Version originale en anglais écrite par oliversnape en 2010, sous le titre "The Pumpkin Scone Conspiracy".
Présentement traduit en français, avec l'autorisation de l'auteur, par JustPaulInHere.
Note de oliversnape : C'est une fic hurt/comfort un peu plus légère que d'habitude. Il y aura un happy end, et il n'y a pas beaucoup de passages durs. Beaucoup de remerciements à Pygmy pour son aide, et pour ses idées.
Chapitre Un
La première chose à laquelle Severus pense en se réveillant, c'est que le gel qui s'infiltre entre les chevrons de la charpente du grenier signifie qu'il est temps de récolter ses citrouilles. On est mardi, et ça veut dire que Tolstoï sera là ce matin pour l'aider. Alors qu'il sort du lit, talons craquelés et orteils cagneux se plantant sur le sol en bois froid, il accorde une pause pour ses autres pensées. Cela fait quatre mois qu'il a emménagé dans ce petit cottage du nord de l'Écosse, et c'est l'anniversaire de sa mère. En guise de célébration, Severus ouvre un nouveau paquet de sous-vêtements dans le tiroir bancal de sa commode, les enfilant assez rapidement pour battre de vitesse la chair de poule qui remonte ses jambes pâles. Il n'est pas encore tout à fait six heures trente du matin, et le soleil ne viendra pas réchauffer sa chambre dans le grenier avant encore quelques heures.
Severus enfile un pantalon de travail décoloré et un pull fin, pêchant des chaussettes dans la boîte au-dessus de la commode. Il boite avec assurance jusqu'à l'échelle qui dépasse du sol, à tout juste six pas de distance. La chambre-grenier est minuscule, et à l'exception d'un étroit chemin autour du lit et de la commode, Severus ne peut pas se tenir debout sans se cogner la tête. Il préfère dormir dans des endroits clos, et il y a moins de cauchemars qui le trouvent blotti sous la charpente.
Severus compte tout en descendant jusqu'au sol. Non pas les barreaux qu'il doit descendre (14 – c'était un compte pour un autre jour, il y a bien longtemps), mais le temps que ça lui prend pour arriver jusqu'en bas. Il sait qu'avec les premières gelées, il doit s'attendre à une journée douloureuse. Sa canne est posée contre le coin de la bibliothèque, à un bras de distance et juste à la jonction entre le salon et l'entrée. Le cottage est suffisamment petit pour que Severus puisse aller d'un bout à l'autre en quelques instants, avec ou sans patte folle.
Quelques heures plus tard, il est assis à la table de la cuisine, profitant de sa pause thé du matin, tout en ignorant les politiques et leurs cris stridents insistant pour son soutien à la radio. Est-ce que cette ville a même un maire ? Un été ici, et il ne sait toujours pas. La seule personne avec laquelle il parle réellement, c'est Tolstoï, et Tolstoï ne lui répond pas vraiment. Severus se lève, et utilise sa canne pour atteindre le hall d'entrée. Deux pas. Et deux coups frappés à la porte, parce qu'il est dix heures pile, et Tolstoï ne sait pas comment faire pour être en retard.
« Rus », dit Tolstoï, en prolongeant le "us". Il doit avoir huit ou neuf ans, Severus n'a jamais demandé, et ses cheveux brun foncé ne semblent pas vraiment en accord avec ses yeux bleu clair.
« Rus, répète Tolstoï, en fixant quelque part par delà l'épaule de Severus.
— Les citrouilles aujourd'hui, Tolstoï, répond Severus, son regard suivant le chemin qui monte du jardin jusqu'en haut de la colline, où il peut voir le grand-père de Tolstoï qui les observe, avant de partir.
— Tuuuuu as du courrier », dit Tolstoï, refusant de bouger. Le garçon parle d'une fançon étrange, le plus souvent répétitive et robotique, mais il semble bloquer sur la lettre u. Peut-être parce que c'est sa préférée.
Severus n'a pas le temps de s'attarder sur les subtilités de l'esprit humain et de la parole, cependant, parce qu'il est trop occupé à fixer la carte postale dans les mains de Tolstoï. Tous les mardis, quand Tolstoï vient, depuis la première fois où il est arrivé chez lui après avoir échappé à la surveillance de son grand-père, il vérifie le contenu de la boîte aux lettres moldue inutile en haut du coteau, là où se trouve le portail de Severus. Une routine, comme l'avait expliqué son grand-père, après le premier mardi.
C'est la première fois qu'il y a du courrier et le manque de réaction de Tolstoï est compensé par la surprise de Severus.
La carte postale est de bon goût, étonnamment, une image chaleureuse des collines verdoyantes du sud de l'Irlande, quelques nuages auréolant le ciel.
La valeur d'un homme n'est pas plus haute que celle de ses ambitions.
Ache.
Severus se demande quel genre d'idiot irait nommer son enfant "ache". Mais par ailleurs, ses voisins moldus s'étaient toujours demandé quel nom pouvait bien être Severus pour un petit garçon. Il n'y a pas eu de grand Severus depuis l'époque romaine après tout. Il n'y a pas d'autres signes marquant la carte, à peine un tampon de poste de Cork. Il louche pour lire le cachet, mais l'encre a été étalée pendant le transit, alors il ne sait pas depuis combien de temps cette carte attend qu'il la trouve.
Il n'oubliera jamais ces mots de Salazar Serpentard, cependant, et il fixe leur inscription, ici à l'encre moldue ordinaire. Il a fait partie du monde magique pendant trente-neuf années, et il sait très bien que les coïncidences n'en sont jamais. Peu importe à quel point le Ministère veut le séquestrer loin de tout, personne n'a été informé qu'il est ici.
Tandis que Tolstoï avance pour aller dehors, la routine de descendre jusqu'aux plants de citrouille aussi familière pour lui que de prendre son thé de l'après-midi, Severus hésite un instant. Il se tient devant la poubelle dans la cuisine, mais au dernier moment, il se retourne et accroche la carte postale au frigo avec un petit aimant. Cette carte le déconcerte, mais elle égaye aussi sa petite maison.
Ce n'est qu'une heure plus tard, quand Tolstoï recompte les citrouilles pour la quatrième fois, que Severus réalise que c'est la toute première carte qu'il ait jamais reçue.
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Pour le dîner, Severus sort le livre de recettes de sa mère de la bibliothèque de la cuisine, et commence à préparer sa tourte à la viande préférée. Il connaît la recette par cœur ; elle lui est encore plus familière qu'un philtre de paix ou qu'une potion d'oubli. Mais il ouvre tout de même le livre à la bonne page, et suit son écriture familière et propre comme s'il lisait une lettre de sa part. Les nuits d'automne sont fraîches dans son petit vallon, protégé par les arbres plus haut le long de la route, mais il lance rarement de sorts pour se réchauffer. Le feu suffit, en général, et il ne veut pas que les visites du Ministère durent plus longtemps que nécessaire. En l'état, il faut déjà dix minutes à l'Auror indésirable pour vérifier la liste des sorts sur la maison.
