« Il m'a dit...
Il m'a dit que vous êtes un Mangemort.
J'ai cru comprendre que d'après le professeur Maugrey, c'était apparemment d'ordre public ».
C'est sur ces mots accusateurs mais fondés de Harry contre Severus qu'ils se séparaient au coup de feu de la deuxième tâche du Tournoi des Trois Sorciers. Après avoir exploré le lac, Harry finit par récupérer Ron et la sœur de Fleur, non sans avoir maille à partir avec un cheval noir et aquatique, un cheval de légende répondant au nom de Kelpie...
On part sur un POV Severus pour ce chapitre !
Et merci encore à tous ceux qui laissent une review, cela me fait beaucoup plaisir !
Le Serment à la nuit : Chapitre XXVIII
Le Cheval Noir
Severus replia l'exemplaire de la Gazette du Sorcier qu'il avait rapporté du petit-déjeuner de la Grande Salle, peu intéressé par l'interview égocentrique qu'y donnait Cornélius Fudge dans son manoir, et croisa les bras sur sa cape, jetant un nouveau regard noir en direction des baies vitrées panoramiques des tribunes réservées aux officiels et aux hôtes.
Ces tribunes, installées aux étages supérieurs des gradins, étaient spacieuses et confortables, généreusement fournies en boissons et collations, chauffées par des feux de cheminée bien entretenus, qui donnaient des balcons abrités du vent, à la manière des gradins d'un stade de Quidditch.
« Avant que vous me posiez la question, oui je lui ai accordé un laisser-passer pour qu'il puisse réaliser un petit reportage, oui il a le droit de rester ici comme invité jusqu'à l'annonce des résultats par le jury, et non je ne vais pas le lui retirer et lui suggérer d'aller voir ailleurs si vous n'y êtes pas ».
Installée dans un petit fauteuil en daim à sa gauche, Minerva McGonagall tapota leurs tasses respectives de sa baguette, et les feuilles de menthe qui avaient infusé dans l'eau fumante disparurent. Elle fit venir d'un Accio une carafe en porcelaine disposée sur l'un des buffets, et répartit le lait chaud dans les tasses. Puis elle se réserva une petite cuillerée de sucre sans lui en proposer, sachant qu'il préférait son thé nature.
« Qu'est-ce que c'est que cette histoire de reportage dont vous parliez tout à l'heure avec Aurora ? » reprit Severus d'un ton doucereux. « Ne me dites pas que Rita Skeeter l'a embauché pour en faire son prochain attaché-presse dans la Gazette, le monde du journalisme ne s'en remettrait pas ».
« Ne soyez pas si mesquin, Severus... Il m'a dit qu'il avait pour projet de monter un journal de Poudlard. Je suis d'avis que nous nous devons d'encourager les initiatives créatrices de nos étudiants. Et puis, il n'est pas le seul élève convié ici, que je sache ».
« Un journal de Poudlard… » reprit Severus, affligé. « Morgane préserve… Comme s'il n'y avait pas assez de potins et autres rumeurs pour nous en rajouter une couche ».
Sur le balcon compartimenté sur lequel donnait leur tribune, de l'autre côté de la baie vitrée, Crivey surveillait la surface du lac, les yeux rivés à une paire de Multiplettes que Severus serait bien en peine de savoir comment il l'avait dénichée étant donné qu'à sa connaissance, le garçon était d'origine Moldue.
Le Gryffondor se retourna pour lui adresser un sourire éblouissant auquel Severus répondit par un regard courroucé.
Lorsque le garçon se remit à fixer l'horizon du lac, il entendit distinctement dans son dos le rire léger de Dumbledore qui venait de terminer une interview donnée à une élégante journaliste du Cri de la Gargouille, l'une des rédactions française qui couvrait la deuxième tâche.
« Pas maintenant, Dumbledore » s'entendit-il répondre avec agacement, tandis que Minerva pinçait les lèvres d'amusement.
« Ai-je dit quelque chose ? » fit innocemment son directeur.
« Je vous ai entendu le penser, cela revient au même ».
« Ah, il semblerait que mon Occlumancie laisse à désirer... ».
« Tout comme votre manie concernant le cas Crivey ».
« Vous préféreriez peut-être que l'on évoque... l'autre manie ? » suggéra Dumbledore d'un ton entendu, et même sans se retourner, Severus voyait parfaitement les étincelles briller dans ses yeux.
« Ni l'une ni l'autre, en vérité » fit-il assez sèchement, prétendant ignorer le regard qu'échangea le vieil homme avec sa comparse Gryffondor.
Pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, et pour en revenir au cas Colin Crivey, quelques mauvaises langues au sein du corps professoral prenaient un malin plaisir à s'amuser de la non-relation qui ne le liait pas à l'exaspérant photographe en herbe.
Quant au sous-entendu éhonté sur un certain Gryffondor de quatrième année...
Ces Gryffondors, aucune subtilité, songea-t-il en buvant une gorgée de thé. Celui-ci était brûlant mais il se garda bien de s'en plaindre, s'appliquant à demeurer nullement affecté.
« Maintenant que j'ai un peu de temps libre avant la cohue des journalistes ne reprenne tout à l'heure, profitons de l'accalmie des coups de vents pour prendre un peu l'air » proposa Dumbledore, guilleret. Il attrapa un croissant doré et chaud lorsqu'un plateau vint flotter à proximité de sa main. « Les premiers champions ne devraient d'ailleurs plus tarder ».
Il restait un bon quart d'heure avant que le délai imparti ne s'écoule, et personne n'était encore revenu des profondeurs du lac, ce qui n'était pas pour apaiser la tension déjà élevée de Severus.
Suivant leur petit groupe parmi les attroupements épars qui se commençaient à se presser sur la balustrade en fer forgé qui courait autour des tribunes, il veilla à demeurer à bonne distance de l'infernal Crivey qui ratissait le lac à la manière d'une sentinelle à qui rien n'échappe.
Crivey était un mélange de Gryffondor et de Poufsouffle, et il y avait peu de chose au monde qu'il détestait davantage que ce condensé écœurant.
L'ami Tournesol, comme il se plaisait à l'affubler, était constamment d'humeur enthousiaste, quelles que soient les circonstances, et excessivement curieux. Qui étaient ces gens sans cesse de bonne humeur, par Merlin ?
Severus se souvenait d'un jour de juin où, après que le garçon eut été pétrifié près de sept mois par le Basilic, il était venu frapper à sa porte pour lui demander, à l'instar de la plupart des professeurs, de lui donner des cours et des devoirs supplémentaires pour le temps qu'il lui restait jusqu'à la fin de l'année scolaire pour de ne pas redoubler, quitte à bûcher pendant les deux mois de vacances. Severus avait catégoriquement refusé, bien entendu.
Crivey avait passé trop de temps dans le coma pour que le retard puisse être rattrapé, d'autant qu'il était un Né-Moldu, et qu'il se remettait à peine de ses longs mois de pétrification. Non seulement l'été n'y suffirait pas, mais si c'était pour arriver lessivé en septembre, ça n'avait aucun intérêt.
Le veto de Severus lors du conseil de classe avait donc empêché le passage du garçon dans l'année supérieure.
Et pour la première fois, quelque chose s'était éteint dans le regard du Gryffondor ce jour-là…
Il avait vu passer une ombre, l'ombre des gens trop solaires malgré eux.
Son rôle décisif dans son redoublement n'avait en tout cas pas empêché Crivey, à la rentrée suivante, de venir le trouver pour lui apprendre la recette de la potion qui permettait de développer les photos moldues, ce qui n'avait pas manqué d'alimenter les plaisanteries en salle des Professeurs… Il avait une réputation à tenir, par les Moires !
