Disclaimer : Rien ne m'appartient (à part quelques personnages de mon invention), je ne touche pas une noise en écrivant cette histoire !
Avertissement : T
Note : This is the end, guys, girls, non-binary folks ! On y est, cette fois.
Partie 1 : Loin des cimetières
Le barman poussa un soupir de soulagement en la voyant arriver.
« Il est là-bas. » l'informa-t-il en pointant sa baguette sur un coin sombre du Chaudron Baveur. « Depuis quatre heures de l'après-midi… »
Emma hocha la tête en signe de compréhension. « Je suis arrivée dès que j'ai reçu ton hibou. »
« Il faut que ça cesse. » grommela le gérant en essuyant ses verres. « Je sais qu'il a perdu un être cher, mais il n'est pas le seul dans ce cas. Tous les veufs et veuves de la communauté magique ne viennent pas pour autant se torcher la tronche dans mon établissement. »
Elle se retint de hausser les yeux au ciel : bien sûr, elle compatissait à l'agacement du sorcier, mais ce genre d'arguments ne guérissaient en rien l'affliction des endeuillés. En fait, ces paroles pleines de bon sens avaient généralement tendance à empirer la situation.
« Merci, Tom. » fit-elle fraîchement. « Je vais le voir. »
« C'était un bon sorcier avant la mort de ton oncle. Sérieux, tranquille. Et jamais une goutte d'alcool ! M'a toujours réclamé que du jus de citrouille. J'aurais dû refuser quand il a débarqué il y a huit mois pour quémander son premier Purefeu… et maintenant, il commande plus que du vin des elfes : il a bu toutes ses économies. Si c'est pas malheureux… Mais qu'est-ce que je peux faire, moi ? Le foutre dehors d'emblée ? Il va se mettre la tête dans le chaudron si plus personne ne l'accueille nulle part… »
« J'ai compris, Tom. » Avant que le patron du pub ne puisse reprendre sa diatribe, elle s'avança en direction du banc à demi-caché sous les poutres basses.
La tête dans les bras, Simon Crowley s'était à moitié assoupi au milieu des cadavres de bouteilles. Elle ne distinguait que ses cheveux autrefois coupés nets qui émergeaient de ses bras recroquevillés sur la table poisseuse. Quelques jours après la mort de Fabian Prewett, Simon s'était réveillé pour réaliser dans le miroir que ses cheveux déjà cendrés étaient devenus entièrement blancs.
Emma demeura quelques secondes ainsi, immobile devant le soûlard, les mains plongées dans les poches de son duffle-coat noir.
« Simon ? » appela-t-elle en secouant doucement son épaule. « Oh ! Simon ! »
Le sorcier grogna à plusieurs reprises avant d'émerger.
« Va-t-en… »
« Il est plus de minuit, Tom doit fermer. Il faut que tu te lèves et que je te ramène chez toi. »
« Il a qu'à me laisser ici, je sais où se trouve la réserve… »
« Précisément ce qu'on voudrait éviter. » marmonna Emma. « Allez, debout, je vais t'aider à prendre la cheminette. »
A nouveau, elle l'agrippa par l'épaule, mais il la chassa d'une main paresseuse.
« Va-t-en ! Je t'ai dit… de t'en aller. Je veux pas voir ta sale tête… »
« C'est toujours agréable. » exhala-t-elle en essayant de le tirer de force de son siège. « Si tu acceptes de rentrer chez toi, je te ferai grâce de ma sale tête, comme tu dis. Il en faudra plus pour m'envoyer paître. Ce n'est pas comme si j'avais misé mon existence sur ma jolie frimousse. Ça suffit maintenant, lève-toi… »
Le sorcier se redressa d'un coup et elle dut s'éloigner pour éviter la collision. « C'est pas vrai, tu sais. » grommela-t-il en la contemplant d'un oeil torve. La fin du monde se reflétait dans ses iris assombris par l'alcool. « Elle a rien de moche, ta tête. C'est juste… tu as le même nez que lui… »
« Quoi ? »
L'homme laissa échapper une plainte qui lui fendit le cœur. « Tu as le même nez que Fabian ! » explosa-t-il d'un coup. « Alors j'ai pas très envie de te voir… »
Envahie par la pitié, Emma cessa de secouer le sorcier. Malgré le regard insistant de Tom qu'elle sentait pointer dans son dos, elle soupira et s'assit en face de l'ivrogne. Il semblait avoir envie de causer - ce qui n'était pas commun à son état d'ébriété habituel.
« C'est comme ce nom, Prewett… il n'y a plus que toi qui le portes, maintenant. T'es une bonne fille, Emma, et s'il était encore en vie, je t'aimerais comme ma propre nièce… mais maintenant qu'il pourrit six pieds sous terre, et que tu portes encore son nom et son nez… j'ai juste pas envie de te voir. Pas envie que tu me traînes jusqu'à chez moi, où il n'est plus là. » Simon renifla et fit glisser dans sa main un verre vide où errait une ultime goutte de vin. Un grognement guttural s'échappa de lui, semblable à celui d'un animal blessé. D'une voix atrocement grave et sourde, il reprit : « Je sens son absence partout, c'est insupportable… Insupportable. Je lui avais dit de ne pas travailler pour Dumbledore… je l'avais prévenu que ça finirait mal… »
Même s'il fuyait son regard, il ne repoussa pas sa main quand elle pressa doucement son avant-bras.
« Prends ça. » suggéra-t-elle en sortant de sa poche une fiole de philtre miracle du sorcier fêtard. « Ça te remettra les esprits en place. »
« C'est exactement l'inverse que je recherche. » Il protestait, mais s'exécuta tout de même.
Emma luttait contre l'énorme chagrin qui prenait toute sa cage thoracique parfois, lorsqu'on la confrontait malgré elle aux conséquences des terribles batailles passées. « Tu ne peux pas continuer comme ça, Simon. Si tu acceptais que je t'amène à Sainte-Mangouste… »
« Oh noooon, non, je peux absolument continuer comme ça, moi ! Je bois, je dors, je bois, je dors, j'oublie quel jour on est. Il y a un moment où j'aurai tellement bu que je finirai par le retrouver… et alors là, tu peux me croire, je lui passerai un sacré savon… Toi, en revanche… toi, tu ne peux pas continuer comme ça. »
« Non, en effet. » admit-elle avec lassitude. « Je ne peux pas venir te récupérer dans cet état-là tous les deux soirs. J'ai une vie, un travail, besoin d'une quantité de sommeil raisonnable… » Elle ignora les grogneries inintelligibles de son interlocuteur. « Ma copine commence à désespérer de me voir rentrer à deux heures du matin, puant l'alcool, parce que je me suis battue avec toi pour que tu restes dans ton lit… »
Le visage de Simon se déforma par un rictus méprisant. « Peuh. Tu m'étonnes qu'elle désespère… Tu parles d'une copine ! »
Trop surprise pour s'indigner réellement, Emma se contenta d'écarquiller les yeux. « Je te demande pardon ? »
« Tu peux te plaindre, tu peux protester. Mais la vérité, Emma, c'est que je te rends service ! Tu n'as jamais vraiment eu envie d'habiter avec elle. C'est l'aubaine idéale pour toi, de quitter votre lit en prétextant que tu dois venir à mon secours… Mais toi et moi nous savons que tu n'as aucune obligation envers moi. On n'est lié ni par le sang, ni même par alliance. Tu peux me laisser crever ici si ça te chante, personne ne te le reprochera. »
Emma fronça les sourcils. « Le souvenir de Fabian ne me laissera pas en paix si je te laisse t'enivrer à mort, et tu le sais très bien. »
« C'est peut-être vrai, du moins un peu… mais n'empêche. Michelle… elle ne mérite pas ce que tu lui fais. C'est une gentille fille, et elle t'adore. Toi, par contre, tu es perpétuellement ailleurs. Tu rêves d'une autre, je le sais très bien. »
Emma se raidit, pensa aux trois lettres cachées sous la latte de son tiroir de chevet, et se félicita que Simon ne soit pas en état de pratiquer une légilimancie quelconque. C'était vrai qu'elle rêvait d'une autre, lointaine, inaccessible, que tout le monde avait oubliée depuis - tout le monde sauf elle. Mais elle n'allait certainement pas l'admettre.
