Bonjour à tous !
Me revoici, me revoilà ! Je sais, j'avais dit que j'essayerais de retrouver une régularité dans mes publications, et celle-ci a encore tardé, mais comme je n'ai plus de chapitres d'avance, je fais le plus vite possible.
Voici donc un nouveau chapitre ! Fye, Kurogane, Chii et Hideki se dirigent vers la forteresse d'Ingvar où leur ennemi, qui leur a lancé un ultimatum, les attend. Fye et Chii doivent se rendre à lui, sinon le sorcier tuera Shaolan qu'il retient prisonnier. Sakura, de son côté, est déjà presque arrivée sur la côte et avance seule ...
J'espère que ce nouveau chapitre vous plaira, et merci de votre fidélité !
Bonne lecture :)
Chapitre 41 - Le sens du sacrifice
Ils parvinrent au col de la montagne vers midi, écrasés par une chape de nuages mornes. Au moment de passer sur l'autre versant, Fye jeta un dernier regard vers la fosse aux condamnés. S'il existait un enfer après la mort, il ressemblait probablement à cet endroit. Un gouffre où sont jetés les corps comme des déchets, où les chairs ne pourrissent jamais … un puits où son jumeau avait perdu la vie. Enfant, il n'avait pu s'en échapper que grâce à Ashura, mais son sauveur s'était laissé emporter par la folie. Celui que Fye avait considéré comme un père était devenu un monstre, un être haïssable. Le cercle infernal s'était rompu lorsqu'il avait rencontré Shaolan, Sakura, Kurogane et Mokona. Pourtant, la veille, lorsqu'ils étaient descendus dans cette fosse, il avait craint de voir les évènements se répéter. En fin de compte, il avait encore réussi à s'échapper de cet endroit maudit, cette fois-ci sans perdre aucune des personnes qui comptaient à ses yeux. L'attaque inédite de Kurogane leur avait permis d'éviter le pire, et le ninja, comme toujours, l'avait protégé. Il jeta un œil par-dessus son épaule, en direction de ses parents qui chevauchaient derrière lui, puis reporta son regard vers l'avant, où avançait Kurogane ; enfin, songea à Sakura et à Shaolan. L'histoire ne s'était pas répétée, il devait continuer de se battre.
Les nuages s'assombrissaient, tamisant le ciel d'un gris crépusculaire. Ils atteignirent le loch qu'ils longèrent tant qu'ils le purent, avant que l'obscurité ne gagne la vallée. Si la lune avait brillé, elle se serait reflétée sur la surface gelée du fleuve, mais le ciel encombré obstruait ses rayons. Quand ils ne distinguèrent plus le chemin devant eux, ils firent halte pour camper.
– Des nouvelles de Sakura ? demanda Kurogane à Fye tandis qu'ils montaient la yourte.
– Elle est déjà arrivée sur la côte. De là où elle se trouve, elle voit la forteresse d'Ingvar. Elle a l'air de s'être cachée.
– J'espère qu'elle ne fera rien de risqué.
– Je l'espère aussi. Toutefois, sans moyen de nous parler, nous ne pouvons pas en être sûrs.
– Fye ?
Chii s'approcha de son fils, le regard grave.
– Qu'y a-t-il ?
– Je sais que tu nous as déjà dit que tu préférais ne rien dire, mais j'aimerais connaître le plan que tu as en tête. Ingvar est plus dangereux que tu ne le penses, tu ne dois pas le sous-estimer. Plus nous serons soudés, mieux nous pourrons le combattre.
Le magicien fronça les sourcils.
– Je ne le sous-estime pas, sois-en sûre. C'est pour cela que je préfère ne rien vous dire.
– Pourquoi ? Tu nous penses incapables de t'aider ?
– Non, ce n'est pas cela.
– Alors, pourquoi ?
– Chii, intervint Hideki, laisse-le. S'il ne veut pas nous en parler, il a sans doute ses raisons. Fais-lui confiance.
