Le clairon sonna, fort et dynamique, d'un air intense et clair. C'était l'heure pour toutes les jeunes recrues des unité de se diriger vers la grande salle commune pour l'annonce de 14h.

24 ans, longue tresse auburn approximativement droite mais tenue impeccable, Lola sauta de son banc et lança un grand sourire à sa camarade.

- Ca y est Lise! Trepigna-t-elle.

- Ouffff... souffla la plus jeune. J'ai l'impression que cette pause a duré des siècles !

Après un rapide coup d'œil à leurs tenues, les deux jeunes recrues se ruèrent dans le couloir, le sourire jusqu'aux oreilles. Deux semaines qu'ils attendaient tous ça ! Deux semaines qu'ils étaient arrivés au centre et enfin, après 14 jours d'un mélange épuisant de : ménage, discipline, sport aux aurores et bizutages, les 4 jeunes unités allaient enfin se voir attribuer leurs rôles pour les premiers entraînements techniques. Enfin des vrais exercices, enfin ils allaient pouvoir voir le terrain d'entraînement!

En trottinant dans les couloirs au carrelage impeccable, Lola se fit encore une fois l'inventaire des options possibles.

Chaque unité comptait 20 recrues, tous avaient été testés individuellement avant d'arriver et tous avaient été répartis dans des groupes avec des gens aux profils similaires. Les critères étaient évidemment tenus secrets des examinateurs, mais en observant rapidement comment les autres se débrouillaient au quotidien, la jeune femme et d'autres comme elle avaient très vite établi les grandes lignes.

L'unité A était composée de forces brutes. Des grands baraqués tout en muscles et en endurance, des forces de la nature capable de tenir toutes les impossibles cadences de séries de pompes en tenue tactique.

L'unité B était faite de "bons petits soldats". Des recrues obéissantes, dociles, dressées au doigt et à l'œil, à la discipline impeccable et au suivi du règlement absolu. Ils n'excellaient dans aucun domaine particulier mais ils étaient d'une efficacité effrayante.

L'unité C était celle avec laquelle il y avait le plus de soucis. Eux c'était les arrogants. Venus ici pour être des héros, ils se vantaient tous d'avoir tel ou tel talent particulier qui, selon eux, en faisait des chef d'élite. Le plus énervant de leurs traits était sûrement qu'ils avaient raison. Chacun d'entre eux était excellent dans un domaine très précis ce qui leur permettait de décrocher toutes les récompenses accordées par les supérieurs. Des individus peu agréables à fréquenter et si imbus d'eux mêmes que c'en était presque écœurant, mais tout de même des frères d'armes !

C'était ça, la grande capacité de l'unité D : le cœur et le mental. Aucun d'entre eux n'était très fort, très discipliné ou même spécialisé en quoi que ce soit. Tous très différents, ils étaient aussi très souvent tous les derniers dans la plupart des tests, mais ils s'étaient bâtis un esprit de camaraderie et un lien si fort que parfois ils étaient aussi capables des plus belles prouesses ! "Un groupe avec beaucoup de potentiel" s'était dit Lola en arrivant, mais très vite les surnoms étaient tombés et là où elle voyait un potentiel fou d'entraide et un mental à toute épreuve, les autres recrues et entraîneurs voyaient surtout des mauvais élèves. Dès les premiers jours, les surnoms avaient commencé à fuser, ils n'étaient pas officiels bien sûr mais tout le monde les connaissait A : les brutes / B : les toutous / C : les spécialistes / D : les rebuts .

Aïe

Pour les B la pique n'avait rien fait, ils voyaient plus ça comme une blague et s'en moquaient, mais évidemment tout le mépris de l'unité C pour les D transparaissait dans cette liste de surnoms (dont ils étaient évidemment à l'origine) . Encore une fois, le plus douloureux avec eux était qu'ils avaient raison.

Aucun membre de l'unité D ne semblait taillée pour l'armée : trop petits, trop grands, trop gros, trop frêles, problème de vue, de santé, de concentration, anxiété maladive, allergies. Ils n'avaient rien d'un futur groupe d'élite, mais ils étaient tous tellement volontaires et tellement impliqués...

En tout cas Lola, elle, croyait en son unité. Même si elle s'était souvent faite remarquer par sa sale tendance à répondre à ses supérieurs (ce qui lui avait valu beaucoup de travaux de ménage forcé) et également par son tour de taille. Loin du gabarit musclé ou mannequin de la plupart des autres recrues féminines du centre, elle était plutôt du côté "chubby" de la morphologie. Même si son énergie compensait souvent son manque de capacités sportives, il n'empêche qu'elle était presque toujours dernière de tous les entraînements, avec le sourire certes, mais toujours dernière (la faute à ses 100 kg et son asthme qui ne faisaient pas d'elle une grande athlète).

Bien sûr, vu la nature du centre, elle n'avait jamais eu à souffrir du moindre complexe , remarque ou brimade sur son poids. En repensant à cette partie du brief en arpentant les couloirs , elle sourit. Ce centre était particulier. En fait, ce n'était pas un vrai centre militaire. Il s'agissait plutôt d'un immense centre de roleplay grandeur nature. Pour le temps des deux mois d'un été, après de longues semaines de sélections et de préparations, elle s'était enrôlée comme jeune recrue de première année dans le seul centre immersif de France.

Des qu'elle avait passé le grand portail blanc de l'entrée, elle s'était engagée à jouer ce qu'ils appelaient un "parcours de jeux" pour toute la durée du stage. Deux mois de roleplay qui se voulaient totalement immersifs et à mi chemin entre la réelle formation militaire et le "fan-made".

