lança Albus, mettant fin aux quelques conversations qui subsistaient encore. « À quelle brillante déduction êtes-vous parvenue ? »

« Je ne sais pas si elle est brillante, Professeur. » se défendit-elle, immédiatement.

« Albus, j'insiste. » la corrigea poliment le vieux sorcier.

« Albus. » répéta-t-elle, avec une légère grimace, avant de chercher le regard de Severus qui l'encouragea d'un lever de sourcils. Elle se racla la gorge. « D'accord, très bien. Bon… Je suis toujours en train de rattraper tout le côté qu'est-ce qu'un horcruxe et comment le détruire… J'avoue que ce n'est pas vraiment mon domaine et que ça reste un peu flou pour moi. »

Bill se pencha un peu en avant, les mains jointes, les avant-bras posés sur ses cuisses. « Tu te souviens du jour où Sirius est tombé sous le coup du tabou ? Le miasme de magie noire que vous avez essayé de contenir, toi et Severus ? »

« Si on évoque les bons souvenirs, j'ai besoin d'un verre ou au moins d'une cigarette. » grommela Sirius, en tendant la main vers sa poche.

Severus se racla la gorge.

L'Animagus jeta un coup vers lui, tourna les yeux vers Harry, et laissa le paquet de cigarettes là où il était.

« C'est un peu comme ça. » continua Bill, imperturbable. « Mais en dix fois pire. »

« C'est comme affronter Tu-sais-qui. » lâcha Harry. « Sauf qu'il est dans ta tête. »

Un silence de plomb tomba sur le salon.

La description n'était pas loin de la manière dont Severus aurait décrit la chose mais, dans la bouche d'Harry, cela prenait une tournure plus… fatidique.

Nymphadora s'humecta les lèvres, baissa les yeux puis les reporta sur son tableau et reprit la parole, du ton assuré qu'il lui avait entendu à plus d'un des briefings avec ses Aurors, ces dernières semaines. « J'ai commencé à enquêter sur... Tom, il y a quelques temps. »

Elle s'arrêta quelques instants, comme pour vérifier qu'il n'y avait pas un tabou sur ce nom là et qu'elle n'allait pas être terrassée par une attaque de magie noire.

C'était imprudent.

« Je ne m'aventurerais pas à prononcer le nom de famille. » l'avertit Severus. « Surtout après l'article dans le Chicaneur. »

« Tom est un prénom trop banal pour être sujet à un tabou. » relativisa Bill. « Mais il serait effectivement préférable de s'en tenir à ça ou à Tu-sais-qui. »

Elle hocha la tête et continua. « Severus m'a demandé de me renseigner, il y a un moment, et j'avoue que j'ai creusé un peu plus ensuite parce que j'étais intriguée. »

« Tom peut être fascinant. » murmura Albus, pensivement. « C'est ainsi qu'il a amassé autant de disciples. »

« Je ne suis pas sûre qu'on parle du même genre de fascinant. » rétorqua la jeune femme, un peu railleuse. « Disons que, pour un Auror, c'est un peu un cas d'école. C'est un psychopathe, dans le sens le plus pur du terme. Quand on retrace sa vie depuis le début… Enfin, autant qu'on peut parce qu'il a pris soin d'effacer ses traces, ça devient évident. Et, le truc avec ce genre de personnalités, c'est qu'une fois qu'on a compris son fonctionnement, on commence à voir émerger des modèles comportementaux récurrents. Des schémas qui se répètent, si vous préférez. »

« Comme les multiples meurtres et disparitions inquiétantes qui jalonnent sa vie, j'imagine. » commenta le Directeur.

« Par exemple. » acquiesça-t-elle. « L'important, dans ce cas-ci, c'est que… C'est un mégalomane et narcissique, avec ça. Pourquoi est-ce qu'il a créé des horcruxes ? »

Severus restait attentif mais se fit vaguement la réflexion, au fond de son esprit, que s'il n'aimait pas le rappel qu'elle avait été son élève, le rôle de professeur lui allait plutôt bien.

« Parce qu'il craint la mort. » osa Harry, sans la regarder, en caressant Paillette.