Severus se redresse après avoir pris la bouteille de lait au frigo quand ses yeux tombent à nouveau sur la carte postale. Il en touche le coin, se demandant si l'Irlande lui ferait du bien, si seulement il savait ce qui ne va pas.
Severus dort bien ce soir-là, enveloppé dans sa couette de Poudlard. L'air porte l'odeur de la tourbe, la fragrance des feuilles en décomposition, et il rêve d'un château qui se reconstruit de lui-même.
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Vendredi, c'est jour de marché. Le marché dans son village est aussi présent le samedi, mais Severus préfère y aller le vendredi matin parce qu'il y a moins de personnes, et qu'à neuf heures l'Auror vient pour sa visite hebdomadaire. Severus rentre chez lui précisément à neuf heures, non pas parce qu'il est pressé par le temps, mais parce qu'il sait que ça irrite l'Auror d'avoir à attendre. Severus descend le chemin, son pas autoritaire diminué de peu par sa canne et son léger boitillement. Il marche avec prestance cependant, comme un homme qui serait occupé et qui aurait des choses à faire.
Il sait que ses options sont limitées, néanmoins, et l'Auror, un petit jeune à boutons qui a très certainement obtenu son diplôme l'année dernière, ne le lui fait pas remarquer. Ce n'est jamais exprimé à voix haute, mais Severus sait qu'il ne sera jamais accepté de nouveau dans la société sorcière, ou du moins pas pendant un très long moment. Cinq années, c'est la période d'assignation à résidence imposée par le Ministère. Cinq années de complexes restrictions sur le brassage de potions, de vérifications hebdomadaires sur son domicile et sur sa baguette, et une fenêtre de quatre heures par semaine pendant lesquelles il peut quitter sa propriété. Avec quinze minutes supplémentaires les vendredis, parce qu'ils savent que c'est le jour où il va au marché. Il est autorisé à jeter cinq sorts de sa liste très restreinte par jour, et toute métamorphose reprend son apparence originelle à minuit.
Severus ne sait pas combien de temps sa damnation publique durera. Albus Dumbledore était un vieux fou bien-aimé, même de ceux qui avaient quitté Poudlard depuis bien longtemps. Sa mort n'est pourtant pas celle qui enchaîne Severus.
Il range ses courses pendant que l'Auror fourre son nez sans ménagement un peu partout dans le cottage, passant en revue les bibliothèques qui envahissent son petit salon, hissant sa tête au-dessus de l'échelle, dans sa chambre. L'Auror, dont Severus refuse d'apprendre le nom, parcourt rapidement une liste de tous les nouveaux objets ou nourriture que Severus a apportée à l'intérieur de la propriété cette semaine. Rien ne sort de l'ordinaire, et la liste va se ranger dans le dossier que porte l'Auror. Severus pose calmement ses provisions dans son placard, les boîtes de thé à côté des crackers salés, et de la confiture de framboises. Il y a une expression dégoûtée sur le visage de l'Auror, à peine dissimulée, qui lui dit que l'homme n'attend que de pouvoir s'en aller.
« J'ai besoin de vos reçus », demande l'Auror, et il tape du pied pendant que Severus sort de petits morceaux de papier de sa poche. Il les déplie sur la table, prenant son temps pour être sûr qu'ils soient bien aplatis, avant de les ordonner dans la petite boîte à reçus moldue qu'il a achetée en ville peu après son arrivée. Ils sont triés par échoppe, et Severus tend la boîte devant lui.
« Avez-vous pratiqué la magie sans baguette dans la semaine qui vient de s'écouler ? » demande l'Auror, tirant une petite carte de ses robes. Severus doit encore découvrir si la carte a juste un script d'inscrit dessus, ou si elle enregistre vraiment ses réponses.
« Non.
— Avez-vous reçu un revenu que vous n'auriez pas déclaré ? » Sa voix est bourrue et accusatrice, comme si Severus ne méritait pas de gagner de l'argent.
« Non », Severus jette un bref coup d'œil vers la bibliothèque, où un livre évidé contient quelques Gallions dérisoires. Il fait cela toutes les semaines, et l'Auror suit son regard avant de se détendre et de préventivement répondre au reste des questions sur la carte.
Sa véritable planque de Gallions est nichée dans une vieille boîte à chocolat chaud, sous le troisième plancher du cellier. Elle est juste à côté de la baguette de sa mère qu'il n'utilise jamais.
« Avez-vous été en contact avec Harry Potter ? »
C'est une nouvelle question, et elle surprend Severus qui répond immédiatement, et oublie qu'il n'est pas en train de mentir. Il n'a pas vu Potter depuis mai, depuis qu'il a été viré de Sainte Mangouste, et la dernière image qu'il a de Potter est peu flatteuse.
« Bien. C'est fini pour cette semaine, Snape », l'Auror lui adresse à peine un regard tandis qu'il sort en trombe du cottage, montant d'un pas pressé le chemin menant au portail. C'est comme s'il ne pouvait pas supporter de rester en vue de Severus plus longtemps que ce qui était absolument nécessaire, et pourtant, c'était toujours lui qui lui rendait visite chaque semaine.
Les bons jours, Severus se demande si tout ceci n'est pas juste une farce, une mauvaise blague qu'un élève dément aurait décidé de lui jouer après la guerre. Les mauvais jours, il se demande si Tolstoï ne serait pas un Langue-de-Plomb.
Il y a une autre petite boîte d'ingrédients que l'Auror a laissée sur le pas de sa porte, jetée là pour autoriser Severus à brasser la potion no22-942, manière incorrecte dont se sert le ministère pour dénommer la potion Tue-Loup. C'est une nouvelle ère pour le monde sorcier, et c'est l'une des seules potions qu'il est autorisé à créer. Allez savoir pourquoi le ministère cherche à rester dans les bonnes grâces de ses citoyens. Severus n'a jamais demandé ce qu'ils comptent faire pour les vampires.
Severus se tient dans l'embrasure de la porte, se demandant s'il préfère prendre un thé ou bien un hot apple cider, quand il remarque quelque chose d'étrange avec sa boîte aux lettres. Prenant sa canne, Severus chemine jusque-là haut avec un peu d'appréhension, la dernière fois qu'un vrai courrier lui avait été envoyé, portant son nom, c'était des sottises du conseil local l'invitant à une réunion autour d'un thé, l'après-midi. Il l'avait utilisé pour allumer son feu ce soir-là.
Severus n'est pas déçu, cependant, lorsqu'il chasse de la main un perce-oreille, et trouve une nouvelle carte postale dans sa boîte aux lettres, cette fois-ci en provenance d'un endroit nommé Cobh.
L'esprit est le plus grand trésor de l'homme.
Peut-être un jour, professeur.
Ache.
Le regard de Severus est perdu à travers la fenêtre de la cuisine pendant que la bouilloire chauffe. Le vieil homme qui vivait dans cette maison avant lui n'avait pas été un professeur. Severus, peu importe ce que le ministère veut proclamer, sait que ce titre lui appartient toujours.
Severus en fait presque brûler son dîner, ce soir-là, pendant qu'il s'interroge sur l'identité de la personne qui lui écrit, et le genre de tour qu'elle a prévu.
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La Gazette du sorcier lui est délivrée sans frais, et selon la théorie de Severus, ceci a été arrangé afin qu'il se sente jaloux en lisant au sujet de ce monde dont il ne fait plus partie. Ça ne marche pas, puisque Severus regrette vraiment peu de choses de sa vie précédente, mais il a de la ressource, et il accepte donc ce papier gratuit pour son utilité comme petit bois ou comme emballage. Cette fois-ci, avant qu'il ne le jette dans l'âtre, il remarque que la première page détaille la sortie d'une nouvelle saveur de Dragées de Bertie Crochue, entre autres choses. Les Dragées Victoire, d'un rouge coquelicot lumineux et qui ont le goût du bonheur. Severus lit en diagonale, il a toujours été un lecteur rapide et c'est l'une des choses pour laquelle son père le complimentait. Ça fait bientôt quatre mois que le Seigneur des Ténèbres a été éliminé, et ils introduisent maintenant une nouvelle saveur de Dragées de Bertie Crochue pour en faire la célébration. Il se demande pourquoi cette information est tellement spéciale, mais, par ailleurs, ça fait un moment qu'il est planqué dans ce cottage et donc il ne peut pas vraiment juger si l'outrage est une réaction appropriée.
Severus se lève tôt, c'est une journée claire et fraîche et il se sent comme un homme plus jeune. Il termine de lire le journal rapidement, tout en prenant son maigre petit-déjeuner de flocons d'avoine. Severus esquive à dessein le miroir, se dirigeant plutôt d'un pas assuré vers le petit cellier où les caisses contenant ses produits sont conservées. Il tire son petit chariot hors du cellier et vérifie son calendrier pour savoir quelles boîtes inclure. Il est six heures juste, et l'homme qui prend ses marchandises sera là dans peu de temps.
Il emporte finalement une boîte d'apple butter en conserve, une autre boîte de conserve de compote de pommes et quelques tubes remplis de garniture de tarte aux pommes déjà prête. Il pourrait vendre les pommes ; Severus sait que c'est la bonne saison pour les variétés que produit son petit verger, cependant, il entrerait en compétition avec les autres vendeurs de pommes de la région, et il est conscient que ses créations lui rapportent bien plus. Severus compte sur les Moldus trop occupés ou trop fainéants pour cuisiner leurs préparations eux-mêmes, ainsi que sur l'excellent livre de recettes de sa mère.
Il rejoint Iain au bout de la petite voie qui mène à son cottage, bien après les sorts Repousse-Moldus que le ministère a placés sur sa propriété. Iain est un vieil homme avenant aux yeux bruns qui marche avec les épaules un peu voûtées, et fait usage de peu de mots. Il rappelle à Severus le Albus Dumbledore qui aimait sans limites ses étudiants et ses professeurs, une pensée que Severus n'aime pas trop suivre.
« Pas d'tarte pour l'instant ? demande Iain, et il retire une vieille pipe de sa poche.
— La semaine prochaine », répond Severus en se frottant la nuque. Il est content d'avoir coupé ses cheveux courts, l'air est froid et rafraîchissant contre sa peau.
Il ne dit pas à Iain qu'il n'avait pas assez d'argent moldu cette semaine pour acheter le saindoux nécessaire pour préparer la pâte à tarte. Seuls les Aurors peuvent échanger ses Gallions, et Severus n'a aucunement envie de les informer de ceux cachés dans son cellier.
« J'enverrai la recette avec le p'tit gars, mardi », Iain désigne d'un signe de tête l'avant du van où ils terminent de charger les caisses de Severus.
Sur le siège passager, Severus peut voir que Tolstoï s'est endormi, comme il le fait tous les samedis depuis que Iain a commencé à emporter ses produits au marché. Tolstoï ne manque jamais de raconter comment se sont passés les samedis avec son grand-père quand il prend le thé avec Severus.
« N'oublie pas de récupérer quelques livres pour toi », ajoute Severus, bien que Iain ne le fasse jamais.
Sur le chemin pour retourner chez lui, Severus vérifie sa boîte aux lettres pour satisfaire à la fois sa curiosité et sa méfiance. Elle est vide, comme il pouvait s'y attendre à seulement six heures six. Il ne sait pas s'il doit être soulagé ou agacé.
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La carte postale suivante arrive un dimanche, et elle est dramatiquement accompagnée de Harry Potter. Severus est dans un bon jour, question douleur, mais il gravit lentement le chemin jusqu'à la boîte aux lettres, regardant au loin après le portail, comme s'il ne pouvait pas voir le garçon. L'homme. Bien qu'il paraisse dépenaillé et mal nourri, il est clair que Harry Potter est devenu un homme. Ses cheveux sont toujours en bataille et d'un noir d'encre, ses yeux sont cachés derrière des lunettes ridiculement larges, mais il est enveloppé d'un caban noir élégant qui couvre un jean délavé, le tout couronné d'une écharpe grise et pourpre. Il y a un vieux cartable en cuir serré dans ses bras, comme s'il ne voulait même pas tenter de le porter en bandoulière. Severus ne peut pas s'empêcher de penser que si Potter se débarrassait de ces lunettes ridicules, il pourrait passer pour un étudiant attirant.
« Potter. Partez, déclare Snape, manœuvrant autour de lui pour atteindre sa boîte aux lettres.
— Vous vous souvenez de moi, exhale Potter, ses mains s'enfonçant encore plus profondément dans ses poches.
— Bien sûr que oui, espèce de crétin pestilentiel », cingle Severus, refermant d'un grand coup sa boîte aux lettres. Il tourne le dos au portail, et entame la descente vers son cottage, espérant que les barrières du ministère tiennent Potter à l'écart. Mais quelque part, il sait qu'il n'aura pas cette chance.
« Attendez ! s'exclame Potter dans son dos, s'approchant du portail sans le passer. Monsieur. »
Severus s'arrête, et tourne légèrement la tête sur la gauche. La dernière fois que Potter l'a appelé monsieur, ça avait été sous la menace de sa baguette, dans une salle d'audience.
« Vous vous souvenez qu'on perdait la bataille ? Qu'on a perdu ? »
La voix de Potter est faible, mais elle est portée par le vent du matin. Son visage est ouvert, et Severus peut voir à quel point le garçon est épuisé. Son regard cherche le sien, comme pour supplier Severus de se souvenir.
« Je suppose que j'ai bien de quoi inviter quelqu'un pour le thé, même si c'est vous », lâche finalement Severus, laissant le portail ouvert et retournant vers le cottage. Il n'a pas besoin de regarder derrière lui pour savoir que Potter le suit.
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Potter accroche son manteau au crochet sur le mur opposé à la porte, par-dessus l'épaisse cape noire de Severus, et laisse son cartable contre le mur. La petite cuisine reste silencieuse pendant que l'eau bout sur le feu – Severus s'occupe en mesurant les feuilles de thé dans sa théière fraîchement rincée et Potter laisse son regard s'égarer un peu partout dans la cuisine aux murs de pierre. Les placards, bien que petits, sont peints d'une teinte olive propre, et les comptoirs en bois donnent une fausse impression de chaleur à la pièce. Severus possède peu de casseroles, poêles et vaisselles, mais il y a une grosse presse à pomme dans un coin, et un thermomètre à confiseries d'occasion trône dans le pot à ustensiles.
« Vous êtes vraiment assigné à résidence ? »
Severus n'accorde même pas un regard assassin à cette question stupide.
« Bien sûr que non, Potter. La pauvreté et un cottage délabré dans les Orcades, c'est tout ce dont j'ai toujours rêvé pour ma retraite.
— D'accord, mais comment ça se fait que vous soyez autorisé à recevoir de la visite ? demande Potter, optant pour ne pas mentionner que c'est lui qui a choisi de venir.
— Je ne le suis pas, dit Severus, plaçant brutalement une tasse sur la table en bois. Êtes-vous un fugitif, M. Potter ? »
Potter a les nerfs de le regarder avec un faible sourire, et la tête penchée sur le côté.
« Je devrais l'être. »
Avant que Severus ne puisse demander au garçon ce qu'il fout là, Potter l'interrompt.
« Pourquoi est-ce que ma présence est autorisée ici, alors ? »
Severus lui lance un regard perçant par-dessus son épaule, et ouvre en grand les placards, à la recherche de biscuits. Ils ne sont pas exactement vides, mais il est méticuleusement organisé, et la faible quantité de nourriture se remarque facilement.
« Aucun doute que j'aie dû insulter quelques divinités, dans cette vie ou dans une autre », Severus referme les placards avec un soupir.
Potter se met à rire à ces mots, et retourne s'asseoir. « Je parlais des sorts de sécurité, professeur.
— Vous ne devriez pas », Severus se prend à soupirer à nouveau en s'asseyant et fait un signe de tête vers la boîte, sur la table, à côté de Potter. Severus l'avait mise là parce qu'il n'y avait pas de place ailleurs, et il n'a toujours pas trouvé l'énergie de regarder ce que le ministère lui a envoyé.
« Regardez s'il y a des biscuits là-dedans. Comment vous avez réussi à passer les sorts de sécurité dépasse mon entendement.
— Je peux résister à l'imperium », explique Potter sérieusement, tout en prenant une gorgée de thé.
Severus cligne des yeux.
« Est-ce que vous vous êtes échappé d'un asile ? Severus s'adosse à sa chaise, et place sa tasse sur la table avec satisfaction.
— Non. » Cette fois, l'expression peinée de Potter n'est accompagnée d'aucune trace d'humour. « On m'en a laissé sortir il y a trois mois. »
Le silence règne sur la cuisine tandis qu'ils fixent tous les deux la presse sur le comptoir. Potter se grattant le dos de la main comme s'il essayait de combattre quelque chose d'invisible, Severus tente de se souvenir de tout ce qu'il avait pu voir dans la Gazette du sorcier à propos du Garçon-Qui-A-Survécu depuis la fin de la guerre.
« Ils vous ont envoyé des Dragées Victoires, commente enfin Potter, tenant la petite boîte d'un rouge vif. Le goût de la victoire, du bout de votre langue jusqu'au bout de vos orteils, » lit Potter sur un ton moqueur.
Severus lui lance un regard dégoûté.
« Des symboles en sucre bon marché pour distraire les simples d'esprit. Jetez-les à la poubelle, Potter. Je ne veux pas de ces saloperies de bonbons, ni de ce putain de rappel.
— De la bataille ? » demande Harry. Il a presque l'air plein d'espoir.
« Des vingt dernières années. » Severus lui lance un regard noir. « J'ai gâché la moitié de ma vie à enseigner à des imbéciles et à cajoler l'ego d'individus complètement fous. Maintenant, je suis coincé dans ce trou, assigné à résidence pour les cinq prochaines années, et je dois encore tolérer des personnes dans votre genre. »
Harry serre les poings, sur le point de frapper la table. Severus soutient son regard, mais il est surpris de découvrir qu'il est plus difficile qu'avant de le faire plier du regard.
« Oh, grandissez un peu, Severus Snape, grogne Harry. Vous avez fait un martyr de vous-même, tout comme moi. Aucun de nous n'a vraiment eu son mot à dire quand on a été manipulé, mais la guerre est finie maintenant. Vous êtes coincé ici pour cinq ans. Vous pouvez le faire seul, ou bien vous pouvez avoir ma compagnie de temps en temps. C'est votre choix. »
Potter est tendu, les muscles de ses bras rigides et sa mâchoire serrée fermement. Sa demande n'est pas déraisonnable, et pour n'importe quelle personne dans la situation de Severus, la réponse semblerait évidente. Mais Severus n'a pas eu besoin de se garder de qui que ce soit en quatre mois, et il peut déjà dire que ce Poter n'est pas le gamin impertinent qu'il était encore l'année précédente.
« Pourquoi est-ce que vous avez demandé si je me souvenais de la bataille, Potter ? interroge enfin Severus.
— Parce qu'on dirait que la bataille à laquelle j'ai pris part n'est pas la même que celle des autres. »
Cette réponse est rapide, et bien qu'elle semble scénarisée, Severus sait que ce n'est pas le cas. Avant qu'il ne le réalise, Potter se lève et emporte sa tasse dans l'évier.
« De quoi est-ce que vous parlez ?
— Après l'attaque de Nagini contre vous, il y a eu une pause dans la bataille. Nous avons formé un petit groupe, et nous avons lancé un assaut dans la forêt, parce qu'on avait réalisé que Voldemort ne se battait pas. Il avait juste envoyé ses Mangemorts faire le sale travail, répond Harry, en allumant le feu sous la bouilloire. De tous les membres du groupe, personne ne se souvient de ce qui s'est passé une fois qu'on est entrés dans la forêt. »
Harry lui apporte une tasse de thé chaude quelques instants plus tard, avec son vieux cartable. Severus note qu'il y a plusieurs blocs de papier moldu entièrement recouverts d'écritures. Potter a commencé ses recherches avec les participants de la bataille, et étale ses feuilles sur la table de la cuisine. Il a préparé une chronologie des évènements, qui commence juste avant la bataille et continue jusqu'à cette semaine, mais elle n'est pas très détaillée. Severus a toujours aimé les romans offrant de bons mystères, et entame la lecture des notes sans s'en rendre compte.
« Ce n'est pas que tous vos camarades ont oublié la bataille, Potter, corrige Severus, tenant dans ses mains les observations de Potter suite à sa discussion avec Londubat.
— Je sais, interrompt Harry, passant une main sous le col de sa chemise et frottant sa clavicule avec distraction. Quand les Aurors ont pris les souvenirs pour leur enquête, c'est exactement ce qu'ils ont fait. Ils les ont pris.
— Précisément », accorde Severus, lisant en diagonale les notes sur George Weasley. Tout le monde a les mêmes souvenirs un peu flous de cette partie de la bataille en particulier, parce que le souvenir est manquant et qu'ils n'ont accès qu'aux références à ce souvenir. Tout le monde sauf Potter.
« Pourquoi vos souvenirs n'ont-ils pas été pris ? »
Harry le regarde et rougit un peu avant de sourire.
« Je ne voulais pas que quelqu'un apprenne que ma cicatrice avait été un Horcruxe. Et je me suis rendu compte que j'essayais encore de me reprendre, et je ne voulais pas qu'il me manque des morceaux de moi-même.
— Le ministère a collecté les souvenirs de vous tous après vous avoir convoqués. Et vous avez trouvé le moyen d'échapper aux quatre Aurors qui étaient venus les récupérer ? »
Harry replace quelques papiers et sourit. « Rita Skeeter s'ingéniait à obtenir une interview et elle tapait sur les nerfs des infirmières. Elles m'ont laissé partir par une porte de derrière, j'ai peut-être pu insinuer que j'avais été relâché.
— Encore une fois, Harry Potter prouve qu'aucun degré de planification ne remplacera jamais la chance insolente, grommelle Severus, mais sans réelle malice.
— Vous devez admettre qu'avec moi, la vie garde de son intérêt », rit Potter. Il se lève et rassemble tous ses papiers.
« À demain, professeur.
— Potter, ordonne Severus, son ton stoppant Harry devant la porte d'entrée. Vous ne voulez pas de mon aide. Ne revenez pas.
— Bien sûr que non, professeur, répond Harry, ouvrant la porte. Je pensais juste qu'un peu de compagnie vous ferait du bien. »
Potter laisse Severus assis à sa table de cuisine avec une tasse de thé froide. Il sait sans aucun doute que Potter sera de retour le lendemain, et que ce soir, il sera incapable de dormir. Ce soir, ses pensées ne seront tournées que vers la nuit qu'il donnerait n'importe quoi pour oublier.
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Il pleut le jour suivant, et Severus lance une assiette ébréchée en direction de Potter quand le garçon frappe à la porte de son cottage. Une assiette n'est pas aussi effrayante qu'une jarre pleine de cafards, apparemment, car Potter s'invite chez lui au lieu de s'enfuir à toute vitesse. Severus met Potter au travail, lui demandant d'évider des pommes. Il y en a une grande caisse au centre de la table de la cuisine, et un petit seau entre eux qui collecte les pommes évidées et coupées en quatre. Severus boit un chocolat chaud en attendant que ses antidouleurs moldus fassent effet, occupé à choisir ses prochains mots avec précaution.
« Combien d'entre nous se souviennent correctement de la totalité de la bataille de Poudlard ? »
C'était la bonne chose à demander, puisque Potter lui offre un sourire méfiant.
« Correctement ? Vous et moi. Peut-être une Langue-de-plomb ou deux. Le ministre de la Magie, et McGonagall.
— Si mes souvenirs sont exacts, je crois qu'il y avait un peu plus de monde de présent ce jour-là, » commente Severus, tout en regardant les mains calleuses de Harry découper des pommes en quartier avec précision. Quand est-ce que ce garçon a développé une telle dextérité ?
« Un événement à ne pas manquer, accorde durement Harry, manquant de peu de se couper le doigt. Cependant, cette enquête porte sur la bataille ainsi que les événements qui l'ont provoquée. » Son ton a maintenant une pointe moqueuse, et Severus peut voir une lueur de révulsion dans son regard, vers la fin de sa phrase.
« Bien sûr, murmure Severus. Je trouve difficile à croire que vous n'ayez pas soulevé vos inquiétudes à propos de ces souvenirs auprès de Granger.
— Elle est un peu distraite par Ron en ce moment. Il a reçu un sort de magie noire qui l'a rendu quasiment sourd vers la fin. Le Terrier… eh bien le Terrier n'a jamais été une maison calme dans laquelle grandir. Et maintenant, Ron n'entend que le silence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. »
Pendant son temps au service de l'Ordre du Phénix, Severus n'avait eu la malchance de se trouver au Terrier qu'à deux reprises. Il n'a pas besoin de plus de dix secondes pour s'imaginer à quel point le silence soudain pourrait rendre un jeune Weasley fou.
« Potter. Sur quoi est-ce que le Ministère enquête exactement ?
— Vous savez. Jusqu'où ils ont été infiltrés, à quel point les Aurors ont merdé, pourquoi est-ce que des enfants ont fini par devoir se battre, répond Harry, refusant de croiser son regard. Ils ont commencé juste après la bataille, pendant qu'on se faisait encore ausculter à l'hôpital.
— Ils disent toujours que Voldemort a perdu, correcte ? demande sèchement Severus.
— Oui, mais vous devriez entendre les rumeurs, rit Potter. Est-ce que vous saviez que vous aviez failli mourir dans la Cabane hurlante ? Apparemment, je vous aurais laissé pour mort là-bas, après que Nagini vous a mordu.
— Ah oui, vraiment ? » Severus jette un regard noir tout en passant inconsciemment ses doigts sur la cicatrice à sa cuisse, celle qui envoie une douleur sourde pulser jusque dans ses os.
« Ouais. Une morsure fatale au cou, avec du sang partout, et personne pour vous sauver, pas de bézoard, pas de potions. » L'ambiance dans la cuisine s'est considérablement allégée, malgré leur sujet de conversation.
Severus soupire avec dédain en constatant cela et poignarde vicieusement une pomme. Potter lève les yeux vers lui, et cligne.
« Eh, vous êtes en vie. » Il semble surpris de ce fait. « Félicitations. »
Severus ne sait pas s'il doit lui lancer un sort cuisant ou bien rire avec lui.
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Plus tard ce soir-là, Severus jette un regard au réfrigérateur en allant dans la salle d'eau, et se maudit. Les deux cartes postales criardes sont toujours collées sur la porte du frigo, et il sait maintenant comment Potter l'a retrouvé. Ache n'a jamais été un mot, seulement la phonétique de l'initiale du prénom du jeune homme. Il n'a encore aucune certitude sur la raison pour laquelle Potter est arrivé, cependant il doit admettre en lui-même que le garçon a bien grandi dans l'année qui s'est écoulée depuis leur dernière interaction. Severus ne compte pas la fois à l'hôpital en mai, quand les Aurors étaient arrivés pour l'arrêter et que Potter s'était lancé dans une grande tirade à propos des droits de la personne et des réglementations juridiques.
Severus fixe son reflet dans le miroir de la salle de bains, la petite fissure dans le coin inférieur droit tombant juste sur le reflet de son épaule. Il a fait couper ses cheveux lors de son deuxième jour passé au cottage, et maintenant, ils atteignent juste le haut de sa nuque, dans le dos, et sont courts autour de ses oreilles, sur les côtés. Severus est plutôt satisfait de cette apparence, car elle le fait paraître plus jeune qu'il ne l'est en réalité, et des cheveux plus courts attirent moins l'attention sur sa peau cireuse et ses joues creuses. Ça le fait aussi se sentir moins comme un sorcier, moins dépendant de cette magie qui lui a été sévèrement restreinte. Severus finit de se brosser les dents et envoie de l'eau fraîche sur son visage, frémissant au contact. Le porte-serviette est immédiatement à sa droite dans la petite salle d'eau, et il ne perd pas de temps à se sécher avant que le froid ne l'atteigne trop.
Severus apporte le journal du jour jusqu'à la cheminée pour s'en servir de petit bois le matin suivant, et remarque l'article à propos de Harry Potter. Le Chemin de Traverse revient à la vie, mais le héros du jour n'y a pas encore été vu. Severus n'est pas surpris de ce fait, puisqu'il est bien conscient que Potter est très mal à l'aise vis-à-vis de sa célébrité. C'était un point sensible quand il était à l'école, et une cible que Severus frappait régulièrement.
Bien qu'il se soit souvent demandé d'où Potter sortait ses faits idiots sur certains sujets, Severus se souvient à quel point Potter avait été obstiné en sixième année, lorsqu'il voulait révéler les manigances de Draco Malfoy. Ce genre de ténacité est un trait Gryffondor des plus ennuyeux, mais avec Potter, c'est généralement à raison qu'il s'inquiète pour quelque chose, sûrement que ça lui vient de l'habitude qu'avait Albus Dumbledore de garder ses petits soldats dans l'ignorance.
Severus monte l'échelle et s'enveloppe dans son lit, arrangeant les couvertures de telle sorte à ce qu'il puisse caler sa jambe. Le vieux lit en fer forgé est censé l'importuner, il en est convaincu, étant donné que les Aurors qui l'ont fait emménager dans le cottage ont vu les beaux meubles en bois de ses appartements de Poudlard. Severus, cependant, aime bien son lit ici et il a trouvé un usage pratique au grand cadre de lit. Il a attaché une écharpe en haut du pied de lit, et il glisse le pied de sa mauvaise jambe à l'intérieur, avant de se détendre. L'élévation aide un peu.
Enfonçant sa tête dans l'oreiller de plumes, il refuse d'admettre à quel point c'est réconfortant d'avoir quelqu'un avec qui parler au cottage. Même si c'est Potter qui lui rend visite, Severus a quand même la satisfaction de savoir que pour certaines personnes, il existe encore.
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Le cottage dans lequel est caché Severus a été construit par des Moldus. Il bénéficie du raccordement à l'électricité (dont la facture est payée par le Ministère), il possède les installations adéquates, et il y a même une machine à laver moldue sous l'appentis. En addition de cela, il y a une chambre dans le grenier non isolé, une salle d'eau avec la fenêtre dans la douche, une cuisine avec le sol incliné, un méli-mélo de meubles moldus dans divers états de dégradation, et pas de voisins sur plus d'un kilomètre. Sa propriété possède bien assez de terres, cependant, l'Auror méprisant qui faisait partie de l'équipe qui l'a fait emménager a demandé à Severus quels étaient les deux fruits ou légumes qu'il détestait le plus. Avec cette suspicieuse prévenance qui n'avait pas failli à Severus en quinze années, il avait répondu ses deux préférées. Cela avait tourné à son avantage, puisque le verger semblait produire une quantité astronomique de pommes et de citrouilles.
Potter revient le jour suivant, juste avant que Tolstoï ne parte pour l'après-midi. Il y a une douzaine de citrouilles de la taille de ballons de volley-ball dans la cuisine de Severus, et il est en train de placer les deux moitiés de l'une d'elles dans le four pour les cuire quand un grand boum ! résonne depuis le devant de sa maison. Par la fenêtre de la cuisine, il voit une silhouette sombre atterrir sans grâce sur la petite colline rocheuse qui sépare le verger du jardin.
Tolstoï se met à rire en agitant ses bras à la manière d'un oiseau. Severus offre un petit sourire en coin au garçon avant d'aller examiner les dégâts.
« Potter, qu'est-ce que vous avez encore fait ? demande Severus, marchant à grands pas vers l'endroit où le jeune homme gît au sol, grognant.
— J'ai oublié les patates. »
Severus passe son regard sur lui, notant la grimace lorsque Harry va pour se redresser. Il semblerait qu'il se soit cogné la hanche contre une pierre de manière assez douloureuse.
« Vous voudriez bien m'expliquer comment oublier les pommes de terre se transforme en apprentissage du vol plané ?
— J'ai voulu transplaner jusqu'au magasin. » Harry hausse les épaules, bien qu'il semble en souffrir un peu.
« Idiot, murmure Severus. Il y a des sorts complexes apposés sur ce lieu. »
Il recule quand Harry se relève et essuie ses mains sales sur son jean.
« Il est impossible de transplaner depuis cette propriété. Qu'est-ce que le concept d'assignation à résidence signifie pour vous, au juste ? demande Severus de façon bourrue, marchant lentement à côté d'Harry, qui boite jusqu'au cottage.
— C'est bon, grommelle Harry, passant son sac à Severus. Prenez ça, j'ai apporté le dîner. »
Severus le prend avec précaution et y jette un coup d'œil, fermant les yeux à la vue du steak fraîchement coupé, enveloppé à l'intérieur.
« J'espère que vous avez gardé le reçu pour ça », dit-il avec tristesse. Ça fait tellement longtemps qu'il n'a pas mangé un bon steak.
Harry manque de trébucher sur la racine noueuse d'un arbre qui a serpenté jusqu'au perron de la porte d'entrée.
« C'est possible. Pourquoi est-ce que j'en aurais besoin ? » demande-t-il avec curiosité.
Severus ouvre la porte et remarque que Tolstoï est toujours assis calmement à la table de la cuisine, jouant avec le seau de graines de citrouilles qu'il a aidé à retirer un peu plus tôt.
« Les enchantements apposés autour de la propriété permettent que tout profit généré par le produit de cette terre soit mien. Je peux également faire usage de tout matériel qui s'y trouve. À l'inverse, comme je suis un prisonnier, les seuls objets indépendants qui peuvent être apportés à l'intérieur de la propriété sont ceux qui ont été payés », explique Severus.
Il pousse Harry jusqu'au canapé inconfortable et ignore son regard confus. À la place, il fouille son bac à glace jusqu'à trouver un paquet de pois surgelés qu'il tend à Harry.