Agacé, il leva les yeux au ciel, et fut tiré de ses pensées par Verpey, qui avait pris une pause dans ses vociférations inutiles.
« Barty, mon vieux Barty ! » lança gaiement Verpey en administrant une accolade peu solennelle à son homologue du Département de la coopération magique internationale. « Encore cette histoire de tour du monde à l'improviste qui te mine ? ».
Étant donné l'air aussi renfrogné que possible qu'il affichait, faisant passer n'importe quel croque-mort pour un gai luron, partir en road-trip la fleur aux lèvres ne semblait pas être sur la liste des priorités de Bartemius Croupton.
« Goûte-moi donc cet Irish coffee, tu m'en diras des nouvelles ! ».
Il héla un serveur que Severus reconnut comme étant l'un des rares Gryffondor de septième année qui suivait ses cours de Potions, et qui leur présenta un plateau rempli de tasses en verre fumantes et crémeuses.
« Jamais de café alcoolisé le matin » fit Croupton de la même manière que si on lui avait proposé un panel de poisons mortels. Ça n'empêcha pas Flitwick de s'en servir un.
« Jamais de boisson alcoolisée tout court j'ai l'impression, pas vrai ? » répliqua Verpey en buvant une rasade généreuse. « Barty, j'ai croisé Dawlish et Tonks du bureau des Aurors cette semaine qui m'ont fait savoir que tu avais lancé un appel à témoins dans le cadre de sa disparition, et qui me demandaient si j'avais des nouvelles. Tu persistes à te faire du mouron pour rien, je te le dis ! ».
« Une disparition ? » relança aussitôt Minerva. « Mais qui donc a disparu ? ».
« Pas son insupportable manie de beugler des inepties, cela est certain » murmura Severus entre ses dents.
« Bertha Jorkins » répondit Croupton d'une voix grave et lasse qui le faisait paraître plus vieux que ce qu'il n'était. Il fit voleter de sa baguette un avis de recherche estampillé par le Ministère de la Magie, puis se ravisa lorsque la photo faillit s'envoler par-dessus la balustrade, tout juste rattrapée du bout des doigts par Severus.
« Beaux réflexes d'Attrapeur ! » lâcha Verpey dans un sifflement d'admiration. « Vous jouez au Quidditch, je suppose ? ».
« En aucun cas » grinça Severus, tandis que Dumbledore, les yeux brillants, glissait une remarque à voix basse à McGonagall qui esquissa un fin sourire. Il allait finir par en noyer un au fond du lac...
« Quel dommage ! Vous êtes sûr que… ».
« J'en suis absolument certain. Poursuivez, Croupton ».
Ledit Croupton plissa les yeux, comme contrarié de se voir commander comme un élève, mais ne releva pas.
« Bertha Jorkins est l'une de nos employées, elle travaille au sein Département des jeux et sports magiques sous les ordres de Ludo. Elle était en charge notamment de l'équipe dédiée à l'organisation de la Coupe du monde de Quidditch et du Tournoi des trois sorciers, et s'est purement et simplement volatilisée cet été durant ses vacances, peu avant la Coupe du monde ».
« Je ne l'ai pas revue depuis ses années d'étude à Poudlard » fit Minerva en faisant circuler la photo, qui montrait une femme replète et l'air dans la lune.
« Son nom ne me dit rien, pas même vaguement » admit Flitwick sur un ton d'excuse, tandis que Dumbledore à ses côtés acquiesçait poliment. L'un comme l'autre avait vu passer tellement d'élèves…
« Elle n'était pas particulièrement assidue » reconnut Minerva. « J'en sais quelque chose, elle était à Gryffondor, elle aimait bien enquêter là où il ne fallait pas aller. Une sorte de Rita Skeeter avant l'heure, la mesquinerie en moins ». Elle ignora le reniflement dédaigneux du Maître des Potions. « Vous n'avez vraiment aucune nouvelle ? Que pensez-vous qu'il se soit passé ? ».
« Bertha est partie en vacances en juillet séjourner chez une tante et un cousin en Albanie » précisa Croupton. « Seulement, elle a disparu un beau matin lors d'une promenade dans les bois et n'est jamais revenue. Plus personne n'a jamais eu de nouvelles, c'est comme si elle s'était tout bonnement évaporée dans la nature depuis cet instant, les premiers témoignages relevés par le Bureau des Aurors font état d'une disparition soudaine et inexpliquée ».
Severus fronça les sourcils. Ce ne serait pas la première fois qu'une personne craque nerveusement et abandonne tout pour s'expatrier au fin fond de la cambrousse australienne. Ou au fin fond d'une forêt albanaise, ça ne faisait pas de grande différence. Pas plus tard que cette semaine, il avait très sérieusement pensé à s'exiler sur une île en mer du Nord pour échapper aux exploits désastreux de ses classes de cinquièmes années…
« Nous sommes en février, cela fait déjà un moment qu'elle a disparu » observa-t-il. « Vous ne vous êtes pas étonnés avant ? Des mois sans revoir un membre du Ministère, et personne ne s'inquiète ? J'ose espérer que si je disparaissais dans des conditions suspectes du jour au lendemain, mon directeur ne mettrait pas six mois pour réagir ».
« Soyez rassuré Severus, vous n'avez rien à craindre sur ce point » rebondit Dumbledore, une lueur amusée dans les yeux.
Et comment… Dumbledore avait trop besoin de lui pour le laisser filer. Sans oublier Potter, il fallait bien que quelqu'un surveille le gamin... Sa manie, comme aimait à lui rappeler le directeur.
Si Croupton releva le ton légèrement accusateur, il ne se laissa pas démonter.
« Franchement, les gens s'inquiètent pour si peu de choses de nos jours » claironna Verpey en frappant dans ses mains d'une manière qui irrita Severus.
Pas plus affecté que ça, il monopolisait à lui tout seul une corbeille remplie de madeleines senteur fleur d'oranger.
« Bertha a un sens de l'orientation proche du néant et la mémoire d'une goule sénile, elle se laisse très facilement distraire. Ça ne m'étonnerait pas qu'elle se soit baladée dans l'arrière-pays albanais pour croiser un troupeau de Veaudelunes au détour d'une prairie et qu'elle se soit évertuée à les apprivoiser. Ce ne serait pas la première fois qu'elle nous réserverait ce genre de facétie. Albus, vos madeleines sont exquises, aussi dodues que savoureuses, il va falloir me donner l'adresse de votre traiteur confiseur ».
Le ton condescendant de Verpey fit hausser les sourcils à plus d'un.
Piqué au vif, Croupton contre-attaqua immédiatement :
« Bertha est certes extravagante mais elle n'est pas stupide. Cela fait des mois que j'alerte vos services pour envoyer quelqu'un à sa recherche, et tout le monde semble oublier qu'elle a disparu depuis juillet. Depuis le mois de juillet, Verpey. Il a fallu que je saisisse directement le Bureau des Aurors pour que l'on daigne enfin s'inquiéter de son cas. Si elle, ou si quiconque d'autre avait disparu sous ma responsabilité, il y a une éternité que j'aurais déployé les grands moyens pour la retrouver ».
« Mais enfin, vous la connaissez par cœur mon vieux Barty, elle... ».
