Chapitre 35

13 avril 1991

Estonie

« Je ne sais pas comment je vais lui annoncer la nouvelle. » annonça Juhan qui observait de loin son petit-ami courir autour de la cour en compagnie d'un de leurs amis.

Altaïr s'était trouvé en Abel, un des camarades de classe de l'Estonien, un allier pour démontrer à Danil et Juhan que batteur était le meilleur poste dans une équipe de Quidditch. Ils n'étaient pas particulièrement proches, mais les deux adolescents partageaient la même passion sportive et s'était rapidement mis à s'exercer ensemble dans la cour en début d'après-midi.

« Il va bien falloir le faire. »

Juhan sortit soudainement de ses pensées, donnant toute son attention à Danil. Il savait que son ami avait raison, mais il n'arrivait pas à trouver le bon moment pour discuter avec Altaïr.

« Il a l'air tellement détendu en ce moment. Putain, c'est la seule personne que je connaisse qui finisse par aller après un an de prison qu'en y entrant.

- Plus tu attendras et plus ce sera difficile de le faire.

- Je sais. » soupira le roux.

Altaïr et Abel revenaient vers eux, transpirant et à bout de souffle, enfin surtout dans le cas d'Abel. Juhan sentit son ami le pousser en avant, lui faisant comprendre de ne pas laisser les choses traîner plus en longueur. Le rouquin prit une grande inspiration et s'approcha de son petit-ami. Il lui attrapa le bras et lui fit d'un signe de tête qu'ils devaient discuter à l'écart. Altaïr le suivit docilement, inquiet face à la mine grave de Juhan.

« J'ai reçu une lettre la semaine dernière.

- Je sais, je vis dans la même cellule que toi. » sourit Altaïr, l'encourageant à poursuivre.

L'Anglais avait bien vu que Juhan semblait perturbé depuis la réception de cette fameuse lettre. Mais Altaïr n'avait pas insisté lorsque son amant l'avait rangé sur son étagère, loin de son regard curieux. Il comprenait que le roux avait besoin de son jardin secret et n'avait pas insisté. Altaïr avait simplement supposé que si c'était vraiment important, Juhan lui en parlerait, à juste titre, visiblement.

« Je vais sortir à la fin du mois, le vingt-neuf. »

Juhan triturait ses doigts, nerveux. Il ignorait quelle serait la réaction d'Altaïr et encore moins celle qu'il attendait de sa part. Juhan ne voulait pas qu'il soit triste de son départ. Mais d'un autre côté, il espérait qu'Altaïr tienne suffisamment à lui pour en être déçu.

« C'est super. » soupira Altaïr, le serrant contre lui. « Vraiment, je suis contente pour toi. »

Mais Juhan n'était pas dupe, le lycanthrope essayait davantage de se convaincre lui-même que son petit-ami.

« J'attendais ça depuis des mois, les gars vont être tellement jaloux et … et putain, je n'ai pas envie de partir maintenant. »

Altaïr lui caressa le dos, comprenant ce que son amant essayait de lui dire. Toutes les personnes ici rêvait de fuir cet endroit, de retrouver la liberté. A cet instant, le lycanthrope serait prêt à tout pour revoir une ville, retrouver la civilisation, porter autre chose que son uniforme gris, pouvoir manger ce dont il avait envie ou décider de dormir à l'heure de son choix et faire une grasse matinée le lendemain. Mais Juhan était amoureux de lui. Peut-être que dans un autre contexte, hors de la prison, ils ne seraient jamais parlés ou devenus amis. Il avait mis des mois à mettre Altaïr dans son lit et encore plus de temps à le faire tomber amoureux. Il ne voulait pas perdre de ça, bien qu'aux yeux de quiconque, ça devait ressembler à un stupide amour de jeunesse.

« Je sors en juin normalement, on s'écrira des lettres en attendant. » murmura Altaïr presque comme une question.