L'ancienne reine fronça les sourcils, mais elle n'insista pas. Dès le dîner avalé, ils allèrent prendre du repos. Épuisés par le train forcé qu'ils avaient soutenus toute la journée, ils sombrèrent rapidement dans le sommeil. Seule Chii, inquiète, ne parvint pas à trouver le sommeil. Elle se retournait sans cesse dans ses couvertures, en proie aux interrogations qui tourbillonnaient dans son esprit. Pourquoi Fye refusait-il de leur faire part de son plan ? Pourquoi n'en avait-il parlé qu'à Kurogane ? Les considérait-il encore, elle et Hideki, comme un fardeau ? Elle avait pourtant retrouvé l'usage de ses pouvoirs, elle les maîtrisait mieux à présent, et Hideki s'était beaucoup entraîné. Non, là n'était pas le problème. Si Fye gardait le silence, elle n'en devinait que trop la raison, et rien qu'à cette pensée, la peur la saisissait.
Elle ne laisserait pas Fye se sacrifier pour eux. Elle ne s'était pas réveillée de ce long sommeil pour voir son unique fils encore en vie céder au sorcier qu'elle haïssait le plus sur cette terre. Chii se retourna, l'oreille aux aguets, les yeux plissés pour distinguer les formes dans l'obscurité : elle détecta la respiration régulière de Fye, celle plus rauque de Kurogane, les ronflements graves d'Hideki et ceux, plus aigus, de Mokona. Au centre de la yourte, quelques braises crépitaient encore, tandis que les autres s'endormaient sous la cendre. Ils avaient beaucoup chevauché depuis la fosse aux condamnés ; ils n'étaient probablement plus qu'à trois ou quatre heures de la côte. Lentement, la jeune femme glissa hors de ses couvertures, attrapa en silence ses bottes et son manteau, prit une selle et sortit de la yourte.
Dès que le battant de la porte retomba, Fye ouvrit les yeux. Son regard rencontra celui de Kurogane, étendu face à lui.
– Je m'en doutais, souffla le ninja à voix basse.
– Oui, moi aussi.
– Ta mère te ressemble, c'était prévisible. Enfin, elle ressemble à celui que tu étais, avant.
– Je sais. Je vais aller la voir.
– Tu es encore blessé, ça va aller ? Je peux la rattraper si tu veux.
Le magicien secoua la tête.
– Si j'ai pu changer, Kuro-chan, c'est parce que tu m'as tendu la main. C'est à mon tour de faire la même chose pour ma mère.
Le ninja hocha la tête.
– Couvre-toi, ça caille.
Fye acquiesça, puis, sans un bruit, il disparut à son tour dans l'embrasure de la porte en peau. Kurogane se souvint du Fye qu'il avait rencontré, au tout début de leur voyage, de cet être qui ne souhaitait s'attacher à personne et qui méprisait le prix de sa vie. Que de chemin son compagnon avait fait depuis … Certes, il continuait d'avoir des idées risquées et de faire passer les autres avant lui, mais il était bien déterminé à se battre pour vivre. Autant de choses que sa mère devait encore apprendre.
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D'un sortilège preste, Chii créa une petite boule de feu aux flammes bleutées, qui diffusèrent une lumière froide autour d'elle. Elle s'approcha des chevaux, posa la selle sur celui qu'elle avait l'habitude de monter, le sangla, positionna le mors. Le cheval, comme s'il percevait sa tension, se laissa faire docilement. Chii flatta son encolure.
– Tu es une bonne bête. Je suis désolée de t'obliger à cheminer de nuit.
Elle plaça son pied gauche dans l'étrier, poussa fort sur sa jambe droite et se mit en selle. Ouf, elle craignait de ne pas y arriver seule ! Avec sa petite taille, elle peinait toujours à se hisser sur le dos de sa monture, et en temps normal, Hideki ou Fye lui offraient son aide. Mais cette fois, elle devait se débrouiller seule. Elle saisit les rênes et allait se mettre en marche, quand une voix retentit dans son dos.
– Il fait froid pour sortir à une heure pareille. Et puis, sans lune, tu ne vas pas voir très loin devant toi.
Chii sursauta et fit volte-face : Fye se tenait à quelques mètres d'elle, immobile. Elle ne l'avait pas entendu sortir de la tente, ni s'approcher d'elle.