« Tu es ivre… »
Enfin, Simon releva la tête et osa la regarder en face. Quelque chose dans la vacuité du regard lui fit penser à Remus Lupin tel qu'elle l'avait aperçu pour la dernière fois, aux funérailles de Lily et James Potter.
« Peut-être, mais j'ai raison. »
« Michelle est une fille très bien. Jolie, intelligente, posée… »
« Mais tu as le béguin pour une autre depuis des années, ça se voit. » Simon passa son doigt ralenti au fond du verre. « Fabian était du genre à papillonner, tu sais ? J'étais fier d'avoir réussi à le séduire, à le garder alors qu'il charmait tout ce qui bougeait. C'était dans sa nature. Je suis sûr que si c'était moi qui étais mort, il aurait fini par refaire sa vie. Mais toi… tu es comme moi. Tu n'auras jamais d'yeux que pour une seule âme. »
Dans sa poche, elle caressa le bout de papier qu'elle avait reçu trois jours auparavant, mais ne fit aucun commentaire.
« Il n'y a plus rien pour toi, ici. Les quelques amis que tu avais sont morts. La guerre est terminée. La vie reprend pour ceux qui n'ont rien perdu, et qui ne mesurent pas leur chance. » déclara-t-il avec aigreur. « T'as accompli ton devoir. Le Ministère n'a pas besoin d'une autre Langue-de-plomb. C'est terminé, les dossiers classés défense et les secrets à garder… »
« On m'a proposé une promotion, il y a deux jours. » avoua-t-elle. Michelle avait débouché une bouteille d'hydromel tonic et elles avaient célébré la nouvelle, mais sa petite amie s'était réjouie bien plus qu'elle. « Je ne vais pas tout quitter maintenant. J'ai une vie ici. »
Simon pouffa d'un gloussement étouffé, un brin cruel.
« Des prétextes, toujours des prétextes… Tu sais quoi, Emma ? Je vais te faire un cadeau. Je vais accomplir mon destin de parfait ivrogne et te confier une révélation incroyable qui changera ta vie à jamais ! » ironisa-t-il en ouvrant dramatiquement les bras. « Le Choixpeau m'a réparti à Serdaigle, et j'y ai été… comme un poisson dans l'eau. Toujours le nez dans les bouquins… je m'intéressais pas à grand-chose d'autre. Peu d'amis, jamais eu beaucoup d'amis, mais c'était pas grave. Je n'en avais pas besoin. J'ai dédié ma vie à deux choses, établi deux priorités… mon boulot, et Fabian. Mais l'un ne devait pas prendre le pas sur l'autre. Et il était hors de question que mes recherches souffrent de notre vie de couple. Heureusement, il était aussi excité par son poste d'Auror que je l'étais par ma mission… je ne compte pas les nuits passées au CRIM, loin de lui. Et les siennes avec son équipe de justiciers, loin de moi. Mais le reste du temps, on était ensemble. Fabian équilibrait son temps avec son frère, ses amis… Pour moi, en revanche, il n'y avait que lui, et c'était toujours merveilleux, comme dans un rêve… »
Son regard se fit lointain par-dessus sa bièraubeurre.
« Mais il est mort, désormais. Psht. Parti. Envolé. Et ça fait tellement, tellement mal, que j'arrive même plus à travailler… »
Ses doigts attrapèrent maladroitement un bouchon égaré et il commença à jouer avec.
« Le CRIM m'a envoyé un hibou aujourd'hui. Ils estiment que mon comportement met mon travail en péril… tu parles. C'est pour leur réputation qu'ils craignent. Ils me mettent à la porte, et en profitent pour couper les crédits de mon projet de recherche. Il y a deux ans, ça aurait été la fin du monde pour moi. Mais tu vois, quand j'ai lu la lettre ce matin… je n'ai rien ressenti. Rien du tout. Et je ne peux pas m'empêcher de penser… que si Fabian était encore en vie… même si on m'avait retiré mon boulot, il aurait été là pour moi. Il aurait essayé de me calmer, de trouver des solutions. Il aurait pesté contre ces crétins du comité. Il m'aurait aidé à récupérer mon poste ou à en créer un autre. Alors si demain, un miracle se produisait et que j'avais encore vingt ans, que ma carrière était une page blanche et qu'on m'accordait de rencontrer Fabian une nouvelle fois… Le CRIM pourrait être réduit en cendres que j'en aurais plus grand-chose à faire. »
Il écrasa le bouchon de liège dans sa paume et le laissa tomber sur le sol.
« Alors voici enfin mon précieux conseil, et tu as intérêt à l'appliquer. Demain à la première heure. Tu envoies un hibou à la Guilde des Compagnons à la plus proche – il me semble que c'est celle d'Amsterdam. Tu envoies le Ministère se faire voir. Tu fais tes bagages, tu présentes tes hommages à ta colocataire, et tu prends le premier portoloin qu'on te propose. »
Elle le dévisagea. « Tu sais très bien qu'on ne peut pas faire ça. »
« Dit qui ? Je croyais que les Serpentard se moquaient des règles ! Tu es une femme adulte, maintenant. Comporte-toi comme telle. Allez, ça suffit. » Et soudainement, comme s'il n'avait attendu qu'elle, il se leva raide comme un piquet. « Tom est à deux doigts de nous envoyer un sort… » maugréa-t-il en observant le patron de bar qui avait terminé d'empiler les chaises et s'impatientait de plus en plus. « C'est bon, c'est bon, on dégage ! Prenons cette fichue poudre de cheminette, que tu me déposes chez moi. »
Comme il se levait de lui-même et commençait à tituber vers l'âtre, elle le rattrapa et passa un bras par-dessous ses épaules.
« Parfois, j'envie les Potter. » balbutia-t-il avec amertume, son souffle acide frôlant les tempes blondes de la jeune femme. « Eux, au moins… ils sont partis ensemble. »
Emma fronça le nez à la forte odeur de lavande qui embaumait soudainement le salon. Vêtue de son pyjama et fredonnant à l'air d'une chanson populaire sur la RITM, Michelle appliquait une pommade hydratante sur ses jambes.
« Simon est encore vivant ? » cria-t-elle depuis le canapé.
« Douloureusement, oui. » répondit Emma en lançant ses clés dans le bol prévu à cet effet.
Michelle roula des yeux. « Tu devrais dire à Tom d'arrêter de le servir tout court. Ce n'est pas à toi de t'occuper de lui… Oh, ta propriétaire a envoyé un hibou, aujourd'hui. »
« Hm ? » répondit distraitement Emma. Elle rêvait d'une douche brûlante… Malheureusement, elles vivaient dans une résidence moldue et Michelle avait la fâcheuse manie de terminer le ballon d'eau chaude. Cette pensée l'agaça prodigieusement. Certes, elle pouvait réchauffer la machine d'un coup de baguette en espérant que le Ministère ne remarquerait rien, mais c'était une question de principe.
« Elle demande si tu renouvelles ton bail. »
« Ah… » Elle vida ses poches et contempla la lettre qu'elle avait reçue trois jours auparavant en provenance d'Amsterdam. La relire pour la centième fois ne changerait rien, mais…
« Je pensais… plutôt que de vivre l'une sur l'autre ici alors que tu paies encore le loyer de ton ancien appart'… peut-être qu'on pourrait acheter ensemble ? »
Emma se retourna d'un bond et jaugea Michelle avec stupeur.
« Quoi ? »
« On n'aura pas le budget pour une maison trop grande… mais un petit cottage, quelque chose dans le genre. Si la cheminée est bien raccordée au réseau de cheminette, je me fiche de m'éloigner de Londres… »
Elle retira son bandeau, s'approcha d'Emma et posa ses mains sur ses hanches.
« C'est une idée, et la nuit porte conseil. Tu viens te coucher ? » susurra-t-elle en déposant un baiser lascif dans son cou.
« J'ai encore du travail… »
« Hmmm, dommage… »
Michelle s'étira et traîna des pieds en direction de leur chambre.
