- Faut quand même avouer qu'il est foutrement sexy, lâcha Stiles en mangeant une chips.
En soi, Liam était d'accord avec lui… En partie.
- Il l'est mais… Je préfère Alec, rétorqua le blondinet en piochant à son tour dans le sachet.
- Il est pas mal, je dis pas. Il est bien bâti, fit Stiles avec envie. Je trouve quand même qu'il lui manque un truc. Magnus, lui, il a ce truc.
- Des pouvoirs ? Tenta innocemment le plus jeune.
- Non, de l'assurance.
Stiles était un grand fan de Shadow Hunters et en particulier de Magnus Bane – son chouchou de la série. C'était tout naturellement qu'il avait décidé d'initier son protéger à son visionnage, histoire de lui montrer les « bonnes choses de la vie », comme il aimait à le dire. Après quelques jours à peine, ils en étaient déjà au début de la deuxième saison – et Stiles se rendait compte qu'il regardait cette merveille pour la quatorzième fois. Il ne pourrait jamais se passer de cette œuvre qui, il fallait le dire, le faisait rêver. C'était d'ailleurs quelque chose dont il ne parlait pas à ses amis, pour la simple et bonne raison qu'il baignait dans le surnaturel et les aventures rocambolesques tous les jours – ce que Liam ne savait pas. Stiles était persuadé qu'ils le trouveraient un peu stupide de fantasmer sur des choses… Qu'il vivait, au final. La série restait pour lui un moyen comme un autre de s'échapper de ce quotidien parfois un peu lourd. Pas que son emploi ou ses différentes missions soient particulièrement difficiles, simplement… Stiles était du genre à tout intérioriser. Qu'importe le sujet, il gardait ses problèmes et coups de mous pour lui. Qui irait s'y intéresser, de toute façon ? Il y avait dans son cœur des plaies qui, doucement, se refermaient. En attendant… Elles continuaient de lui faire mal, de provoquer chez lui cette espèce de mal de vivre qui assombrissait son regard de temps à autres.
Se laisser couler dans Shadow Hunters n'était pas quelque chose qu'il se permettait si souvent que cela, certes, néanmoins, c'était toujours efficace. Ses yeux brillaient et son sourire émergeait plus sincère, plus spontané. Il faisait ressortir ce côté un peu innocent qu'il oubliait parfois et si Liam ne disait rien, c'était quelque chose qu'il constatait chaque jour : Stiles était une lumière entourée d'ombres. Il parlait et s'égosillait souvent, plein d'une énergie à la batterie étonnante, mais le blond pouvait voir au travers sans effort. Il comprenait ce mécanisme pour l'avoir déjà expérimenté de son côté avant que Brett ne le brise complètement. C'était l'époque où leur relation devenait toxique, où Liam essayait de passer outre. D'arranger les choses, de faire comme si tout allait bien et, par extension, s'en convaincre. Il avait l'espoir que Brett voie ses efforts et redevienne aussi gentil qu'il l'était au départ – ça n'avait jamais fonctionné.
Evidemment, la situation n'était pas la même. Stiles semblait plus être du genre… A se maintenir à flot de cette façon, comme si le pire s'était déjà passé pour lui et qu'il avançait malgré tout. D'ailleurs, il ne le voyait pas parler à grand-monde et il se demandait d'ailleurs si ce n'était pas ça, le problème. Stiles avait des amis, il le lui avait dit et Liam le croyait : maintenant, restait à savoir ce que ce mot représentait pour lui, quel sens il revêtait à ses yeux.
Alors même si Liam était loin d'être remis de ses blessures, de ses démons encore trop récents pour s'être faits la malle… Il essayait, à sa manière, d'être là. Pour lui, c'était comme un réflexe : il se sentait bien plus détendu lorsque les ombres quittaient momentanément le regard de Stiles. Si l'un pouvait se réparer en aidant l'autre… C'était bon, non ? Liam ne pensait pas qu'il existe de manuel expliquant comment l'on pouvait se reconstruire après avoir vécu l'enfer, alors il avait décidé de suivre son instinct. La méthode, bien qu'un peu farfelue, ne lui paraissait pas toxique. S'ils se tiraient tous les deux vers le haut, ça pouvait marcher – d'autant plus que le blondinet se sentait extrêmement redevable envers l'hyperactif mais ça, c'était autre chose.
Fut un moment où Stiles jeta son téléphone et zieuta l'heure. Il grimaça. Liam l'interrogea du regard. L'hyperactif lui expliqua à regret qu'il aurait à peine le temps de finir l'épisode et qu'il devrait ensuite se préparer sans attendre : autrement, il serait en retard au boulot. Et même si c'était quelque chose qu'il adorait, il fallait avouer que se replonger dans sa série préférée lui donnait juste envie de rester là, affalé à côté de Liam sur le canapé, à ne rien faire d'autre que suivre la vie de ces personnages si bien ficelés.
Lorsque le fameux épisode toucha à sa fin, Stiles poussa un soupir théâtral et partit se changer, avant de revenir vers Liam et de lui faire ses recommandations habituelles – sans oublier de lui préciser son horaire de retour. Si le blond avait déjà mémorisé son emploi du temps à l'intérieur duquel les changements étaient rares, il appréciait l'attention et comprenait que, comme toujours, Stiles cherchait à le mettre à l'aise, mais aussi et surtout à lui faire sentir qu'il était là pour lui – qu'il travaille ou non.
Ainsi, Stiles partit l'esprit aussi tranquille que celui de Liam.
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Ce soir avait été un bon service, mais Stiles mentirait s'il disait qu'il n'aurait pas préféré faire autre chose. S'il n'avait pas dû s'absenter une semaine – merci Derek –, sans doute aurait-il appelé dans la matinée pour poser sa soirée. Cela faisait partie de ces jours où ses ombres personnelles planaient un peu trop au-dessus de sa tête. Pour quelle raison ? Lui-même l'ignorait. Sa journée avait été on ne peut plus calme et continuer de regarder Shadow Hunters avec Liam était toujours fort agréable. D'ailleurs, son petit protégé reprenait doucement des forces – et des couleurs. Tout ça lui faisait plaisir, alors… Pourquoi continuait-il de se sentir mal ? Ce qu'il ressentait… Ce n'était pas une sensation classique. Une sorte de gêne un peu étrange et qu'il ne saurait pas expliquer. Il n'apparentait même pas ça à de l'inquiétude ou du stress, c'était autre chose. Quoiqu'il en soi, il déposa son chiffon sur le bar, et partit se changer. Il avait terminé son service et si le bar ne fermait pas tout de suite, l'hyperactif avait fait ses heures. S'il adorait son travail, il gagnait suffisamment pour ne pas courir après les heures supplémentaires – et son adorable patron qu'était Chris Argent lui avait assuré qu'une partie de sa semaine manquée serait tout de même payée. Ainsi, Stiles salua ses collègues et souffla théâtralement un baiser à Derek, posté à l'entrée du bar. La façon dont le loup-garou leva les yeux au ciel fit rire le serveur et apaisa légèrement son humeur. S'il adorait son Sourwolf, Stiles aimait par-dessus tout l'embêter. A défaut d'avoir son cœur, il arrivait à attirer son attention – c'était déjà plus qu'il n'en demandait. Continuer de voir cette lueur d'agacement dans le regard lui montrait que d'une certaine manière, il existait à ses yeux. Pas forcément de la meilleure façon qui soit, certes. Toutefois, ça lui allait.
A l'extérieur du bar, Stiles inspira à fond l'air frais de la soirée. C'était quelque chose qu'il aimait beaucoup faire après son service. Passer du chaud au froid, sentir les multiples frissons qui passaient sur sa peau. Ressentir, c'était être vivant, pour lui. S'il percevait ces choses-là, ça voulait dire que tout allait bien. Stiles avait à ce sujet une peur assez particulière, à laquelle il pensa alors qu'il marchait tranquillement en direction de sa Jeep, garée en face du bar. Le jeune homme était terrifié par la mort. Pas celle du corps, pas vraiment : celle de l'esprit. Il avait dans la tête cette idée que tout ce qu'il s'était acharné à reconstruire tenait de façon bancale et que si tout s'effondrait, il finirait par mourir. Devenir apathique. Voir le monde avec indifférence, tout en noir et blanc, sans nuance. Plus vivre, mais survivre. Agir par automatisme. Oublier la valeur des choses, leur beauté. Ainsi, être au fait de chaque sensation ou sentiment qu'il pouvait éprouver le rassurait.
Stiles ouvrit la portière avant conducteur de sa Jeep et s'installa aussi confortablement que possible. Dans cette voiture, cette notion de confort était minimale : le siège était dur, la ceinture lui cisaillait la peau, les pédales étaient quelque peu difficiles à maîtriser… Et quiconque se retrouvait passager de cette guimbarde avait l'impression que son dernier jour sur terre était arrivé tant elle paraissait instable. Avec les années, Stiles s'y était habitué et appréciait même un peu ce côté cheap, ce côté prêt à tomber en panne à tout instant.
Ce qu'il apprécia moins, en revanche, furent les mains surgissant de l'arrière de la Jeep. La première servit de bâillon, la seconde pressa la lame d'un couteau contre son cou.
- Si tu cries, je t'égorge.
Stiles détestait les ordres et autres menaces en tous genre. A vrai dire, il éprouvait un certain plaisir à montrer qu'il pouvait désobéir avec une simplicité enfantine. Cependant, la présence quelque peu aléatoire de son instinct de survie le poussa à ne pas chercher la petite bête. Il sentait fort bien la pression légère mais dangereuse de la lame sur sa peau fine et n'était pas assez stupide pour la nier. Une fine goutte de sueur froide perla sur sa tempe et l'hyperactif s'efforça de ne pas céder à la panique qui, il le sentait, hurlait pour sortir. Avec tout le courage dont il était capable, il leva doucement et fébrilement un pouce en l'air. La main se décolla de sa bouche mais la lame, elle, ne quitta pas les abords de sa gorge. Stiles retint son souffle. L'air de rien, il tenait à la vie.
- Démarre.
