Vous m'appelez toujours régulièrement. Contrairement à avant, vous êtes même celui qui le fait le plus de nous deux, aujourd'hui.

Vous me racontez votre nouvelle vie aux États-Unis avec entrain. Je vous réponds toujours quand je le peux, malgré le décalage horaire qui vous fait parfois oublier que vos jours sont mes nuits. Vous me demandez des nouvelles, vous insistez même pour que je vous parle de mes journées, de mes semaines, des cours à Yuei, de ma relation avec Ochako, de la vie des autres élèves.

Et je vous raconte. Vos appels me rendent heureux malgré tout. Malgré que je vous en veuille toujours et que ce que je ressens désormais pour vous s'apparente plus à de l'amertume que l'admiration aveugle que j'ai pourtant toujours ressentie. Mais cela n'empêche pas qu'entendre votre voix calme momentanément cette boule au ventre constante qui s'est nichée en moi depuis votre départ. Savoir que vous pensez à moi et que vous m'accordez toujours de votre temps, malgré cet océan entre nous, m'apaise un tant soit peu.

Ochako se fait du souci pour moi. Elle me trouve moins enjoué, un peu plus apathique. Asui, Tokoyami et Iida m'ont fait la même réflexion récemment, je suppose donc que ce n'est peut-être pas elle qui s'inquiète pour rien.

Car je trouve qu'elle s'inquiète beaucoup pour rien. Notre relation est toujours tranquille, routinière presque. Mais elle s'inquiète parfois que nous « stagnions ». Elle s'inquiète que nous ne passions pas plus de temps que ça ensemble en dehors des cours. Elle s'inquiète que nous n'ayons parfois pas grand-chose à nous dire. Elle s'inquiète en nous comparant avec le couple de Katchan et Kirishima.

Malgré moi, ce dernier point a le don de m'exaspérer. Ils ne sont pas comparables. Ils n'ont pas les mêmes caractères que nous et vont beaucoup trop vite, si on me demandait mon humble avis. Je sais que ça fait longtemps qu'ils ont déjà couché ensemble, il n'y a eu besoin que d'une courte observation du comportement de Kirishima pour le deviner. Je sais aussi qu'ils vont souvent dormir chez l'un et chez l'autre. Qu'ils partent même en week-end ensemble.

Et je suis très heureux pour eux. Vraiment. Kirishima aide beaucoup à apaiser le caractère explosif de Katchan et je suis toujours aussi surpris de le voir parfois venir vers moi pour simplement parler. De tout et de rien. Comme de véritables vieux amis.

Mais ils sont différents de nous. Ochako et moi ne fonctionnons pas comme eux. Notre relation est plus calme, plus lente. Déjà, car je doute toujours de mes sentiments pour elle et que ça me travaille. Et ensuite, car je n'ai ni la force ni l'envie de mettre plus d'énergie là-dedans. Nous avons déjà une belle amitié, nous nous parlons tous les jours, par messages quand nous ne sommes pas ensemble, et souvent pour ne pas dire grand-chose. Nous sommes déjà allés manger chez l'un ou chez l'autre, parfois même pour rester dormir et c'était très sympa...

En réalité, je me voile la face, je le sais bien. Je sais ce qu'Ochako attend de moi, je sais très bien tout ce que je pourrais faire en plus pour qu'elle ne s'inquiète pas autant. Mais ce rapprochement est plus déstabilisant que prévu.

Une partie de moi avait toujours cru que le jour où une fille m'approcherait enfin, accepterait de me toucher et que je la touche en retour, je serais le plus heureux des idiots. Je me souviens même avoir attendu que ce jour n'arrive avec une impatience affamée, certains soirs de solitude. Et Ochako m'a pourtant tendu des perches, pour ne citer que le problème de l'intimité. Mais je me sens à chaque fois trop effrayé, intimidé, perdu pour aller bien loin.

Et contrairement à Katchan et Kirishima, à Tetsutetsu et Kendo, et même récemment à Kaminari et Jirô ; j'éprouve de moins en moins l'envie de passer tout mon temps avec elle.

J'ai juste envie de rester chez moi et de me complaire dans mon amertume, de savourer malgré moi ce poids que j'ai dans l'estomac. De me lamenter que vous êtes loin et que vous me manquez bien plus que je ne pouvais l'imaginer.

J'ai du mal à saisir pourquoi soudainement, tout semble tellement tourner autour de vous. Plus qu'avant, j'entends. Et plus de la même manière.

Quand avant, j'avais juste le cœur gonflé de joie et d'espoirs idiots lorsque je levais les yeux sur les posters de ma chambre, aujourd'hui, j'ai simplement la mâchoire qui se serre d'elle-même. Je n'arrive plus qu'à me rappeler que vous êtes loin, beaucoup trop loin, et que je trouve ça toujours aussi injuste.

La décoration de ma chambre est redevenue sobre petit-à-petit. Et si jusque-là, ma mère essayait de ne pas s'inquiéter de mon humeur morose, presque constamment agacée ; en voyant mes murs se vider de leur habituel rouge, bleu et or, je la vois plus alerte de mon état.

Et ça m'agace un peu plus.

Katchan est devenu calme et c'est maintenant moi, Izuku Midoriya, qui suis la boule de nerfs de la classe 2-A. On aura tout vu.