– Fye … je croyais … que tu dormais …
Sur le visage de son fils, elle ne lut ni colère, ni reproche. Son regard profond donnait l'impression à l'ancienne reine qu'il lisait dans son esprit. Il devinait sûrement ce qu'elle était en train de faire, et pourtant, il garda le silence. Pourquoi ne lui demandait-il pas des explications ? Pourquoi ne s'énervait-il pas ? À sa place, elle se serait emportée, elle aurait tenté de le retenir … ses mains se resserrèrent sur les rênes. Fye lui ressemblait, alors pourquoi ne réagissait-il pas comme elle aurait cru qu'il réagirait ?
– Tu vas te rendre à Ingvar en espérant qu'il nous épargne, Shaolan, moi et les autres ?
Elle ne répondit pas, déstabilisée par cette voix calme, où elle ne décela aucune once de colère. Sans ciller, Fye poursuivit :
– Je te comprends. J'aurais fait la même chose, il y a quelques années.
Chii sentit le sang s'accélérer dans ses veines.
– Il y a quelques années ? Je suis certaine que c'est encore ce que tu es en train de faire, à l'heure actuelle ! Tu me crois naïve à ce point-là ? Je sais bien que tu refuses de nous parler de ton plan, à ton père et à moi, parce qu'il comporte de gros risques. Tu ne trompes personne, Fye.
– Je prends des risques chaque jour depuis le début de mon voyage. Cela ne signifie pas que je me condamne à une mort certaine.
– Je ne te crois pas.
– Pourquoi ?
– Parce que … parce que tu es comme moi. Nous avons vécu les mêmes choses, tous les deux ! Tu as perdu Fye et j'ai perdu Freya, nous avons suscité le rejet et la convoitise à cause de nos pouvoirs. Nous sommes pareils.
– Tu crois me connaître, mais il y a de nombreuses facettes de moi que je ne t'ai pas montrées.
– Non, je te connais. Quand tu parles de ton passé, je vois l'expression de ton visage, je sais exactement ce que tu ressens. Je devine quelles pensées traversent ton esprit, comment tu réfléchis. Je suis certaine que tu veux te sacrifier pour nous protéger, pour me protéger d'Ingvar, mais …
Les mots s'étranglèrent dans la gorge de Chii.
– … mais tu es mon fils. Ce n'est pas à toi de faire ça. Pendant près de vingt ans, je n'ai pas été à tes côtés. J'ai été incapable de te protéger au moment où tu en avais le plus besoin, comme une mère le ferait.
– C'est du passé, à présent. Ça ne sert à rien de ressasser tout ça.
– Mais tu as vécu un enfer ! Ashura et Fei Wang Reed t'ont manipulé, trahi, ils t'ont plongé dans la solitude ! Malgré tout, tu as survécu, tu as rencontré des compagnons merveilleux et un homme que tu aimes … je ne te laisserai pas abandonner ce bonheur durement gagné.
– Je n'ai jamais dit que c'est ce que j'allais faire.
– Justement, tu n'as rien dit ! Tu crois me rassurer en me cachant la vérité ?
– Ce n'est pas ça …
– Ingvar attend que tu te rendes à lui, mais il souhaite également s'approprier mes pouvoirs. Il l'a toujours désiré, c'est à cause de lui que notre existence a basculé. Je suis aussi responsable que toi de la vie de Shaolan et de tous les innocents qui pourraient perdre leur âme à cause de ces maudits insectes. Je dois y aller.
Chii serra plus fortement les rênes et d'un mouvement sec, elle donna un coup de talons contre le flanc de sa monture. Le cheval partit au trot, ne distinguant le chemin qu'à la faible lueur de la boule de feu que Chii avait fait apparaître.
– Mère, reviens !
Fye secoua la tête, puis courut jusqu'à un autre cheval. Il le détacha, l'enfourcha à cru et se lança à la poursuite de Chii. Monter sans selle l'obligeait à se maintenir fermement avec ses jambes, ce qui ravivait la douleur de ses blessures au torse. Malgré tout, il accéléra la cadence ; sa mère était loin d'être une excellente cavalière, avec quelques d'efforts, il finirait la rattraper. Cependant, il ne s'attendait pas à ce qu'elle se retourne pour tracer des runes … et encore moins qu'elle les projette contre lui. Les lettres bleutées fusèrent dans sa direction, chargées de colère et de désespoir. S'il n'agissait pas vite, ce sortilège pouvait bien le désarçonner … À l'aide de deux doigts, il matérialisa un bouclier qui détourna le sort.