« Tout le monde craint la mort, Harry. » contra-t-elle doucement. « De là à aller jusqu'à mettre son âme en pièces, il y a un gouffre. »

Lentement, le garçon leva les yeux vers elle. « Tout le monde ne craint pas la mort. »

« Eh bien, tout le monde devrait. » décréta Sirius, avec un regard lourd de sens pour son filleul. « Tu-sais-qui a fait des horcruxes parce que c'est un psychopathe, tu l'as dit toi-même. C'est vraiment important ? »

« Oui, c'est important si vous voulez comprendre mon raisonnement. » rétorqua-t-elle.

« Tom craint la mort, Harry a raison sur ce point. » intervint calmement Albus. « Néanmoins, cela dépasse une simple peur de l'au-delà. Il craint aussi l'oubli. S'il veut vivre pour toujours… »

« C'est parce que c'est un mégalo imbu de lui-même qui pense qu'il est unique au monde et que la Terre cesserait de tourner s'il disparaissait. » conclut Nymphadora. « Il a créé des horcruxes pour être certain de ne jamais mourir, oui. Mais il ne faut pas oublier cette dimension là. Il pense qu'il est probablement le sorcier le plus puissant depuis l'avènement de Merlin. »

« Et, à une exception près, il n'a pas tort. » murmura Severus, devenant le point de mire des regards. Il refusa de s'excuser pour cette opinion peut-être controversée. « Il est puissant. Et il est indéniable qu'il est brillant. Du moins, il l'était. »

Le Seigneur des Ténèbres était érudit dans de nombreux domaines. À l'époque, il n'était pas rare que les réunions de Mangemorts se terminent par des salons plus intellectuels. C'était en partie ce qui avait ferré Severus. Rares avaient été ceux qui pouvaient suivre sa rapidité de raisonnement mais le Seigneur des Ténèbres, lui…

« J'ose dire qu'il l'est toujours. » répondit Albus. « Mais les horcruxes lui ont coûté. »

« Séparer son âme rendrait fou n'importe qui. » confirma Bill. « Mais en huit… »

« Ses capacités mentales sont à priori intactes. » contra Severus. « Mais il est instable. »

« Il est cinglé. » traduisit Sirius, sans s'embarrasser d'y mettre les formes.

« Donc. » reprit fermement Nymphadora, avant que la conversation ne puisse se transformer en un débat sur la folie et ses limites. « Il veut s'assurer de vivre pour toujours mais il est aussi obsédé par lui-même et son héritage. Autant celui qui le précède que celui qu'il se crée. »

Elle tourna le regard vers le Directeur qui lui accorda l'argument d'un hochement de tête. « Oui, cela me semble une analyse fidèle. »

« Revenons à ces schémas qui se répètent… » exigea la jeune femme, en désignant d'un geste le tableau au milieu duquel une flèche retraçait la chronologie des horcruxes. « Si on lui demande, Vous-savez-qui dirait probablement qu'il a tout fait tout seul mais c'est faux. Pour tous les horcruxes qu'on a localisés, un Mangemort au moins était impliqué. » Elle désigna plusieurs parties du tableau. « Lucius Malfoy pour le journal intime. Regulus Black pour le médaillon. Et Yvain Sayre pour la bague. »

Elle tapota le nom qui avait fait froncer les sourcils de Severus lorsqu'il l'avait lu là pour la première fois.

« Qui ? » demanda Sirius, perplexe.

« Yvain… » répéta Harry, en même temps, en tournant les yeux vers le Maître des Potions. « Yvain comme le Yvain du cimetière ? Enfin… Du deuxième cimetière ? »

« Je pense, oui. » hésita Severus. « Il est mort avant que je ne rejoigne les Mangemorts. »

« Sayre… C'était une famille Sang-Pure, ça, non ? » renchérit Bill. « Je me rappelle avoir vu un blason quelque part… Mais il n'y a plus de membres en vie, si ? »

« Yvain était le dernier. » confirma Nymphadora.

Albus leva la main, ramenant de l'ordre dans le brouhaha qui s'était installé. S'il avait jusque-là eu l'air vaguement curieux, il était désormais tout entier concentré sur le tableau et sur la jeune femme.

« Je n'ai jamais relié Yvain Sayre à la bague. » déclara le vieux sorcier. « Comment… »

« Parce qu'il n'est pas relié à la bague, en soi. » le coupa l'Auror, visiblement un peu ravie de son effet. « Il est relié à la maison. »

« Le cottage des Gaunt ? » clarifia Severus.

