Golds et soutien-gorges, épisode 17


« Et enfin le dernier est le Paradis, qui contrairement à ce que les Humains croient généralement, est le plus terrible. La moindre mauvaise pensée peut faire chuter le coupable aux enfers. Une éternité de terreur du lendemain y attend ses hôtes. »


Aiolia venait d'entrer dans la Maison de la Vierge. L'illusion du jardin paradisiaque avait disparu, et le lotus d'or était vide.

« Shaka ? »

Le chevalier d'or de la Vierge sortit d'une pièce adjacente.

« Qu'y a-t-il Aiolia ? »

La voix de son voisin avait toujours été douce, mais depuis qu'il avait changé de sexe, elle l'était encore davantage.

« Je me demandais… si tu allais bien. Tu es très pâle je trouve et... »

« J'ai quelques nausées, mais il semble que cela soit normal dans mon état. »

« Je t'ai amené des choses à manger », dit le Lion avec un air gentil qui le fit soudain ressembler à un golden retriever.

Il posa son panier près d'une colonne.

« C'est très aimable de ta part », dit Shaka.

« Et j'aimerais t'inviter à venir déjeuner chez moi », ajouta ensuite Aiolia. « Je me suis fait préparer un véritable festin, il n'y a plus qu'à réchauffer. Qu'en dis-tu ? »

« Maintenant ? »

« Oui... »

« Qui sera là ? »

« Personne… Juste toi et moi. En tout bien tout honneur, bien sûr ! »

Shaka hocha la tête.

Une demi-heure plus tard, il se trouvait à la table d'Aiolia, dans la Maison du Lion, devant un steak bien saignant.

« Aiolia, je suis végétarien... » murmura-t-il.

« Ah oui c'est vrai… Mais la viande est bonne pour le bébé. »

Le visage de Shaka se contracta à nouveau, comme s'il allait se trouver mal.

« Oh, je suis désolé... » balbutia Aiolia.

« Ce n'est rien », répondit Shaka, les paupières tremblantes. « Depuis que j'ai changé de corps, je n'arrive plus à le contrôler totalement comme avant… »

« Ah oui ! Je me souviens, quand j'étais une femme, je n'arrêtais pas de me cogner un peu partout... »

Il prit la viande et la remplaça par un plat de légumes et olives.

« Il y a du mastic… C'est très bon pour la santé. »

« Merci Aiolia. »

Il se mit à manger, et Aiolia aussi, mais distraitement. Il semblait penser à autre chose.

« Dis-moi, Shaka… La nuit où nous nous sommes transformés en femmes… J'avais senti le cosmos d'un dieu étranger nous entourer, et le signe de Phanès était apparu à Athéna. »

« Oui, je m'en souviens moi aussi. »

« Mais par la suite, je n'ai pas ressenti à nouveau ce cosmos. Pas une seule fois. Pourtant, je suis dans la maison la plus proche de la tienne. »

« Je n'en sais pas plus que toi », répondit abruptement Shaka.

Il mélangeait les morceaux d'aubergines et de poivrons sans sembler en choisir un.

« Et quelques jours après que tu aies chassé Ikki... » poursuivit Aioilia, « j'ai senti à nouveau son cosmos dans ta maison. »

« Pourquoi me dis-tu cela ? »

« Parce que tu n'as dit à personne qu'il était revenu... »

« Il était venu pour le banquet d'Athéna et est reparti peu de temps après. Je n'ai pas jugé utile de le préciser... »

L'ascète baissa la tête, et se remit en devoir de trier ses légumes. Mais Aiolia posa brusquement sa main droite sur la sienne.

« Shaka… Si tu veux me dire quelque chose… Je suis prêt à t'entendre. »

Le moine détourna la tête.

« Pourquoi insistes-tu, chevalier du Lion ? »

« Parce que je sais », déclara alors Aiolia d'une voix ferme mais bienveillante. « Je sais que tu mens. »

« Que... »

« Tu ne nous dis pas la vérité sur ce qui s'est passé. »

« Bien sûr que si. »

« Shaka... »

L'Indien sembla se retenir de ne pas exploser de colère.

« Toutes ces années... » murmura-t-il. « Depuis ma plus jeune enfance. Toutes ces années de sacrifice, de méditation, d'élévation et d'entraînement… »

« Shaka... »

Le chevalier d'or de la Vierge gardait ses yeux fermés. Enveloppé dans ses draps épais, il ressemblait tout à fait au chevalier qu'il avait été, avant sa transformation.

« Comment aurais-je pu faire une chose pareille, Aiolia ? Il est impossible que j'aie pu faire ça. »


Un mois et demi plus tôt.


A l'exception de Saga et Dokho partis en mission, le grand banquet réunissait les chevaliers d'or devenues femmes, ainsi que les chevaliers de bronze venus à leur aide.

« Quelle bonne idée a eu Athéna… Ce repas de fête permet de resserrer les liens en ces temps troublés, non ? »

Après cette introduction, Shura s'assit à côté de Deathmask avec sa coupe de vin pleine.