– Mère, arrête-toi !
– Laisse-moi !
Fye eut un claquement de langue : cette fois, cela suffisait. Il talonna sa monture, rattrapa Chii et se plaça en travers de sa route. Prise de court, l'ancienne reine tira sur ses rênes. Le cheval hennit, et pendant un instant, elle craignit que sa monture ne se cabre et la jette au sol. Elle adressa un regard furieux à Fye.
– Tu es fou !
– Si tu t'étais arrêtée par toi-même, je n'aurais pas eu à faire ça.
– Laisse-moi passer !
– Tu es persuadée que ton sacrifice résoudra tout, n'est-ce pas ? Tu crois qu'Ingvar se contentera de te faire prisonnière, et qu'il renoncera à mes pouvoirs ?
– Je négocierai avec lui !
– Tu crois ça ? Tu es vraiment naïve. Tu affirmes savoir de quelle façon je pense, mais en cet instant, c'est moi qui te comprends mieux que tu ne comprends toi-même. Tu es prête à donner ta vie, car tu penses que c'est la seule solution pour me sauver et sauver Shaolan. Avant, je pensais comme toi. Mon frère s'est sacrifié pour moi, alors j'estimais n'avoir pas le droit de vivre. J'étais persuadé que ma mort, si elle pouvait aider quelqu'un, était la meilleure chose que je puisse faire après avoir créé tant de malheurs autour de moi. Shaolan, Sakura, Mokona et surtout Kurogane m'ont appris à voir les choses autrement. Kurogane m'a fait comprendre que se battre est toujours plus admirable que de se sacrifier, car dans le sacrifice, il y a toujours une part d'égoïsme. C'est facile de renoncer à la vie, plus facile que de lutter. Mais on laisse toujours des gens derrière soi, auxquels on impose sa disparition. Tu dis que tu veux me protéger, comme si j'étais le seul être qui comptait à tes yeux. As-tu seulement pensé à ce père ressentirait, si tu venais à mourir ?
Chii cilla, sa gorge se noua, ses mains tressaillirent. Elle fixa longuement Fye, la poitrine serrée de regrets.
– Tu es mon enfant, mais je n'ai pas pu être une mère pour toi. Je dois me racheter.
– Je ne suis plus ton enfant.
Chii sursauta, son cœur s'arrêta.
– Je suis ton fils, mais je suis un homme. Un adulte, comme toi.
Chii cligna des yeux, entendit son cœur se remettre à battre sourdement. Elle observa Fye, et pour la première fois, ses yeux bleus lui parurent légèrement différents des siens. Proches, mais différents … Fye avait raison. Sur bien des aspects, ils se ressemblaient, mais leurs vies avaient fait d'eux des êtres distincts, qui réagissaient différemment à l'adversité. Fye s'aperçut du changement dans son regard et un sourire doux étira ses lèvres.
– Le destin et les distorsions temporelles nous ont joué bien assez de tours comme ça, tu ne crois pas ? Tu n'as plus à te considérer comme une mère qui protège son enfant, et je n'ai pas à me reposer sur toi. Je veux que nous soyons simplement des membres d'une famille, que nous nous soutenions comme une équipe. Aucune de nos deux vies n'est plus précieuse que l'autre. C'est pour cela que je ne te laisserai pas partir.
Le nœud qui s'était formé dans la gorge de Chii se resserra plus encore, jusqu'à tordre la corde de son cœur. Les larmes qu'elle avait retenues perlèrent à ses paupières. Elle tenta une dernière fois de les retenir, mais elles coulèrent sur ses joues.
– Tu es plus sage que moi, Fye.
– Parce que j'ai trébuché plus que toi.
Ils se sourirent.
– Rentrons au campement, lui proposa Fye. Réveillons père, Kurogane et Mokona. Je vous expliquerai mon plan.
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Du bout du pied, Sakura tâta la direction que prenait le chemin rocailleux : sa botte heurta un rocher sur sa gauche. Elle plissa les yeux, devina vaguement un virage en épingle à cheveu sur la droite, et le suivit à pas lents. Dans la nuit noire, il lui était impossible de distinguer la fin de la falaise, mais le bruit accru des vagues lui indiquait qu'elle se rapprochait de la plage.