« Les Gaunt dont les Sayre étaient la branche parente la plus proche. » déclara-t-elle, en haussant les épaules. « Cet Yvain fait partie des gens qui ont mystérieusement disparu après avoir approché Vous-savez-qui de trop près. »

« Mais je ne comprends pas quel est le lien avec la bague ? » insista Bill.

« Pas avec la bague. Avec le cottage. » corrigea Nymphadora, en massant distraitement son épaule blessée. « Elvis Gaunt avait déshérité sa fille et son fils est mort sans héritier direct. La propriété est passée aux Sayre qui s'en sont complètement désintéressés parce que… Eh bien, je suppose que c'est une ruine sans valeur. Du moins, pour eux. J'ai confirmé avec Gringotts, tout à l'heure, que le cottage appartient toujours officiellement à Yvain Sayre. Il a disparu mais il n'a jamais légalement été déclaré mort, faute de cadavre. »

« Il s'est servi de Sayre pour mettre la main sur le cottage. » déduisit Severus. « Ou, plus probablement, Sayre lui aura donné le cottage simplement pour lui plaire. Cela ne lui aurait rien coûté… La curiosité est cependant un vilain défaut et il se sera approché du secret de trop près. »

« Exactement. » confirma-t-elle.

« Tu-sais-qui avait encore la bague en soixante-quinze. » intervint Harry. « Rappelle-toi… »

« Oh, je ne suis pas près de l'oublier. » confirma-t-il.

« C'est vraiment important qu'il se soit servi de ce type ? » intervint Sirius pour la troisième fois.

« Deux fois, c'est une coïncidence. » lâcha Nymphadora. « Trois fois, c'est un modèle comportemental. »

« Admettons qu'il se soit servi d'Yvain et se soit débarrassé de lui pour une raison ou une autre… » remarqua Albus. « Et admettons qu'il se soit également servi de Regulus, ou, plus précisément de son elfe… La situation est différente dans le cas du carnet et de Lucius. »

« Vraiment ? » s'enquit-elle, d'un ton qui masquait mal son excitation. « Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi il aurait confié un horcruxe à Lucius ? »

« C'était un de ses plus fidèles serviteurs. » offrit Severus. « Un Mangemort du premier cercle. »

« Et ça justifie de lui donner une part de son âme, sans lui expliquer que c'est oh combien précieux ? » rétorqua-t-elle, en secouant la tête. « Savez-vous ce que les Malfoy ont de spécial ? »

« La consanguinité ? » proposa Harry distraitement, plus occupé par son niffleur que par la conversation. Il parut se rendre compte qu'il avait parlé à voix haute et grimaça. « Pardon. »

Severus lui jeta un regard sévère mais ne commenta pas.

Cela semblait inutile vu l'expression amusée qu'arborait son parrain et l'échange de sourires entre eux.

« Mis à part ça… » plaisanta Bill. « Ils ont aussi une collection d'artéfacts de magie noire inégalée. »

« Ils font partie des Vingt-huit Sacrés. » suggéra Albus.

Severus leva les yeux au ciel à la mention de ces vingt-huit familles Sang-Pures supposément authentiques. Le registre de ces familles était sujet à débat depuis sa publication dans les années trente.

« Il y a eu un Malfoy dans l'ombre du Ministre en place depuis la création du Ministère. » déclara-t-il.

Excepté le dernier, amenda-t-il silencieusement.

Dans l'ombre du dernier, il y avait un Snape – ou un Prince, selon les points de vue – et visiblement cela allait leur coûter l'appui des Langues-de-Plomb. L'ironie était à son comble.

« Tout ça est vrai. » répondit Nymphadora. « Ils ont aussi le domaine magique privé le plus ancien de tout le Royaume-Uni. »

Il fronça les sourcils. « En es-tu certaine ? »

« Tout droit du Moyen-âge. » confirma-t-elle. « Il y avait un château autrefois qui s'est transformé en Manoir au fil du temps, de la mode, et des goûts mais, si on en croit les livres d'architecture que j'ai consultés cet après-midi, on peut toujours trouver des ruines de l'ancien parapet autour du domaine. On peut demander à Draco ou Narcissa si c'est vrai. »

« Le domaine est vieux… Et après ? » demanda Sirius. « Nous aussi on avait un domaine à la campagne, à une époque. Des manoirs comme ça, des sièges familiaux, il y en a pas mal. Celui des Londubat… »

« N'est pas aussi vieux que celui des Malfoy. » le coupa-t-elle. « Tu écoutes ce que je dis ? C'est le plus vieux domaine magique privé du pays. Il n'a pas confié le journal intime à Lucius par favoritisme mais à cause du Manoir, pour qu'un bout de son âme y repose. Il y a un schéma. »

Elle tapa le tableau du plat de la main.

