CHAPITRE 17
"We were born sick", you heard them say it
My church offers no absolutes
She tells me, "Worship in the bedroom"
The only Heaven I'll be sent to
Is when I'm alone with you
I was born sick, but I love it
Command me to be well — Take me to church, Hozier
Des bannières rouge et or coloraient presque l'intégralité du château, et pour une fois, ce n'était pas pour célébrer la victoire de Gryffondor à la coupe des Quatre Maisons.
Qui du Directeur, de Flitwick ou de Chourave (à voir leurs mines radieuses, c'était forcément un de ces trois-là) avait eu l'idée d'étouffer chaque salle et couloir sous des guirlandes de fleurs, était une question que ne se posait pas la majorité des élèves, trop occupés à savourer ces quelques jours d'allégresse. Draco, en revanche, avait son mot à dire.
L'expression moqueuse de Harry était camouflé derrière sa cape d'invisibilité. Il montait le grand escalier contre le flanc de Draco, qui faisait de son mieux pour ne pas avoir l'air de parler tout seul.
« Je te le dis, il faut qu'on supprime cette parodie ridicule de célébration, et qu'on remette les Lupercales au goût du jour, maugréa t-il.
— Oh non, on aurait loupé les talents de poète de Pansy, Draco, tu peux pas souhaiter ça », susurra Harry en tâchant de ne pas trébucher sur sa cape.
Le Serpentard jeta un regard torve dans sa direction.
« Tu veux que je te rappelle ceux de Weasley ? Ses yeux sont verts comme un crapaud frais du matin… »
Harry leva les yeux au ciel et refréna un sourire en coin.
Cette année, aucun cupidon ne portait de messages, le ministère ayant déclaré qu'il aurait été trop facile pour des personnes mal intentionnées de les détourner de leur fonction et jeter une horde de créatures armée d'arcs et de flèches sur les élèves. C'était curieux de voir comme le ministère pouvait aussi paranoïaque, et pourtant si éloigné du réel danger.
Au pallier du quatrième étage, postée contre le mur les bras croisés, ils croisèrent une femme qui dévisagea Draco d'un air dur. Il baissa les yeux en serrant la mâchoire.
« Ne fais pas attention », soupira Harry très doucement.
Dans leurs robes grenat, les Aurors passaient presque inaperçus au milieu de toutes les décorations, et de ses expériences passées, avaient toujours très cordiaux avec Harry. Mais il avait aujourd'hui un aperçu dérangeant du traitement réservé à… certains élèves.
Cette semaine, Harry l'avait passé loin de ce remue-ménage, dans les appartements de Snape, alternant entre devoirs, entraînement au Seidr et à l'Occlumancie, et quelques visites rapides de Draco et Hermione. Elle avait une fois croisé Draco sortant des quartiers du professeur, et il avait été bien difficile pour Harry de lui donner une explication crédible.
Chaque matin, il s'était curieusement réveillé plus revigoré de la veille, les membres frémissant d'une envie de courir qu'il ne pouvait assouvir, mais il ne pouvait pas se souvenir de ses rêves. Au terme du cinquième jour, Snape avait décrété qu'il était suffisamment remis pour quitter ses appartements à la fin de la journée et « profiter des festivités, que, j'en suis sûr, vous ne manqueriez pour rien au monde ». Remus était revenu au château la veille au soir, et avait fait un crochet par les cachots pour s'assurer que le fils de son meilleur ami était bien traité. La réponse avait été si acide, qu'il avait été décidé d'un commun accord que l'aide aux cours particuliers que Remus voulait donner se ferait loin de Snape.
Au réveil, l'homme avait annoncé d'un ton cassant que le professeur Lupin l'attendait au septième étage, et qu'il ferait mieux de se dépêcher. Sa cape d'invisibilité sous le bras et un avion en papier ensorcelé plus tard, Draco l'avait rejoint.
« Tu ne m'avais pas dit qu'il y avait autant d'Aurors en patrouille, souffla Harry.
— A quoi tu t'attendais, après une attaque de vampires. Estime-toi heureux qu'ils n'aient pas réitéré l'idée des détraqueurs. »
Harry toucha instinctivement sa baguette accrochée à son poignet.
« Snape a dit que je pouvais sortir ce soir. Officiellement, je veux dire. »
Draco haussa un sourcil et un sourire étira ses lèvres.
« Tu vas remettre ton costume de l'année passée ?
— Et ? » Devant le silence amusé de Draco, Harry se renfrogna. « Ginny dit qu'on peut l'allonger avec un peu de magie et qu'il m'ira très bien.
— Ah… » Draco souriait encore, mais cette fois sans beauté. Un vilain rictus. « Ginny. Si Ginny le dit, alors. »
Harry donna un coup de coude au Serpentard et le pressa de monter les marches qui les séparaient du haut du château.
« Où est-ce que tu es sensé rejoindre Lupin ? chuchota Draco.
— Aucune idée, Snape n'a pas précisé de salle…
— Je ferai mieux d'aller à la salle de bain des préfets maintenant, alors. A plus tard, petit crapaud », railla t-il avant de rebrousser chemin sous l'œil morne d'un autre Auror qui bayait aux corneilles.
Harry plissa les yeux, et resserra sa cape autour de lui avec agacement. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de ressentir un doux plaisir à voir Draco jaloux. Il évita des collisions malheureuses avec quelques Gryffondor matinaux et dépassa le couloir principal du septième étage, à la recherche de son professeur. Il le trouva dans un fin corridor donnant sur un cul-de-sac illuminé par une lucarne. Emmitouflé dans un pull aux mailles épaisses, les épaules plus larges qu'au début d'année, Remus faisait face au petit soleil qui ruisselait de la fenêtre, donnant à ses boucles des reflets cuivrés.
« Remus ! » l'apostropha Harry aussi discrètement qu'il le put.
L'homme se retourna vers le couloir désert, surpris, avant que Harry ne fasse tomber la capuche de sa cape.