La jeune fille avait atteint la côte en fin de journée ; elle avait reconnu le paysage grâce à l'échange de vision auquel elle avait procédé avec Shaolan, avant que celui-ci n'atteigne le repaire d'Ingvar. Elle avait immédiatement aperçu la forteresse de leur ennemi, dressée sur une île à quelques encablures du rivage. Il fallait sans doute moins d'une heure de traversée pour l'atteindre. Prudente, elle était demeurée sous le couvert de la forêt pour réaliser ses observations, car depuis leur chemin de ronde, les soldats d'Ingvar distinguaient sûrement le moindre mouvement sur la côte.
Elle avait patiemment attendu la nuit pour émerger du bois et entamer la descente des falaises. Elle avait trouvé un chemin qui paraissait mener à la plage, et sans la moindre torche, presque à l'aveugle, elle l'avait suivi. La pénombre ne facilitait pas sa progression, d'autant qu'aucune lune ne brillait au-dessus d'elle. C'était sans doute mieux comme cela. Sous les rayons blafards de l'astre, elle aurait peut-être été repérée par les soldats d'Ingvar. Son pied s'enfonça dans une matière molle et fraîche, qui crissa sous son pas. Du sable ! Elle avait enfin atteint la plage ! Méfiante, elle trouva un rocher derrière lequel se dissimuler et jeta un œil en direction de l'île d'Ingvar : la forteresse, éclairée par des centaines de torches, surveillait de ses tours enflammées l'ensemble de la baie.
Elle touchait au but. Quelques part dans cette place-forte, Shaolan était retenu prisonnier. Que devait-elle faire ? Attendre Fye et Kurogane ? Tenter d'approcher l'île ? La nuit lui offrait une certaine protection, mais était-ce une bonne idée que d'essayer de s'introduire seule dans la forteresse d'Ingvar ? Rapidement, elle échangea sa vision avec Fye : le magicien était assis autour d'un feu de camp avec Kurogane, Mokona, Chii et Hideki. Ils s'étaient arrêtés pour la nuit, ils ne reprendraient leur route que le lendemain. Sakura rompit le sortilège et reporta son regard vers l'île. Si elle attendait ses amis, ils pourraient unir leurs forces. Toutefois, pendant ce temps-là, Shaolan demeurait prisonnier d'Ingvar. La seule pensée que les sbires du sorcier puissent lui faire encore plus de mal la terrifiait. Si elle réussissait à s'infiltrer seule dans la forteresse, elle attirerait moins l'attention.
Elle sortit son dé de sa poche : l'un des sortilèges qu'il contenait lui permettrait de libérer de Shaolan de sa prison. Encore devait-elle parvenir jusqu'à lui. Selon les informations que Watanuki lui avait transmises, le jeune homme se trouvait quelque part dans les bas-fonds du château, sous la salle des gardes. Comment atteindre l'île ? La mer, légèrement plus chaude que l'air ambiant, ne devait pas excéder les dix degrés. Impossible de traverser à la nage dans ces conditions …
À cet instant, un bruit sourd fit sursauter la princesse. Par réflexe, elle se cacha plus soigneusement derrière son rocher et retint son souffle. Le bruit recommença à intervalle régulier, jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'il ne s'agissait pas d'un son humain. On aurait dit un objet en bois qui se cognait à chaque reflux des vagues … Elle jeta un œil prudemment hors du rocher : elle ne perçut aucune présence. Elle sortit de sa cachette et suivit le son. La mer, à un endroit de la plage, remontait jusqu'aux falaises pour se fracasser contre le calcaire. La princesse avança dans cette direction et découvrit une caverne, à l'intérieur de laquelle l'eau entrait. Attachés à poteaux d'amarrage, les coques de trois barques heurtaient la roche à chaque remontée des vagues.