« Je ne t'attends pas pour éteindre, j'ai eu une journée crevante. La confédération de quidditch est à court de cognards et il a fallu en fabriquer en urgence… bref, je suis épuisée. Essaie de ne pas te coucher trop tard quand même. » conseilla-t-elle en refermant la porte avec un sourire.
« Bonne nuit… »
Il n'y avait plus d'eau chaude.
Il n'y avait plus d'eau chaude, le salon empestait la lavande bon marché. Et elle n'avait aucune envie d'acheter un petit cottage hors de Londres.
Abandonnant le robinet qui répandait des giclées d'eau à peine tiède sur sa peau, elle se sécha vite, administra un sortilège de propreté à ses vêtements et les revêtit aussitôt sec. Il n'y avait pas de mot pour décrire l'étonnant mélange de brûlant et de glacé qui se répandait en elle, la résolution qui battait dans son cœur à un rythme douloureux.
Accoudée au rebord de la cuisine, elle dégaina sa plume et rédigea la missive la plus courte et efficace de sa vie :
« Mr. Richard,
Je vous adresse par la présente ma démission.
Merci de virer la paie restante sur le compte Gringotts associé à ma fiche de poste. »
Après avoir griffonné les salutations d'usage, elle sollicita le hibou de Michelle qui s'envola à travers la fenêtre.
La seconde note requit une minute de réflexion et une profonde inspiration.
« Michelle,
Je quitte l'Angleterre. Ce n'est pas ta faute, mais quelque chose… »
Elle lança un sort d'effacement et reprit :
« … ce n'est pas ta faute. Mais quelqu'un m'attend quelque part, du moins ai-je l'arrogance de le croire… Je ne serai pas libre avant d'en avoir le cœur net. Tu n'y es pour rien. »
Elle hésita à s'arrêter là – à quoi bon enrober la réalité par de pieux mensonges ? Une once de culpabilité la titilla néanmoins en imaginant la tête que ferait Michelle au réveil. Mais elle n'avait pas à mentir : la vérité suffisait.
« Tu me détesteras sûrement pendant un long moment, mais je te souhaite sincèrement d'être heureuse. »
La note fut posée en évidence près du pichet d'eau. Lentement, elle poussa la porte de la chambre. Michelle dormait déjà profondément. Sa respiration sereine et familière résonnait dans la petite pièce. Emma récupéra une cape de voyage, une paire de bottes ultra résistantes et quelques vêtements confortables, un collier qui lui venait de sa mère, le roman que son père lui avait offert plusieurs Noël auparavant et gisait depuis sous sa table de nuit. Elle fit le tour du lit avec précaution et posa un baiser sur les cheveux éparses de la jeune sorcière. Michelle émit un doux son et se retourna dans son sommeil.
« Pardon. » chuchota Emma. Elle quitta la pièce sans regarder en arrière, puis, baluchon sur l'épaule, dévala les escaliers de l'immeuble.
« Vous attendez depuis longtemps ? » la salua aimablement la dame du guichet de portoloins. « Je suis désolée, les sièges de la salle d'attente ne sont pas confortables… »
Emma se força à sourire malgré son dos endolori : elle avait passé la nuit sur une chaise raide, à attendre qu'enfin la première employée daigne ouvrir la grille à sept heures précises.
« Ça n'a aucune importance… je voulais prendre le premier que vous aviez de disponible. »
« Quelle est votre destination ? »
Ses doigts caressèrent machinalement la lettre dans sa poche, la lettre qui portait le sigle des Compagnons…
« Mont Hotaka, Japon. » annonça-t-elle.
La sorcière consulta son registre magiquement connecté à ceux que possédaient les autres guichets de portoloins à travers le monde. Les écritures, mises à jour à la main par les sorciers aiguilleurs, se modifiaient d'elles-mêmes au fur et à mesure de la journée.
« J'ai un premier départ pour Leipzig dans vingt minutes. Vous prendrez ensuite les portoloins pour Minsk, puis Saratov, Kostanaï, Pavlodar, Abaza, Yichun, Sapporo, et Hotaka-dake. Arrivée prévue dans six heures et vingt-trois minutes à partir de votre départ de Londres. Cela coûtera trois cent cinquante gallions. »
Quand le guide arrêta sa petite troupe et déclara qu'il était temps de déjeuner. Emma faillit oublier toute réserve pour le prendre dans ses bras et l'embrasser sur les deux joues. Ils gravissaient la montagne depuis le lever du soleil et elle était à bout de forces. Le sortilège d'apesanteur, qui atténuait considérablement le poids de son corps tandis qu'elle grimpait les marches de pierre brute, lui avait permis d'effectuer la première heure sans trop souffrir. Mais bientôt, l'enchantement tarit, et elle comprit pourquoi les guides déconseillaient généralement d'y avoir recours. On ne pouvait se le lancer plus de deux fois par jour sans éprouver sévèrement son organisme. Or, une fois que les effets s'amenuisaient, le retour aux lois élémentaires de la gravité paraissait plus exténuant encore que d'habitude.
Craignant de passer pour une novice absolue, elle essaya donc de reprendre son souffle. Ils s'assirent à l'écart des portes rouges et sacrées, sous les cèdres aux hauteurs impressionnantes, et sortirent leurs repas de leurs sacs. Il faisait déjà plus froid à cette hauteur, et bientôt, leurs pieds claqueraient contre la terre gelée.
Avec étonnement, elle vit Masahito sortir ses deux baguettes magiques et les placer de chaque côté de sa ceinture.
« Je croyais les moldus pouvaient également emprunter ce chemin. » remarqua-t-elle. « Ce n'est pas risqué de montrer vos baguettes ? »
« Je croyais que vous étiez une sorcière aguerrie, Emma-san. » sourit le guide. « Vous ne vous êtes pas aperçue du mirage que nous traversions ? »
L'adolescente aux grosses lunettes qui les accompagnait pouffa, et Emma plissa les yeux en direction des portes rouges qu'ils avaient déjà traversées. Maintenant qu'elle y faisait attention, elle distinguait en effet, environs trois étages plus bas, une sorte de rideau aquatique qui se dressait sous le bois rouge vif. Elle l'avait franchi sans même s'en rendre compte, mais la porte avait créé un autre chemin en miroir, et même temps parfaitement parallèle au premier, où déambulaient des randonneurs moldus.
Impressionnée mais peu désireuse de le laisser voir, elle s'assit en silence et entreprit de dévorer les boules de riz aux algues qui constituaient son repas.
« Les Japonais ne sont pas aussi terre-à-terre que les Anglais. » expliqua Masahito en dévissant sa gourde de thé vert. Un coup de baguette magique droite suffit à réchauffer le breuvage qui laissa aussitôt échapper des volutes de vapeur. « Ici, de nombreux moldus croient encore aux dieux, aux fantômes et aux apparitions surnaturelles. Ce sont toutes ces entités qu'ils vont prier au temple ou découvrir dans les salles de cinéma. Nous n'avons pas besoin de nous montrer aussi prudents qu'en Europe. »
« En ville, il vaut toutefois mieux faire attention. » maugréa la jeune fille de leur groupe. « Au risque de se retrouver ici. »
« C'est vrai. Mais dans ces montagnes sacrées, ils penseront avoir été bénis par une apparition divine quelconque. » répliqua le guide. « Il y a un temps pour chaque chose, Rikka-chan. Ma nièce a fait apparaître un patronus dans le quartier de Shinjuku, soit l'un des endroits les plus bondés de Tokyo. » expliqua-t-il à Emma. « C'était inutile et dangereux. »
« Mais il y avait un détraqueur… » souffla Rikka entre ses dents.
« Tu sais très bien qu'ils apparaissent, quand il pleut ! » se lamenta Masahito. « Tu avais surtout trop bu et tu voulais montrer à ce benêt de Chigiru que contrairement à lui, tu étais capable de lancer ce sort ! C'est ta sottise et ton arrogance qui t'ont amenée ici, rien d'autre. »
Le guide se mit à inspecter les cieux comme s'il consultait une carte, et Rikka se pencha vers la sorcière britannique.