En arrivant devant la porte de la salle commune, leur colonel leur fit un signe de la main pour leur dire de se dépêcher. Immense (sûrement plus de 2m), bâtit comme une armoire, le géant en tenue, arme à la main, les toisa de ses yeux bruns quand elles passèrent devant lui, s'attardant un moment sur Lise. Comme d'habitude.

La jeune blonde d'à peine 1,60 m pouffa aussi silencieusement qu'elle pût en se collant à son amie.

- Mon dieu mais imagine si on se retrouve sous ses ordres ?! Je te jure Lo' je ne vais pas tenir les deux mois.

- Oh si c'est LUI notre instructeur je penses que tu sera suffisamment épuisée par le sport pour que ça calme tes hormones.

Lise gloussa une fois de plus, un sourire aux lèvres.

- J'aurais toujours un stock d'énergie en réserve juste pour lui ! Grrrrr... je te jure, son accent est un aimant à filles!

Lola lui glissa a voix basse :

- Tu crois qu'il le joue ou que c'est un vrai accent allemand ?

Lise écarquilla les yeux.

- Je n'en sais rien et tu sais quoi? Je ne veux pas le savoir, chantonna-t-elle. Je veux juste l'entendre me dire de faire des trucs effroyablement humiliants avec.

Les deux jeunes filles gloussèrent dans leur coin en se mettant en place , attendant encore quelques retardataires.

Depuis qu'ils étaient arrivés, Lise avait flashé sur leur colonel et son intérêt semblait réciproque. Après tout, ce centre était un peu particulier. Non seulement c'était un centre 100% roleplay immersif, mais également une tentative d'adaptation d'oeuvres fictives pour permettre plus de largesse sur le roleplay et le cosplay. Et bien évidemment, quand on pense "militaire" qui ne pense pas à Call Of Duty?

Forcément, toutes raisons confondues, il y avait bien évidemment une certaine part des recrues qui avaient un petit faible pour certains personnages (qui, a leur plus grand bonheur, était incarnés par les membres du staff).

Même si une sélection très stricte était faite en amont (pour éviter, par exemple : les recrues qui ne viendraient que dans le but de sortir avec tous les acteurs/ harceler un membre en particulier juste parce qu'elle fait une fixation dessus), il y avait toujours quelques recrues qui avaient un léger attrait pour certaines têtes d'affiches. Le très apprécié Colonel Konig faisait évidemment partie de ceux là, mais toutes les recrues (hommes comme femme d'ailleurs) étaient avant tout ici pour l'expérience immersive qu'offrait le centre. La surcouche de lore COD était plutôt un bonus.

Attachée à vivre l'expérience dans les meilleurs conditions possibles, Lola n'avait cependant pas caché aux recruteurs qu'elle même avait aussi un petit penchant pour un personnage iconique du volet Modern Warfare 2 : Le lieutenant Simon Riley "Ghost" ... ce crush un peu ridicule était apparu à la sortie du reboot et TikTok n'avait rien arrangé. Cependant, les maigres bribes de fantasmes ou même de simples idées qu'elle avait pu imaginer avaient voler très très vite en éclats quand elle l'avait rencontré.

Froid, presque jamais un mot, bien évidemment jamais sans son masque, le plus qu'elle en avait vu devait être le bout de ses doigts un jour où il avait troqué ses gants pour des mitaines. Oh et aussi : une fâcheuse tendance à lui pourrir la vie.

Depuis la première session d'entraînement où il s'était occupé de leur unité il n'avait été qu'un tyran. Exigeant toujours plus d'eux et sans jamais un mot d'encouragement ou d'appréciation, cela avait eu pour seul effet de réveiller le pire de la jeune femme. Son sale caractère et sa grande gueule étaient revenus au galop et, évidemment, elle n'avait cessé de lui répondre et de faire des réflexions "plutôt désagréables" (comment qualifier autrement le fait de siffler entre ses dents "étouffez vous dans votre cagoule mon lieutenant !"). Ce qui, forcément, avait de 1) valut à l'unité une réputation de "rebels indisciplinés", 2) valut à elle même le titre très désagréable (mais néanmoins très juste) de "grande gueule", et 3) lui avait offert la joie de passer toutes ses soirées et heures de repos a faire des travaux de ménage forcé...

Le crush potentiel était donc plutôt devenu un duel frontal, duel qu'elle perdait pitoyablement chaque fois qu'il lui collait des heures de ménage ou des séries de punitions.

Cela faisait donc a peine deux semaines qu'elle était arrivée. Les membres du staff (pratiquement que des gradés) étaient, eux, présents et jouaient toute l'année, mais les grandes périodes de stages se faisaient surtout sur les deux mois d'été. Le stage d'été était le cursus le plus demandé au centre même s'ils offraient aussi un parcours annuel pour les soldats déjà un peu plus haut gradés (qui avait fait déjà plusieurs années de stage avant).

Lola était passionnée par l'univers . Son but n'était peut être pas d'y faire des parcours à plein temps toute l'année mais elle voulait revenir l'an prochain. Et pour ça il fallait qu'elle valide son stage d'été. Et pour ça il allait falloir qu'elle se tienne un peu tranquille.

Alors que les dernières recrues se mettaient en place, tous bien alignés dans la salle commune en face d'une grande estrade sur laquelle tous les supérieurs se tenaient, Lola se pinça les lèvres et se fit la promesse intérieure d'essayer de fermer sa grande bouche et de se tenir plus a carreaux pour le reste de son stage. Il fallait bien qu'elle finisse par réussir quelque chose dans sa vie.