« Non, non, garde la, le conseilla t-il. C'est plus sûr. Merlin, tu réussirais à rendre fier à la fois Maugrey et ton père, impressionnant », dit-il avec un sourire nostalgique. Puis il pressa un doigt sur sa bouche et prit une mine concentrée, ses pieds faisant les cents pas. Harry l'observa en silence, échangeant un regard circonspect avec un des trolls dansant sur l'immense tapisserie murale. Soudain, une poignée, suivie d'une porte, émergea de la pierre, et les yeux de Remus s'élargirent.
« Incroyable… »
Émerveillé, il ouvrit la porte et Harry le suivit. Ils avancèrent dans ce qui semblait être une sorte de petit jardin d'intérieur, où des dizaines de plantes en pot, quelques arbres fruitiers et des buissons de lavande, masquaient presque les murs et la verrière de toit. Une cheminée se matérialisa dans un coin de la pièce avec hésitation, sans trop savoir où se placer.
« Qu'est-ce que c'est ?
— Ceci, Harry, est la Salle sur Demande, annonça Remus d'un air ravi.
— Je l'ai jamais vue sur la carte, répondit Harry en retirant sa cape. Il la plia soigneusement et un petit tabouret apparu avant même qu'il ai pu se demander où la poser.
— Je la découvre en même temps que toi… C'est le professeur Dumbledore qui me l'a indiquée. Je n'arrive pas à croire que nous ne soyons jamais tombés dessus… Paraît-il qu'elle ne se montre qu'à ceux qui en ont vraiment besoin. »
Harry observa les branches d'un arbre, alourdi par des mandarines.
« Mais qui pourrait avoir besoin d'un jardin ?
— C'est ça le truc de cette salle, Harry, la Pièce Va-et-Vient n'est pas toujours là, et n'est pas toujours la même. Pour Albus, c'est une pièce pleine de pots de chambre qui lui est apparue… J'ai un petit doute sur cette histoire, cependant. »
L'homme s'installa près d'un figuier, admirant ses branches noueuses, et s'assit sur un fauteuil soudain présent derrière lui, aussi incongru que la cheminée dans ce décor. Puis il lui posa plusieurs questions sur l'avancée de son entraînement avec Snape.
« Il t'en as beaucoup parlé ? demanda Harry, gêné. Je vous ai surtout entendus vous engueuler à propos de Mensah, enfin Nur… »
Un tic agita la commissure des lèvres de Remus, qui tira sur le col de son pull en laine, trop chaud pour la pièce.
« Hm… c'est un sujet de… de désaccord avec Severus. J'aimerais que l'Ordre enquête sur Nur et ce qu'il s'est passé depuis l'attaque, parce que je crains qu'elle n'ai pas été aussi impliquée qu'il n'y paraît, mais que Voldemort s'en prenne tout de même à elle.
— Et… Snape ne veut pas d'une enquête ?
— Severus a une idée bien à lui sur les gens comme elle. » Le regard de Remus s'endurcit, puis il tapa sur ses cuisses comme pour se réveiller et présenta un visage plus affable. « Revenons à ce qui te concerne, tu veux ? Le professeur Snape ne m'a pas parlé de son plein gré de ton entraînement, rassure-toi… Il était même très en colère que le professeur Dumbledore me dévoile votre secret. Mais… je crois que Dumbledore a pensé que l'expertise d'un loup-garou ne serait pas de trop puisqu'il est question de magie animale.
— Mais… Snape dit que ça n'a rien à voir avec de la métamorphose.
— C'était un des grands points de désaccord avec Dumbledore, crois-moi, tu n'avais pas envie d'être à Grimmaurd ce soir-là… »
Grimmaurd … alors…
« Sirius est au courant ?
— Hm hm, parce qu'il a refusé de quitter la pièce quand il a compris que je n'étais pas là pour uniquement faire un rapport sur ma mission… »
Il faudrait encore quelques temps à Harry pour décortiquer la sensation de perte et de soulagement mêlée qu'il ressentait à voir leur secret partagé. L'Occlumancie et le Seidr, pas plus, se rassura t-il. La prophétie, la prophétie, l'horcruxe… c'était entre lui et Snape.
Remus lui fit part de ses maigres connaissances sur l'ancienne magie du Voyage, lui parla de chamanes moldus et de la ressemblance avec cette pratique, et d'une vieille théorie sur l'origine de la lycanthropie.
« Certaines légendes racontent qu'une sorcière a voulu punir un homme en enfermant l'esprit d'un loup à l'intérieur de lui. Mais je préfère la version qui parle d'un sort liant l'esprit des deux, forçant le loup à quitter son corps pour celui de l'humain à chaque pleine lune.
— Mais, ça voudrait dire que les loups-garous sont liés à un vrai loup ?
— Ça n'a jamais été démontré... La théorie la plus acceptée est celle d'une malédiction transmissible qui donne corps aux plus bas instincts d'un être humain. »
Harry frissonna, mais compris le lien, même ténu, avec le Voyage. Ayant travaillé à plusieurs reprises avec Snape sur le Voyage de son Hamr vers le corps d'un animal (il refusait de savoir comment Snape s'était procuré autant de petites créatures), le moment était venu d'amener le Hamr d'un animal à lui. « Lupin ne devrait avoir aucun mal à t'aider à apprivoiser la sensation d'avoir une bête à l'intérieur de soi », avait dit Snape avec un rictus.
Remus le pensait capable de chercher un animal hors de sa vue, et précisa que la douceur du jardin devrait aider à l'attirer.
« Fais-toi confiance. »
Harry hocha la tête, et Remus lâcha son épaule. Harry s'essaya à même le sol, en tailleur, comme il en avait pris l'habitude quand il tentait de calmer son esprit. Remus lui avait dit que le château regorgeait d'animaux, et il n'avait pas menti. Quelques murs le séparait de la salle commune de Gryffondor, et son esprit tâtonnant reconnu celui de Pattenrond. Alerte, intelligent, le pourchasseur de Pettigrew accepta docilement de suivre Harry à travers les dédales du château mais s'arrêta à la porte de la Salle, soudain méfiant. Harry sentait que la connexion entre sa conscience et son corps s'étirait, comme un fil élastique devenant de plus en plus fin, comme si la Salle sur Demande était physiquement bien plus loin qu'elle ne semblait l'être.
Le sorcier de la tapisserie jeta un regard suspect dans le vide du couloir, que les deux consciences survolaient.
C 'est pas loin, Pattenrond. Viens, il fait plus chaud derrière la porte.
Plus convaincu par la deuxième affirmation que par la première, le demi-fléreur se laissa transporter par la volonté de Harry et s'installa confortablement dans son corps.
« Eh beh, je ne pensais pas que tu savais ronronner », murmura Remus. « C'est bien, c'est très bien. »
Lentement, Harry et Pattenrond ouvrirent les yeux. Il s'étira paresseusement, et roula sur le dos, appréciant le contact de la pierre réchauffée par la cheminée.
« Est-ce que tu m'entends, Harry ? »
Il ne saisit pas tout à fait les mots du professeur, et devait se concentrer très fort pour ne pas laisser Pattenrond s'endormir. Garder le contrôle de son corps était aussi délicat que si c'était lui qui voyageait, mais cette fois-ci, il ne devait pas lutter pour rester dans le corps d'un autre, mais pour ne pas expulser le chat du sien. Avec l'expérience d'avoir Snape ou Voldemort dans sa tête, la tâche lui demandait de lutter contre tous ses maigres instincts d'Occlumens.
La main de Remus toucha sa fourrure, et Pattenrond se raidit.
« Tout va bien… doucement… »
Harry tenta d'apaiser le Chat-Fléreur, qui avait déjà vu Remus et connaissait ses bonnes intentions, mais l'odeur du loup était tout de même dérangeante. Harry ne l'avait jamais senti auparavant. Entêtante, musquée, terreuse. Il tressaillit mais força Pattenrond à accepter la caresse.
« Tu ne dois pas te battre contre lui Harry, trouve un entre-deux, conseilla une voix qui le fit bondir avec un miaulement joyeux.
— Chut, ne l'effraie pas, Sirius ! »
Le visage de son parrain se dessinait dans la cheminée, et Pattenrond était tout aussi ravi que Harry de le voir, mais les reflets des flammes dansaient sur le sol en de jolis petits dessins qu'il voulait étudier avec attention. En s'abandonnant à la volonté du chat, Harry sentit les limites de son corps devenir plus floues, ses cuisses plus souples, son regard plus acéré, ses dents plus tranchantes…
« Tu as essayé de le faire courir après un Lumos ? »
Le ton de Sirius était gentiment moqueur, et Harry n'aurait pu le blâmer, s'il se voyait bondir gaîment à quatre pattes sur les reflets. Prenant soudain conscience de sa posture, la honte s'empara de lui et l'émotion si étrangère pour un chat fit bondir l'esprit de Pattenrond loin, hors de lui.
« Vous êtes pas obligés de vous moquer !
— Sirius ne se moquait pas Harry, c'était très impressionnant ! Non, vraiment, ne fais pas cette tête, je suis fier de toi, c'est une magie très délicate », assura Remus, les yeux brillants d'amusement amical.
Après quelques minutes boudeuses, Harry se détendit et plaisanta avec Sirius et Remus, accroupi devant l'âtre. Il savait que la surveillance du ministère sur le réseau de poudre de cheminette empêchait Sirius de traverser les flammes, mais il aurait donné beaucoup pour pouvoir serrer son parrain dans ses bras. Les vacances de Yule lui paraissaient déjà loin.
« Tu le lui as donné ? » s'enquit Sirius en direction du professeur de Défense. L'excitation se lisait sur son visage malgré ses traits fatigués.
Remus eu un petit rire, fit une remarque à propos de la vanité de l'Animagus, et tira de sa besace en cuir un paquet auquel il rendit sa taille normale d'un coup de baguette.
« Tiens, Harry. Deux jours à Grimmaurd seulement, et je suis devenu l'elfe de maison de ton parrain, tu ne peux pas savoir le nombre d'allers-retours dans toutes les boutiques du chemin de Traverse que j'ai dû faire pour satisfaire ses goûts en matière de mode. »
Harry accepta l'emballage mou et lourd et jeta un regard curieux à Sirius.
« Ouvre », le pressa t-il.
Entre ses mains, Harry découvrit un costume au tissu dont la simplicité ne cachait rien de son prix, et resta bouche-bée.
« J'ai dit à Sirius de rester sobre.
— On a trouvé un compromis », ajouta Sirius avec un sourire en coin.
Le pantalon noir et la chemise en soie blanche étaient de très belle facture, et des feuilles vert et or paraient les épaules de la sur-robe et le haut col du veston, luisant à la lumière des flammes.
« Sirius, c'est trop…
— Tt-tt, c'est tout à fait convenable pour un bal.
— Pour les standards de ton parrain, c'est même trop modeste, crois-moi. »
Le regard de Remus s'était perdu dans des souvenirs qui lui fit pousser un profond soupir promettant de croustillantes histoires, mais l'attention de Sirius fut soudain retenue derrière lui.
« Je dois y aller, je crois que Maugrey est là », dit-il avec un grimace que Remus lui rendit.
Les deux hommes s'échangèrent un regard appuyé, puis les flammes reprirent une apparence normale. Remus détourna les yeux, mais pas assez vite pour que Harry n'y perçoive pas l'éclat d'inquiétude.
« Tout va bien avec Sirius ? »
Remus pris le temps de s'étirer le dos et de passer une main sur son visage fatigué avant de répondre.
« Rien ne va bien très longtemps avec Sirius. » Il se mordit la lèvre, regrettant ses paroles, et lui offrit un sourire contrit. « Mais ça, c'est mon problème. Comment se passent tes leçons avec le professeur Snape ? Tes leçons d'Occlumancie ?
— Il… » Harry tâcha de taire la préoccupation qui naissait en lui à propos de Sirius. « Beaucoup mieux que ce qu'on aurait pu penser. Snape est différent, en privé. On… on s'entend plutôt bien en fait. »
Harry détailla l'expression de Remus, craignant ce qu'il pourrait y lire, mais Remus n'affichait qu'une légère surprise.
« Je crois qu'il ne voit plus vraiment mon père quand il me regarde, poursuivit Harry.
— Il était temps, tu ne lui ressemble pas tant que ça... Ne fais pas cette tête, je parle de vos caractères, le rassura Remus. Oh, tu as plein de choses de James. Sa détermination, son humour et quelques uns de ses talents… et quelques talents de Lily aussi, ta magie en est la preuve. Sans compter sa bonté et sa curiosité. Mais tu es surtout toi. Et c'est très bien. »
Une boule se forma dans la gorge de Harry, mais elle n'était pas douloureuse. Il se plongea dans la vision réconfortante du petit feu mourant.
« Parfois… parfois je ne me sens plus vraiment moi. Quand je suis dans la tête de Voldemort, il me faut du temps… du temps pour en sortir. Comme si… comme s'il laissait une trace à l'intérieur. Ou comme s'il y était toujours un petit peu. »
Il ne pouvait pas en dire plus, mais c'était suffisant pour alléger le poids qui l'étouffait si souvent. Le loup-garou se pencha vers lui, et ses yeux colorés de miel cherchèrent les siens.
« Ses sentiments, ses ressentis, ses envies… ce n'est pas toi. C'est important que tu apprennes à faire la différence, Harry. Tu sembles y arriver, avec les animaux. »
Mal à l'aise, Harry gigota sur la pierre, laissant courir ses doigts sur une mandarine tombée au sol. Il l'éplucha machinalement, tout en sachant qu'aucune nourriture conjurée ne pouvait vraiment le nourrir.
« C'est différent. Les visions sont si réelles… Je suis effacé, je n'ai plus aucune conscience de moi quand je suis dans son esprit. Je ressens tout comme si j'étais vraiment lui, pas comme un… spectateur… »
Remus hocha la tête et pris une expression pensive.
« Je ne pense pas qu'il soit judicieux de faire remarquer ta présence dans l'esprit de Voldemort, de toute façon. L'important, c'est de rester toi-même ensuite, et de bien comprendre que ce qu'il se passe dans tes visions, ce n'est pas toi qui le décide, c'est lui.
— Comment tu fais, toi ? Pour faire la différence entre toi et… et le loup ? » osa demander Harry, faisant de son mieux pour chasser de sa tête le souvenir du regard vitreux et affamé du loup-garou.
Remus eu un souffle qui pouvait s'apparenter à un rire amer.
« Je me rappelle que je n'ai pas envie de tuer des gens, que je n'ai aucun appétit pour la chair humaine, et que je suis d'abord un humain. Et toi », ajouta t'il en posant sa main large sur la sienne. « Tu n'as pas envie de tuer des gens non plus, et tu ne veux pas dominer le monde, tu es simplement Harry. Quelqu'un de bien, qui n'a rien demandé de tout ça. »
Harry serra la main de Remus et acquiesça, puisant du réconfort dans cette idée. Voldemort pouvait bien avoir mis un bout de lui dans sa tête, c'était un bout de lui dans sa tête. Pas lui.
« Et pour toi, c'est vrai », chuchota son professeur en détournant le regard. « Tu n'es pas Voldemort, vous êtes deux personnes distinctes, deux corps et deux esprits… alors que le loup, en réalité, c'est moi... »
Harry ouvrit la bouche pour démentir, mais l'odeur musquée de Remus dansait encore sur son palais, et il comprit la réelle différence entre eux deux. Il s'en sentit coupable, mais cette différence le rassura.
« Arrêtons-là pour aujourd'hui », dit-il en se levant avec difficulté. Il se dirigea vers la porte de l'étrange pièce. « Tu es le bienvenu pour parler de tout ça avec moi Harry, quand tu veux, ma porte t'es toujours ouverte. »
Remus lui tendit sa cape, referma la porte derrière eux et se dirigea vers les escaliers. Avec humour, il ajouta :
« Sauf une nuit par mois, évidemment. »
Harry passa tout l'après-midi a finir ses devoirs sous la surveillance inflexible du Maître des Potions — un dimanche, un dimanche, professeur —, rouspétant à propos du volume de travail demandé pour les B.U.S.E. et de l'utilité de l'Histoire de la magie.
« Celui qui ne connaît pas son passé est voué à le répéter », avait répondu Snape avant de critiquer son parchemin sur la transformation du Conseil des Sorciers en Ministère de la Magie.
Il était plus que temps de retourner dans son dortoir, mais Harry se surpris à faire une énième fois le tour de la salle de bain, de la cuisine et du salon. Il s'était habitué aux lieux. C'était agréable, de ne pas être toujours entouré d'autres adolescents, de ne pas supporter les ronflements de Neville ou les chuchotements nocturne de Dean et Seamus, de ne pas partager de salle d'eau avec quatre autres garçons. Il aimait bien le canapé souple de Snape, ses plantes grimpantes, ses étagères écrasées par les livres, l'odeur du café dans la petite cuisine. Même le hublot au dessus de la baignoire ne le dérangeait plus tant que ça. Il y avait quelque chose de contenant et calme, à être sous le lac.
Sa malle contenait pourtant peu d'affaires, et il dû vite accepter qu'il était prêt à traverser les flammes pour rejoindre ses camarades.
« N'oublie pas notre prochaine séance d'entraînement », murmura Snape, et Harry ne put décrypter les différentes émotions lisibles sur son visage. Il n'avait pas retiré son petit lit d'appoint du salon.
Le calme des appartements du professeur s'effacèrent derrière la cheminée, pour laisser place à une salle commune plus désordonnée encore qu'à l'accoutumée. Il prit une grande inspiration, submergé par les stimuli. Sur les fauteuils et coussins, quelques jeunes élèves jouaient aux bavboules, peu sensibles à l'intérêt d'un bal de Saint Valentin, mais l'effervescence s'entendait des différents étages des deux tours menant aux dortoirs des filles et des garçons.
Sa malle flottant derrière lui, il grimpa les marches jusqu'au cinquième pallier, et esquiva de justesse un Coquecigrue qui piaillait avec excitation et volait dans tous les sens.
« Harry ! » s'exclamèrent ses camarades d'une même voix.
D'une main vive et délicate, il attrapa le minuscule hibou, tâcha de le calmer en lissant ses plumes, et fit le résumé détaillé — autant qu'il le pouvait — de son séjour chez Snape, qui oui oui c'était bien passé, qui avait surtout consisté à rattraper ses devoirs, et non Snape ne dormait pas dans un cercueil, Neville, vraiment.
Un monticule de vêtements recouvrait le sol du dortoir. Indécis, Neville boutonnait et déboutonnait sa sur-robe, et Ron admirait la coupe de la robe bleue nuit que Bill lui avait prêté et qui était heureusement à sa taille. Harry déplia son propre costume sur son lit, remerciant silencieusement Sirius pour son choix qui n'était finalement pas si excentrique compte tenu des normes sorcières. Oncle Vernon invitait souvent ses collègues à dîner, et Harry avait pu apercevoir leurs costumes sombres et tristes. Il préférait la mode sorcière.
« Tu peux pas savoir comme on est soulagés que tu sois revenu Harry, c'était insupportable d'entendre Seamus chouiner tous les jours ! »
Dean poursuivit en expliquant en détail les états d'âme, de culpabilité et d'admiration sans borne que lui avait voué Seamus, tout en se tenant hors de portée des sorts que lui jetait Seamus en criant que ce n'était—
« —pas vrai ! Reviens par là ! Tarentallegra ! »
Harry gloussa et nota le rouge vif qui colorait les joues de son camarade. La Gazette n'avait aucun moyen de savoir que Voldemort était concerné par l'attaque des vampires, mais les rumeurs allaient de bon train, et Harry soupçonnait que l'Ordre du phénix les alimentait. Son nom, écrit en gros dans l'article liant de façon rocambolesque l'attaque à Sirius Black, avait été de trop. Et Seamus avait bien dû accepter que la Gazette disait n'importe quoi.
« Le professeur Lupin est revenu il paraît. Vous pensez qu'il va nous donner des cours de combat ? demanda Neville en laçant ses chaussures.
— Il faudrait que le bureau de l'école accepte à nouveau, et vu la façon dont la Gazette parle de Poudlard et Dumbledore, j'ai des doutes... »
Les mains de Harry firent une pause sur les broderies de son veston, et il dévisagea Ron.
« Comment ça ? Après Mensah, comment ils pourraient refuser qu'on soient correctement entraînés à nous défendre ? »
Seamus eu une moue gênée et Ron haussa les épaules.
« Parce que le ministère a peur qu'on ne nous apprenne pas seulement à nous défendre, mais aussi à nous battre. Scrimegour pense que Dumbledore vous nous transformer en petits soldats... »
Harry ouvrit la bouche, estomaqué par la bêtise du gouvernement.
« L'armée de Dumbledore... et pourquoi pas, après tout », dit Seamus avec un air sombre. Il serra la main de Dean, ces deux-là sachant se parler au delà des mots.
« LES GARÇONS ! ON VOUS ATTEND !»
Ron sursauta au son de la voix amplifiée d'Hermione, et il s'observa une dernière fois dans le miroir avant de descendre le petit escalier. Dean et Seamus le suivirent de près, et Neville tapota l'épaule de Harry avec le sourire heureux de quelqu'un qui aime danser et s'apprête à exercer ce plaisir.
Harry lui rendit son sourire, et s'attarda un instant devant le miroir à pieds du dortoir. La sur-robe ouverte et accrochée à ses épaules donnait l'illusion d'une silhouette en V qu'il ne possédait pas encore, et son veston cintré mettait sa taille en valeur. Les lueurs des torches se reflétaient dans les liserés dorés de son col haut. Harry contorsionna ses mains pour boutonner ses manchettes et espérait ne pas se couvrir de ridicule ce soir, comme l'année passée. Oh et puis il ne danserait pas, voilà tout. De toute façon, il n'avait envie de danser qu'avec une seule personne, celle qui ne pourrait jamais se le permettre.
« Tes cheveux ont-ils déjà rencontré un peigne ? » se moqua le miroir.
Harry ignora son reflet, passa une main agacée dans ses boucles et ses épis, et descendit dans la salle commune, préparé à une soirée ennuyeuse.
La multitude de couleurs et de tissus enchantés voletant dans la salle commune lui coupa pourtant le souffle. Il semblait que tout le monde avait décidé d'éclipser la lourdeur de la guerre par l'originalité de leurs vêtements. La plupart des élèves finissaient de s'apprêter, par quelques sorts de tenue capillaire, et des coups de pinceaux sur les paupières. Une septième année nouait la cravate de son cavalier rougissant, et trois jeunes gens boudaient dans un coin, pestant ensemble contre l'obligation du bal.
Hermione et Ron, eux, se chamaillaient à propos des tâches supplémentaires de préfets qui leur avait été confiées, et Harry se rapprocha d'eux, intimidé par l'ambiance festive et un peu étouffante de ses camarades. Sans cesser la conversation, Hermione passa par réflexe ses doigts dans les cheveux de Harry, tentant sans succès de les ordonner. Elle était drapée d'une robe sorcière noire à la coupe moderne, et de petits papillons bleus et orangés s'échappaient du bas de sa robe à chaque mouvement. L'un d'eux reposait dans ses boucles lâches.
« Je sais très bien que les jumeaux vont essayer de transmutter le punch, Ronald.
— Et alors ? chuchota t-il. Laisse les s'amuser un peu, tout le monde sera content...
— Il y aura des quatrième année au bal ! »
Une main se glissa sur l'épaule de Harry, qui eu un mouvement de surprise en découvrant le visage espiègle de Ginny derrière lui.
« Rassure-toi Hermione, les quatrième année seront sages, dit-elle, pas comme un certain cinquième année qui a réussi à vomir de l'hydromel à son anniversaire... »
Ron ouvrit la bouche pour protester, mais grimaça sous le regard outragé de sa petite amie. Ginny gloussa et siffla en le voyant s'enfuir loin du doigt accusateur d'Hermione, puis reporta son attention vers Harry avec une moue pensive.
« Hm… il n'a pas besoin d'être ajusté, ce costume, finalement », commenta-t-elle en réajustant son col. Harry eut un sourire contrit. Elle laissa retomber sa main.
Sa robe à elle était simple, d'un beige presque rose. Son décolleté laissait voir un pendentif en argent encerclé par ses milliers de tâches de rousseur. Elle replaça une mèche rebelle dans sa tresse, et Harry se détourna de la chaleur de ses yeux noisettes.
« Il paraît qu'il y aura John Dawlish ce soir, tu feras attention ? » dit elle, soudainement sérieuse. « Papa ne l'aimait pas beaucoup, et je ne pense pas qu'il vienne pour danser avec Dumbledore. »
Harry haussa les épaules, mais Ginny insista : « Je sais que tu n'aimes pas la politique, mais c'est important… »
Il savait que Percy continuait de lui écrire des lettres, et que le travail au ministère de leur père avait forgé la famille à de bonnes connaissances du système sorcier, mais si Harry avait retenu une chose des structures « officielles » (quand il était petit et qu'il s'était plaint à la maîtresse qu'il avait tout le temps faim), c'était qu'elles étaient remplies de gens biens, incapables de faire face au poids de leurs supérieurs.
Avec un faible sourire, il rassura Ginny, et fut distrait par les remontrances de la préfète Patricia Stimpson.
Les meilleurs élèves des promotions de première, deuxième, et troisième année avaient été choisis pour représenter les préfets en leur absence, veillant sur les jeunes élèves qui restaient dans la tour. Les autres préfets (principalement Patricia) leur assuraient mille et un tourments si leur comportement devait l'obliger à remonter les étages ce soir.
« Trente huit, trente neuf, quarante... Romilda, lâche ton hibou et viens par ici, quarante et un ! Allez, allez on se dépêche maintenant, McGonagall va nous étriper, on est déjà en retard », les pressa Kenneth Towler.
Sous son autorité (et la menace indirecte de leur directrice de maison), sorcières et sorciers se contorsionnèrent dans l'étroit passage de la Grosse Dame, tâchant de ne pas trop froisser leurs vêtements. La majorité d'entre eux étaient drapés de robes sorcières hautes en originalité, mais quelques-uns avaient fait le choix politique de costards très modernes ou de robes féminines à la coupe moldue. Certains avaient préférés l'option plus raisonnable de robes assez simples, neutres. Les Weasley, contre toute attente, portaient tous les armoiries de leur famille, sur un collier ou sur une bague, dans une fierté qui n'avait rien à voir avec la pureté du sang. Et à y regarder de plus près, il semblait bien que les manchettes dépareillées de Harry représentaient la Maison Potter et la Maison Black... Une bouffée d'affection pour Sirius serra son cœur, et ce sentiment d'appartenance l'aida à tenir la tête bien haute face au regard méfiant de l'Auror Dawlish qui les attendaient pour les escorter jusqu'à la Grande Salle.
« Mec, t'as invité quelqu'un ce soir ? » s'enquit Ron d'un air espiègle, dépassant l'employé du ministère. Harry secoua la tête, et son meilleur ami eu une moue compatissante, serrant un peu plus fort son épaule. « Un conseil, ne danse pas avec Patil. »
Harry tira la langue et prit une grande respiration. Ça ne pourrait effectivement pas être pire que l'année passée.
La masse d'élève riait et bavardait gaiement, malgré la présence gênante de leur escorte. Les immenses escaliers de pierre se plièrent à la volonté de Kenneth (le jeune homme avait l'air de vouloir ressembler à Percy, au grand amusement des jumeaux) et se succédèrent sous leurs pas sans les faire attendre plus que de raison. La joyeuse troupe se dépêcha de descendre les dernières marches, emportés par l'excitation au fur et à mesure que la musique se faisait entendre.
Décorée de centaines de fanions en forme de cœurs, la Grande Salle était splendide. Des pétales de glycines blanches tombaient en rythme continu de la charpente, et des fées lumineuses gloussaient en répandant leur poussière argentée au dessus des professeurs. Les divers accoutrements des élèves de Poudlard créaient une explosion de couleurs et de formes. La plupart des bancs avaient dispares pour laisser les tables collées le long des murs, sur lesquelles étaient placés de grandes coupes de punch sans alcool. Fagoté d'un costard vieillot, Rusard surveillait férocement qu'aucun élève n'y glisse quoi que ce soit. Au loin, le professeur Flitwick se chargeait de la musique, choisissant des morceaux dans une pile de vinyles qui le dépassait largement en taille, Dumbledore bavardait gaiement avec McGonagall et Septima Vector. Hagrid amusait une fée qui se faisait un nid dans son hirsute chevelure (sous l'œil apeuré d'une Auror qui semblait prête à ensorceler celle qui s'approcherait de trop près). Snape et Pince semblaient déterminés à ignorer la proposition de Trelawney de les faire danser. Quelques élèves discutaient à l'écart, adossés aux murs, certains en couples se mangeaient des yeux sous le regard prudent de Pomfresh, et la plupart des élèves se déhanchaient avec bonne humeur sur la piste de danse.
Mais rien de cette joie n'attira l'attention de Harry. Ses yeux verts furent happés par la silhouette de Draco, occupé à se servir un verre. Son costume blanc agrémenté d'une redingote de la même couleur était serti de petites pierres opalines. A sa poche, un mouchoir en soie grise rehaussait sa veste. Harry pouvait voir d'ici les fins serpentins qui couraient le long des gallons ornant ses coutures et cintrant ses hanches.
Ses lèvres s'entrouvrirent malgré lui, incapable de décrocher le regard de Draco.
Ennuyeux, ce bal ?
Involontairement, Harry fit un pas dans sa direction, mais se repris quand il vit Pansy s'approcher du Serpentard pour lui tendre un mot de papier avec un sourire charmeur. Son estomac se noua.
« Eh beh ! Dumbledore a mis le paquet ! » plaisanta Ron en piquant un petit four sur un plateau qui voletait par là.
Harry ne pouvait qu'approuver, admiratif des sortilèges faisant voler des étincelles roses jusqu'au plafond lorsque deux personnes s'appréciaient, et des fées battant des ailes autour des danseurs, laissant des traînées de poudre argentée derrière elles.
« Merlin, j'en étais sûre », chuchota Hermione en se penchant vers Ron, faisant traîner quelques mèches de cheveux de son chignon lâche sur son épaule.
Harry suivit son regard. Au fond de la pièce, deux silhouettes longilignes aux cheveux roux se tordaient dans tous les sens sous une des tables opposées au concierge de l'école. Les jumeaux tentaient de verser le contenu d'une fiole dans le breuvage.
« Salut Harry, salut Hermione, salut Ron ! » dit Luna de sa voix fluette. Enveloppée dans une large robe jaune aux manches translucides, elle ressemblait à une tulipe. « Oh, Miss Teigne a un drôle d'air…
— Merde, Miss Teigne ! » s'exclama Dean en traînant Seamus à sa suite pour distraire l'animal.
Hermione, elle, ignora la chatte à la queue fourchue qui avançait dangereusement vers Fred et George.
« Donc… préfète, c'est bien ça ? » demanda nonchalamment Harry en lorgnant avec sarcasme l'insigne doré épinglé sur la poitrine de Hermione.
Celle-ci fit mine de se boucher les oreilles et se retourna, faisant virevolter ses papillons.
« J'ai rien vu, rien entendu ! » plaisanta t-elle.
Le sourire de Ron fendit tout son visage, et il s'empressa de tendre la main vers la sorcière, l'invitant à danser. Hermione accepta, les joues rouges, et Harry se retrouva seul avec Luna à observer le manège des jumeaux. Au loin, il voyait Dawlish qui parlait à voix basse avec Dumbledore, l'air agacé.
« Tu veux danser ? »
Harry ouvrit la bouche pour décliner, mais le minois de Luna rendait tout rejet impossible. Ses grands yeux bleus s'écarquillèrent quand il lui prêta sa main.
« Je te préviens, je ne sais pas danser…
— Moi non plus ! » s'esclaffa la Serdaigle en le dirigeant vers le centre de la salle, sous quelques regards moqueurs de ses camarades. « Ignore-les, ils ne savent pas ce qu'ils font. »
Malgré son visage sincère, Harry savait bien que certains élèves profitaient de sa bonté et riaient de son extravagance. Alors il fit bien attention à ne pas lui écraser les pieds, et à faire tourner sa robe éclatante au milieu des autres.
Les différentes maisons de Poudlard ne se mélangeaient pas beaucoup, et peu d'élèves s'approchaient de Harry et de ses amis. La plupart des Serpentard mettaient un point d'honneur à rester le plus loin possible de lui, et même la présence d'Aurors ne suffisait pas à cacher le regard sombre de certains vert-et-argent. Il les ignora, et observa du coin de l'œil Draco discuter avec Blaise et Daphné. Près d'eux, la plus âgée des sœurs Montgomery et d'autres élèves de Serpentard semblaient trouver une protection.
Après quelques chansons, Eloise Midgen s'approcha, le tirant de ses observations. Elle demanda poliment la main de Luna, et son sourire fut plus radieux encore que sa robe. Il la laissa partir de bon cœur, sa main lâchant sa taille pour chercher un nouveau verre — alcoolisé, cette fois —, et Harry resta assis un moment, un petit sourire hébété, se laissant porter par le tourbillon des robes des danseurs devant lui. Il déboutonna le haut de son veston et chercha de l'air sur sa peau moite.
« La prochaine fois, je te présenterai le respect, je crois que vous ne vous êtes pas encore rencontrés tous les deux ! » rugit Ginny à quelques pas, sa voix forte attirant les curieux. « Michael est le pire des veracrasses, ajouta t'elle en s'asseyant lourdement à côté de Harry.
— Qu'est-ce qu'il a fait ?
— L'idiot, comme d'habitude. » Elle sembla réfléchir quelques instants, puis se releva aussi subitement qu'elle s'était assise. « Danse avec moi, ça lui fera les pieds. »
L'expression décidée et têtue de la cadette Weasley était connu de tous — surtout de Corner —, et Harry ne put s'empêcher de trouver son air revêche très séduisant. Mais il le préférait sur des yeux gris…
Il chercha du regard Ron, trop occupé à danser avec Hermione et la dévorer des yeux pour lui accorder de l'attention. Dean et Thomas étaient collés l'un contre l'autre. Et Neville était un peu plus loin, à parler avec Hannah Abbot.
Les petits doigts de Ginny s'entrelacèrent aux siens et le tira à nouveau vers la piste, sans vraiment lui laisser le choix malgré sa fatigue. Elle faisait tournoyer le volant de sa robe et ses cheveux enflammés, et Harry tenta de se laisser aller tout en regardant régulièrement ses pieds, par peur de marcher sur ceux de sa cavalière.
« Aïe ! gémit-il alors que la chaussure pointue de la rousse se planta dans son pied droit.
— Comme ça c'est fait », plaisanta t-elle, ayant remarqué son petit manège. Puis elle lui montra du doigt Fred et Georges se faisant poursuivre par Rusard au loin. McGonagall les dépassa pour calmer la situation et Harry repéra Snape rouler les yeux au ciel et traîner ses robes vers le punch, une potion à la main.
Soudain, le professeur Flitwick enleva le vinyle du tourne disque, et la salle fut plongée dans une presque obscurité. Une protestation monta de la foule alors que le morceau des Bizarr' Sisters s'arrêtait brusquement, mais l'agacement fit rapidement place à une toute autre ambiance. Une musique de slow amoureux résonna entre les murs du château, et de nombreux duos se rapprochèrent pendant que d'autres se dépêchaient de retourner s'asseoir.
Ginny toussota et montra une grappe de baies rouges pendant au dessus de leurs têtes.
« Du gui… Luna dit que c'est infesté de Nargoles, mais je n'ai toujours pas compris ce que c'était. »
Derrière elle, Draco les fusillait du regard.
Cette fois-ci, un désagréable sentiment de colère envahit Harry, et de vieilles pensées amères l'assaillirent.
Ne fais pas ton possessif quand ça t'arrange. A me prendre et me jeter dès que tu as trop peur qu'on découvre que l'héritier Malfoy est amoureux de Harry Potter.
Il était fatigué d'être dans l'ombre de sa vie, d'être suffisant pour des retrouvailles nocturnes, mais pas assez pour le grand jour. Draco était jaloux ? Eh bien qu'il le soit.
Pris d'une inspiration qu'il ne s'expliquait pas, Harry resserra sa prise sur le dos de Ginny, un air de défi dans les yeux. Le Serpentard secoua imperceptiblement la tête, murmura quelque chose à Blaise, et parcouru la salle à grand pas malgré la pénombre, sa cape brodée enveloppant ses jambes avec un claquement d'air. Il bouscula les quelques couples qui n'eurent pas le bon sens lui laisser place. Il n'adressa pas un regard à Ginny, mais Harry lui demanda de le laisser quelques instants parler avec Malfoy, et la jeune sorcière s'éloigna en fronçant les sourcils.
« A quoi tu joues ? »
Ils posèrent la même question à l'unisson, et Draco se pinça les lèvres, le toisant de toute sa hauteur.
« Me regarde pas comme ça, gronda Harry.
— Je t'ai dit d'arrêter de faire n'importe quoi. Arrête de, de… c'est insupportable et tu le sais très bien.
— N'oses même pas rejeter la faute sur moi, Draco... Tu veux que je reste assis dans mon coin toute la soirée, en te regardant glousser avec Pansy ?
— Avec P—, Merlin et Circé réunis… » A voix basse, le Serpentard jura et tira sur son poignet pour les déplacer un peu plus à l'abri des regards, dans un recoin sombre de la salle.
« C'est pas très discret de ta part, ça… on parlera plus tard, d'accord ? » soupira Harry en essayant de se dégager. « Tu ne voudrais pas être vu avec moi en public…
— Ça n'a rien à voir avec toi, siffla Draco, pourquoi tu transforme toujours tout...
— C'est toi qui me répète que tu dois rester neutre, que tu ne dois pas t'afficher avec moi, que—
— Il s'agit de protection ! Pas de rejet !
— Mais te protéger de quoi ? » demanda Harry avec lassitude. Maintenant qu'il savait que Draco n'avait pas la Marque, que d'autres Serpentard soutenaient Dumbledore... « Tu l'as dis toi-même, tu ne peux plus rester neutre, pas toi, pas un Malfoy, ta famille ne te laissera jamais être neutre, Draco ! T'as dis que d'autres Serpentard commençaient à changer de camp…
— D'accord, d'accord. Alors regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu es prêt à assumer auprès de tout tes petits parfaits Gryffondor que tu sors avec un fils de Mangemort. »
Harry leva le menton et avança d'un pas, sentant son dernier verre émousser son bon sens. Draco écarquilla les yeux, mais resta sur place. Il jeta un regard inquiet autour de lui, et malgré l'obscurité de la salle, quelques élèves chuchotaient en observant leur dispute. Luna parlait à l'oreille de Ginny, semblant la retenir.
« On a peur Malfoy ? » Devant son silence, Harry s'approcha encore, son torse presque collé au sien. Ses bras voulaient enlacer sa taille fine, remonter le long de son dos, s'emmêler dans ses cheveux… Draco prit une brusque inspiration à leur proximité, et son regard semblait suppliant. Harry ajusta le revers de la veste de l'autre sorcier, passant le bout de ses doigts sur sa gorge. Sa pomme d'Adam roula sous sa main. Harry releva la tête pour sonder les yeux de Draco qui ne cessaient de s'arrêter sur ses lèvres.
« Je sais que tu as refusé la Marque. Je vois que les autres ne te respectent plus autant qu'avant. Tu m'as dis qu'il y avait des tensions à Serpentard… » Harry savait très bien parler le serpent. « Tu préfères te terrer dans un trou et attendre au calme que la guerre passe, alors qu'on finira bien par te chercher par la force un jour, ou tu préfères t'afficher auprès de nous ? »
Draco fronça les sourcils et jeta un nouveau coup d'œil derrière lui. Harry l'avait vu brûler les dernières lettres de son père et repousser Nott.
« Tu as l'air si sûr que Dumbledore étendra sa protection sur moi…
— Snape y veillera. Et puis, tu seras pas le premier, Sirius a— »
Un nouveau morceau langoureux détourna l'attention des élèves, et Harry plaça sa main sur sa nuque.
« Je ne peux pas supporter l'idée de retourner au Manoir, acquiesça Draco avec peine.
— Et moi je peux plus garder autant de secrets… surtout pas un que je veux partager... Et toi, qu'est-ce que tu veux ? murmura Harry. Le regard de Draco était si intense qu'il détourna les yeux vers la douce lumière qui passait entre ses cheveux.
— Toi… »
Et dans ce seul chuchotement angoissé, Harry put entendre tout ce qu'il avait besoin de savoir. Draco ferma les paupières et ramena la main de Harry tout contre sa bouche dans une prière silencieuse, une image qui s'imprima dans sa rétine, et enfin, enfin, il enroula ses doigts autour des siens et les pressa contre sa poitrine. Quand il rouvrit les yeux, les traits gravés par la détermination — sur ce visage, c'était sur ce visage-là qu'il aimait cette expression —, il l'attira plus près de lui, leurs souffles chauds se mélangeant.
« Carpe noctem… » souffla Draco.
Son visage s'adoucit alors que quelques hoquets de surprise se firent entendre autour d'eux. Draco saisit la mâchoire de Harry d'une de ses mains délicates et fraîches, son pouce caressant ses lèvres une seconde avant de finalement l'embrasser, comme une promesse.
Et voici pour ce chapitre ! De nouvelles révélations arrivent... tous les secrets ne pourront pas rester dans l'ombre...