« Ils ont tous cru que c'était une animation de rue, je n'ai jamais mis le Secret International en danger. » pouffa-t-elle. « J'ai même eu droit à des applaudissements à la fin. On m'a juste complimentée sur la technologie que j'avais employée, et demandé ce que je vendais. Mais le Gouvernement magique m'a repérée et ils m'ont mise en probation. Interdiction de vivre en milieu urbain pendant six mois. Et maintenant, je suis coincée avec mon oncle… Tokyo me manque. »
Ils se remirent en route – beaucoup trop tôt, songea Emma en prenant une fiole de Courbacalm, censée prévenir les douleurs musculaires. Les escaliers ne menaient pas plus loin qu'une cascade aux étranges reflets dorés, devant laquelle les deux Japonais se recueillirent un instant. Puis ils continuèrent leur route sans suivre de sentier particulier, au milieu des herbes tenaces qui survivaient à la froideur des températures et de la terre brute.
« Nous y sommes ! » annonça joyeusement Masahito.
Ils étaient parvenus au premier sommet à l'heure du soleil couchant. Le ciel lumineux s'embrasait en bleu, rouge, gris, orange, or… Emma fut estomaquée par tant de beauté. Les autres monts semblaient s'incliner aux pieds de celui qu'ils avaient gravi. Les teintes sublimes et violentes dont se parait la voûte céleste miroitaient sur les parois de roches enneigées et les pentes de terre gelées. Après avoir rapidement admiré le paysage, Masahito et Rikka s'éloignèrent pour monter leur tente magique un peu plus loin, là où d'autres voyageurs s'étaient aussi installés. Emma resta là encore quelques minutes, goûtant ce sentiment grisant de bout du monde. Les doutes l'avaient peut-être assaillie toute la journée durant, mais ils se dissipaient maintenant, dans la beauté qui s'offrait devant elle.
« Par Médée, Morgane et toutes les autres ! Est-ce qu'on peut savoir ce que vous faites là, Prewett ? »
Son cœur bondit dans sa poitrine et elle se retourna vivement. Un seau en bois accroché au bras, Adriana Mercador se trouvait devant elle, à la fois incrédule, exaspérée et... peut-être (Emma l'espérait tant) agréablement surprise ? Ses cheveux noirs et ondulés, détachés, flottaient autour de son visage. Ils avaient poussé et lui arrivaient désormais un peu plus bas que les épaules, mais pour le reste, elle ressemblait en tout point à la personne qu'Emma avait laissée quelques années auparavant sur un lit d'infirmerie. Son cœur battait au point de lui faire mal, mais elle s'efforça de préserver une expression neutre.
« Le Ministère payait mal, et comme le climat anglais me lassait. Je me suis dit qu'il était temps de prendre l'air. »
Adriana sourit largement, et sa beauté frappa Emma comme jamais, malgré sa tenue spartiate et son seau d'eau ballant au bout du bras.
« Ici, précisément ? Sur cette montagne spécifiquement, à Hakota-dake ? » insista Adriana.
« Vous parlez d'une coïncidence... Dites, vous aviez reçu ma dernière lettre ? »
La sorcière la jaugea étrangement et un petit sourire anima la commissure de ses lèvres.
« J'allais vous poser la même question. La dernière que j'ai reçue date de mon passage à Bali. Je vous avais répondu. »
Emma grimaça. « Je ne l'ai jamais reçue. J'ai cru que vous m'aviez oubliée. »
Adriana haussa un sourcil et sans détourner le regard, prit tout son temps pour faire non de la tête. Emma lutta contre le rougissement qu'elle sentait envahir le haut de son buste, avant qu'il ne parvienne jusqu'à ses joues. Finalement, Adriana éclata de rire. Ses pommettes également commençaient à rosir.
« Nom d'une gargouille, Emma ! » reprit-elle en riant encore à moitié - que c'était bon de la retrouver ainsi, saisie d'une douce hilarité face à la situation incongrue de cette nouvelle rencontre. « Mais qu'est-ce que vous allez bien pouvoir faire ici ? »
Emma fouilla dans son sac. Elle sortit une plume et un bloc de papier parcheminé qu'elle agita à bout de bras.
« Je pourrais écrire un livre sur les Compagnons de la Magie. » argua-t-elle avec une feinte innocence. « On en sait si peu sur eux. Puisque vous êtes là, vous pourriez peut-être m'accorder un entretien ? »
La sorcière la considéra avec surprise… et à nouveau éclata de rire, secouant la tête de droite à gauche, les yeux mi-clos et les mains sur les hanches.
« C'est le pire prétexte qu'on m'ait jamais sorti ! »
Elle s'approcha tout de même, planta ses yeux intensément noirs dans les siens. Emma retint son souffle mais refusa de fuir. Elle avança d'un pas, et Adriana fit de même.
« Je voulais juste vous revoir. » avoua-t-elle. « C'est peut-être mieux comme ça ? »
« Vous êtes encore plus obstinée que moi. » lui concéda son interlocutrice.
« Il faut en effet être sacrément têtue pour gravir toutes ces marches. » admit Emma. Son cœur battait à tout rompre dans sa cage thoracique. « Comme s'ils ne pouvaient pas créer de portoloin pour ça… c'est de la torture, rien de plus. »
« Vous avez coupé vos cheveux. » sourit tendrement Adriana. Du bout des doigts, elle caressa brièvement les pointes blondes de la coupe au carré qui voletait au gré des courants d'air. Emma frémit sous le contact furtif des doigts sur la peau sensible de sa mâchoire.
« C'est plus pratique pour se battre. »
Adriana hocha la tête, la clouant toujours du regard.
« Vous avez gagné. »
Emma exhala son incertitude quant à cette déclaration.
« Je peux vous jurer que cette victoire-là a pourtant un goût amer et persistant de défaite… les meilleurs guerriers… Mes oncles, et Abram McKinnon… et les élèves auxquels vous avez enseignés… Un tiers est en prison, un autre gît au cimetière, et les autres… »
Les autres prenaient des portoloins en espérant rattraper la vie qu'ils avaient mis en suspens.
Ses paupières se fermèrent tandis qu'Adriana posait sa main sur sa joue. Puis ses bras se refermèrent autour d'Emma qui se laissa aller contre elle. Le vent soufflait fortement, et pourtant leurs paroles furent parfaitement audibles l'une pour l'autre.
« C'est fini. » promit-elle à son oreille.
« C'est fini. » répéta Emma en échos, le soulagement tombant sur elle comme l'eau chaude sur des muscles endoloris.
Au bout d'un temps infini, elle se dégagea doucement de leur étreinte. Elle voulait à nouveau admirer le visage envoûtant qui lui avait tant manqué…
« Et maintenant ? » murmura-t-elle, infiniment consciente de la proximité de leurs bustes qui se soulevaient de plus en plus rapidement l'un contre l'autre.
« Je ne sais pas. Tu n'étudies plus à Poudlard, n'est-ce pas ? »
L'accent latin, d'ordinaire si bien dissimulé, roula sur les lèvres de la sorcière brune. Emma se fendit d'un sourire et nia de la tête.
« Diplômée avec les félicitations du jury. »
« Ça tombe bien, je n'y enseigne plus non plus. »
Adriana franchit les derniers centimètres qui les séparaient.
Elles s'embrassèrent peut-être quelques secondes, peut-être de longues minutes, dans le vent des hauteurs montagneuses. Quand leurs souffles se désunirent, le soleil tirait sa révérence à l'horizon.
« Viens. » murmura Adriana en glissant son bras autour de sa taille. « Il faut que je te prévienne. Pour les bêtes nocturnes. » précisa-t-elle devant la perplexité de la nouvelle arrivante. « Tu as déjà entendu parler des inugami ? Ce sont des espèces de gros chiens avec des yeux mauves. Si tu ne protèges pas ta baguette pendant la nuit, ils risquent de venir la chercher et de jouer avec comme si c'était un vulgaire jouet en bois. Ou pire, de s'attaquer à ta tente. Mais ne t'inquiète pas, il n'y a qu'une cinquantaine de blessés par an… »
« Bon. J'ai changé d'avis, je rentre à Londres. »
Adriana la rattrapa par les hanches alors qu'elle faisait mine de reprendre les escaliers en sens inverse. Grisées et émerveillées, riant et se chamaillant, elles se dirigèrent main dans la main vers le campement qui se dressait avant la tombée du jour.
Partie 2 : Tout le temps au monde
Bien sûr, la maison devenue monument avait été enchantée pour éviter de possibles intrusions et résista donc aux alohomora qu'il lui lança.
Harry réfléchit, posa prudemment sa main sur la poignée fermée – poignée que ses parents vivants avaient dû saisir un nombre incalculable de fois. Intérieurement, il songea de toutes ses forces, comme s'il essayait de transmettre quelque chose aux fondations mêmes de la maison : « Je suis Harry Potter. Je suis le fils de Lily et James. »
La demeure le reconnut, et sous ses doigts, il sentit le verrou cliqueter et céder.
Le cœur battant à tout rompre, il poussa la porte.
Il se serait attendu à davantage de poussières, mais les sorts de conservation avaient relativement bien marché. Peut-être qu'une âme charitable s'était attendue à ce qu'il revienne sur ses pas un jour… ? Après tout, la maison lui appartenait, il en était l'héritier légitime. Il avait craint que la maison de sa toute petite enfance se soit transformée en ruine décrépie, comme le square Grimmault. Mais l'entrée donnait plutôt l'impression d'une maison au repos, endormie, vaguement ternie par la poussière estivale…
Il s'immobilisa au seuil, dévorant déjà le périmètre qui s'offrait à ses yeux, essayant de maîtriser le battement erratique qui tambourinait dans sa cage thoracique. Il y avait un manteau vert et une cape noire accrochés au pater, des chaussures éparses dans un meuble bas. Une poussette d'enfant rangée à la va vite sous l'escalier. Un sac de course qui traînait. Harry fit un pas, ferma la porte derrière lui.
Les yeux clos, il huma l'air, s'imprégna des ondes alentours, essaya de faire surgir une sensation oubliée qui pourrait refaire surface… mais sa mémoire refusa de coopérer. En ré-ouvrant les yeux, il découvrit une photo encadrée au mur. C'était sûrement la photographie la plus banale du monde : Lily et James, accroupis dans leur jardin, entouraient un bambin qui tenait à peine sur ses jambes. Il faisait beau, Lily portait une robe jaune dénudant ses épaules, James un t-shirt rouge et un jean retroussé aux chevilles. Ses parents radieux adressaient de grands signes au photographe, encourageant leur fils à faire de même. Harry, âgé d'un an tout au plus, sans lunettes encore, dépourvu de cicatrice, sourire édenté, agitait maladroitement sa petite main tendue devant l'objectif. Son équilibre précaire était maintenu par deux mains aimantes posées sur ses hanches – chacun de ses parents soutenant sa taille minuscule.
Pour la première fois, Harry fut frappé d'à quel point ils semblaient jeunes… était-ce parce que deux ans seulement les séparaient désormais, et qu'il n'avait jamais autant ressemblé à son père que sur cette photo ? C'était comme s'exercer au jeu des sept différences… Les yeux de James, encadrés de verres rectangulaires, n'avaient pas la même couleur que les siens. Ses bras étaient légèrement moins longilignes, ses épaules un peu plus musclées, sa mâchoire plus carrée, sa fossette au creux de sa bouche était plus présente, et aucune cicatrice n'apparaissait derrière les mèches rebelles qui envahissaient son front. Mais un observateur moins aguerri se serait laissé prendre au piège en une fraction de seconde.
Il s'arracha à la contemplation de cette photo jusqu'à alors inconnue et pénétra dans le salon. Des verres et des assiettes recouverts d'un tissu en lin étaient posés sur la table à manger, attendant d'être rangés. Il y avait également un chaudron propre et du matériel de potions. Un panier de pelotes de laines traînait, à moitié recouvert d'un tricot inachevé. Sa mère tricotait ? songea-t-il avec amusement. Aurait-elle fait compétition aux fameux pulls de Molly ?
Lentement – infiniment lentement – il s'assit sur le canapé. Son geste libéra quelques moutons de poussière qui s'échappèrent du dessous du meuble. Un an auparavant, par les yeux de Voldemort, il avait vu James s'asseoir à cet endroit précis, lancer sa baguette – juste là, à quelques centimètres de l'accoudoir – étirer ses bras, décontracter sa nuque endolorie, croiser ses jambes sur la table basse… Pris de vertige, il ferma les yeux. Quel étrange sortilège, que de sentir chaque cellule de son corps, chaque jet de sang pompé par son cœur, chaque respiration brûlante traverser l'espace-temps, convergeant vers le dernier moment où James – même hauteur, mêmes jambes élancées, mêmes mains nerveuses qui venaient chatouiller la jointure de ses lunettes en haut de son nez – s'était tenu à cet endroit – le même que lui, l'exact périmètre sur lequel il était assis, lui, Harry…
Il se releva et s'approcha de la bibliothèque. La diversité des livres le frappa, tantôt sorciers, tantôt moldus, romans et manuels appliqués se confondant sans vergogne.
« Préparation au concours MagIC. » chuchota-t-il en passant le doigt sur un manuel qui gondolait en raison des post-it et liasses de parchemin glissés à l'intérieur. Il avait appris que sa mère avait participé à de la recherche en enchantement, mais personne n'avait été en mesure de lui confier à quoi James passait ses journées quand il ne travaillait pas pour l'Ordre. Son œil fut attiré par une boîte aux motifs fleuris. « Photos » indiquait l'écriture désormais familière de sa mère. Il saisit l'objet et l'ouvrit à même le plancher où il s'était agenouillé.
Elles étaient rangées dans le désordre. Les premières qu'il trouva dataient de leur mariage. Il en connaissait certaines, qui se trouvaient dans l'album que lui avait offert Hagrid, mais d'autres restaient inédites. Tellement jeunes, pensa-t-il une fois encore.
Molly et Arthur Weasley aussi s'étaient mariés tôt. Mais Harry ne les avait connus que plus âgés, cernés et épuisés d'avoir par sept fois éduqué, cajolé, puni, sermonné, consolé, nourri, douché, changé, négocié… Il connaissait le front soucieux d'Arthur, l'embonpoint de Molly, leurs épaules pliant sous le poids du quotidien et leurs voix éraillées à force de sollicitations et de conseils à prononcer.
Par comparaison, James et Lily, sur les photos, affichaient une jeunesse et d'une beauté insolentes. En retournant les photos les unes après les autres, il compléta sa chronologie incomplète, s'imprégna de l'évolution de leurs visages et de leurs changements de coupes de cheveux (même si pour son père, l'expression semblait légèrement galvaudée). Abruptement, il prit conscience de la rapidité avec laquelle tout s'était enchaîné après Poudlard. Son cœur marqua un tempo plus rapide quand il tomba sur une photo prise près du lac de l'école. Tout semblait différent de la vision cauchemardesque de Lily et James se hurlant dessus après leurs BUSES. Sur le papier, ils riaient avec Sirius dans leurs uniformes : les boutons de chemises défaits et les robes nouées autour de la taille symbolisaient l'imminence de la fin de l'année scolaire. La tête de Lily reposait sur l'épaule de James qui s'esclaffait à une plaisanterie de son meilleur ami. De temps à autre, il déposait de brefs baisers sur le front de la jeune fille qui souriait rêveusement. Ils étaient alors un peu plus jeunes que lui…
Avaient-ils déjà décidé de rejoindre Dumbledore, de se battre avec l'Ordre ?
S'apprêtaient-ils à simplement passer leurs examens et à commencer leurs vies adultes, à trouver un appartement, un emploi ? Avaient-ils déjà compris les risques auxquels ils s'exposaient ?
Harry prit une autre photo, et ses lèvres se retroussèrent en dépit de lui-même. Elle avait dû être prise au pub du village. James essayait manifestement de maintenir l'équilibre du nourrisson sur ses genoux tout en s'accrochant à sa pinte de sa main libre – tandis que Lily, les trois autres maraudeurs et une très jolie femme, à l'impressionnante chevelure brune et bouclée, trinquaient de bon cœur.