Il ignorait comment la distance les impacterait. Les quelques rares autres adolescents en couple ici ne faisaient jamais durer leurs relations, d'autant plus lorsqu'il s'agissait de leur colocataire. Une telle proximité pouvait être très dure à vivre, l'intimité était une chose importante pour garder le moral. Mais Juhan et lui, ne s'était jamais connu autrement qu'en vivant dans la même petite pièce de 9m². Pour leur relation, le monde extérieur était une terrible inconnue à surmonter.

« Tu promets ? » demanda d'une petite voix Juhan.

« Oui, je te le jure. »

Altaïr embrassa doucement sa tempe. Les deux garçons s'installèrent dans un coin d'herbe mal entretenu, ils avaient besoin de s'isoler un peu avant de rejoindre le reste de leurs amis.

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Estonie

29 avril 1990

Le mois s'était écoulé terriblement vite. Altaïr et Juhan était devenu encore plus inséparables qu'ils ne l'étaient déjà. La moindre occasion était bonne pour se tenir la main, s'embrasser lorsque leurs amis leur tournaient le dos ou s'enfermer dans leur cellule pour partager un moment intime. Ils ne voulaient rien regretter et profitaient au maximum de la présence de l'autre.

Avant même que les deux tourtereaux ne le réalisent, le grand jour était arrivé. Juhan avait sortit la bassine noire de sous son lit, celle dans laquelle ses premières affaires de détenus lui avaient été confiées. Elle était bien plus remplie désormais, elle débordait de magazines en tout genre et de Juhan avait rougi en fourrant tout au fond les revues pornographiques qu'Altaïr lui avait offertes pour son anniversaire.

Puis, les deux adolescents avaient patiemment attendu qu'un garde ouvre la cellule pour chercher le rouquin. Altaïr devrait bientôt aller en cours, mais pour l'instant, il voulait juste tenir son petit-copain dans ses bras. Ils ne s'étaient pas rendus au réfectoire ce matin, voulant simplement profiter de la présence de l'autre.

« Altaïr, il faut qu'on parle.

- Hmm ? » fit l'Anglais, ne comprenant pas où Juhan voulait en venir.

« Je crois que … » l'Estonien inspira bruyamment pour se donner du courage. « … Qu'on devrait s'arrêter là. »

Altaïr le tourna brusquement vers lui, plongeant son regard dans le sien. Juhan ne l'avait jamais vu avoir l'air si paniqué et ça lui brisait le cœur. Mais il savait que c'était la bonne chose à faire.

« Pourquoi ? Je ne veux pas.

- Il y a des tonnes de raisons Altaïr. » souffla gentiment Juhan, cherchant ses mots. « Nous sommes deux garçons et en dehors d'ici, notre relation ne sera jamais acceptée. Ton tuteur ne t'a peut-être rien dit quand tu m'as présenté à lui, mais c'était évident qu'il n'était pas ravi de ton choix.

- Je m'en fiche de ce qu'il pense. » nia fortement Altaïr.

« Laisse-moi finir, s'il te plaît. Tu es l'héritier d'une grande famille, dans ton pays. Tu vas devoir avoir des enfants, construire une famille et marier une Anglaise avec une bonne situation. Ma famille et mon nom ne serait jamais assez bien pour toi. » Voyant qu'Altaïr était sur le point de protester, Juhan s'empressa de poursuivre. « Et même sans voir aussi loin, notre relation n'est pas quelque chose que nous pourrons poursuivre en dehors d'ici. A Durmstrang, deux garçons ne peuvent pas sortir ensemble, personne ne l'acceptera.

- Mais ça n'a jamais posé problèmes ici !

- Parce qu'ici, si tu veux avoir du sexe, c'est forcément avec un garçon. Tout le monde sait qu'une fois sorti, on n'en parlera plus parce que ce n'est pas normal. »

Altaïr lâcha la main de son petit-ami, comme si le mot « normal » l'avait brûlé. Il avait été qualifié d'anormal ou de monstre toute sa vie. Parce qu'il était un loup-garou, un Black, un ancien Potter, un meurtrier, un Anglais, un adolescent en prison. Tout le monde avait toujours trouvé une raison de le traiter différemment, que ce soit son père, Cygnus, Lucretia, les aristocrates anglais ou ses camarades de classes. Et maintenant, alors qu'il avait enfin trouvé grâce à sa relation avec Juhan un équilibre, ce dernier lui crachait qu'aimer un homme n'était pas normal.