« Silence ! » coupa Croupton. Verpey ouvra des yeux ronds comme des billes. « Elle n'a jamais disparu aussi longtemps, et elle était entièrement informée de l'importance de sa présence pour l'organisation de la Coupe du monde et du Tournoi des trois sorciers. Elle prenait très à cœur ce travail et n'aurait pas failli à ses obligations. Vous ne pouvez vous targuer de la connaître mieux que moi Verpey, trop occupé que vous étiez à vous pavaner dans tout le Ministère cet été ».
Le ton était dur, et un tic nerveux agita son visage comme s'il mourrait d'envie de distiller tout le mépris que lui inspirait son collègue trop négligent. Severus était prêt à parier qu'il y avait là-dessous des années de rancœur professionnelle… Mais le silence soudain ainsi que les regards posés sur eux durent se rappeler à son strict code d'honneur, car il se contenta de serrer le poing comme pour refouler une pulsion de violence physique.
« Le département avait d'autres chats à fouetter » tenta pitoyablement de se défendre l'ancien joueur international de Quidditch. « Avec l'attaque à la Coupe du monde, retrouver Bertha n'était pas la priorité ».
Droit dans son impeccable costume sombre à fines rayures, Croupton se mura dans le silence et le toisa avec un mépris évident avant de se détourner et de rejoindre un petit groupe d'invités. Sans paraître gêné le moins du monde, Verpey enfourna une madeleine et termina son Irish coffee avant de s'éclipser l'air de rien vers le stand des boissons chaudes qui était pris d'assaut.
Pas étonnant que Croupton soit furieux contre Verpey, songea Severus en se laissant aller à l'observation de la surface grisâtre du lac. L'ancien Batteur des Frelons de Wimbourne avait la réputation d'être un fanfaron qui profitait davantage de sa renommée internationale pour parier et s'amuser plutôt que de jouer les bureaucrates au Ministère. Il se fichait comme d'une guigne que son employée délurée ne soit jamais revenue de vacances… Facile de mettre sa disparition sur le compte de vacances prolongées dans toute l'Europe, ou d'une passion soudaine pour une quelconque faune albanaise...
S'il n'avait pas été aussi désinvolte, Severus l'aurait soupçonné d'en savoir plus qu'il ne le prétendait.
Mais Verpey n'avait pas l'intellect nécessaire, il en était certain.
La tension qu'avait amenée la discussion sur Bertha Jorkins fut rapidement dissipée par l'arrivée de Cédric Diggory qui déclencha une explosion de joie dans les tribunes, tandis que les rangs de Durmstrang et Beauxbâtons s'agitaient, dépités.
« Pas trop déçu pour votre idole, Crivey ? » tacla Severus en dépassant le garçon qui mitraillait le Poufsouffle et sa petite-amie sauvée des eaux.
Quand Crivey se retourna pour défendre Potter, Severus était déjà loin, profitant de la cohue pour descendre au niveau des pontons, où le champion et Chang paraissaient frigorifiés mais heureux d'être les premiers à revenir dans le temps imparti.
Amos Diggory, une grosse écharpe en laine jaune et noir autour du cou, rayonnait de fierté et ne se privait pas de le faire savoir :
« C'est le meilleur ! » rugissait-il en boucle au milieu des accolades écœurantes des amis du Poufsouffle. « C'est le meilleur et c'est mon fils ! ».
Severus ne manqua pas le reniflement méprisant de Karkaroff.
Il saisit quelques bribes de conversation entre Diggory et Croupton, tendant l'oreille lorsque le champion déclara distraitement avoir croisé Potter au moment de libérer sa prisonnière.
Avant qu'il ait pu s'imposer pour demander davantage d'explications, un Krum à demi métamorphosé en requin jaillissait de l'eau sous les acclamations émerveillées des spectateurs, tenant entre ses dents aiguisées le col du pull de la Miss Je-Sais-Tout.
Ces deux-là ensemble…
Il esquissa un rictus.
Le Bulgare s'assura d'abord que la Miss Je-Sais-Tout soit en sécurité avant de se hisser lui-même sur le ponton, et de se relever aussitôt, la posture fière et le menton levé. Et la détermination mêlée de colère que Severus lisait dans son regard gris sombre lui fit penser que ce n'était pas l'eau glaciale ruisselant sur son corps qui lui faisait serrer les poings, mais tout autre chose.
Karkaroff avait bien formé son poulain à une certaine impassibilité, comme la plupart des élèves de Durmstrang d'ailleurs, mais Severus était rompu à l'exercice et ne fut pas dupe : la mâchoire contractée, et cette lueur familière au fond des yeux bien masquée sous une bonne dose de colère. Quelque chose n'allait pas.
« Comment avez-vous pu ? » chargea Krum en pointant un doigt accusateur sur Croupton. « Comment avez-vous pu faire participer une telle crrréature à cette tâche ? Nous avons été attaqués ! ».
Autour du champion, les applaudissements se tarirent aussitôt.
« Je n'aime pas beaucoup ce comportement, M. Krum » répondit Croupton avec autorité en s'écartant de Diggory pour aller à la rencontre du Bulgare « Du reste, vous connaissez le règlement du Tournoi, il me semble. Les épreuves sont destinées à tester, entre autres, la capacité des candidats à réagir face au danger. Il n'y a donc rien d'inhabituel à ce que vous ayez dû affronter quelques créatures peuplant le lac ».
« Et moi, je n'aime pas beaucoup que l'on me prrrenne pour un idiot » rétorqua Krum, suscitant quelques murmures autour d'eux.
N'importe qui aurait baissé les yeux devant Bartemius Croupton, le pourfendeur de mages noirs, l'implacable procureur qui avait fait trembler plus d'un Ministre de la Magie, mais Severus dut reconnaître à Krum qu'il ne se laissait pas impressionner par le regard acéré de Croupton. Pourtant, pour l'avoir pratiqué, l'Attrapeur était un garçon certes taciturne mais poli, et n'avait jamais manqué de respect aux officiels du Tournoi, et encore moins à Croupton, envers qui il avait toujours témoigné une déférence certaine - contrairement à Karkaroff.
« Viktor ? L'animal qui vous attaqués faisait certainement partie du folklore de la deuxième tâche. Mais tout cela n'est qu'un mauvais souvenir, vous vous en êtes très bien sorti, à peine moins de cinq minutes après Diggory ! ».
Krum arrêta d'une main Karkaroff qui s'avançait vers lui, sans quitter Croupton du regard.
Ce dernier mis les bras derrière le dos pour mieux l'étudier, et Severus pouvait sans peine deviner le magistrat intraitable dans cette posture. Il ne fut pas le seul, à en juger les regards qu'échangèrent ceux qui étaient suffisamment âgés pour connaître sa réputation.
« En concourant à ce Tournoi, Viktor Krum, vous avez consenti à vivre des situations stressantes et affronter des créatures exigeant un certain niveau de défense et de sang-froid. Le jury comprend que vous puissiez être bouleversé, mais les Strangulots figurent sur la liste des créatures qui... ».
« Les Strrrangulots ? » gronda Krum avec indignation, faisant plisser les yeux à Croupton. « Vous crrroyez vraiment que je suis en train de vous parler de vulgaires Strrrangulots ? Je suis parrrfaitement capable de me battre contre des Strrrangulots ! ».
« Sur un autre ton serait apprécié, jeune homme » le tança Croupton, et une lueur mauvaise s'alluma dans le regard de Karkaroff. « A ma connaissance, il n'y a rien de plus dangereux que des Strangulots dans le Lac Noir, les êtres de l'eau mis à part, mais nous cohabitons pacifiquement avec eux et ils participent à la sécurité de l'épreuve ».
Krum lâcha une exclamation incrédule.
« Rien de plus dangereux que des Strrangulots ? Allez dire ça à la chose qui nous a attaqués, Herrrmioneû et moi ! ».
Jusqu'alors en retrait, Dumbledore intervint, une expression préoccupée sur le visage :
« Le Calamar géant aurait-il tenté de s'en prendre à vous ? Il n'est pas censé vous… ».
« Un Calamar géant ? Je n'ai vu aucun calamar, ça n'a rien de drrrôle ! » répliqua Krum, le regard dur. « Mais je crrrois que j'aurais préféré affronter un calamar plutôt qu'un… ».
Les mots du champion se perdirent dans une clameur stupéfaite qui s'éleva des tribunes.
Severus ne sut pas ce qu'ils avaient finalement affronté, et qui avait l'air définitivement plus dangereux que le Calamar géant, cependant qu'il avisait avec une certaine inquiétude les étincelles rouges et lointaines qui venaient d'éclore dans le ciel, et paraissaient provenir d'une partie assez reculée du lac.
Il restait Potter et Delacour encore en lice, et il espérait que c'était la Delacour qui avait besoin d'aide.
Sur le pont inférieur tout le monde s'agita tandis que Verpey hurlait de plus belle, plus surexcité que jamais à l'idée que quelque chose de grave soit arrivé. Pendant que Dumbledore diligentait une équipe de sorciers dédiée au secours, Severus se fraya un chemin jusqu'à Krum à grands renforts de regards menaçants, devançant Croupton.
« Avez-vous croisé Potter ? » exigea Severus en repoussant brusquement la main agacée que Karkaroff avait posée sur son bras pour l'empêcher d'approcher de trop près son favori.
« Qui est la créature qui s'en est pris à vous ? » demanda Croupton au même moment, et le Bulgare les dévisagea tous les deux, partagé entre colère et surprise. « M. Krum, vous n'avez pas terminé votre phrase et je dois impérativement savoir ce qu'il s'est passé sous l'eau, quelle était la chose qui vous a attaqués si ce n'était ni un Strangulot ou quoi que ce soit de similaire, ni le Calamar géant ? ».
« Harrry était déjà là quand je suis arrrivé, je ne me suis pas éternisé, j'ai attrapé Herrrmioneû et je suis reparti ».
« Comment ça, déjà là ? » insista Severus. « Qu'est-ce qu'il attendait ? Il n'était tout de même pas en train de faire des bulles au fond du lac, si ? ».
Krum se raidit sous l'effet d'une rafale glacée.
« Aucune idée, surtout qu'il avait déjà libéré le jeune... Wesley ? Weasel ? ».
« Weasley » fit Croupton dans un geste d'humeur avant de poser une main gantée et impérieuse sur l'épaule du Bulgare « Cette créature, M. Krum, je veux son nom ! ».
« Ne touchez pas à mon champion ! » avertit Karkaroff, mais Croupton leva un doigt dans sa direction sans même le regarder. « Viktor, vous n'êtes pas obligé de... ».
« C'était un... c'était une sorte de... Bäckahästen » lâcha Krum, nerveux.
« Une sorte de quoi ? Vous pouvez répéter ? » rebondit une voix féminine reconnaissable et dédaigneuse.
Rita Skeeter bien sûr, qui avait mystérieusement réussi à quitter le carré des journalistes pour rôder au plus près des champions. Elle lança une œillade complice à Severus qui lui répondit par un regard polaire.
« Un Bäckahästen… Du moins, ça y ressemblait mais je ne sais pas si c'en était vraiment un, et je ne sais pas comment ça se prrrononce dans votre langue ».
Pendant que tous ceux que les étincelles dans le ciel n'avaient pas détournés de l'accrochage entre Krum et Croupton se hâtaient de demander des explications ou répétaient comme des perroquets qu'ils n'avaient rien compris, et que Severus mobilisait ses connaissances linguistiques en russe, Croupton paraissait plongé dans une intense réflexion, le regard concentré perdu quelque part sur la surface du lac, une main toujours sur l'épaule du champion.
Il ne s'écoula pas plus de quelques secondes avant qu'il ne se redresse brusquement, les yeux écarquillés :
« Bäckahästen ! ».
A la façon dont son front se fit soucieux, Severus eut la confirmation que la créature qui portait ce nom n'avait jamais figuré au programme de la deuxième tâche.
« C'est du suédois » précisa Croupton alors qu'il ouvrait la bouche pour lui demander des éclaircissements, son russe ne lui étant visiblement d'aucun secours. « Cheval de ruisseaux. Mais c'est impossible, nous n'avions pas… Ce n'est pas… ».
Un cheval de ruisseaux… Severus n'était pas un spécialiste du folklore scandinave, mais si le cheval de ruisseaux était aux Suédois ce qu'était pour eux le légendaire Kelpie, il était plus qu'urgent d'intervenir !
D'autorité, il descendit la courte échelle glissante qui descendait du ponton et sauta dans une chaloupe au bois sombre et verni, où deux sauveteurs du Ministère, des sorciers vêtus de capes violettes, ainsi que Henriett Spencer, le bras droit de Croupton, s'apprêtaient à mettre le cap en direction des étincelles rouges. Il fut rejoint aussitôt par Croupton ainsi qu'un Verpey essoufflé, dont les yeux brillaient d'excitation à l'idée d'être aux premières loges.
« Vite ! Il n'y a plus une minute à perdre ! » ordonna Croupton après avoir adressé quelques directives à des subalternes restés à quai.
L'un des agents en uniforme tapota le moteur qui ronronna.
Posté à la proue, Severus sentit une légère secousse ainsi qu'une exclamation de surprise au moment où le bateau quittait les gradins, mais n'y prêta pas attention, occupé à déterminer d'où étaient provenues les étincelles d'appel à l'aide, qui avaient déjà disparu. Le lac comptait plusieurs îles et l'essentiel était de ne pas perdre de temps en se trompant sur le pas de tir du sortilège.
« Mais… qu'est-ce que tu fais là, toi ? » s'enquit Croupton avec incompréhension, tandis que Verpey riait à gorge déployée, ce qui le convainquit de se retourner.
Il ne fut pas déçu en croisant le regard espiègle à demi-caché derrière un appareil photo qui, comble de l'irritation, se déclencha au même moment.
« Nous n'avons rien pu faire, il a sauté dans notre dos à la dernière seconde » commenta Henriett Spencer, passablement contrariée.
« Crivey, inénarrable petit fouineur ! » tonna Severus en enjambant une planche, dans l'idée de jeter l'appareil photo dans les profondeurs du lac, ce qu'il aurait dû faire dès le départ « Vous n'avez rien à faire sur cette barque ! Barreur, faîtes demi-tour ! ».
Le maudit Gryffondor se précipita derrière Croupton en se calfeutrant contre une malle, laissant le chasseur de mages noirs lui barrer le chemin.
« Non, Professeur Snape ».
« Rassurez-vous, je n'ai pas l'intention de le jeter par-dessus bord ! » ironisa Severus. Pas sous le nez du Ministère, à tout le moins.
Ils se dévisagèrent quelques instants, comme incertains, parvenant à garder un équilibre précaire malgré le roulis. Le canot croisait déjà à pleine vitesse sur le lac, et leurs capes claquaient aux quatre vents autour d'eux.
« Je voudrais aussi pouvoir faire demi-tour, mais nous n'avons pas le temps de revenir le déposer en lieu sûr » finit par dire Croupton à contrecœur. « Nous ne serons peut-être pas de trop pour venir en aide au candidat en difficulté ».