« Les lieux sont importants. » devina Severus, en étudiant sa chronologie avec une attention nouvelle. « Mais ça ne nous avance pas, nous savions déjà… »

« Non, Severus. » l'interrompit Albus, d'un ton presque émerveillé. « Elle a raison. Je ne l'avais pas vu ou, du moins, pas entièrement, mais elle a raison… »

Encouragée, elle s'expliqua. « Le cottage des Gaunt n'a rien d'impressionnant, c'est vrai, mais c'est le dernier endroit où ont vécu les héritiers de Salazar Serpentard. Théoriquement parlant, tout ce qui se rattache aux Fondateurs est considéré comme historique. Est-ce qu'on pourrait trouver un vieux château en ruine quelque part si on cherche bien ? Peut-être. Mais cet endroit- est lié à Vous-savez-qui, en prime. C'est… C'est la symbolique, vous voyez ? » Elle fit une pause, attendit des questions qui ne vinrent pas… « Le Manoir Malfoy aussi est symbolique. Parce que c'est peut-être moins connu que Poudlard ou Pré-au-Lard mais, qu'on le veuille ou non, c'est une part de l'héritage de la communauté magique. Quant à la caverne où vous avez trouvé le médaillon… »

« Elle ne suit pas le même schéma. » remarqua le Directeur. « Elle ne s'inscrit pas dans un lieu historique. »

« Ça dépend pour qui. » hésita-t-elle, en se tournant vers Severus. « Tu as lu les extraits des journaux de la directrice de l'orphelinat comme moi… »

« Ceux que tu trouvais pertinents. » nuança-t-il, peu sûr d'où elle voulait en venir. « Il était évident que la caverne était un lieu marquant dans la vie du Seigneur des Ténèbres, oui. À en croire ses journaux, il y a eu un avant et un après cette sortie sur la côte. »

« Exactement. » confirma-t-elle. « On passe de bizarreries et d'un comportement malsain à des agressions. On ne peut jamais prouver que c'est lui, d'accord, mais il y a eu un changement de comportement. »

« Une révélation. » commenta Albus.

« Et qu'y a-t-il de plus historique que l'endroit où est né le véritable Lord… » renchérit-elle, ne s'arrêtant qu'au tout dernier moment et manquant faire avoir une crise cardiaque au Maître des Potions. « Je sais que c'est un peu tiré par les cheveux mais si on suit son délire de grandeur, ça fait sens. Pour lui, il fait partie de l'Histoire. Et, il y a Nagini. »

« Nagini est à Azkaban. » remarqua Bill. « Mais ce n'est pas comme s'il avait prévu de la placer là. C'est juste son Q.G. S'il allait ailleurs… »

« Peut-être. » lâcha-t-elle. « Peut-être pas. Qui dit que ce n'est pas pour ça qu'il voulait tellement Azkaban ? Ça rentre dans le schéma. Et il n'a pas l'air décidé à abandonner l'île pour le moment. »

« Donc, ta théorie, c'est que les autres horcruxes sont dans des lieux historiques ? » demanda Sirius.

« Pas juste historiques. » contra-t-elle. « Symboliques, aussi. Des lieux importants pour la communauté magique. »

Elle fit pivoter le tableau. À l'arrière, il y avait une liste de lieux.

Ministère ?

Chemin de Traverse ? = Gringotts ?

Poudlard ?

Pré-au-Lard ?

Sainte Mangouste ?

Le Ministère avait été barré, sans doute pour des raisons évidentes. Le Seigneur des Ténèbres n'aurait pas fait détruire aussi méticuleusement le Ministère s'il y avait eu un horcruxe à l'intérieur. Et puis… Si Severus ne doutait pas du fait qu'il aurait pu y faire entreposer un horcruxe s'il l'avait véritablement voulu, cela paraissait un choix dangereux. Étant donné le nombre de gens qui avaient travaillé dans les bâtiments, quelqu'un aurait fini par le trouver.