Il la reposa et agrippa une autre liasse de photographies. Il était présent sur quasiment toutes celles qui suivirent.
Lily qui tenait son bébé contre sa poitrine, visage adouci et regard noyé d'amour, son index perdu dans la minuscule paume du bébé.
Sirius qui essayait de le faire tenir sur le siège de sa moto sous les récriminations amusées de la jeune mère, bras croisés et regard sarcastique.
Harry à huit mois, assis sur les genoux de la même jeune femme aux boucles brunes, tous deux absorbés par un livre d'enfant… il tourna le rectangle de papier glacé et passa son pouce sur l'écriture de sa mère. « Marlene et Harry – avril 1981 ». Marlene… Ni Sirius ni Remus n'avaient jamais mentionné son existence. Était-elle avant tout l'amie de Lily, ou celle de James ? « Mariage d'Alice et Frank – septembre 1978. » Les parents de Neville dansaient, rieurs, sur une piste de danse, tandis que Lily tirait malicieusement la langue au photographe. Mais ce n'est pas ce qui intrigua Harry…
Dans le fond, on distinguait Remus enlaçant la jeune femme brune nommée Marlene, son visage étrangement serein posé dans le creux de son épaule.
Harry, très, très petit – petit visage renfrogné, tête ronde en grande partie recouverte d'épais cheveux noirs. Au milieu de Sirius et de Marlene, fiers comme des papes, souriants de toutes leurs dents, sur une photo visiblement prise par un professionnel. Sirius avait troqué son marcel et sa veste en cuir pour une chemise blanche moldue, la jeune femme portait une robe bleu clair de cérémonie. « Septembre 80 – Black et McKinnon nous font l'honneur de devenir parrain et marraine de Harry ! »
Harry rattrapa la photo de Marlene lui lisant une histoire et l'admira avec attention. Sa marraine… Marlene McKinnon. D'un coup, la voix de Maugrey lui revint en tête. Elle aussi faisait partie de l'Ordre… quant aux McKinnon, il connaissait par cœur la mention qui leur était faite dans la lettre de Lily – qu'il avait relue et disséquée, dont il s'était repu pendant des mois. Il regretta que Remus ne lui ait jamais parlé d'elle. Remus et Marlene s'étaient sûrement connus à Poudlard. Est-ce que leur histoire avait débuté dès leur arrivée en barque – ou bien plus tard, peut-être même après leur diplôme ? La sorcière avait été assassinée pendant l'été 1981. Or, les photos qui représentaient le couple dataient au plus tard de janvier 1981… est-ce que la disparition de Marlene avait creusé l'incurable mélancolie de Remus ? Était-ce parce que son deuil avait été si compliqué qu'il n'avait jamais mentionné son nom à Harry ? Tonks connaissait-elle l'existence de celle qui l'avait précédée ? La mère de son filleule avait-elle été élue l'ultime dépositaire des secrets de Remus, de ses souvenirs remplis de fantômes ?
Il songea à Teddy qui, un jour, lui poserait sûrement des questions sur son père et sa mère, et se jura de rassembler autant d'informations qu'il le pourrait. La simple perspective de laisser son filleul se débrouiller avec tant de vides à combler le rendait nauséeux.
Arrivé à bout des photos, il eut la surprise de trouver un paquet de parchemins réuni par un ruban rose poudré. C'était une collection de lettres dont il émanait une odeur surannée de violette… Mis à part leur mariage à peine sortis de l'école, il n'avait jamais eu l'impression que ses parents étaient du genre vieux-jeu quand il s'agissait de romance. Apparemment, il s'était trompé.
Amusé mais aussi vaguement gêné, il défit l'attache en appréhendant de tomber sur une correspondance un peu trop privée…
« Mon cher Cornedrue,
Comment va la gueule de bois ?
Je dois avouer que tu n'avais pas l'air très frais, après avoir vidé tes tripes dans ma salle de bain. Au cas où tu t'interrogerais sur les feuilles et la boue collées à tes semelles, sache que Peter t'a trouvé en forêt, encore ivre et transformé en cerf (!) avant de te ramener chez toi.
Tu crois que je bluffe ? Tu me connais pourtant, je ne crois que ce que je vois. Queudver a réussi à extirper de sa mémoire ses souvenirs de la nuit dernière… ça vaut son pesant en gallions.
Je l'ai toujours en ma possession, d'ailleurs. Sois prévenu, ça va se négocier sec. Heureusement que t'es blindé !
Bonne ré-hydratation,
P. »
« Bien-aimé Patmol,
Si j'étais saoul, tu étais quoi, toi ?
J'ai peut-être erré dans un bois, mais ce n'est pas moi qui me suis fait embarquer par la fourrière et vacciner contre la rage. HA !
C. »
« Potter,
On avait dit qu'on arrêtait avec cette histoire, tu as largement dépassé le quota autorisé de cent trente-sept références quotidiennes à cette tragique histoire de fourrière.
Je suis traumatisé, merci de laisser mon ego cicatriser en paix.
P.
P.S. : Arrête de m'envoyer ton hibou asthmatique alors qu'on pourrait juste communiquer par miroir ! »
« Le charme des correspondances à l'ancienne, vieux ! »
« Cher Sirius,
Vu l'état d'épuisement avancé dans lequel vient de nous revenir ce pauvre Tempête, James est privé de hibou jusqu'à nouvel ordre. Grandissez, un peu !
Voilà à quoi ressemble un sortilège portus appliqué à un parchemin, ce qui permet d'épargner avantageusement la santé de nos précieux volatiles. De rien pour la leçon d'enchantement élémentaire, c'est gratuit.
Lily
P.S. : Tu viens dîner ? Le gratin refroidit. »
Il avait envie de rire et pleurer à la fois, et ne put que laisser échapper un drôle de son rauque. Prenant la boîte comme s'il était agi d'un trésor précieux, il se releva et la déposa en évidence sur le piano. Il repartirait avec le soir venu.
Revenant au pied de l'escalier, il posa sa main sur la rampe, prit une profonde inspiration…
… et, une à une, grimpa les marches de l'escalier.
Comme Voldemort avant lui.
Comme Lily avant lui, qui le portait dans ses bras pour le mettre au lit.
Une fois de plus, sa poitrine chauffa à blanc. Sa main poussa la première porte en tremblant. C'était bien celle-ci. Sa chambre d'enfant. Le toit à demi-effondré, juste au-dessus du lit à barreau que personne ne semblait avoir décalé d'un seul centimètre. Il hésita à rentrer, la curiosité déjà aiguisée par les livres d'enfant sur l'étagère, la petite commode remplie de vêtements d'enfants – et le mini balai, qui prenait la poussière depuis dix-sept ans, calé contre le mur ! Le fameux mini balai, le premier présent de Sirius !
Son pied se posait sur la moquette légèrement ternie quand il se rappela du corps de Lily écroulée sur le sol.
Horrifié, il recula, hors de la chambre, plus loin dans le couloir, terrassé par un flot d'émotions contradictoires. Il allait être malade… Sa main trouva une autre poignée, et c'est avec soulagement qu'il se retrouva dans la salle de bain carrelée. Il ouvrit le robinet, s'aspergea le visage d'eau, et se laissa glisser dos à la baignoire. Les serviettes étaient encore accrochées au pater. Dans un pot à brosses brillaient encore de longs cheveux cuivrés qui ressemblaient à des fils de soie. En face de lui se trouvait un miroir en pieds, qui sembla frémir sur sa base, comme s'il se réveillait d'un long sommeil.
« Oh, je reconnais cette coupe ! Donne-toi un coup de peigne avant de sortir, mon garçon ! »
Il fondit en larmes. De vrais pleurs, de gros sanglots d'enfants, bruyants et grimaçants, qui inondaient ses lunettes, faisaient couler son nez et n'apaisaient en rien son chagrin. Il avait tellement manqué de tout ça, que l'avalanche de couleurs et de visages et de moments à jamais disparus étaient sur le point de l'engloutir. Quand les larmes tarirent enfin, l'épuisement pointa. Il aurait pu s'endormir là, dans les effluves de lessive et de poudre de riz… mais ses sens devaient le trahir, l'enchantement, aussi puissant soit-il, n'avait pas pu préserver ces odeurs pendant vingt ans…
« Harry ? » appela une voix lointaine.