Juhan aurait voulu se rattraper, lui dire que ce n'était pas ce qu'il avait voulu dire, pas de cette façon. Mais la porte de la cellule s'était ouverte derrière eux. C'était l'heure de partir pour lui.

« Black, allez en cours. Poliakoff, suivez-moi. » ordonna le maton.

Juhan ne put bouger, toisé ainsi par le regard froid de son petit-ami. Altaïr s'empressa de prendre son manuel de Sortilège posée sur son lit, ne le lâchant pas des yeux. Il se pencha sur le rouquin toujours assis en tailleur sur son matelas. Altaïr attrapa de sa main libre son visage et écrasa avec force ses lèvres sur les siennes.

« Tu n'es qu'un lâche. »

Puis, Altaïr sortit de leur cellule, sans un regard en arrière. Juhan ne le retint pas, les larmes aux yeux. Black avait raison, il n'était qu'un lâche qui préférait mettre un terme à leur relation maintenant avant qu'Altaïr ne le fasse plus tard, en sortant d'ici. L'Estonien était mort de trouille à l'idée qu'une fois libre, le lycanthrope retrouve Venus Lovegood en Angleterre ou réalise à Durmstrang qu'il y avait bien mieux que lui, peu importe où il poserait les yeux. Parce que Juhan n'était qu'un garçon banal, avec des mauvaises notes, recevant des retenus à la pelle et ayant été condamné à seulement quatorze ans. Il préférait mettre un terme aux choses maintenant plutôt que de souffrir bien plus dans quelques mois.

Oui, il était lâche, mais Juhan restait persuadé que c'était la meilleure solution pour eux, pour lui.

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Estonie

5 mai 1991

Danil était inquiet pour Altaïr depuis le départ de Juhan. L'Anglais se comportement de la même façon qu'à l'accoutumée, il faisait comme si rien n'avait changé. Mais Danil n'était pas dupe. Il voyait bien que le lycanthrope faisait semblant et il devait avouer qu'Altaïr était terriblement doué.

Lui-même y aurait cru si la veille au soir, Danil n'avait pas vu l'Anglais perdre le contrôle en sortant de la douche. C'était allé si vite, Altaïr avait simplement été bousculé par un groupe de garçons qui ne l'avait pas vu, mais ça avait suffit pour le faire démarrer au quart de tour. Celui qui l'avait bousculé n'avait même pas eu le temps de finir de s'excuser que déjà, il était épinglé à un mur.

Danil s'était empressé de faire lâcher prise au lycanthrope et l'avait traîné hors des douches. Altaïr ne semblait même pas avoir remarqué qu'il avait perdu le contrôle, reprenant immédiatement son image de prisonnier parfait. Les deux garçons n'en avaient pas parlé, parce que Danil ne savait pas comment réconforter l'Anglais et qu'Altaïr lui, semblait vouloir continuer à vivre sa vie dans le déni.

L'Estonien avait réfléchi à son problème une partie de la nuit et le lendemain, il jugea qu'il était vraiment urgent d'intervenir. Altaïr avait dû accueillir son nouveau colocataire en revenant dans sa cellule après sa promenade habituelle dans la cour et ça ne lui avait visiblement pas fait plaisir. Le petit nouveau avait été accueilli si froidement que même Danil eut de la peine pour lui. Pourtant il était habituellement le premier à se moquer de l'air perdu des nouveaux et à les bizuter.

Mais là, Danil n'avait pas pu. Lennart n'avait que deux ans de moins que lui mais ne semblant même pas en avoir onze avec ses grands yeux larmoyants et sa petite taille. A peine les cellules s'étaient ouvertes pour le dîner que Lennart avait déguerpi en direction du réfectoire. Visiblement, le garçon connaissait Abel à leur table habituelle et y était déjà installée lorsqu'ils arrivèrent.