– Des bateaux …
Sans doute utilisés par les soldats d'Ingvar pour rejoindre l'île de leur maître. Elle créa une petite boule de feu et s'approcha des embarcations. Elle tâta le bois, la coque, les rames : ils avaient l'air solides. Elle se retourna et observa de nouveau l'île d'Ingvar, au loin ; elle avait une chance d'y parvenir. La nuit noire jouerait en sa faveur, car elle dissimulerait l'approche de sa barque jusqu'à entrer dans le champ illuminé par les torches de la forteresse. Là, elle devrait terminer à la nage. Si elle ne restait pas trop longtemps dans l'eau, elle pouvait s'en sortir.
Une fois la forteresse atteinte, un problème demeurait. Pour être en mesure d'utiliser son dé magique, elle lui fallait neutraliser le kekkai d'Ingvar. Son dé contenait un sortilège capable d'annihiler la magie d'un autre, mais suffirait-il à briser la défense de leur ennemi ? Elle l'ignorait. Par ailleurs, dès qu'elle recourrait à sa magie, Ingvar détecterait sa présence. Si seulement elle pouvait masquer son aura ! Hélas, elle ne possédait pas ce pouvoir …
Un cri aigu la fit brusquement lever la tête. Dans le ciel chargé de nuages ternes, elle discerna des créatures légèrement phosphorescentes, pourvues de tentacules. Les insectes d'Ingvar ! À la longueur de leurs ailes déployées, la jeune fille devina qu'ils transportaient une âme dérobée à des innocents.
L'un d'eux, ralentit sa course et plana une brève seconde au-dessus d'elle. Il l'avait repérée ! Sakura recula vers la falaise, effrayée. La bête piqua dans sa direction, tentacules tendus vers elle. Sakura s'empara de son boomerang : pourquoi cet insecte l'attaquait-il, s'il transportait déjà une âme ? Avec son corps bleu luminescent et ses mouvements erratiques, il allait attirer l'attention des gardes de la forteresse ! Elle ne devait surtout pas être repérée, ou tout serait fichu. D'un mouvement précis, elle lança son boomerang. Son coup porta et la bête, fauchée en plein vol, s'effondra sur la plage en criaillant. Un filet de fumée s'en échappa, parcouru de reflets irisés. L'âme dérobée à un être humain s'en éleva et monta vers les cieux. Dieux de Clow, faîtes qu'elle retrouve son propriétaire, pria Sakura. Elle courut jusqu'à l'insecte, sortit son dé de sa poche. Elle devait agir vite, car un simple coup de boomerang ne suffisait pas à détruire cette bestiole, elle le savait. Elle lança le dé dans les airs :
– Quatre, néant !
Les quatre points de son dé s'illuminèrent, le sortilège s'échappa et enveloppa l'insecte. Celui-ci se tordit en gémissant, résista, grogna, cracha, mais la magie vint à bout de lui. Il se liquéfia, ne laissant derrière lui qu'une flaque visqueuse et bleutée.
Sakura reprit lentement son souffle : elle l'avait échappé belle. Un peu plus, et cette chose signalait sa position aux gardes de la forteresse. Elle s'agenouilla près de la masse gélatineuse et l'observa avec répulsion. Des centaines de créatures semblables devaient pulluler dans le repaire d'Ingvar. Leur ennemi en générait des centaines, sans compter le kekkai qui protégeait sa forteresse et qu'il maintenait en permanence. Sa magie était vraiment puissante …
Sakura s'immobilisa. Les insectes … Ingvar les créait grâce à ses pouvoirs. Cela signifiait que ces créatures possédaient l'empreinte magique de leur créateur. Et si … ?
Elle ramassa un peu de masse gélatineuse de l'insecte mort, en badigeonna sa main gauche. Ses yeux s'écarquillèrent : par-dessus sa propre aura, d'un rose légèrement nacrée, une aura rémanente d'un vert froid venait de se superposer.
Les insectes portaient en eux l'identité magique d'Ingvar. Grâce à celui qu'elle avait tué, elle pouvait masquer son aura et utiliser son dé magique à l'intérieur de la forteresse sans révéler sa présence à Ingvar. Elle recueillit davantage de masse gélatineuse et s'en passa sur les jambes, le buste, le dos, les bras … elle réfréna un sentiment de dégoût au moment d'en passer sur son visage et ses cheveux. Elle devait camoufler entièrement son aura. Lorsqu'elle se fut complètement enduite, elle revint dans le renfoncement de la falaise, où les bateaux cahotaient toujours. