Chapitre XXXIII : Eté 1997
La pluie menaçait de tomber et le ciel gris au-dessus de l'immense bâtisse lui donnait un aspect très lugubre. Néanmoins, l'adolescent ressentit comme une vague de soulagement en l'apercevant. Lorsqu'il s'approcha de l'imposant portail en fer, celui-ci s'ouvrit, le laissant passer, puis se referma bruyamment.
Les doigts serrés sur sa baguette, Théodore pénétra prudemment dans le manoir, tous ses sens en alerte, prêt à réagir en cas de danger. Tout était calme et rien ne semblait avoir bougé depuis qu'il était parti. Avec un sentiment d'espoir, il pénétra dans le salon où son père passait la plupart de ses journées, mais n'y trouva personne.
-Ne sois pas déçu, il va revenir c'est certain…
Le jeune homme sursauta, puis se détendit en reconnaissant la voix du tableau. Ravalant avec peine sa déception, il ne répondit pas et entreprit de monter sa malle à l'étage pour ranger ses affaires.
L'orage grondait dehors, le faisant sursauter à chaque fois. Il aurait dû être habitué à cette ambiance morose, presque funèbre, mais il ne l'avait jamais été en réalité et c'était encore pire lorsqu'il se trouvait seul. Attablé, il s'amusait du bout de sa fourchette, avec la nourriture qui se trouvait dans son assiette. Cuisiner avec l'aide de la magie était bien plus simple et si tandis qu'il la préparait sa nourriture lui donnait envie, ses angoisses qui avaient ressurgit lui avait coupé tout appétit.
-Cesse de jouer avec ta nourriture ! Ton père ne t'as jamais appris les bonnes manières ?
Levant ses yeux clairs vers le tableau, Théodore rétorqua sèchement :
-Personne ne m'as jamais rien appris à part ma mère et certainement pas lui ! Tout ce qu'il a fait c'est de m'abandonner…
-Crois le ou non, Richard tient à son fils et s'il n'est pas ici en ce moment, ce n'est certainement pas de sa volonté…
N'y tenant plus, l'héritier des Nott se leva brusquement de table et monta à l'étage. Parler de son père le rendait malade. Il était tiraillé entre l'inquiétude de ne jamais le revoir et la colère qu'il avait envers celui-ci. Une fois de plus il se sentait abandonné…
Théodore erra trois longs jours dans le manoir, passant un temps considérable à la fenêtre de sa chambre qui donnait sur le portail à l'entrée de la bâtisse, espérant de toutes ses forces, voir un vieil homme le franchir. A la fin du troisième jour, épuisé d'attendre à s'en rendre malade, au bord du désespoir, il décida d'envoyer une lettre à son ami, pour lui demander si sa proposition de l'accueillir chez lui tenait toujours. Blaise lui répondit dans l'heure qui suivit et l'adolescent s'empressa de rassembler quelques affaires.
-Où est-ce que tu vas comme ça ?
Son sac dans les mains, le jeune homme se tourna vers le tableau et répondit le plus calmement possible :
-Je vais passer quelques jours chez un ami…
-Et si ton père revient ?
-Et bien vous le lui direz puisque vous semblez avoir la langue bien pendue !
Sur ces paroles, il sortit en claquant la porte d'entrée de la maison et marcha jusqu'à l'immense portail qui s'ouvrit sur son passage, puis transplana jusqu'au point de rendez-vous.
Blaise habitait tout près de Carmody, ce qui n'était pas si loin du manoir en réalité. Théodore retrouva son ami, juste à côté du centre commercial magique, où l'adolescent avait l'habitude de faire ses courses.
-Pourquoi tu m'as fait venir ici ? Pourquoi tu ne m'as pas donné l'adresse directement ? lui demanda le jeune Nott en guise de bonjour.
-Moi aussi je suis content de te voir, Teddy…rétorqua le jeune Zabini, amusé.
Remarquant les sacs vides qu'il tenait à la main, Théodore le questionna en se radoucissant :
-Tu as besoin de faire quelques courses ?
-Pas vraiment…C'est simplement qu'il est 17h et que si je te fais rentrer chez moi maintenant, ma mère va insister pour qu'on prenne le thé avec elle et mon beau-père, et je t'assure que c'est aussi ennuyeux que les cours de Binns !
Devant la mine désespérée de son ami, Théodore eu un sourire :
-Très bien, mais alors laisse-moi payer les courses, ça sera ma façon de te remercier…
Pendant une bonne heure les deux garçons, traînèrent dans les rayons du centre commercial, jetant de temps à autres quelques boites de conserves et autres aliments dans les sacs vides. Après avoir réglé leur achat, ils marchèrent à peine dix minutes avant d'arriver devant une jolie petite maison.
-Tu verras ça te changera de ton manoir…Elle n'est pas très grande mais ma mère veut à tout prix la garder, alors qu'on a suffisamment d'argent pour en acheter une trois fois plus grande ! Elle dit que ça fait partie de son plan pour séduire les hommes riches…
La situation n'avait rien de comique, mais fit tout de même rire Théodore. La spontanéité de son ami lui avait manqué. Pénétrant à l'intérieur de la maison, à la suite de Blaise, le jeune garçon ne put s'empêcher de regarder tout autour de lui. A l'instar de son manoir, les murs étaient peints avec des couleurs chaudes, ce qui lui donnait un côté chaleureux.
Après avoir salué et remercié très poliment, la mère de son ami, qui était une femme d'une très grande beauté, Théodore monta à l'étage.
-Choisi la chambre que tu veux, mais je te déconseille de prendre celle au mur jaune…La chambre de ma mère est juste à côté et je m'en voudrais sincèrement que tes oreilles innocentes entendent certaines choses…
-La bleue fera très bien l'affaire alors…murmura-t-il en pénétrant dans la pièce et en déposant son sac.
Il était aux alentours de 19h et le jeune garçon se trouvait seul dans la cuisine avec son ami, qui était occupé à préparer le repas. La mère de celui-ci était sortie et les avaient prévenus qu'elle ne rentrerait certainement pas avant le lendemain matin. Théodore observait avec admiration, Blaise se servir des ustensiles de cuisines.
-Vous n'avez pas d'elfe de maison ? Demanda-t-il.
-Non…Encore un truc de ma mère. Elle pense qu'en nous faisant passer pour pauvres, elle mettra la main plus facilement sur la fortune des hommes qui sont encore assez fous pour l'épouser…
-Je comprend mieux d'où te vient ton sens des affaires et des relations sociales…répondit Théodore en le taquinant gentiment.
Assis à la petite table de la cuisine, l'adolescent s'exclama en avalant la première bouchée de son dîner :
-Tu ne peux pas savoir à quel point je suis content de manger un plat bien préparé !
-Ce n'est pas si compliqué que ça, tu sais…La cuisine, c'est un peu comme les potions ! répondit son ami.
-Je vais faire semblant de te croire…rétorqua Théodore avec un scepticisme amusé.
Le lendemain après-midi, alors qu'il pleuvait des trombes, le jeune Nott observait distraitement la chambre de Blaise. Elle était beaucoup moins grande que la sienne et bien moins ordonnée, mais semblait plus vivante. Apercevant une pile de livre instable dans un coin de la pièce, Théodore ne pu s'empêcher de s'approcher et de l'examiner. S'asseyant à même le sol, il se saisit du premier livre de la pile et eu un petit rire nerveux. Il s'agissait d'un des livres érotiques venant de la boutique de Pré-Au-Lard.
L'adolescent mit un certain temps avant d'oser l'ouvrir. Lisant les premières lignes, il fut happé par le commencement de l'histoire et n'entendit pas son ami pénétrer dans la pièce :
-Tu lis des romans érotiques maintenant ?
Théodore sursauta et lâcha précipitamment le livre :
-Je regardais, c'est tout…murmura-t-il en rougissant, comme un enfant prit en faute.
Il regarda son ami ramasser le livre et lui tendre :
-Je te le prête, tu me le rendras à la rentrée, ça te changera des livres de cours…
-Non, c'est bon je t'assure !
-Ca mettra un peu de gaieté dans tes vacances, prends-le ! Insista Blaise.
Avec un petit soupir, l'adolescent prit le livre, toujours très mal à l'aise :
-Je te préviens, ce n'est pas pour les prudes…l'avertit le jeune Zabini, en s'asseyant sur le lit.
-Ce n'est certainement pas pour moi alors…
-Arrête de jouer les Sainte-Nitouche ! Et ne me dis pas que ça ne t'intéresse même pas un petit peu, tous les matins tu fais comme nous tous…
-Arrête avec ça ! C'est purement physiologique, ça n'a rien à voir…le coupa-t-il.
Théodore n'avait jamais vraiment été intéressé à tout ce qui touchait à la sexualité. Il avait certes, expérimenté seul, les joies de la puberté, mais c'était tout. Il préférait ses cours aux filles et cela lui allait parfaitement pour l'instant.
-Si tu le dis…Mais je t'assure qu'il y a d'autre aspects qui rentrent en compte, lis-le et tu verras !
Poussant un long soupir il répondit :
-C'est bon tu as gagné, je le lirais mais je suis certain que c'est très mauvais d'un point de vue narratif…
Il vit Blaise lever les yeux au ciel, ce qui le fit rire intérieurement. Le jeune Nott passa trois jours chez son ami et même s'il était compliqué de l'admettre cela lui avait fait du bien. Alors qu'il était sur le point de rentrer au manoir, le jeune Zabini, lui fit ses éternelles recommandations :
-Ecris- moi au moindre problème…
Théodore hocha la tête et après l'avoir remercié une fois de plus, transplana jusqu'au manoir. En pénétrant dans le hall d'entrée, il sentit que l'atmosphère était totalement différente. Laissant son sac tomber au sol dans l'entrée, il se précipita dans le salon, où il trouva son père, assis dans son habituel fauteuil, comme s'il ne l'avait jamais quitté.
Soulagé et tremblant de tous ses membres à cause de l'émotion, l'adolescent n'osa pas pénétrer entièrement dans la pièce et resta sur le seuil de la porte. Constatant sa présence, le vieil homme lui dit d'une voix éraillée :
-Tu es rentré…Approche, ça fait tellement longtemps que je ne t'ai pas vu…
Lentement, le jeune garçon marcha jusqu'à son père qui se leva avec difficulté du fauteuil :
-Tu as tellement grandi…Tu n'as pas très bonne mine, mais le principal c'est que tu sois ici et en bonne santé. Je craignais dans quel état j'allais te retrouver, si je te retrouvais…murmura le vieil homme en prenant son visage aux traits délicats entre ses mains.
-Ils ont perquisitionnés le manoir…
Ce fut la seule chose que le jeune Nott, fut capable de dire, d'une voix tremblante.
-Je sais, mais Teignous m'a dit que tu t'en étais très bien sorti…Lui répondit son père en jetant un regard au tableau.
-Ils ont aussi fouillé la chambre de maman…Gémit-il, les larmes menaçant de couler.
-Rassure-toi mon garçon, ils n'ont rien dû trouver. Ta mère ne s'est jamais intéressée à la magie noire…Cesse de pleurer maintenant tout ceci est passé.
Théodore essuya d'un revers de manche ses larmes de soulagement et resta toute la soirée aux côtés de son père. Les deux derniers membres de la famille Nott ne se parlèrent guère, mais cela rassurait le jeune homme de savoir son père en vie, même si son état de santé semblait s'être considérablement dégradé.
Petit à petit le jeune homme retrouva ses repères en compagnie de son paternel, passant ainsi ses journées à lire et à rêvasser à la fenêtre de la chambre de sa mère, gardant tout de même un œil sur le vieil homme. Celui-ci semblait avoir pris dix ans de plus, peinait à se lever et était essoufflé aux moindres efforts, ce qui inquiétait Théodore. Il ne voulait pas revivre l'enfer qu'avait été l'agonie de sa mère, même s'il essayait de ne pas se faire d'illusion, son père n'était pas éternel et il pouvait s'estimer heureux qu'il ait survécu à son séjour à Azkaban…
Un soir, après le dîner, alors qu'il mettait un peu d'ordre dans la cuisine, quelqu'un frappa à la porte d'entrée du manoir. Levant ses yeux clairs vers son paternel, Théodore l'interrogea du regard, même s'il savait parfaitement ce qui se tramait au sein même de sa demeure.
-Laisse-moi, j'ai des affaires importantes à régler…
Sans un mot, l'adolescent monta à l'étage, mais s'arrêta simplement en haut des escaliers. D'ici, il pouvait entendre assez distinctement les voix qui parvenaient du salon et pouvait même apercevoir l'homme qui venait d'y pénétrer. La conversation n'apprit rien de nouveau au jeune homme, confirmant simplement des rumeurs. Lord Voldemort avait pris le contrôle du Ministère, faisait des massacres auprès des nés moldus et des sang-mêlés et était toujours à la recherche de partisan pour le soutenir dans son ultime but, régner en maître sur le monde des sorciers.
Alors qu'il s'apprêtait à se rendre le plus silencieusement possible dans sa chambre, une bribe de conversation lui fit tendre l'oreille, lorsqu'il comprit qu'elle le concernait.
-Quand comptes-tu présenter ton fils au Seigneur des Ténèbres ? Tu es l'un de ses plus anciens partisans et cela m'étonne qu'il ne nous ait toujours pas rejoint…
-Il ne sera d'aucune utilité, hormis lire et rédiger des devoirs pour l'école, il n'est bon à rien…Je n'ai jamais réussi à en tirer quoique ce soit…
-Pourquoi ? Il ne se sent pas concerné par notre cause ? Aurais-tu élevé un traitre à son sang ?
-Bien sûr que non ! Mais il est tellement sensible et craintif qu'il sera incapable de faire quoique ce soit pour le Seigneur des Ténèbres…Je n'y tiens pas particulièrement mais j'aimerai tout de même le garder en vie pour qu'il puisse perpétuer mon nom et mon sang…
-Très bien, espérons alors que les Carrow parviendront à lui mettre un peu de plomb dans la cervelle. Ils ont récemment été nommés professeurs à Poudlard…
Profondément blessé par les paroles de son père, Théodore s'enfuit dans sa chambre, sans se soucier du bruit qu'il faisait. S'écroulant sur son lit, il ne pu retenir des larmes de peines, de colère et de déceptions. Même s'ils avaient souvent du mal à s'entendre, le jeune homme l'avait toujours considéré comme son unique pilier. Après la mort de son mère, l'adolescent avait sans le vouloir développé une sorte de dépendance affective envers son unique parent et avait tout fait pour attirer l'attention et l'affection de celui-ci. Très peu démonstratif, celui-ci ne lui en avait jamais vraiment témoigné, mais l'entendre dire de sa propre voix, qu'il n'était rien pour lui, l'avait anéanti…
Après avoir passé une bonne partie de la nuit à pleurer, Théodore s'était juré qu'il ne compterait plus jamais sur quelqu'un d'autre que lui-même…
Le lendemain matin, après avoir passé un bon quart d'heure à faire disparaitre les traces de larmes, il descendit prendre son petit déjeuner, d'une humeur massacrante. Ne jetant même pas un regard à son père déjà attablé à la table du salon, il tenta de calmer ses nerfs sur les portes des placards qu'il claqua bruyamment, en sortant de quoi manger.
-Que se passe-t-il ? L'interrogea le vieil homme sans lever les yeux de son journal.
-Pourquoi ça t'intéresse puisque tu ne tiens pas particulièrement à moi cracha-t-il sans penser ne serait-ce qu'une seule seconde aux conséquences de ses paroles.
-Tu as écouté notre conversation hier soir…murmura le vieil homme en posant enfin les yeux sur lui.
-Peut-être…répondit-il d'un ton détaché.
-Ne joue pas à ce jeu-là avec moi Théodore ! Tu sais parfaitement que ces conversations sont privées, si je te dis de monter dans ta chambre, ce n'est pas pour que mon propre fils m'espionne !
-Pourquoi tu ne me livres pas directement à lui ? Il te débarrassera de moi et tu n'auras plus à me supporter ! se mit à hurler l'adolescent, en se levant brutalement de table, perdant totalement le contrôle de ses nerfs.
-Justement pour te garder en vie, tu es mon seul héritier et…
En ayant assez entendu, le jeune Nott se leva et monta bruyamment les escaliers, pour aller s'enfermer dans la chambre de sa mère. C'était toujours là qu'il allait lorsqu'il avait besoin de réfléchir ou de se calmer. Il ne comprenait rien au raisonnement de son père, avait-il dit cela pour le protéger ou n'était-il pour lui qu'un fardeau qui n'aurait d'utilité qu'à perpétuer leur nom ?
Le reste de l'été fut particulièrement sombre. Théodore refusait de se trouver dans la même pièce que son père et ne voulait surtout pas lui adresser la parole. L'adolescent fut enfin libéré le jour de la rentrée, lorsqu'il transplana jusqu'à la gare sans même avoir dit au revoir à son seul parent restant, ne sachant même pas s'il le reverrait de son vivant car une guerre était sur le point d'éclater. L'adolescent n'avait pas choisi de camp et espérait n'avoir jamais à choisir. Comme il l'avait dit à Drago Malefoy l'année précédente, il se battait pour la survie, uniquement pour la survie, même si au fond de lui, la perspective de vivre dans un monde gouverné par Lord Voldemort, le terrifiait.