Danil articula silencieusement à Abel s'il devait s'asseoir à une autre table, mais le brun lui fit non de la tête. Altaïr n'avait même pas prêter d'attention à leur échange, s'asseyant à sa place habituelle. Il posa quelques secondes sur le garçon à la droite d'Abel avant de retourner à son repas. Il avait si peu porté attention à son nouveau colocataire qu'il ne l'avait même pas reconnu. S

« Hey Altaïr, Danil ! Je vous présente mon p'tit-frère, Lennart Abel ! » s'exclama Abel en secouant les épaules de son frère ce qui lui tira une grimace.

Altaïr quitta enfin ses œufs brouillés du regard pour froncer des sourcils en direction de son ami.

« Je croyais que c'était ton prénom, Abel. Pas ton nom de famille.

- Mais c'est vrai ça ! » remarqua Danil.

D'autres adolescents s'intéressèrent à la discussion, apprenant eux aussi la nouvelle.

« C'est parce qu'il s'appelle Mieczyslaw, mais personne n'arrive à dire son nom. » s'amusa son cadet. « Alors il veut qu'on l'appelle Abel.

- Ce n'est pas un peu bizarre d'appeler ton frère par son nom de famille ? » demanda Danil.

« Si carrément. Mais dans la famille tout le monde l'appelle M… »

Abel essaya de plaquer sa main sur la bouche de son frère, l'empêchant de parler davantage. Il était rouge jusqu'à la racine des cheveux. Autour d'eux, les adolescents débattaient à propos de l'utilisation de surnom.

« Je comprends. » Tous se turent, écoutant Altaïr. Lennart était surpris de voir tout le monde porter tant d'attention au garçon taciturne. « Altaïr, c'est mon troisième prénom. Alors je comprends qu'on puisse ne pas aimer son prénom. »

« D'abord Abel et maintenant toi ! Est-ce qu'il y a au moins une personne ici qui utilise son vrai nom ? »

Tous rirent à l'exclamation d'un garçon à deux places de lui. Danil semblait curieux, il avait le même air sur le visage que lorsque Juhan découvrait un potin croustillant.

« C'est quoi ton premier prénom alors ? Et pourquoi pas ton deuxième ?

- Mon deuxième prénom c'est Remus, tu comprendras que je ne veux pas l'utiliser.

- Ah oui, comme ton parrain, c'est ça ? » Altaïr hocha la tête. « Quand même, c'est fou que vous soyez tous les deux des loups-garous et que vous ayez Remus dans vos noms.s C'est un loup de naissance ? »

Altaïr nia : « C'est juste le hasard. »

Il était rare de croiser un loup-né. La plupart du temps, un enfant de loup-garou n'héritait pas de la maladie. Ça pouvait arriver, mais ça restait rare. Non, les loups-nés étaient généralement conçu au sein d'un couple de lycanthrope et même là, l'enfant n'avait pas forcément la malédiction.

Altaïr n'en connaissait que deux. Le premier était un enfant polonais qui vivait dans la meute que Remus et lui rejoignaient parfois lorsqu'il était enfant. En pensant à lui, Altaïr se dit qu'il devrait demander des nouvelles de la meute à son parrain. Le second loup-né qu'il avait rencontré n'était autre que Fenrir Greyback, l'homme qui l'avait mordu.

Altaïr n'aimait pas penser à lui. A chaque fois, sa morsure le tiraillait affreusement. Il se massa le flan machinalement, ne faisant déjà plus attention à son environnement. Auparavant, il en rêvait au moins une fois par mois, si ce n'était plus. Mais avec Juhan dans son lit et à ses côtés, ses cauchemars s'étaient taris. Altaïr supposa qu'en y pensant maintenant, ce cauchemar viendrait certainement hanter sa prochaine nuit.

« Ça va ? » murmura Danil par-dessus la table.

« Ouai. » grogna Altaïr en revenant à son assiette.

Danil soupira, la bonne humeur de l'Anglais n'avait pas duré bien longtemps. Il ne tarda pas à engloutir son petit-déjeuner et fuir pour retourner à sa cellule. Danil capta le soupir discret de Lennart et lui offrit un sourire rassurant.

« Il n'est pas comme ça d'habitude. Mais il vit une période difficile en ce moment. » lui assura-t-il.