« Tu m'étonnes ! » répondit le Cancer. « D'ailleurs tu te cachais où depuis tout ce temps ? On voyait Shaka davantage que toi ! »

« J'évitais de me montrer en public avec mon nouveau… hum, corps. »

Deathmask jeta un œil volontairement dubitatif sur la charpente ibérique.

« T'inquiète pas mon vieux, personne ne risque de te courir après vu comment t'es fichu(e). On dirait le même qu'avant… Et avant, on aurait déjà dit que tu avais du mascara ! »

Shura ne sembla pas se vexer. Les Espagnols de sa région avaient souvent des cils fournis, et il était vrai que ceux-ci n'avaient pas augmenté lors de son changement de sexe.

« SHURA ! »

Aphrodite venait faire son apparition ; il s'assit à droite de Deathmask, là où il restait une place, et se pencha en travers lui pour parler au Capricorne.

« Chérie, cela fait bien trop longtemps que je ne t'ai pas vu(e) ! Et cet ensemble noir et violet… Cela te va à merveille ! »

« Merci ma belle, tu es vraiment radieuse ce soir. »

« Hey », bougonna le Cancer en faisant glisser sa main bronzée aux ongles longs autour de son verre, « dis à Jessica Rabbit de coller ses machins autre part que juste sous mon nez. »

« Mais qu'elle est aigrie », minauda Aphrodite en remontant le haut de sa robe rouge, ce qui fit rebondir sa poitrine généreuse.

« Je ne suis pas aigrie. »

« Si tu l'es. Tout ça parce que Shaka t'a collé un râteau. »

« Garde pour toi tes métaphores agricoles. Shaka distribue des râteaux à tout le monde… Même à Lui. »

Il montra du doigt Ikki resté à l'écart. Le Phénix, les bras croisés comme à son habitude, était assis seul sur un tronçon de colonne détruite, le visage si taciturne qu'il avait presque entièrement disparu dans la pénombre kurumadienne.

« Le pauvre », s'attendrit le Poissons. « Athéna n'aurait pas dû le forcer à venir après ce qui lui est arrivé. »

Cette fois ce fut un contact pneumatique entre son épaule et les bonnets D d'Aphrodite qui fit enrager le Cancer.

« Putain, mais t'appuie pas comme ça sur moi ! J'ai pas besoin de coussin pour dormir ! »

Shura se mit à rire – chose qui arrivait suffisamment rarement pour être notée.

« Tu sais, tu ne devrais pas te moquer… » dit-il. « Je te signale qu'à ce niveau-là, tu en as presque plus qu'elle… euh que lui… »

Deathmask ne comprit tout d'abord pas ce que cette chèvre basque voulait dire. Puis il capta le mouvement de ses pupilles noires vers son propre décolleté.

Masque de Mort n'aimait pas porter de soutien-gorge. De toute façon, il n'en avait pas besoin. Sa poitrine avait gardé de l'originale l'amplitude, le muscle et le maintien.

Mais son visage s'empourpra. Il avait beau être fier de cette partie de sa nouvelle anatomie, c'était la première fois qu'un regard de ce genre se posait aussi directement sur sa poitrine. Un regard qui, malgré les cils qu'il avait toujours eu très noirs, était resté étrangement masculin.

Deathmask comprenait-il enfin le malaise que pouvaient ressentir Camus ou Shaka lorsqu'on les regardait ainsi ? Ses longs sourcils bleus se froncèrent sous sa frange ébouriffée.

« Mais… » s'interrogea-t-il à haute voix. « Y'a de l'ergot de seigle dans ce Vin des Popes ou t'es en train de me mater ?! »

A quelques couverts de là, Shaka mangeait lentement avec sa modestie coutumière, paupières baissées déployant ses longs cils. Pourtant, parfois, au grand étonnement de Mû, il posait sa fourchette et peignait de sa main une mèche de ses cheveux blonds, imperceptiblement tourné vers la droite. Si Mû avait eu des sourcils, il les aurait sûrement froncés. En lieu et place de cela, il se tourna dans la direction du pôle magnétique qui semblait aimanter son voisin... pour y apercevoir un homme dont la moitié supérieure du visage était plongée dans une pénombre kurumadienne. Etait-ce la chaleur de l'âtre ? La petite bouche de l'ascète avait pris des couleurs, ainsi que ses joues. Sa frêle épaule nue semblait presque frémir dans la brise nocturne.

« Shaka ? »

« Oui Mû ? »

« Est-ce qu'Ikki s'est excusé pour t'avoir demandé en mariage ? »

« Non… Je ne lui ai pas parlé depuis », répondit-il, ses joues devenues plus rouges encore. « Par Bouddha, je n'arrive pas à croire qu'il ait pu être si hypocrite. »

Mais Ikki avait levé la tête, sous les arcades, et son regard se posa sur Shaka. Sentant son cosmos, ce dernier en ouvrit étrangement ses grands yeux bleu-vert.

Le regard du Phénix se mit à luire brièvement... Puis il se leva et partit.

Mû vit Shaka le suivre des yeux avec une expression qu'on aurait pu qualifier de languissante.

Il jeta un coup d'œil à terre : le moine avait toujours du vernis rouge sur les ongles des pieds.