« Est-ce qu'ils vous ont donné un livre de règles ou quelque chose du genre ? Parce que ça a l'air très alambiqué. »
Harry a fermé les yeux, mais il semble encore un peu endolori. La poche de glace a été calée entre le bras du canapé et sa hanche, et Severus ne manque pas la grimace qui passe sur son visage lorsque le froid commence à faire effet.
« Qu'est-ce qui vous fait penser que le livre de règle serait plus simple à comprendre ? » demande Severus, avec un sourire en coin. Il commence à se souvenir pourquoi il avait toujours autant apprécié taquiner Potter à Poudlard. Il y avait quelque chose d'étrangement plaisant à voir la veine tressaillir juste au coin des yeux du jeune homme.
« Rus. »
Tolstoï a trouvé son chemin jusqu'au salon, et tend sa montre pour inspection. Il a lavé la chair de citrouille de ses mains, et ignore complètement le regard fixe d'Harry tandis qu'il raconte à Severus exactement tout ce qu'il a fait durant sa journée au cottage.
« C'est très bien, juge Severus, et il offre à Tolstoï un regard approbateur. J'informerai ton grand-père que tu as gagné cinq cookies sablés. »
Severus conduit Tolstoï hors de la maison et loin de Potter, ils suivent le sentier irrégulier qui les entraîne jusqu'au portail. Iain est d'ailleurs en train de remonter la route pour venir récupérer son petit-fils, son boitillement un peu moins prononcé que d'habitude.
Quand Severus revient, il s'arrête devant sa maison, là où deux grandes portes-fenêtres s'ouvrent sur quasiment toute la largeur de son salon. Potter est toujours assis sur le canapé, portant un jean élégant, et une chemise dont le col dépasse de son pull tricoté. Il s'habille bien, et Severus doit admettre qu'il n'a pas vraiment le style crasseux qu'on peut voir d'habitude chez les adolescents sorciers. Potter étudie de près ses papiers d'incarcération, et à côté de lui, ce stupide cartable attend, avec son propre mystère à l'intérieur. Ayant choisi, Severus s'avance à grands pas vers la porte et rentre. Il va découvrir pourquoi Potter insiste pour lui rendre visite régulièrement.
« Toujours le gardien silencieux des enfants meurtris ? » demande Harry, sa voix sans émotion, mais mesurée, alors que Severus traverse l'entrée pour rejoindre la cuisine.
Severus lui lance un regard méfiant. « Il n'y a rien d'anormal chez Tolstoï. »
Harry lève la tête et soutient son regard. « Au temps pour moi. Son nom n'est pas vraiment Tolstoï, nous sommes d'accord ?
— Bien sûr que non », raille Severus. Il s'adosse au mur qui sépare la salle d'eau du salon, et désigne d'un signe de tête en la bibliothèque derrière Harry. « Il a passé sa première journée ici à ne feuilleter que mes volumes de Tolstoï.
— Une suite d'événements tout à fait logique pour que survienne un tel surnom, » sourit Harry. Cet instant prend Severus au dépourvu, il n'a vraiment pas l'habitude que ce garçon lui sourie.
« Oui, eh bien. Puisqu'il semblerait que vous allez envahir ma demeure encore un peu plus longtemps, vous pouvez rester pour dîner. Il sera servi à six heures », indique Severus, avant de retourner vers la table d'un pas raide.
Potter passe l'heure et demie suivante dans la cuisine, à lire attentivement les 30 pages de documentations dont le ministère a pourvu Snape, au sujet de son incarcération. Il alterne entre sa lecture et la préparation du dîner, épluchant et coupant les légumes avec un abandon que Severus n'a pas vu depuis qu'il a enseigné les potions au garçon pendant sa cinquième année.
Severus passe un moment paisible à récupérer la chaire des moitiés de citrouilles et à se servir d'un mixeur moldu pour la réduire en purée. Severus regarde son calendrier Poirot, le héros d'Agatha Christie, soigneusement annoté, même s'il sait déjà ce qu'il a prévu de produire pour le marché de cette semaine. Il lui reste encore de la compote et des tartes aux pommes congelées de la semaine précédente qu'il pourra vendre, ainsi que des tartes aux citrouilles fraîches qu'il préparera demain.
Severus remarque, en se dirigeant vers le cellier pour vérifier ses stocks, que Harry fait maintenant les cent pas dans le salon. Il n'a pas vraiment les mêmes enjambées furieuses que Severus lors de sa première nuit passée au cottage, mais c'est toutefois assez similaire. Une odeur délicieuse parfume la maison, le ragoût que Potter a préparé mijote dans la marmite et du pain frais est en train de cuire.
Dans le cellier, un bloc-notes est accroché au mur par un clou tordu, immédiatement à sa droite, et Severus le saisit par habitude en entrant. Le cellier a été aménagé de la même façon que sa réserve de potions à Poudlard, les ingrédients étant ordonnés selon leur classification scientifique. Severus admet que c'est peut-être un peu exagéré pour un garde-manger rempli de farine, de saindoux, de plusieurs types de sucre, de bicarbonate de soude et d'autres produits secs, mais les habitudes sont à la fois réconfortantes et difficiles à perdre.
Le salon est silencieux, et Severus s'interroge sur la présence de Potter en passant en revue sa liste. Il faudra bientôt refaire le plein de beurre. Il ne se souvient pas très bien de la bataille finale, Voldemort ayant envoyé Nagini à ses trousses assez tôt dans la soirée. Severus se frotte distraitement la cuisse en vérifiant le poids des sachets de pâte à tarte. Ce n'est pas suffisant, mais il pourra peut-être prendre un paquet de haricots secs bon marché.
D'après les souvenirs de Severus, c'est Potter qui s'est assuré que l'elfe de maison de la famille Black serait là pour répondre à tous ses besoins. Il y a eu une conversation très brève et tendue entre eux lorsque Potter a retiré sa cape d'invisibilité, et Severus était prêt à se quereller avec lui sur ce que Dumbledore voulait qu'il sache. Il se remémore la confusion générale et des combats dans le château alors que les élèves tentaient de repousser les Mangemorts, et il se rappelle que Nagini était apparu dans le bureau du directeur peu de temps après. Severus frissonne, mais il n'est pas convaincu que l'air froid de cette soirée soit le seul responsable. Le soleil doit être en train de se coucher. Il a observé qu'une fois l'astre disparu sous l'horizon, les soirées dans son petit vallon devenaient vite très fraîches. L'inventaire qu'il tient à la main est soigneusement rempli des quantités d'ingrédients, et une estimation du coût est calculée à la hâte en bas de la liste. Il devrait rester largement en dessous de son budget.