« Vous pouvez rayer Pré-au-Lard. » décida Albus. « Trop passant. Et la présence d'un objet aussi noir aurait été détectée depuis le temps. »

Elle s'exécuta sans discuter.

« Poudlard… » lâcha Severus. « S'il y avait un horcruxe à Poudlard, nous nous en serions aperçu. »

Harry agita la main dans les airs.

Le Directeur eut un sourire, Sirius ricana et Bill tenta de cacher son amusement.

Severus ne rit pas, lui.

Pas plus que Nymphadora.

C'était dur de rire alors que le garçon prétendait plaisanter d'une situation qui le réveillait deux à trois fois par nuit.

« Un autre horcruxe. » clarifia-t-elle. « Vu son obsession pour Poudlard et les Fondateurs… Si je devais parier, l'école serait mon premier choix. »

« Je suis d'accord avec Severus… » hésita Bill. « Tu n'as pas vu le médaillon. Un objet aussi noir… »

« Excusez-moi mais l'horcruxe-journal s'est baladé dans l'école pendant un an et personne n'a rien remarqué. » intervint Harry. « Ginny l'avait avec elle en permanence, à certains moments. Ça veut dire qu'elle l'avait dans son sac en classe. Tu n'as rien senti, papa. Aucun Professeur ne l'a senti. »

L'accusation le fit tressaillir.

Parce qu'elle était véridique.

Bill, lui aussi, tressaillit. Mais pour d'autres raisons…

« Nous ne pouvons pas exclure qu'un horcruxe puisse dissimuler sa présence. » admit Albus. « Particulièrement s'il est actif comme le journal l'était. »

« Sans parler du fait qu'il n'y a pas que l'horcruxe que vous avez raté. » renchérit Sirius, en haussant les épaules. Il lança à Severus un regard d'excuse. « Désolé, mais c'est vrai. Poudlard est gigantesque et elle a toujours plus d'un secret. »

« Comme un basilic dans les canalisations. » commenta l'adolescent. « Ou un rat qui n'est pas vraiment un rat. Ah, il ne faut pas oublier l'os enterré à la lisière de la Forêt qui est en fait le cadavre d'un employé haut gradé du Ministère ou les Professeurs sous Polynectar. »

Nymphadora, Sirius et Severus étaient habitués à l'amertume et à la lassitude écrasante dont il faisait parfois usage. Bill, en revanche, parut alarmé. Même Albus sembla perturbé.

Harry devait en être conscient parce qu'il rougit un peu et garda son attention rivée sur son niffleur qu'il caressait distraitement.

« Il n'a pas tort. » décréta Sirius, pour combler le silence gênant qui s'était installé. « Si on suit la théorie de Tonks… Pour ce qu'on en sait, s'il y a vraiment un horcruxe à l'école, on pourrait passer devant tous les jours sans le savoir. »

« Oui et non. » nuança le Directeur. « Je reste persuadé que les deux horcruxes restant sont la coupe de Poufsouffle et le diadème de Serdaigle… J'ose espérer que nous aurions remarqué deux reliques aussi rares. De plus, je suis d'accord avec Nymphadora. Lorsque l'on connait un petit peu Tom… »

« Juste pour clarifier… » souffla Bill. « On est vraiment en train de dire qu'il y a un horcruxe à Poudlard ? »

« Si on trouve de qui il s'est servi pour le cacher… » répondit Nymphadora.

« Oh, cela sera facile. » décréta Albus. « C'est moi. » Face au silence stupéfait, le vieux sorcier clarifia: « Il m'a un jour demandé de lui confier le poste de Défense contre les Forces du Mal. C'est de là que vient la rumeur sur la malédiction qui l'entoure. Je le lui ai refusé et, depuis, aucun enseignant n'est resté plus d'une année à ce poste. Néanmoins… J'ai commis l'erreur de l'inviter pour le rebuter. J'étais intrigué et un peu alarmé par ce que j'entendais et je voulais le voir, juger de la situation par moi-même. Il a eu tout le loisir de se promener au sein de l'école, ce jour-là. C'était peu après son retour d'Albanie, si je ne m'abuse… »

« Le diadème. » déduisit Sirius.

« Ou la coupe. » contra Severus. « L'un n'exclut pas l'autre. Comme l'a rappelé Harry, il portait la bague lorsque nous l'avons croisé en soixante-quinze et Sayre y était toujours bien vivant. Cela tend à prouver qu'il sait, ou du moins savait, être patient pour cacher ses horcruxes. Sans doute parce qu'il désirait un lieu précis pour chacun, ce qui accréditerait la thèse de Nymphadora. » Il pointa un doigt tremblant vers le tableau devant lequel elle se tenait toujours. « Sainte Mangouste… Je n'y crois pas vraiment. Si l'on pense véritablement qu'un horcruxe est à Poudlard, le dernier doit être dans un lieu symboliquement plus fort que l'hôpital. Le Chemin de Traverse me parait une meilleure hypothèse. »

« Gringotts. » décida-t-elle. « Il doit bien y avoir un coffre… »

« Il ne se satisferait pas de son propre coffre. » décréta le vieux sorcier. « D'une part parce que ce serait trop banal, trop évident. D'une autre parce que, comme tous les Né-Moldus ou Sang-Mêlés plus récents, son coffre doit se trouver dans les étages supérieurs. Si nous suivons le raisonnement de Nymphadora… »

« Il visait un coffre dans les profondeurs. » termina Bill, avant de laisser échapper un sifflement. « Dans ce cas là, on est cuit. Il est impossible de cambrioler Gringotts. »

« Impossible n'est pas Serpentard. » rétorqua Severus. « Quelles familles ont leurs coffres au plus profond de la banque ? »

« Vraiment au plus profond ? La plupart ont disparu depuis longtemps. » hésita le Briseur-de-Sorts. « Mais à l'étage le plus profond encore utilisé… »

« Les Black. » lâcha Sirius. « Mon coffre personnel est un peu plus haut parce qu'il a été ouvert à ma naissance mais les coffres de la famille, tous les profits sur les investissements et tout ce qui se rapporte au patrimoine, sont au fin fond de Gringotts. La rumeur familiale veut qu'il y ait un coffre plein de têtes de nos ennemis… Je ne suis jamais allé vérifier. »

Nymphadora devait en avoir assez de se tenir sur ses pieds parce qu'elle vint se percher sur l'accoudoir du fauteuil de Severus. Elle se massait à nouveau l'épaule.

Le Maître des Potions nota dans un coin de sa tête de l'obliger à prendre une potion antidouleur avant de dormir.

« C'est le même système pour la plupart des familles Sang-Pures ou pour les très anciennes familles de Sang-Mêlés. » confirma Bill. « Le ou les coffres familiaux seront en bas, les coffres personnels vers le milieu… Les gobelins donnent toujours les coffres les plus hauts aux Nés-Moldus. Ils ne sont pas moins sûrs mais c'est moins prestigieux et, comme les Nés-Moldus ne le savent pas, ils ne s'en offusquent pas. »

« Regulus avait accès aux coffres familiaux ? » demanda Nymphadora.

« S'il a donné la coupe ou le diadème à quelqu'un pour le planquer au fin fond de Gringotts, ce n'était pas à Regulus. » décréta Sirius. « Kreattur nous a dit tout ce qu'il savait et ça n'incluait pas un tour à la banque. On peut vérifier le coffre si ça vous fait plaisir mais ce sera une perte de temps. »

« Mon coffre n'est pas situé si bas. » déclara Albus, avec un bruit pensif. « Toutefois, je ne pense pas me tromper en supposant que les Malfoy auront leurs coffres au même niveau que les Black… »

« Il n'aurait pas confié deux horcruxes à la même personne. » contra Severus. « Lucius ne s'est peut-être pas aperçu de ce qu'il avait sous sa garde mais il n'aurait pas commis deux fois la même erreur… Il était autant versé en magie noire que moi, si ce n'est plus. »

« Il y a les Croupton. » offrit Bill.

« Barty… » murmura Albus, étudiant visiblement la question.

« Connaissant le père, il devait garder un œil sur les comptes. » intervint Sirius. « Et, contrairement aux coffres personnels, les Chefs de famille ont le contrôle total des coffres familiaux. Je sais tout ce qui y rentre et tout ce qui en sort. C'est pour ça que je ne pense pas que Regulus soit une option. Vous voulez mon avis, Croupton Junior, c'est pareil. »

« Lucius n'était pas encore Lord Malfoy avant la chute du Seigneur des Ténèbres. » remarqua Severus.

« Mais Abraxas faisait partie des Chevaliers de Walpurgis avant que ce nom ne change pour les Mangemorts et que la Marque ne devienne un rite de passage. » remarqua Albus. « Néanmoins… Tom ne s'en serait pas remis à Abraxas. Lucius, il pensait pouvoir le contrôler. Abraxas… Leurs rapports n'étaient pas les mêmes. »

Harry gigota sur sa chaise, captant le regard de Severus. Il ne posa pas la question à voix haute mais le Maître des Potions hocha néanmoins la tête en guise de permission. Si Albus ou Bill furent étonnés qu'il s'excuse et leur souhaite bonne nuit, ils n'en laissèrent rien paraître.

« Et Bellatrix ? » demanda soudain Nymphadora, alors que l'ancien espion en était encore à fixer du regard la porte par laquelle son fils venait de disparaître.

« Bella ? » répéta Sirius, en se frottant le visage. « Je suppose qu'elle pourrait avoir mis quelque chose dans les coffres familiaux, oui… Mais c'est le même problème. Techniquement, mon père et puis moi aurions pu… »

« Les coffres des Lestrange sont au même niveau. » lâcha Bill. « Je crois, du moins. »

Sans avertissement ou raison valable, Nymphadora se mit à massacrer l'épaule du Maître des Potions de petits coups excités. « C'est ça ! C'est elle ! Il y avait une coupe… »

Il attrapa son poignet et lui jeta un regard agacé qu'elle ne parut même pas remarquer. « De quoi parles-tu ? »

« Tu te souviens quand Rodolphus m'a envoyé la bague maudite ? » répliqua-t-elle, avec une excitation palpable. « Scrimgeour m'a demandé d'éplucher l'inventaire du coffre des Lestrange pour voir si elle en sortait… »

« Quelle bague maudite ? » demanda Sirius. Bill et Albus confirmèrent tous les deux qu'ils n'en avaient aucune idée.

Severus et elle les ignorèrent.

« Il y avait une coupe impossible à estimer. » pressa-t-elle. « Je m'en souviens parce que cet inventaire était chiant à mourir et que ça m'agaçait de perdre mon temps comme ça au lieu d'étudier les plans d'Azkaban. Je m'en souviens très bien. Il y a une coupe dans leur coffre que les gobelins trouvent inestimable. »

« Des coupes hors de prix, il doit y en avoir dans tous les coffres de Sang-Purs… » hésita Sirius.

Nymphadora lui jeta à peine un coup d'œil, elle soutenait le regard de Severus avec un intensité proche de la Légilimencie. « Bellatrix. »

« Bellatrix. » répéta-t-il. Son bras droit, son premier lieutenant, sa suivante la plus fidèle… Quelqu'un qui n'aurait pas discuté ses ordres ou cherché à en savoir plus. Quelqu'un qui aurait été fier de se voir confier un tel objet.

« C'est très mignon, votre petit numéro, là, mais on n'a pas de preuves. » commenta l'Animagus. « Vous voulez vraiment vous faire tuer en cambriolant Gringotts sans preuves ? Parce que les gobelins ne vont pas nous la donner, cette coupe, pas même si Monsieur le Ministre leur demande gentiment. »

Il n'avait pas tort, bien sûr. Pourtant…

« J'en suis sûre. » décréta Nymphadora, ses doigts s'enfonçant dans l'épaule de Severus sous le coup de l'excitation. « Ma main à couper. Ça suit le schéma et Bellatrix… Ma main à couper que la coupe de Poufsouffle est dans le coffre familial des Lestrange. »

« Ce sera surtout ta tête à couper, si tu te trompes. » remarqua Bill. « Gringotts est imprenable. »

« Le Seigneur des Ténèbres l'a cambriolée une fois. » contra Severus.

« Il avait néanmoins l'avantage de ne pas être tout à fait corporel à ce moment-là. » intervint Albus. « Gringotts… Cela demande réflexion. »

« Combien de gens avons-nous qui ont travaillé à la banque ? » demanda Nymphadora.