Comme pour lui donner raison, une nouvelle salve de fusées de détresse explosa dans le ciel, beaucoup plus proche cette-fois ci, et Severus sentit son ventre se tordre. Deux Periculum à quelques minutes d'intervalle… cela ne présageait rien de bon.
« Notre champion a dû refaire surface près d'une île et aura eu la flemme de nager jusqu'aux gradins » s'amusa Verpey.
« J'aimerais partager votre optimisme » fit sèchement Croupton, ce qui évita à Severus de le faire « Seulement, Viktor Krum vient de nous rapporter avoir vu un cheval de ruisseau, un Bäckahästen ».
Verpey pouffa de rire.
« Ce ténébreux gaillard de Krum a été effrayé par un poney ? Comme quoi, c'est bien la preuve que tout peut arriver dans ce Tournoi ».
Côte à côte, Severus et Croupton échangèrent un regard indéchiffrable.
« C'est un cheval de ruisseaux, Monsieur Verpey, pas un poney » corrigea Crivey d'un ton enjoué. « Et Viktor n'aurait jamais eu peur d'un poney, il vient de Durmstrang, après tout ! Je ne sais pas ce qu'est un cheval de ruisseaux, mais en tout cas, ça a l'air un peu dangereux ».
Severus ne prétendit pas ignorer la pointe d'envie qu'il devinait dans la voix du garçon.
Il pointa un long doigt inquisiteur vers lui :
« Vous, vous ne perdez rien pour attendre ! Vous viendrez me voir demain matin dans mon bureau à 8 heures pour discuter de vos prochaines retenues. Vous n'êtes qu'un Gryffondor inconscient ! Je n'ai jamais vu pareil comportement, sauter comme un petit sauvage dans un bateau destiné à secourir des champions, au mépris de votre propre sécurité, tout ça pour quoi M. Crivey ? Pour quelques photos et votre petit moment de gloire ? Et que ce serait-il passé si vous étiez tombé dans l'eau dans l'indifférence générale ? ».
« Le Calamar géant m'aurait repêché » prétendit crânement le garçon. « Et puis de toute façon, je sais nager ».
« Repêché ou dévoré tout cru ! » cingla Severus. « Imaginez un peu la réaction de vos parents éplorés si on leur annonçait que l'ami Tournesol avait terminé dans le ventre du Calamar… Quelle fin tragique, mais au moins ça aurait fait les gros titres ».
Le sourire espiègle de Crivey se fana, mais au lieu de la culpabilité qu'il escomptait lire sur son visage, il y eut soudain une expression de profonde tristesse qui, l'espace d'un instant, le dérangea.
Parce qu'il n'était pas sûr que ce soit vraiment la perspective de peiner ses parents qui le rendait triste.
Parce qu'il avait vu la même réaction chez Potter quand il avait fait une remarque similaire à propos des Dursley.
« C'était extrêmement imprudent, jeune homme » enchaîna Croupton sur un ton grave en traversant la barque jusqu'à rejoindre le Gryffondor. « Lorsque nous serons arrivés sur site, ne nous quittez pas d'une semelle. Le Bäckahästen, ou le cheval de ruisseaux comme vous l'avez si justement dit, est une créature dangereuse et rusée ».
« Je ne sais pas quelle substance a pris Krum pour se transformer en requin, mais ça a dû lui provoquer des hallucinations » commenta Verpey. « Cet endroit n'a rien d'un ruisseau, je ne vois pas ce qu'un cheval viendrait y nager ».
« Et où se jettent les rivières et les ruisseaux, à votre avis ? » le tança Severus. « Comment croyez-vous que soit alimenté ce lac ? Par la seule intervention divine de Merlin ? Les Kelpies vivent là où il y a de l'eau douce, peu importe qu'il s'agisse d'un cours d'eau ou d'un lac. Ce qui me fait penser, M. Croupton, qu'à ma connaissance, aucun Kelpie ne garde le Lac Noir ».
« Un Kelpie ? Je croyais qu'on était en train de parler d'un cheval de ruisseaux ! ».
Le regard de mépris que lança Croupton à Verpey était tel que même Crivey se recula, se tassant contre le gouvernail, pendant que les agents chargés de la sécurité s'observaient sans broncher, embarrassés.
« Il s'agit de la même race de créature, M. Verpey » finit par expliciter Mme Henriet qui regrettait visiblement d'être monté à bord avec quelqu'un qui n'avait pas pris la mesure du danger qu'ils encouraient. « Mais le Kelpie est une légende plus écossaise, tandis que le cheval de ruisseaux doit être le nom que lui donnent les Scandinaves. Ouvrons l'œil, nous ne devrions pas tarder à arriver sur zone ».
Severus agrippa les bords de la barque qui tangua sérieusement alors qu'elle contournait une île apparemment déserte.
Attentif, il balayait du regard tant les rives enneigées que les eaux métalliques du lac, à l'affût d'une présence humaine, ou non humaine d'ailleurs, anticipant déjà ce qu'il allait y trouver.
Un Kelpie dans le Lac Noir, vraiment ? Et lui qui avait pensé que les organisateurs du Tournoi s'étaient assurés qu'à peu près rien de plus dangereux que des Strangulots ou des êtres de l'eau armés vivaient dans le lac… Même le Calamar, d'après les dires de Dumbledore entre deux tartines beurre-confiture au petit-déjeuner, avait été attiré par un lâcher de poissons grassouillets à l'opposé exact du lieu de départ de la deuxième tâche. De toute façon, le Calamar n'était pas un mauvais bougre et se contentait de faire sa vie du moment qu'on le laissait tranquille, allant même jusqu'à parfois rechercher la compagnie des gens qui fréquentaient le lac.
Il ne doutait pas que Krum ait réellement vu un cheval l'agresser, lui et la Miss Je-Sais-Tout, et même sans entrer dans les détails, ça avait dû être suffisamment effrayant pour qu'il ait le cran de tenir tête à Croupton lui-même.
Qu'une créature légendaire mais réelle comme un Kelpie vienne s'établir dans les parages était une chose, qu'elle se mette, comme par hasard, à s'en prendre à un champion le jour de la deuxième tâche, en revanche… Quelles étaient les possibilités d'une telle coïncidence ? Severus était sûr que la présence d'un Kelpie, ou du moins des multiples formes qu'il pouvait prendre, aurait déjà été remarquée.
Ses yeux noirs tombèrent soudain sur un îlot peuplé de sapins où se dressaient les restes d'un donjon, et il repéra quatre silhouettes allongées sur la rive.
Il nierait, même sous la torture, que son cœur était tombé dans sa poitrine.
« Accostez ici ! » ordonna-t-il, baguette levée, un pied sur le rebord de la chaloupe, prêt à sauter.
Il était hors de question que l'une d'entre elles soit un Survivant au titre déchu. Il était hors de question que…
La barque eut un violent soubresaut au moment de virer et il parvint de justesse à conserver son équilibre, fusillant du regard le brun en uniforme qui maniait la barre, pendant que Crivey se frottait la tête en grognant, après s'être apparemment cogné contre la coque. Son irritation changea aussitôt de cible :
« Alors, on regrette d'être monté clandestinement, Crivey ? Il va falloir vous endurcir si vous voulez devenir un reporter tout-terrain ! ».
Il ne décolérait pas à l'idée que ce petit idiot de Gryffondor soit venu avec eux, et se jura que le garçon ne s'en sortirait pas impunément.
Severus n'attendit pas que le canot eut manœuvré le long de la digue sauvage qui protégeait l'îlot et manqua finir dans l'eau lorsqu'il sauta sur un bout de rocher et dérapa.
« Attention ! Il y a un Kelpie dans les parages ! » lui rappela inutilement Spencer, une jambe par-dessus bord, alors qu'il était déjà arrivé sur la rive enneigée, courant au-devant des quatre silhouettes inanimées.
Comme s'il n'était pas au courant…
Comme s'il n'avait pas déjà les yeux dans le dos, l'œil alerte et l'oreille attentive…
Il eut un coup au cœur en découvrant le garçon gisant sur le dos dans la neige, pétrifié comme une statue de cire, les yeux verts ouverts sur la Mort.
La dominance de blanc autour d'eux faisaient cruellement ressortir sa couleur d'yeux, et il sentit une douleur profonde lui mordre le ventre tant ces yeux, tant cette vision, lui rappelaient un autre visage et une autre scène des années plus tôt, une nuit d'automne où hurlait la tempête.
« Harry… » murmura-t-il d'une voix blanche.
Son cœur fit une chute vertigineuse dans ses entrailles et son souffle se bloqua dans ses poumons tandis que, sans vraiment comprendre comment il en était venu à s'effondrer dans la neige, il avançait une main aussi hâtive que prudente vers le cou du garçon, sans savoir si la douleur lancinante dans sa poitrine était la crainte de n'y trouver aucun pouls ou l'espoir ardent qu'il y en ait un.
L'étau se desserra brutalement quand il fut suffisamment proche pour réaliser que les pupilles du garçon réagissaient, et lorsqu'il se souvint au même moment que certaines espèces de Kelpie avaient la capacité d'injecter du venin paralysant à leur proie.
Harry n'était pas mort.
Il n'était pas…
Il prétendit ignorer les battements chaotiques de son cœur qui commençaient à s'apaiser, pendant qu'il lançait une série de sorts de diagnostics bleutés.
Il respira sensiblement mieux en découvrant que les fonctions vitales du garçon étaient parfaitement normales, excepté une légère hypothermie dont il ne serait pas le seul à se vanter, ainsi que quelques menues contusions.
« Le Kelpie les aura paralysés avec son venin » lança-t-il à Croupton qui arriva sur ces entrefaites. « Cela ne devrait guère durer plus de quelques minutes, je n'ai pas d'antidote commun sur moi mais je crois me souvenir que le venin d'un Kelpie n'est pas douloureux ».
Fut un temps où il ne se baladait jamais sans au minimum un antivenin et trois antipoisons sur lui.
Il pressentait qu'il aurait à reprendre ses bonnes vieilles habitudes dans un futur proche.
« Vous avez essayé l'Enervatum, ou tout autre sort de ranimation ? » demanda Croupton, le visage soucieux.
« Les sortilèges de ranimation ne fonctionnent pas sur une paralysie par venin, et pourraient même…envenimer la situation, si je puis dire. Il faut attendre que les effets se dissipent, ce qui ne devrait plus tarder ».
« Quelle tuile » gronda Croupton, paraissant soudain accablé, tandis qu'il rejoignait son équipe affairée autour des autres victimes inconscientes auxquelles, il fallait l'admettre, Severus n'avait accordé aucune attention. « Que fabrique un Kelpie dans les parages ? Il n'a jamais été question de l'intervention ni même de la présence d'une telle créature au Comité d'organisation ! ».
« Il faut croire que le système de sécurité de votre Tournoi comporte des failles » siffla Severus en lançant un sort de réchauffement à Harry, avant d'aller s'occuper d'une gamine aux cheveux argentés.
« Le protocole a été respecté à la lettre ! Le Calamar géant est à l'autre bout du lac à déguster ses poissons préférés, les environs du parcours sous-marin de l'épreuve ont été sondés pour écarter tout risque trop sérieux, et les gardes armés des êtres de l'eau auraient dû veiller au grain, tel était notre accord avec Murcus, la cheftaine du village. Le Kelpie a surgi de nulle part ! ».
« Le Conseil d'Administration va être furieux » claironna Verpey d'un air désolé qui sonnait faux.
« C'est le cadet de nos soucis » balaya Croupton. « Je m'occuperai d'eux plus tard ».
« Je gage que ce Kelpie n'a pas été amené ici par hasard » pronostiqua Spencer qui examinait les blessures de Fleur, apparemment des morsures de Strangulots. « Quelqu'un veut nuire aux champions ».
« Ou au Tournoi lui-même, en défiant l'autorité et la crédibilité du Ministère » fit Croupton. « Si je mets la main sur... ».
« Regardez, il y en a une qui se réveille ! » coupa Verpey en désignant la fillette dont la commissure des lèvres frémissait, signe que le venin n'agissait plus.
Ils n'eurent pas à patienter plus de deux minutes avant que les quatre endormis se réveillent, sortant progressivement de leur paralysie. Severus s'assura que leurs constantes étaient acceptables, transformant de vieux chiffons qui traînaient dans la chaloupe en couvertures en laine.
Revêtant son masque d'une impassibilité de fer, il laissa volontairement les autres s'occuper de gérer le réveil de Potter, conscient que de toute manière, le garçon cherchait à éviter son regard et que l'endroit n'était pas des plus idéal pour désamorcer la situation.
« Nous avons des renforts » annonça Croupton en se tournant vers le lac, où une chaloupe transportant des agents du Ministère approchait.
Alors que la barque s'apprêtait à accoster, elle fut brusquement soulevée dans les airs, projetant ses occupants directement dans les eaux froides.
La scène se déroula si vite que Severus n'eut même pas eu le temps de distinguer quoi que ce soit hormis des ondulations qui naissaient à proximité des nageurs malgré eux, signe que quelque chose évoluait sous l'eau.
« Sortez de l'eau ! » aboya-t-il. « Dépêchez-vous ! ».
Crachotant, les agents trempés comme une soupe nagèrent vite jusqu'aux berges, pendant que les ondulations perdaient en intensité et que tout le monde scrutait la surface avec inquiétude, s'apprêtant à voir surgir ils ne savaient trop quoi. Les Kelpies n'étaient, après tout, pas aussi communs que des Noueux.
« Nous ne devrions pas traîner ici et partir immédiatement » fit calmement une femme en uniforme violet en séchant ses vêtements les uns après les autres. « Je n'en ai jamais rencontré de toute ma vie, mais vous savez ce que l'on dit des Kelpies : ils ont une force prodigieuse. Nous ne serons pas en mesure de le contenir si jamais il se décidait à nous attaquer, aucun de nous n'a reçu de formation spécifique contre une attaque de ce genre de créature ».
« J'ai demandé à mon assistant Weasley de faire mander de toute urgence les spécialistes de Magizoologie du Département de contrôle et de régulation des créatures magiques » répondit Croupton, s'humectant les lèvres.
« D'ici à ce qu'ils arrivent, nous serons probablement morts noyés et éventrés au fond du lac » railla Severus. « De plus, nous ne pouvons pas fuir en bateau, le Kelpie y est dans son élément naturel et n'attend que l'opportunité de nous balader comme ses jouets et de nous éparpiller pour mieux nous attaquer. Le mieux que l'on puisse faire est d'attendre qu'il s'éloigne et que les autorités compétentes viennent le mettre hors d'état de nuire ».
« Je suis presque sûre que le département voudrait acquérir un Kelpie sans trop l'abîmer » fit observer Spencer dans un rire jaune, avec un regard entendu pour son supérieur.
« Contentons-nous pour le moment de mettre tout le monde en sécurité, la chasse et l'étude d'un Kelpie n'est pas ma priorité ».
La phrase de Croupton s'acheva dans un hennissement grave leur rugit dans les oreilles tandis qu'une bourrasque puissante s'abattait sur leur groupe, déséquilibrant plusieurs d'entre eux.
S'étant discrètement rapproché de Potter durant la conversation, Severus rattrapa le garçon par l'épaule pour le rétablir, le regard dirigé vers le lac, s'attendant à y voir le monstrueux cheval noir aux yeux rouge sang décrit par les jeunes victimes, mais une exclamation de stupeur le fit se retourner. Plus loin, à la lisière du bois, se tenait un majestueux cheval qui n'avait rien de démoniaque et qu'aucun d'eux n'avait entendu arriver.
Par contraste avec la neige, sa robe d'ébène était si sombre qu'on eût dit la nuit personnifiée, et Severus dut réprimer une envie soudaine d'aller le caresser pour voir si son pelage avait l'aspect du velours ou du marbre, comprenant que le Kelpie utilisait là une de ses formes favorites pour séduire ses proies. Car s'il avait l'allure et le port altier d'un étalon racé pour riches cavalier, il ne fallait pas s'y tromper : ce cheval-ci n'avait rien d'une aimable compagnie.
« Waouh ! » s'écria Verpey, incapable de se refréner.
« Ne vous laissez pas charmer ! » prévint Croupton sans pouvoir lui-même dissimuler sa fascination. « Ce n'est pas un cheval ordinaire, mais bien un dangereux Kelpie ! ».
Sous leurs yeux captivés, le cheval s'ébroua doucement, et sa crinière aussi noire que sa robe ondula d'une manière surnaturelle qui rappelait d'une certaine façon les chevaux ailés et incandescents de Beauxbâtons.
Severus ramena derrière lui Harry et la fillette aux cheveux d'argent qui, sa mésaventure comme oubliée, détaillait l'animal avec des étoiles dans les yeux. Le Gryffondor se dégagea pour la forme, croisant brièvement le regard du Professeur, partagé entre peur et ressentiment. Severus serra les poings.
Les mots accusateurs flottaient entre eux.
Auror ou pas, Maugrey ne perdait rien pour attendre, enragea Severus, les yeux rivés sur le cheval.
Sans aucun signe avant-coureur, le Kelpie se cabra soudain et dévala la pente enneigée qui le séparait d'eux, à une vitesse telle qu'il fut sur eux en moins de cinq secondes, esquivant souplement les Bombarda puissants que Severus, Spencer et Croupton lancèrent simultanément, évitant l'Expulso de Harry, passant au travers des maléfices d'Entrave des baguettes du Ministère comme s'ils n'avaient été qu'une pluie fine et inoffensive, silhouette noire et floue qui franchit le cercle bleuté des boucliers levés en catastrophe.
Le Kelpie faucha Croupton par sa cape et un instant plus tard, il le traînait dans la neige et les rochers, galopant sur la digue naturelle de l'île.
Croupton n'eut pas le temps de faire le moindre geste pour se défendre et perdit instantanément connaissance lorsque sa tête heurta le sol dans la cavalcade.
D'un geste ample, Severus conjura une langue de feu qui se déroula tel un fouet juste devant le museau du cheval, ce qui l'obligea à freiner des quatre fers dans un hennissement de rage.
« Attention ! » hurla Henriett Spencer à Severus avec un mélange de choc et de colère. « Le Kelpie tient M. Croupton ! Vous avez failli mettre le feu au Directeur du… ».
« Je sais exactement ce que je fais, Spencer ! » gronda Severus en concentrant son énergie sur le mur de flammes convexe que la créature rechignait à traverser. « Dépêchez-vous d'aller récupérer Croupton tant que je maintiens le bouclier ! ».
La magie élémentaire nécessitait une certaine maîtrise de sa puissance magique, et créer un bouclier de feu était loin d'être aussi aisé que de lancer un classique Incendio. Il fit redoubler les flammes d'intensité autour du Kelpie, forçant ce dernier à reculer sur la digue verglacée. Que ce soit devant ou sur les côtés, il lui était impossible de se jeter à l'eau sans risquer de se brûler sévèrement.
Les sorciers du Ministère avancèrent jusqu'à l'entrée de la digue, hésitant visiblement à entrer dans la danse.
« Que faîtes-vous, Potter ? Ne bougez pas de là ! » cingla Severus en voyant du coin de l'œil Harry leur emboîter le pas, imité par Weasley.
« Mais… ».
« C'est aux agents assermentés du Ministère d'intervenir, pas à vous ! Reculez, Weasley, la règle s'applique également pour vous ! ».
Sans quitter des yeux le bouclier de feu, ce qui romprait le sortilège, Severus se décala pour vérifier que les plus jeunes étaient en sécurité derrière lui, pas surpris de voir que Verpey était le seul à être resté en arrière, les mains dans les poches, là où Delacour, Potter et Weasley avaient sorti leurs baguettes.
« Attention ! » hurla Spencer quand le cheval noir fit soudain demi-tour, renonçant à traverser le bouclier de feu et se préparant à charger ses adversaires.
La situation se corsait…
Sans compter que le cliquetis quasi incessant de l'appareil photo de Crivey, comme un métronome, commençait sérieusement à lui courir sur le haricot.
« Emmenez les enfants au donjon et restez-y jusqu'à ce qu'on vienne vous chercher » ordonna Severus.
« Les enfants ? » s'offusqua Fleur Delacour, ses joues se rosissant de colère. « Je ne suis pas une enfant, j'ai dix-huit ans révolus depuis plusieurs mois ! ».
« C'est précisément à vous que je parle, Miss Delacour ! Ce n'est pas le moment de nous faire une crise existentielle, prenez-les et mettez-les en sécurité à l'intérieur du donjon, enfermez-vous et ne laissez personne en qui vous n'auriez pas confiance vous approcher ! ».
La française écarquilla les yeux de confusion, coulant un regard soudain embarrassé vers Verpey qui n'avaient rien écouté et restait focalisé sur le Kelpie, tel un supporter devant un moment décisif d'un match de Quidditch, souriant comme un imbécile heureux.
« Oh ! Je n'avais pas compris… Bien évidemment, Professeur ».
La championne attrapa sa sœur par une main, se tournant vers les Gryffondors.
« Vous avez entendu ? On y va ! Ah, et… Monsieur Verpey ? Vous devriez peut-être euh… venir avec nous ».
« Hein, quoi ? » fit distraitement l'ex-Frelon.
« Maintenant, Delacour ! » rugit Severus qui avait de plus en plus de mal à maintenir sa création enflammée. « Soyez à la hauteur de la réputation de Beauxbâtons et protégez-les ! ».
« Professeur… » commença la voix hésitante mais déterminée de Potter derrière lui.
« Non, Potter ! Obéis ! » cingla Severus sans même chercher à comprendre.
Sur la digue, Croupton était toujours inconscient, misérablement accroché par un bout de sa cape à la peau magique et adhésive du cheval. Acculée par le mur de flamme qui se rapprochait de plus en plus, la créature se dressa brusquement dans un hennissement de fureur, envoyant une nouvelle onde de magie qui se répandit dans la crique.
Severus resta solidement campé sur ses appuis mais le lien magique fut brisé et son bouclier de feu fièrement élaboré se rabougrit en quelques flammèches inoffensives.
A l'autre bout de la digue, les sorciers du Ministère qui jusqu'à présent n'avaient envoyé que de timides sorts de neutralisation, craignant à la fois de toucher Croupton et de s'attirer les foudres vengeresses du Kelpie, frémirent de concert.
Le cheval de jais fonça tête baissée vers le petit groupe, secouant Croupton comme une poupée de chiffon.
« Nubes corvorum ! » lança Severus d'une voix claire, avant de psalmodier une litanie latine à voix basse.
Il y eut une détonation semblable au tir d'un revolver et il vit avec satisfaction une nuée de corbeaux jaillir de sa baguette et fuser droit sur le Kelpie qui était presque arrivé sur le groupe de sorciers, dont les sorts plus offensifs qu'auparavant ne parvenaient pas réellement à freiner son avancée.
Ils eurent la présence d'esprit de s'écarter de son chemin, laissant la créature racler le sol de ses sabots d'obsidienne en guise de menace. De la fumée s'échappait de ses naseaux, déjà la beauté et la perfection de ses courbes commençait à s'émacier, et il était à craindre une transformation imminente en cheval démoniaque.
Mais la formation de corbeaux, à la manière d'un missile à tête chercheuse guidé par sa litanie, fusa aussitôt sur le Kelpie, le harcelant dans une tornade de croassement agressifs. Attaqué de toutes parts, le cheval ne pouvait faire un pas sans être envahi de volatiles énervés.
Severus redressa le menton sans parvenir à dissimuler un petit sourire supérieur, tandis que les jeunes gens derrière lui se fendaient en exclamations émerveillées. Il n'avait jamais été exceptionnellement doué en Métamorphose, mais ce sortilège amélioré par ses soins au fil des ans était une véritable petite fierté personnelle.
« Waouh Professeur, c'est... » pépia Crivey en immortalisant la scène et, pour une fois, le cliquetis de l'appareil photo fut une douce musique à ses oreilles.
« ...complément dément » acheva Potter en se postant à côté de lui.
Severus tourna légèrement la tête, assez pour voir le visage épuisé du garçon éclairé d'une expression admirative, teintée d'une légère frayeur.
Il s'efforça de ne pas penser aux nombreuses fois où Lily avait la même vénération dans les yeux quand il excellait dans un sort en créant la surprise, et répondit d'une voix dépourvue d'émotions :
« J'ai nommé ce sortilège... la danse des corbeaux ».
Une danse plus ou moins mortelle d'ailleurs, suivant l'effet recherché...
Les corbeaux justement, accablaient suffisamment le Kelpie pour pouvoir normalement permettre à l'équipe de secours de récupérer Croupton, mais ils avaient clairement sous-estimé les propriétés magiques de la peau de l'animal car il leur était apparemment impossible de le libérer, comme s'il était collé par un maléfice de glu perpétuelle. Exactement ce que redoutait Severus.
« Puis-je savoir pourquoi vous n'avez toujours pas obéi à mon ordre direct, Miss Delacour ? » demanda-t-il avec un calme qui tranchait avec la panique qui régnait autour du Kelpie déchaîné. Les croassements couplé aux hennissements rageurs avaient réveillé un Croupton commotionné et conscient d'être pris au piège du cheval. « Aucun de vous ne va souhaiter regarder la scène qui arrive. Au donjon. Immédiatement ».
« Mes excuses, Professeur » se ressaisit la jeune française avant d'ajouter, impérieuse : « Vous autres, vous avez entendu ! Suivez-moi ! ».
« Quelle scène qui arrive ? » demanda ingénument Potter.
Heureusement pour lui, Weasley l'attrapa par l'épaule et ils s'élancèrent derrière Crivey et les sœurs Delacour à travers la pente enneigée jusqu'au donjon d'où ils s'étaient échappés tout à l'heure.
A peu près au même moment, excédé par les attaques incessantes des corbeaux, mais apparemment déterminé à ne pas se séparer de son prisonnier, le Kelpie se lança à plein galop le long de la digue, poursuivit par la nuée d'oiseaux, et se jeta tête la première dans le lac, soulevant des gerbes d'eaux sous les lamentations désespérées des collègues de Croupton.
Severus vit Spencer se précipiter inutilement à leur suite, impuissante, et regarder l'endroit où son supérieur venait de disparaître à tout jamais.
Il mit fin à son enchantement, et les corbeaux disparurent comme des dominos, jusqu'à ce qu'il ne reste plus une plume.
Derrière, les plus jeunes s'étaient arrêté de courir à mi-parcours, et n'avaient rien manqué de la tragique issue du Directeur du Département de la coopération magique internationale. Muets d'horreur, ils contemplaient le lac, refusant d'en croire leurs yeux.
« Qu'est-ce que vous faites ?! » cria Spencer avec désespoir « Faites-les plonger ! ».
« Ce sont des corbeaux, pas des Fous de Bassan ! » fit Severus, la laissant venir à sa rencontre. « Ils se seraient instantanément noyés si je leur avais demandé de plonger et n'auraient été d'aucune utilité. Je regrette, mais on ne peut pas ramener un homme attrapé par un Kelpie. Et quand bien même nous amuserions-nous tous à plonger dans le lac » - ce qu'il n'allait certainement pas faire pour les beaux yeux de Croupton - « Aucun d'entre nous n'a la moindre chance pour se battre contre un Kelpie et ramener votre Directeur ».
Voilà qui promettait de faire les choux gras du journal d'inauguration de Crivey, songea-t-il avec cynisme.
Il voyait bien que le bras droit de Croupton faisait des efforts pour ne pas fondre en larme d'impuissance sur-le-champ.
« Vous croyez qu'il en avait après Bartemius ? » lui demanda-t-elle d'une voix éteinte.
« Ça ne fait guère de doute, il était clairement visé ».
Du moins, Severus croisant les doigts pour que le Kelpie ne revienne pas terminer le travail et se satisferait du chasseur de mages noirs en guise d'en-cas.
« J'ai remarqué qu'il n'avait pas de bribe, ce qui signifie que quelqu'un d'autre contrôle sa bribe et l'a donc peut-être obligé à attaquer Croupton. Les Kelpies sont des créatures extrêmement puissantes, comme cela n'a pu vous échapper, et il en va de même lorsqu'ils sont contrôlés par une autre personne. S'en prendre à des champions pour les pousser à demander de l'aide était certainement une ruse, sachant que le responsable en chef du Tournoi allait vouloir se déplacer lui-même pour porter secours, après tout, Croupton est connu pour être consciencieux. Ne restait plus qu'à laisser le piège mortel se refermer… ».
« Ça se tient » fit Spencer avec colère. « Mais qui pourrait à ce point lui en vouloir pour lui lancer une telle créature aux trousses ? Il y a une réelle envie de tuer dans cet acte odieux ! ».
« Je crois que nous avons de la visite » éluda Severus, parce qu'il savait pouvoir déjà citer de tête une trentaine de personnes susceptibles d'en vouloir personnellement à Croupton, sans compter toutes les autres. « C'est si aimable à eux de nous rejoindre après la tempête ».
Une chaloupe lancée à pleine vitesse s'approchait de leur îlot, et il repéra Dumbledore et ses robes d'hiver bleu pastel gonflées par le vent, tel le capitaine d'une flotte armée.
Mais soudain, quelque chose de gros et de puissant jaillit des eaux, à une dizaine de mètres du bord, et Severus amorça d'instinct une retraite en direction de ses élèves, prêt à défendre chèrement leur peau contre ce maudit canasson ondin.
Seulement, peu de choses arrêtaient la chevauchée d'un Kelpie.
