Le temps passe, Ochako s'en remet doucement, notre relation reste agréable. Surtout pour moi, sans cette pression sur les épaules. J'ai un peu plus de temps pour moi, et même si je n'en fais pas grand-chose d'extrêmement productif, ça me fait du bien.
Je ne me sens pas aller mieux pour autant.
Ma mère fait cet amer constat avec moi. Je me fais pourtant une raison doucement : je suis probablement gay et il vaut mieux que je me laisse du temps pour m'y faire. Même si les premiers jours, cette découverte de moi-même me déroutait, évidemment. J'ai remis ma vie en question durant de longues heures de réflexion, mais je l'ai finalement accepté plutôt facilement. Ça ne me perturbe pas autant que je l'aurais imaginé. Et je continue juste mon train de vie sans trop me prendre la tête avec ça.
Heureusement que je ne me le rajoute pas. Car mon tempérament est toujours morose, mes humeurs toujours surprenamment présentes. Il y a peu, Todoroki a été le premier à me dire en face que j'avais énormément changé par rapport à notre entrée à Yuei, et pas forcément dans le bon sens. Son éternelle franchise m'a plus fait rire qu'autre-chose, puisqu'il est loin d'avoir tort. Je ne lui en ai pas tenu rigueur, surtout lorsque j'ai compris que c'était sa façon de m'exprimer son inquiétude et de me proposer son aide au besoin.
J'ai réalisé il y a peu que je ne vous appelais quasiment plus. Je m'en suis rendu compte en multipliant les fois où j'ai ignoré vos appels.
Vous me manquez toujours autant, pourtant. Entendre votre bonne humeur réchauffe mon cœur. Je me surprends même à retrouver un sourire franc quand je vous entends rire. Mais l'amertume et l'aigreur sont toujours présentes quand vous me racontez votre quotidien. Je suis heureux pour vous, d'autant plus en apprenant que vous allez vraiment bien, que vous vous êtes même remis au sport pour vous maintenir en forme. À présent que votre convalescence est sur la bonne voie, vous me parlez plus honnêtement de votre état de santé. Vous avez même fini par m'avouer que quand vous avez quitté le Japon, ce n'était pas certain que vous puissiez remarcher normalement un jour. Mais aujourd'hui, ça va et vous en êtes heureux. Je le suis aussi. Sincèrement. Je suis soulagé de savoir que vous allez mieux que bien.
Mais ce soir, je n'arrive pas à m'empêcher de vous poser la question qui me brûle les lèvres depuis des semaines :
— Quand est-ce que vous rentrez ?
Un silence me répond. J'aimerais pouvoir connaître votre expression, à cet instant. Déroutée que je ne me la pose encore ? Désolée de ne pas me répondre ce que j'aimerais entendre ? Ou agacée que je vous réclame comme un enfant réclamerait après son parent absent ?
— Je suis désolé mon garçon, ça ne va pas être tout de suite... vous entends-je marmonner sur le ton de l'excuse - c'était donc probablement la deuxième solution. J'apprécie le calme qui règne dans mon quotidien ici, j'ai la sensation de me reposer pour la première fois de ma vie... Je sais que ça ne sera pas la même chose dès que je serai rentré au Japon.
— Ça fait plus d'un an depuis la victoire contre AFO, rappelé-je impatiemment. Vous étiez déjà en retraite. Les gens se souviennent plus de l'ancien All Might que de celui suréquipé qui a vaincu AFO.
— Je ne suis pas sûr de ça, riez-vous tranquillement. Dans tous les cas, je ne me sens pas de prendre le risque d'affronter les journalistes dès que je descendrais de l'avion. Navré, mon garçon... Je sais que ça commence à faire bien long. Te parler en face me manque aussi, tu imagines bien.
Non, j'ai du mal à l'imaginer.
J'ai envie d'y croire, pourtant. Le simple fait que vous me le disiez à cet instant me fait un plaisir infini. Je vous manque. C'est la première fois que vous me le dites depuis votre départ.
Je ne saurais dire ce qui définit les larmes qui s'échappent soudainement de moi à torrent. Si elles sont juste tristes, écœurées, ou remplies de rage.
— Vous me manquez aussi, All Might... Vous me manquez énormément. Je me sens... seul, depuis que vous n'êtes plus à mes côtés dans ma vie...
Je me sens ridicule de lui avouer ça. De pleurer comme un bébé de cette manière. J'ai bientôt 18 ans, je ne devrais plus faire ce genre de choses. Mais ce soir, ce vide et cette amertume sont trop puissants. Je n'arrive plus à les contenir. Surtout pas quand je vous entends me dire que je vous manque et que pourtant, vous comptez encore rester si loin de moi.
Je crois que vous ne vous attendiez pas à un tel effondrement soudain, car vous êtes sans voix quelques secondes. Quand vous me répondez enfin, votre ton a perdu en assurance.
— Mon garçon... Je suis toujours dans ta vie, voyons... Je sais bien que de simples appels ne remplacent jamais une présence éloignée, mais je pensais-... Je suis désolé, Midoriya. Je n'ai jamais appelé autant quelqu'un de ma vie et nos appels me mettent toujours du baume au cœur. Je pensais qu'il en était de même pour toi... Que ça t'aidait un minimum, de me parler... Quelque chose te pèse en ce moment, pour que tu t'écroules de cette manière ?
Je vous laisse parler car je me noie dans mes larmes. Chacune de vos phrases semble les faire redoubler un peu plus. Elles provoquent des réactions contradictoires en moi. La fierté d'apprendre que j'ai vraiment cette place spéciale dans votre vie, mais le rappel acide que vous parlez seulement de coups de téléphone. La consolation de vous entendre me tendre une perche sincère pour que je vous parle, et le constat violent que vous ne vous étiez donc pas rendu compte avant que je n'allais pas bien.
— Ça fait des mois que « quelque chose me pèse » ! rétorqué-je, bien plus sec que je ne le voudrais - mon intonation habituelle à présent, j'ai l'impression. Ça fait des mois que je ne vais pas bien ! Vous ne l'aviez vraiment pas remarqué ?!
Une fois encore, vous faites traîner votre réponse et je devine que je vous prends au dépourvu.
— ... Si, je sentais que ça n'allait pas fort, entends-je pourtant. Mais je me disais justement que quoi qui t'affecte, peut-être que nos appels t'aidaient à le gérer. Et que si réellement ça n'allait pas, tu m'en aurais parlé de toi-même... Je suis vraiment désolé, mon garçon.
Je ne veux pas de vos excuses.
Je ne veux pas de votre pitié. Elle me fait plus de mal qu'elle me fait plaisir, à cet instant.
J'ai l'envie irrépressible de vous cracher à la figure que tout est de votre faute. Que ce vide dans mes entrailles, c'est vous qui l'avez provoqué. Que vous m'avez offert le plus beau des cadeaux pour ensuite me le reprendre en partant si loin, et que je n'arrive pas à m'en remettre.
Pour la première fois, cette réalisation me heurte de plein fouet et je me demande sérieusement si ce n'est pas vraiment ça depuis le début.
Si ce n'est pas vraiment à cause de vous.
J'ai peur, tout à coup. Ma respiration s'emballe sous mes sanglots et je vous raccroche au nez. Je n'ai ni l'envie, ni la force de vous entendre plus longtemps.
Je n'arrive qu'à me recroqueviller sur moi-même et à supplier en boucle qu'on me rende ce qu'on m'a arraché. Quoi que ça soit.
