Les deux collègues foulèrent le quai de la gare, sourire aux lèvres. Cinq heures de trajet… Et presque cinq heures de silence à songer à la nuit précédente. Les deux ne s'étaient pas parlés pourtant…ils savaient…
Nathan était descendu à Montpellier et les avait laissé pour les quinze dernières minutes en face à face. Ils s'étaient fixés, conscients que la parenthèse niçoise allait bientôt se renfermer, les ramenant peu à peu à leur réalité. Et face à l'amertume grandissante, le silence était d'or. Alors les deux se contentaient de brefs coups d'œil et de gentils sourires avant de débarquer dans le hall de la gare de Sète.
« Je dois passer à la BSU mais je peux récupérer la voiture pour te déposer, si tu veux ? proposa Antoine en lui rendant son sac qu'il tenait de sa main gauche.
- C'est gentil mais Emma doit venir me chercher…
- Ah bah je crois qu'elle est là d'ailleurs ! lança-t-il en apercevant la jeune brune arriver vers eux les bras chargés de sa fille.
- Elle a insisté pour venir chercher mamie à la gare… expliqua-t-elle d'une voix enfantine. Salut Antoine !
- Salut ! se contenta-t-il de répondre avant de caresser la joue du bébé.
- Un petit cœur tout en rose… s'enthousiasma Candice en souriant.
- Alors c'est qui ça ? tenta Emma en montrant sa mère du doigt.
- Pa-py… gazouilla la petite en tendant les bras vers Antoine.
- Papy ?! s'étonna Candice en dévisageant son ex.
- Pa-py…
- Mais fin'… J'suis pas son grand-père… bafouilla Antoine gêné.
- C'est… C'est Sacha qui lui a appris… Mais j'pensais pas qu'elle savait le dire…
- Ah bah c'est malin ça… et mamie toujours pas ? bouda Candice face à sa fille qui hochait négativement la tête.
- J'crois qu'elle veut aller dans tes bras… »
Quelque peu gêné, le commissaire ouvrit ses bras pour y accueillir la petite qui le fixait de ses grands yeux bleus. Candice les observait avec émotion… Elle qui avait tant refusé de l'intégrer à sa famille, venait de se prendre une jolie leçon de vie… Sa petite fille, du haut de ses 18 mois passés venait de le faire à sa place, le choisissant presque comme grand-père. Quelques mois plus tôt, Candice aurait sûrement senti une vague de panique la submerger… Or à cet instant précis, ce n'était pas le cas… et étonnamment, elle ne trouvait pas ça déplaisant. Faut dire que l'image d'Antoine gazouillant avec la petite aurait pu attendrir quiconque passait la porte de cette gare…
« Tu veux venir dîner à la maison ce soir ? osa Candice avec émotion.
- Euh… ça aurait été avec plaisir mais j'ai Suzanne cette semaine.
- Mais tu peux venir avec elle si tu veux…
- Euh… Je sais pas… J'adorerai mais… j'ai pas envie de la perturber… déjà qu'elle a eu du mal à comprendre la situation. Ça risque de la remuer… Tu comprends ?
- Bien sûr… acquiesça-t-elle avec déception.
- Pa-py… répéta la petite en attrapant le menton d'Antoine.
Tous se mirent à rire face au comportement du bébé qui retourna rapidement dans les bras de sa mère.
- À demain… Lança-t-il en déposant un baiser sur la joue de Candice avant de tourner les talons hors de la gare.
- À demain… répéta-t-elle tout sourire. »
Pantoise, Candice l'observa partir… ne pouvant s'empêcher d'esquisser un joli sourire sur son visage. Un air béat qui inévitablement, n'échappa pas à sa fille qui s'empressa de la ramener à la réalité.
« Eh bah… siffla-t-elle malicieusement.
- Quoi ? demanda Candice sur la défensive.
- Une invitation à dîner… Un bisou… Des sourires… Je rêve ou… ça va mieux tous les deux… ?
- Disons qu'on a discuté et voilà…
- Miracle… Auriez-vous enfin découvert la communication ?
- Bon Emma… Ça va…
- Bah non mais ça doit te faire du bien d'arrêter de vivre dans le flou comme ça…
- Ouais… acquiesça-t-elle en souriant. Mais ça veut pas dire qu'on est ensemble hein…
- Oui fin c'est tout comme non ?
- C'est compliqué …
- Comme d'hab quoi…
- Et pourquoi Sacha lui a appris à dire ça aussi ? presta-t-elle.