Un spasme parcourt sa jambe, des chocs brûlants traversent le muscle déformé de sa cuisse que le venin a détruit. Severus s'écrase sur le sol, grognant et agrippant sa jambe. Il aspire l'air entre ses dents serrées, dans un effort pour ne pas crier, et ferme les yeux. Il se souvient d'une douleur terrible dans sa jambe, aveuglante et étourdissante. De l'elfe de maison dément apparaissant immédiatement et tuant ce satané serpent. En fond, il entendait Voldemort narguer Potter, quelque chose à propos d'otages et de gens qui allaient mourir. Il avait pu sentir du sang, du sang chaud sur ses doigts alors qu'il essayait de tenir sa cuisse. Les railleries de Voldemort étaient restées sans réponse, comme Severus l'avait appris plus tard, puisque c'est à ce moment que Harry avait choisi de se sacrifier.
Severus regarde à sa gauche et se dit qu'il devrait acheter du papier sulfurisé supplémentaire. La porte du cellier s'ouvre en grand et Potter apparaît là, ses bras s'agitant vainement de chaque côté avant qu'il ne se penche enfin pour aider Severus à se relever. Severus donne une petite tape pour le repousser et invoque sa canne, ajoutant le sort à sa liste mentale de la journée. Potter le conduit à la cuisine, où le ragoût de steak a trouvé sa place au centre de la table. Il ne parvient toujours pas à comprendre pourquoi Potter vient le voir, étant donné que les souvenirs qu'il possède concernant la bataille finale sont plutôt inutiles.
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Le ragoût est étonnamment savoureux. Potter, dans un soudain élan de décence ne lui demande pas comment va sa jambe, et ne mentionne pas la canne.
« Potter, commence Severus, après avoir goûté au ragoût chaud. Expliquez-moi votre présence dans mon cottage.
— J'ai préparé le dîner, répond Potter, et il y a une petite lueur dans ses yeux.
— Ma magie est peut-être limitée, mais je ne vois aucun problème à faire usage de la force pour vous jeter hors de ma propriété », menace Severus d'une voix basse, pointant sa cuillère en direction de Harry comme s'il s'agissait d'une dague.
Potter rit, et c'est un rire profond, et riche. Il rappelle à Severus un mois d'octobre dix ans plus tôt, quand Potter n'était pas encore arrivé à Poudlard, et que Severus appréciait encore de dîner dans le hall avec ses collègues.
« Très bien, dit Potter, tout en levant les mains en signe de paix. J'ai besoin de savoir pourquoi personne ne se souvient de ce qui s'est vraiment passé. J'ai besoin de savoir pourquoi j'ai laissé Voldemort me tuer, pourquoi j'ai tout abandonner pour mettre fin à la guerre, si tout le monde fait comme si rien ne s'était passé.
— Vous cherchez quoi, de la reconnaissance ? demande Severus, ses sourcils tendus par la confusion.
— Non. »
Severus déguste son ragoût en attendant que Potter remette ses idées en ordre. À Poudlard, il aurait exigé que le garçon lui réponde immédiatement, mais ce Poudlard a été détruit, et Severus se rend compte qu'il est étrangement hésitant à repousser la compagnie de Potter si tôt dans la soirée.
« Il y a deux semaines, un type de l'Association des Commerçants du Chemin de Traverse m'a invité à l'inauguration d'une statue qu'ils vont mettre en plein milieu du marché. C'est un truc hideux en bronze, me représentant avec un phénix perché sur l'épaule, menaçant de ma baguette un homme bien plus petit, recroquevillé devant moi. C'est absolument répugnant, affirme Harry, au moment où Severus grimace. Cet homme est supposé être Voldemort, mais il ne lui ressemble en rien. Il va y avoir une plaque aussi, un mémorial à ceux qui ont perdu la vie pendant la bataille finale. Le type m'a dit qu'il y aurait des tracts et des discours sur mon grand héroïsme.
— Ce sont des commerciaux, Potter. Vous vous attendiez à quoi ? » demande Severus, rompant un morceau de pain. De la vapeur s'élève de la mie, et le beurre qu'il tartine fond au toucher.
« Pas à entendre que toutes les personnes qui ont péri pendant la bataille ont apparemment été frappées par le sortilège de mort. C'est très propre, vous ne trouvez pas ? Ils refusent de prononcer le nom de Voldemort, et le type a même dit que si je venais et que je disais quelques mots, ils me donneraient une réduction de 30 % à vie dans tous les magasins.
— La société passe rapidement à autre chose », dit Severus, mais son regard se perd par la fenêtre, plutôt que de se poser sur Potter. Un peu plus rapidement que ce à quoi il s'attendait, mais tout de même.
« Est-ce qu'ils n'ont jamais entendu cet adage selon lequel l'histoire est vouée à se répéter si on ne fait pas attention ? Si tout le monde pense que cette bataille s'est terminée sans le chaos effroyable de la guerre, combien de temps pensez-vous qu'ils vont mettre à réagir la prochaine fois qu'un mage noir apparaîtra ? »
Observer Potter est intéressant quand quelque chose le met en colère. Son regard s'assombrit, et il semble comme étinceler d'injustice.
« Vous pouvez râler autant que vous voulez, Potter, mais on dirait toujours que vous y recherchez de la reconnaissance, le prévient Severus, alors qu'il se lève et apporte son bol dans l'évier.
— Ce n'est pas le cas », souffle Potter, en déposant son assiette à côté du bol. Il ouvre l'eau et commence à faire la vaisselle. « Je voudrais juste savoir que je n'ai pas accepté de me sacrifier pour rien. Je voudrais que les gens se souviennent de mes amis, de ce qu'ils ont enduré pour notre liberté. Je voudrais que les gens sachent que je… que je ne suis pas un héros. C'est pour ça que je suis ici, Snape. Ma place aussi est sous les verrous.
— C'est n'importe quoi, rétorque immédiatement Severus. J'ai prétendu être un Mangemort loyal pendant presque vingt ans. Qu'est-ce que vous auriez bien pu faire pour mériter d'être emprisonné ?
— J'ai tué quatorze personnes », répond Harry d'un ton neutre, sans jamais quitter des yeux l'évier. Severus comprend, cependant, d'après la tension dans son dos que la discussion est terminée.
Notes du traducteur : Il y a deux noms de préparations culinaires que j'ai choisi de ne pas traduire, étant donné que je ne leur ai pas trouvé d'équivalents dans la culture française, alors voici quelques explications.
Hot apple cider, désigne un breuvage préparé à partir de jus de pomme non filtré, sans sucre, et sans alcool. Ce jus de pomme est un peu opaque parce qu'il reste de fines particules en suspension, et il peut être un peu plus acidulé que le jus de pomme classique. On le produit en automne et on le sert pendant la période d'Halloween, Thanksgiving, Noël, et même jusqu'au Nouvel An. Parfois, on le sert chaud ou épicé !
Apple butter, désigne une forme très concentrée de compote de pommes. Elle est préparée en faisant chauffer de la purée de pommes avec de l'apple cider ou de l'eau au point de faire caraméliser le sucre contenu dans les pommes ! La préparation prend alors une coloration plus brune que la simple compote de pommes.