Il s'efforça de sécher les traces de larmes sur ses joues. Quelques bruits de pas légers, et Ginny apparut dans l'encadrement de la porte, ses yeux brillant d'un soulagement qui se préférait non-dit. Elle était l'incarnation même de l'été, ses longs cheveux roux tirant vers le blond solaire et coulant jusqu'au creux de ses reins, avec son débardeur à l'effigie des Harpies, son short en jean et ses sandales, la peau intégralement couverte de tâches de rousseur.
« Harry ? Tout va bien ? J'ai fait toutes les pièces avant de te trouver… »
Elle s'accroupit à ses côtés, et il se cramponna à elle comme à une bouée de sauvetage. Comme lui, Ginny pleurait peu. Elle préférait trier et canaliser ses émotions à travers l'action de son corps. Que ce soit le doute ou l'euphorie, elle réglait ses émois sur le terrain de quidditch, ou en se livrant avec lui à un autre genre d'activité physique. Puisqu'ils se connaissaient désormais si bien, il savait reconnaître son angoisse ou son excitation par mille et un signes bien identifiables : des yeux moins mobiles, ses doigts pianotant sur le rebord d'une table, sa lèvre supérieure mordant la chair inférieure… C'était une des raisons pour lesquelles il se projetait si facilement avec elle : préférant chacun l'action à l'introspection, ils n'éprouvaient pas le besoin de bavarder des heures durant, et maintenaient ainsi l'équilibre de leur histoire. Jamais il ne s'était jeté ainsi dans ses bras, comme pour quémander sa protection. Vaguement gêné de la fragilité qu'il venait de dévoiler, il fit mine de se défaire de leur étreinte, mais Ginny resserra ses bras et l'empêcha de s'écarter.
Muette, elle se contenta de demeurer enroulée autour de lui et de caresser doucement ses cheveux. Il se détendit en réalisant qu'elle humait son odeur, le nez enfoncé au creux de son épaule. C'était une marque d'affection à laquelle elle avait souvent recours lorsqu'elle se préparait à une journée particulièrement stressante. Il avait craint de l'effrayer en dévoilant la profonde faille qui le dévorait et s'obstinait à cacher le plus possible… mais elle devait être presque aussi bouleversée que lui pour s'accrocher à sa taille avec tant de forces.
Au bout de quelques minutes, ils se détachèrent partiellement l'un de l'autre et Ginny jeta un regard autour d'eux, évaluant la pièce.
« Ce sortilège de préservation est incroyable. On dirait que la maison a été figée dans le temps… »
« Square Grimmaurd a été abandonnée moins longtemps, et pourtant elle est irrécupérable. »remarqua Harry en essuyant discrètement ses lunettes pleines de traces de larmes. « Celle-ci est presque intacte… »
« Tu crois que tu aimerais y habiter un jour ? Si on réparait le toit de ton ancienne chambre… »
Harry fit non de la tête.
« Mais peut-être que d'autres souhaiteront y habiter plus tard. »
Quand le cours du temps aurait absous leur chagrin, cicatrisé les déchirures, peut-être que ses enfants, ou que les enfants de ses enfants, seraient heureux de redonner de la vie à cette maison.
« D'autres quoi, personnes ? » demanda Ginny avec incertitude. « Tu voudrais la vendre ? »
Traversé par un rire enroué, il déposa un baiser affectueux sur le nez de la jeune fille.
« En fait, je pensais à d'autres Potter… mais je ne voulais pas te mettre la pression. »
A son grand amusement, Ginny grimaça. « Vu comme Teddy est fatiguant – adorable, mais exténuant - je t'avoue que je ne suis pas pressée. »
« Moi non plus. » assura précipitamment Harry. Ses parents n'avaient peut-être pas regretté leur choix, mais ils s'étaient aussi sacrifiés pour que lui puisse avoir le luxe du temps. Son enfance et son adolescence lui ayant été en partie dérobées, il préférait prendre tranquillement ses aises dans l'âge adulte, et laisser Ginny faire de même.
« D'autres Potter, hm ? » se moqua-t-elle après quelques secondes silence. Son intonation était malicieuse mais elle le contemplait amoureusement.
« T'emballe pas, Weasley ! C'était juste une idée, comme ça… »
« Oh, ne t'inquiète pas. C'est bien trop merveilleux de partager la salle de bain avec une seule colocataire et pas huit pour que je renonce à ce privilège – même quand cette personne fait parfois pousser des graines bizarres et autres cultures non-identifiées dans ma baignoire… »
« Comment va Luna ? » s'enquit Harry en souriant.
« C'est drôle que tu me demandes… » répondit-elle d'un ton badin. « On était en train de repeindre la cuisine quand j'ai reçu ton message, et vu le temps, elle a proposé de m'accompagner. Je ne pouvais pas vraiment refuser… Elle est restée dans le jardin, près de l'arbre. Elle prétend qu'il s'agit d'un prunier explosif et a voulu examiner les fruits au cas où ils entreraient bientôt en période éruptive… »
Harry et elle échangèrent un regard lourd de sens.
« Pourquoi mes parents auraient planté un prunier explosif dans leur jardin ? »
« Je suis à peu près sûre qu'il s'agit d'un bête cerisier. » le rassura Ginny.
Harry pouffa de rire. Entrelaçant ses doigts à ceux de la sorcière, il porta sa main à ses lèvres pour l'embrasser tendrement, puis la hissa avec lui pour les remettre debout. C'était le sortilège de Ginny auquel il était le plus sensible : sa capacité à le ramener à un état proche qu'une quasi-normalité. Sa respiration s'était enfin apaisée.
« Allons la retrouver avant qu'elle ne diagnostique l'existence d'une colonie de parfleufs à crocs sous les fondations de la maison. »
Vêtue d'une longue robe couleur crème, Luna se trouvait en effet à proximité du muret maculé d'inscriptions de soutien aux Potter. Une main posée à plat sur le tronc de l'arbre chargé de ce que Harry espérait fort n'être que de simples cerises, elle bavardait avec deux personnes qui se tenaient debout derrière la barrière. Godric's Hollow était un village mixte, mais les visiteurs devaient appartenir au monde magique pour faire attention à la maison. Le sorcier et la sorcière, qui semblaient approcher la trentaine, se raidirent à l'apparition de Ginny et Harry sur le perron.
La femme, en particulier, les dévisagea avec intensité tandis qu'ils sortaient de la maison. Ginny plaqua sa main sur son front en signe de résignation.
« Rah, Luna ! » s'exaspéra-t-elle. « Je suis désolée, Harry. Encore des visiteurs qui vont essayer de te tenir la jambe… »
Il haussa les épaules avec fatalisme. Depuis un an qu'il avait défait Voldemort, il était devenu impossible de s'aventurer dans le monde magique sans être sollicité par une horde de gens souhaitant lui communiquer leur gratitude. Resserrant sa douce pression sur la main de Ginny, il l'attira dans son sillage sur le petit chemin de gravier menant à l'entrée de la maison.
« Il est là ! C'est Harry Potter ! » présenta inutilement Luna en les voyant arriver. « Ces deux personnes te cherchaient, Harry. »
Les deux inconnus posèrent sur lui un regard particulièrement vif. Contrairement aux magiciens britanniques qui l'abordaient d'habitude, leur attitude n'avait rien de gênant ou de frénétique. Harry remarqua que l'homme et la femme possédaient la même mâchoire carrée et les mêmes sourcils épais qui se terminaient en virgule assez loin sur les tempes. Leurs cheveux fins arboraient une couleur brune semblable : ils étaient coupés courts chez elle et relevés en chignon sur sa tête à lui. Il régnait entre eux le même air de familière similitude qu'au sein de la fratrie Weasley. Si le jeune homme l'observait avec un intérêt curieux, la femme semblait en proie à une émotion contenue. Après avoir pris une légère inspiration, elle ouvrit la bouche qui resta ouverte le temps d'une courte hésitation.
« Nous ne pensions pas réussir à te trouver, Harry… Nous avons voyagé depuis l'Amérique et les habitants du village nous ont prévenu que tu n'habitais pas là, mais je voulais venir quand même. Je n'ai jamais mis les pieds dans cette maison, mais mes premiers Noël se sont tous déroulés à Godric's Hollow. » Sa voix vacilla à ses mots et le jeune homme posa une main apaisante sur ses épaules. Harry observa la femme avec attention. Ses yeux et son nez évoquaient quelqu'un qu'il aurait connu une éternité auparavant… « Excuse-moi, je suis un peu émue. » Elle baissa les yeux pour sortir un mouchoir de la poche de son pantalon. « Et on ne s'est même pas présenté… » ajouta-t-elle en tamponnant les yeux. « Je m'appelle Liz Scamander, et voici mon frère Rolf. »
« Scamander ! Comme le célèbre chercheur d'oeufs du Wawel ? » s'enthousiasma Luna.
Le dénommé Rolf lui sourit gentiment. « Oh non ! Ce n'est qu'une rumeur. Grand-père a accompli pas mal de choses, mais le dragon du Wawel a disparu depuis longtemps et les magizoologistes sont à peu près sûrs qu'il n'a jamais su pondre d'oeufs. »
« Bien sûr, il est obligé de garder le secret pour éviter qu'on les lui vole. Les œufs de Wawel sont très convoités. Il paraît que celui qui en mange gagne le pouvoir de ponctualité. Mais je ne vois pas en quoi être à l'heure peut rendre quelqu'un plus heureux. Il suffit de ne plus utiliser de montre pour atteindre la félicité… »
Totalement déboussolé, Rolf fixa la sorcière blonde avant de prendre sa sœur à parti.
« Vu comme Grand-père est brouillon, ça m'étonnerait vraiment qu'il ait attrapé des œufs de Wawel… »
Sentant qu'ils s'éloignaient du sujet principal, Harry s'adressa à Liz dont les yeux étaient toujours débordant de larmes qui ne s'écoulaient pourtant pas. « Vous dites que vous êtes déjà venue à Godric's Hollow ? »
« Chaque année à Noël et pour mon anniversaire. Après la mort de nos parents, Ted et Helena Scamander, nous avons vécu chez nos grands-parents. La situation politique devenant intenable, nos grands-parents ont jugé bon de nous envoyer en Amérique étudier à Ilvermorny. Papa et Maman… ils avaient été tués par des Mangemorts parce qu'ils protégeaient les nés-moldus au sein de leur travail. »
« Je suis désolé. » dit sincèrement Harry.
« Tu sais ce que c'est. » murmura avec compassion la sorcière en penchant la tête sur le côté comme pour mieux l'examiner. « L'installation en Amérique a purgé une immense quantité de mes souvenirs d'enfance… la plupart des événements restent flous dans ma mémoire. Rolf n'était qu'un bébé quand nous avons quitté l'Angleterre et il ne peut donc pas m'aider à faire revivre tous ces lieux, toutes ces personnes qui nous ont quittés. » Son rire tintinnabula comme un grelot et elle déclara affectueusement : « Mais tu ressembles à James. Comment oublier cette effroyable tignasse ? »
Une boule d'émotions se logea dans la gorge de Harry et ce fut au tour de Ginny de serrer sa main dans la sienne. « Tu connaissais mon père ? »
« C'était mon cousin préféré… facile, puisque c'était le seul que j'avais en Angleterre. » admit-elle. « Il était adorable avec moi. Intraitable en chatouilles, mais il se rattrapait quand il me faisait monter sur son balai. J'ai rencontré ta mère, une fois. Tu as les mêmes yeux qu'elle. Il y a quelque chose dans ta bouche, aussi… » Liz plissa les yeux en se concentrant, puis fit signe que sa mémoire lui échappait quelque peu.
« Je suis désolé, je ne me rappelle de rien. » s'excusa Rolf. « J'étais vraiment trop petit. Mais on possède quelques photos qui prouvent que j'ai passé quelques moments avec les Potter à l'époque où je portais encore un bavoir. »
« James créait des bulles de fumées colorées pour t'empêcher de pleurer. Ça, je m'en souviens. » déclara Liz en s'appuyant sur la barrière, songeuse. « Euphemia, la sœur de ma mère, et son mari Fleamont nous accueillaient toujours de bon cœur. Les parents de James avaient leurs caractères, mais ils étaient très chaleureux. Leur maison était située plus loin, à la sortie Ouest du village… » Elle fit un signe de main dans la direction opposée de la place centrale.
« Il existe donc une autre maison à Godric's Hollow… une autre maison qui a été habitée par les Potter. » murmura Harry.
« On peut t'y emmener, si tu veux. » proposa spontanément Liz. « Si ce pèlerinage te tente. Quand j'ai entendu que la guerre avait définitivement cessé, j'ai tout de suite songé à revenir en Angleterre. Mais je ne pouvais pas quitter mon poste en pleine année scolaire – j'enseigne la botanique à Ilvermorny – et Rolf avait ses obligations de magizoologiste à honorer, alors nous voilà, arrivant littéralement un an après la bataille… Je suis désolée que nous ne soyons pas venus avant. »
Harry avait mille choses à répondre, mais le trop-plein d'émotions entamait vraiment sa capacité à les exprimer. « Ne soyez pas désolés. Je suis content de vous rencontrer et… » parvint-il à articuler avant que sa voix ne se noue douloureusement.
Merlin soit loué, Ginny se trouvait à ses côtés – Ginny qui le comprenait mieux que lui-même parfois. Elle acheva à sa place : « Nous serions ravis de venir avec vous. Tu fermes la maison, Harry ? »
Il acquiesça muettement, imitant les larges sourires émus de ses… cousins. Il aurait vingt ans demain, et s'apprêtait à faire la connaissance de ses cousins.
« Je reviendrai. » promit-t-il dans l'entrée, le sac de Ginny et le sien pendus à son épaule. Il appliqua le bout de ses doigts sur la photographie qui avait la première attiré son attention en entrant : ses parents accroupis à ses côtés, rayonnant sous le soleil estival. Il appliqua le sortilège de sécurité standard sur la porte du cottage, son oreille percevant la discussion en cours un peu plus bas.
« Joli cerisier. » commenta Liz.
« Oh, je crois que c'est un prunier éruptif… » corrigea leur amie d'une voix lunaire. « On dit qu'ils sont très bons pour chasser les mauvaises ondes. Cet endroit est très agréable, je crois que les parents de Harry ont dû être heureux, ici. »
Il entreprit de redescendre le chemin de gravier : Rolf examinait Luna comme si elle était la créature la plus folle et la plus merveilleuse du monde à la fois.
Ginny, qui conversait avec Liz d'un ton enthousiaste, interpella son petit ami depuis la barrière à laquelle elle s'était nonchalamment accoudée.
« On pourrait passer au pub avant de voir la maison de tes grands-parents ! Qu'est-ce que tu en dis ? Maman nous attend pour dîner à sept heures, mais on a le temps, non ? »
« Largement ! » accepta Harry.
Dans la rue qui remontait vers la place du village, Liz lança un regard furtif à la tête brune posée si proche de l'auréole rousse. A l'aide son mouchoir roulé en boule, elle se tamponna à nouveau les yeux.
Il avait tout son temps. Il avait le temps de rencontrer ces étrangers et de les faire devenir sa famille. Il avait le temps d'aimer Ginny pendant des années, de ne l'épouser que dans quarante ans si ça leur chantait. Il avait le temps de ne pas se précipiter, de faire des erreurs, et de recommencer en espérant faire mieux.
Il avait le temps de devenir vieux et ridé comme jamais son père ne l'avait été.
Il avait le temps d'avoir des enfants et de les voir grandir, d'accomplir ce qui avait été refusé à sa mère.
« On a tout le temps au monde. »
Cette fois ça y est.
N'hésitez pas à me laisser un review, ça me fait vraiment plaisir et j'ai l'impression de ne pas écrire à un auditoire vide, mouhaha.
Merci encore à Elaia pour sa relecture !
Je vous souhaite de prendre soin de vous et merci pour tout ! 3