- Bah non mais c'est les photos sur le frigo… À chaque fois qu'il l'a dans les bras et qu'il est dans la cuisine il refait un tour des membres de la famille…
- C'est ton père qui va être content s'il apprend ça… ricana-t-elle.
- Oui bah papa elle le voit pas beaucoup… Antoine vivait presque à la maison aussi… Puis il adorait s'en occuper…
- Hum… songea-t-elle en replongeant dans ses souvenirs.
- Puis comme ça, quand il reviendra… Elle saura déjà… lança-t-elle en souriant.
- Dans 5 ans… ? ironisa-t-elle.
- Donnez-vous du temps…
- Ouais… »
. . . . .
Le commissaire traversa rapidement le pont et débarqua au pied de son lieu de travail. Il passa la porte cochère et salua les quelques agents présents avant de grimper les escaliers deux par deux. Étonnamment, le couloir était calme… Pas de prévenus qui campaient sur les chaises, pas de téléphone qui sonnait intempestivement… L'openspace était pratiquement désert et cette ambiance rendait le lieu presque agréable à ses yeux. Il ouvrit doucement la porte de son bureau et observa un tas de dossiers qui trônait fièrement devant son ordinateur. Voilà, qui était bien moins agréable donc… Conscient que la fin de journée s'annonçait encore longue, il déposa son sac et enclencha le pas vers la salle de repos pour se concocter un café. Il se satisfit de la propreté du lieu lorsqu'une voix féminine fit irruption dans la pièce.
« Bonjour chef…
- Tiens ! Commandant ! Bonjour… répliqua-t-il en souriant vers son adjointe.
- Pas trop dur ce voyage ?
- Hum non… Même si la petite glace en front de mer n'en était qu'une parenthèse… se désola-t-il.
- Moi aussi, je suis déçue…
- Pourquoi ?
- J'aurais bien aimé être de la partie…
- A trois on était largement suffisant… Mais en tout cas bravo vous avez bien avancé ici !
- Je sais ! Lâcha-t-elle fièrement. Même si tu nous as cruellement manqué…
Antoine rigola doucement, quelque peu gêné par son sérieux.
- 48h à peine… Ça va… Vous avez survécu…
- Hum… Et dis-moi… Je comptais aller boire un verre en ville ce soir et… comme c'est nettement plus fun de le faire à deux je… fin tu voudrais te joindre à moi ?
- Euh… disons que je suis crevé avec le voyage et en plus j'ai encore quelques dossiers à régler avant de rentrer…
- Ce serait l'occasion de te détendre un peu alors… continua-t-elle en forçant gentiment.
- Il faut que je retrouve ma fille aussi.
- Ok… Je comprends… Une autre fois alors ?
- Euh ouais… répondit-il dérouté.
- Ma soirée sera nettement moins agréable m'enfin… je m'en contenterai… Bonne soirée commissaire… lâcha-t-elle enjôleuse avant de tourner les talons. Ah salut Nathalie !
- Salut… se contenta-t-elle de répondre sans amabilité. Me dis pas que là, t'as rien remarqué quand même ?!
- De quoi ?
- Elodie…
- Bah quoi ?
- Ça te dirait d'aller boire un verre monsieur le commissaire… répéta-t-elle en l'imitant grossièrement.
- Oh… Tout de suite ! Rien ne dit que c'est une proposition ambiguë…
- C'est vrai que proposer un verre à son boss d'un ton charmeur c'est très courant…
- Bon Nathalie…
- Sinon ce voyage ?
- Fatiguant… mais on a avancé…
- Sur tous les aspects… ? Demanda-t-elle avec curiosité.
- Ok… commença-t-il en rigolant. Qu'est-ce que tu veux savoir ?
- Candice…
- Oui et ?
- Bah… ?
- Bah on a discuté… bien discuté même…
- Alléluia ! Vous allez enfin retrouver le sourire alors ?!
- Oui enfin doucement quand même… Tout est encore loin d'être réglé hein…
- L'essentiel c'est que ce soit clair entre vous… Elle voulait tellement rien te dire… C'était un peu compliqué à gérer pour nous…
- Je sais… Mais maintenant ça ira mieux… Mais en douceur…
- C'est vrai. Pas de précipitation… mais je suis contente pour vous…
- Hum…
- Par contre tu devrais être clair avec ta collègue… Sinon c'est Candice, qui le sera…
- Tu voulais me voir pour quelque chose en particulier ? éluda-t-il.
- J'ai des documents à te faire signer…
- Alors on y va ! »
. . . . .