Severus leva les yeux au ciel. « Pourquoi ne pas faire une annonce générale pendant que tu y es ? Ce ne sera pas suspect du tout si nous interrogeons tout le monde sur leurs défenses juste avant de les cambrioler. »

La main de la jeune femme glissa discrètement de son épaule à sa nuque. « Tu m'as habituée à plus de subtilité… »

La taquinerie fit mouche et il bouda un peu. « Si tu insinues que je peux arracher par Légilimencie les détails de… »

« J'insinue qu'une conversation anodine en révèle beaucoup plus qu'une interrogation en règle. » rétorqua-t-elle. « Bill se chargera de Fleur. Je prends Charlie. Vois ce que tu trouves de ton côté. Proff… Albus ? »

« Je peux me renseigner. » confirma le Directeur. « Peut-être même obtenir des plans… »

« Sirius peut aller en repérage sous couvert d'aller visiter ses coffres. » décréta Nymphadora. « Et interroger Narcissa. Elle en sait plus sur Bella que n'importe qui d'autre. »

« Et, en attendant, nous fouillerons Poudlard de fond en comble. » décréta le vieux sorcier. « À commencer par la Chambre des Secrets et sans négliger les multiples vitrines et bric-à-brac qui traînent dans tous les coins et que nous ne voyons même plus, à force. »

« Petit rappel que j'ai caché le miroir maudit dans la Chambre. » intervint Bill, plaisantant à moitié. « N'allez pas vous tuer bêtement. »

Sur ce, le Directeur claqua dans ses mains et frotta ses paumes l'une contre l'autre. « Eh bien, mes enfants, voilà une réunion extrêmement productive. »

Severus avait espéré qu'ils abordent le rituel pour transférer l'horcruxe mais les révélations de la soirée faisaient déjà beaucoup à digérer alors il tint sa langue. Durant quelques minutes, ils étudièrent d'autres hypothèses d'endroits importants pour la communauté magique où les horcruxes pourraient être cachés mais, toujours, ils revenaient sur Poudlard et Gringotts. À présent que l'idée s'était cimentée dans leur esprit, aucune autre ne semblait aussi plausible.

Sirius fut le premier à partir, incapable de contenir ses bâillements. Nymphadora aussi avait du mal à dissimuler sa fatigue, ce qui poussa Bill et Albus à prendre également congé.

Severus profita de les raccompagner à l'entrée pour frapper légèrement à la porte close de son fils. Il n'obtint pas de réponse. La lumière semblait éteinte et un sort confirma que le garçon dormait.

C'était peut-être un mal pour un bien.

Il n'était pas certain de ce qu'il aurait pu lui dire.

Lorsqu'il revint dans le salon, Nymphadora avait déjà fait disparaître les traces de la réunion. Le tableau était retourné dans un coin, caché sous sa couverture, et les restes du thé qu'ils avaient partagé avaient été renvoyés aux cuisines. La jeune femme s'étira, debout au milieu de la pièce, avant de se frotter le visage, semblant tomber de sommeil.

« Quand je pense… » lâcha-t-il, de son ton traînant où perçait pourtant un certain amusement. « …que tu as, un jour, à cet endroit précis, osé me dire que tu n'étais pas idiote mais certainement pas aussi intelligente que moi… »

Dans un accès de gaminerie, elle lui tira la langue. « Ce n'est pas de l'intelligence, c'est de la déduction. Et… »

Il referma les bras sur elle, la faisant taire d'un baiser.

« Extraordinaire. » insista-t-il, reprenant le mot qu'il avait utilisé cette nuit-là.

Elle sourit mais ne renchérit pas, posant une main sur son torse et fouillant son regard. « Ça va Harry ? »

De lassitude, ses épaules s'affaissèrent un peu. Il ne s'embarrassa pas d'occluder son inquiétude ou sa fatigue.

Il lui raconta presque l'échange farfelu qu'ils avaient eu dans le laboratoire mais décida de le garder pour lui au tout dernier moment, de peur d'ouvrir une porte sur une conversation qu'il ne désirait pas avoir.

« Je l'ignore et cela m'effraye. » admit-il.

Elle posa la tête sur son épaule et passa les bras autour de sa taille.

Ils restèrent comme ça longtemps, à s'inquiéter en silence.