Stiles était décidé à dormir, il s'agissait même de son souhait le plus cher actuellement, mais son ventre avait décidé de lui donner du fil à retordre. Ce qui n'était au départ qu'une gêne nauséeuse se mua rapidement en une espèce de douleur sourde qu'il se savait incapable d'ignorer réellement. Pourtant, il essaya… Vite fait. Se rendit quasi-instantanément compte que c'était peine perdue tant la chose prenait de l'ampleur. Stiles ouvrit les yeux. Cette journée promettait d'être longue… Plus encore que les précédentes, et pour cause : son état déclinait – et il en avait conscience. Il pensa alors au fabuleux repas que Derek lui avait cuisiné la veille. Avoir mangé une telle quantité et aussi vite… C'était véritablement stupide, quand il y repensait. Ça, c'était quelque chose qu'il regretterait un moment. Comment lui annoncer, d'ailleurs ? Quoique l'idée de garder cette honte pour lui ne lui paraissait pas si mauvaise. Il avait juste… A ne plus le voir, histoire de ne pas avoir à tenter pitoyablement de mentir, et à ne pas attirer son attention durant quelques jours. D'ici là, son père serait sans doute revenu et tout commencerait à rentrer dans l'ordre. Stiles n'était pas idiot et savait pertinemment qu'il ne pourrait pas remanger instantanément comme avant. Son estomac, si mal nourri, avait déjà rétréci. Pas beaucoup, mais suffisamment pour lui faire la misère sitôt un vrai repas ingurgité.
Maintenant, que faire ? Qu'il se lève ou qu'il reste allongé, c'était du pareil au même. Il était incapable de faire quelque chose d'utile, de constructif. Réussirait-il à se nourrir une fois que midi pointerait le bout de son nez ? Stiles soupira. Il avait faim et en même temps… Il n'avait plus vraiment la foi. Cette façon de penser était dangereuse, il le savait… Mais il fallait le comprendre : l'énergie lui manquait. Il n'avait… Plus la motivation de rien. Alors, rester allongé n'était pas si mal. Puis… Stiles verrait bien, si la force de se lever lui venait pour manger. La sensation était à la fois si forte et si habituelle qu'il en souffrait et qu'en même temps, il ne lui venait même pas l'idée d'aller chercher de quoi se soulager.
Alors qu'il s'apprêtait à fermer les yeux, il y eut du mouvement dans son champ de vision et Stiles resta interdit sans comprendre ce qu'il venait d'entrapercevoir. La voix de la lassitude, celle qui gagnait en puissance récemment, lui souffla que ce n'était rien, que c'était juste lui qui était trop fatigué. C'était d'autant plus crédible qu'il dormait mal et qu'il vivait sans arrêt en déficit calorique depuis que son père avait prolongé ses congés chez Argent.
Par contre, il arriva à déceler que la manière dont on le secoua doucement n'était pas le fruit de son imagination. C'est alors que Stiles releva des yeux bien cernés dans la direction de Derek. Parce que c'était encore et toujours lui. L'hyperactif fronça les sourcils mais n'eut pas la force de lui demander ce qu'il foutait là. Il voulait juste qu'on le laisse dormir. Derek pouvait circuler, il n'y avait rien à voir, rien à demander, rien à savoir. S'il l'entendit jurer, il ne comprit rien de ses mots baragouiner, mais le fait est qu'il se retrouva sans trop savoir comment sur son dos, la tête reposant mollement sur son épaule, ses bras passés de part et d'autre de sa tête. Enfin, Stiles ne se rendait pas bien compte de tout ça tant il était à l'ouest, mortellement épuisé et complètement désabusé. Il avait attiré, par la force des choses, l'attention de celui qu'il aurait voulu éviter, à moins que… Le but premier de la venue de Derek ait été simplement de venir lui quémander quelques recherches et autres services pour la meute. Stiles ne savait pas vraiment et à vrai dire, il n'était pas réellement en état de réfléchir.
Alors il ferma les yeux et tomba malgré lui dans les limbes de ce sommeil tant recherché… Avant même que Derek soit sorti de la maison. La prise de douleur avait cela d'efficace qu'elle faisait l'effet d'un anesthésiant et forçait au sommeil malgré elle. Ça tombait bien, Stiles en avait atrocement besoin.
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Dans les souvenirs de Stiles, le canapé du salon n'était pas aussi confortable. Il ne sentait pas si bon non plus. Bon, il avait un peu froid, mais ça allait – là, c'était sa faiblesse qui parlait. Le jeune homme se recroquevilla sur lui-même, comme il avait l'habitude de le faire depuis que cette stupide histoire de nourriture avait commencé. Se mettre en boule était une manière comme une autre de se sentir un peu mieux, en sécurité… Plus ou moins. Disons que Stiles se savait frêle, dans un état peu appréciable et, par-dessus tout, bien moins en forme que d'ordinaire. Chacun sa méthode pour se sentir un tant soit peu bien – Stiles avait la sienne. Ce n'était pas pour autant que son corps allait se détendre et son ventre, cesser de le faire souffrir. Avec le réveil progressif qu'il expérimentait, il était clair que tout ne resterait pas complètement endormi indéfiniment. Déjà, Stiles ressentait les crampes, la crispation, l'envie d'à la fois se lever pour aller vomir et le besoin de reposer son corps épuisé, sans énergie. Le dilemme était là et le jeune homme n'avait pas la foi d'agir, encore moins de réfléchir, de se souvenir.
Alors tout ce qu'il se passa ensuite fut d'un flou monumental. Il sut vaguement que ses yeux finirent par s'ouvrir au son d'une voix qu'il connaissait, qu'on lui demandait quelque chose. S'il se souvenait de quoi ? Non, mais il savait qu'il avait marmonné « vomi » et « désolé ». Il avait parlé sans réfléchir – ça, c'était certain – et ça lui avait fait un mal de chien à la gorge, en plus de l'essouffler.
Stiles eut du mal à considérer le temps qui passa, la manière dont il s'écoula. Disons qu'à part la douleur de son ventre qui semblait s'envoler comme par magie de temps à autres, il ne ressentait pas grand-chose. C'était vraiment flou, comme si sa conscience passait désormais son temps à somnoler. Fut un moment où il avala quelque chose de chaud et de chocolaté, mais ce fut un réel effort. L'instant d'après, il était de nouveau allongé, les yeux fermés. Il resta ainsi des heures durant, alternant entre semi-réveils et de légères phases de sommeil. Le pire, c'est qu'il ne se reposait pas vraiment. Si son ventre le tiraillait un peu moins en termes de pic de souffrance pur, il restait crispé et la gêne qui l'accompagnait ne s'en allait pas. En d'autres termes, Stiles avait basculé dans un état à mi-chemin entre l'inconfort et l'inconscience.
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Derek poussa un profond soupir. S'il était homme à apprécier le silence, subir celui de Stiles était particulier. Il lui paraissait assourdissant par sa puissance. En fait, il avait davantage l'habitude de l'entendre que l'inverse. Le voir bouger, aussi, cavaler dans tous les sens.
Le loup n'irait pas jusqu'à dire que son état lui faisait mal au cœur, mais il le trouvait assurément inquiétant. Impossible de ne pas être de cet avis alors que l'humain ne semblait même pas avoir conscience de la manière dont il était… Aussi faible, abandonné. Quiconque voudrait lui faire du mal ne verrait aucune résistance lui être opposée, tout simplement car Stiles n'avait l'énergie de rien. Derek détestait penser de cette façon. A vrai dire, il détestait sa propre vision des choses. Le négatif était toujours ce qui lui apparaissait en premier et c'était aussi navrant que déprimant. Pour autant, s'il avait conscience de cet aspect de lui qui l'alourdissait, il n'arrivait pas à le changer. Peut-être que l'envie n'était pas vraiment là non plus… Ni même la motivation.
Et voir l'étincelle de la meute dans un état aussi pitoyable ne l'aidait pas à améliorer son moral sempiternellement bancal.
Le pire pour lui, c'était d'avoir assisté à sa déchéance et, en ce jour, d'en constater les conséquences. Pour être honnête, Derek ne s'imaginait pas que les privations de Stiles allaient si loin. Si l'hyperactif donnait le change, il avait constaté sa faiblesse grandissante chaque fois qu'il l'avait vu ces derniers jours. Là, c'était comme si le corps de l'humain avait cédé à une rupture… Que l'ancien alpha pensait bien plus lointaine. C'était pour ça qu'il l'avait invité, pour ça qu'il avait décidé de cuisiner, histoire qu'il ait quelque chose de consistant dans le ventre. Savoir que Stiles n'avait rien pu garder de son plat dans son ventre nouait le sien. Même si l'humain n'avait pas été capable de dire grand-chose, Derek avait rapidement fait le lien entre ses quelques mots à peine articulés. Lui qui l'imaginait mal s'était à ce moment-là rendu compte que… Eh bien, c'était pire que ce qu'il pensait.
Une chose était certaine, ne pas avoir fait attention à lui plutôt était une erreur. Mais pouvait-on complètement le blâmer alors que de son côté, Stiles faisait sans arrêt des pieds et des mains pour faire comme si tout allait bien ? Fort heureusement, son jeu, qui trompait bien des membres de la meute, n'était pas parfait et n'avait pas le moindre effet sur lui. Derek partait juste du principe que… Les affaires de Stiles n'étaient pas les siennes et qu'il n'avait donc pas à s'en mêler – il laissait ça à Scott. Mais les choses avaient commencé à changer dès lors que Stiles lui avait demandé de l'aide, la même qui l'avait conduit à lui rendre visite avec deux paquets de denrées.
Derek laissa son regard passer sur le jeune endormi aux traits tirés. Le laisser se reposer était une évidence, mais le pauvre chocolat chaud qu'il lui avait fait ingurgiter ne suffirait pas : viendrait un moment où il lui faudrait le réveiller pour qu'il mange quelque chose de décent. C'était même urgent. Une chose était certaine, Derek toucherait deux mots de cette histoire au shérif une fois les vacances de celui-ci terminées. Quoiqu'il n'était pas censé être concerné, mais l'état de Stiles était trop inquiétant pour qu'il garde le silence à ce sujet. A quoi avait pensé Noah, en partant sans s'assurer que son fils avait de quoi se nourrir ? Aux yeux de Derek, c'était complètement irresponsable, d'autant plus que cet idiot d'humain ne se plaignait jamais, hormis lorsqu'il était trop tard.
Alors, Derek avait pris une décision. Qu'importe le fait qu'il soit froid et n'apprécie pas particulièrement la compagnie d'autrui – Stiles encore moins. Il ne pouvait pas laisser l'humain se détruire dans le secret le plus total. Et si cette destruction n'était pas volontaire, le résultat était là. Derek allait le garder ici au loft pour qu'il se nourrisse correctement et ce, au moins jusqu'au retour du shérif. C'était plus pratique ainsi, qu'il se disait.
En tout cas, la chose se révéla efficace pour soulager sa conscience sur l'instant.