De retour chez elle, la commandante sauta sur le journal intime qui trônait sur le comptoir de la cuisine. Elle remercia Mehdi d'un sms et s'isola dans sa chambre, lecture en mains. Et visiblement, ses collègues avaient raison. De nombreuses pages étaient arrachées et leurs dates coïncidaient avec les éléments donnés par le gynécologue et les proches de la victime. La blonde pestait, espérant parvenir à déchiffrer quelques éléments intéressants pour mener à bien son enquête lorsque son téléphone vibra sur le matelas.
« Salut…
- Je te manque déjà ? osa-t-elle en chuchotant tout sourire.
- Ceci est un coup de fil strictement professionnel commandant.
- Ah oui ?
- Hum… Je suppose que tu es en pleine lecture… alors ? Ça dit quelque chose ?
- C'est compliqué… Mais on distingue quand même une nette dégradation… Tu vois, on sent qu'elle a envie de partir, qu'elle suffoque là où elle est et qu'elle voit ce boulot à Agde comme une opportunité pour elle. Elle y arrive début juin… Et au bout de quelques semaines, l'écriture change. Y a du regret, de la déception… Et plus les semaines passent moins elle écrit... Sur la page du 5 août, elle a même écrit « ENFER » en grosses lettres… Fin on est au loin du rêve des débuts quoi…
- Ah oui quand même… Et c'est lié à quoi ? Elle le précise pas ?
- Non… Mais elle bossait dans le café qui a fermé. Tu sais Le Coyote… Et en recherchant sur internet, il faisait aussi club en haute saison. Les services pouvaient être longs… Et on sait bien que les patrons sont rarement tendres avec les saisonniers.
- Ou elle a très bien pu faire une mauvaise rencontre…
- Aussi…
- On en sait plus sur la fermeture du café ? Ismaël avait dit qu'ils avaient fait faillite mais on s'est renseignés dessus ?
- Je crois pas.
- Ce serait peut-être bien…
- Vous vous y collez demain matin première heure ? proposa-t-il.
- Ça me va !
- Bien.
- T'es encore au bureau ?
- Non. J'suis rentré y a une vingtaine de minutes… Je voulais pas trop m'attarder pour libérer la nounou de bonne heure… Pourquoi ?
- Non comme ça… Parce que je me demandais ce que tu faisais… expliqua-t-elle en souriant.
- Ah… Donc en fait, c'est moi qui te manque plutôt, non ? répliqua-t-il mielleusement.
- Peut-être…
- Hum… Bon… Je suis désolé mais je dois te laisser, Suzanne m'attend…
- Ok… À demain…
- Bonne soirée ! »
La blonde raccrocha, un sourire béat scotché aux lèvres. Qu'est-ce qu'elle le trouvait étrange cet entre-deux où ils n'étaient ni un couple, ni rien… Ils étaient là, à savoir leurs sentiments respectifs mais tout en retenu… Et malgré tout, cette ambiguïté lui plaisait. Et dieu sait qu'elle avait déjà hâte d'être au lendemain pour le revoir… Mais en attendant, elle se releva rapidement et rejoignit le salon où ses enfants l'attendaient autour de la table. Les yeux rivés sur son écran, elle n'aperçut même pas leurs regards insistants. Et face à la mine réjouie de leur mère, les jumeaux haussèrent leurs sourcils avant de la fixer en souriant.
« Bonne soirée mon chéri... lâcha Léo en minaudant.
- Toi aussi mon chaton… continua son frère en imitant grossièrement Antoine.
- Bisous… Tu me manques déjà mon amour…
- Toi aussi…
- Oh ! Oh ! Oh ! Ça va oui ?! protesta Candice qui les fixait sans aucune amabilité.
- Rassure-nous, c'était Antoine au téléphone… ? T'as quand même pas déjà retrouvé un autre mec ?
- Dites-donc tous les deux, vous voulez pas vous mêler de vos affaires non ? Parce qu'on peut très bien en parler de Justine et de la petite blonde là, comment elle s'appelle déjà…
- Elsa ! intervint fièrement Emma avant de s'attirer les foudres de ses frères.
- Voilà Elsa ! Donc hein… Profil bas.
- La honte… se moqua martin envers son frère.
- Toi la honte !
- En même temps, ils ont pas tort… C'est le retour des bisounours d'après ce qu'on a cru comprendre… lâcha Sacha en rigolant.
- Alors c'est vrai, vous êtes à nouveau ensemble ?
- Mais non ! s'agaça-t-elle. Puis ça vous regarde pas…
- Non mais c'est juste pour savoir si on peut racheter des pots de chocolat sans crainte quoi…
- Léo… le gronda-t-elle en s'installant à table. »
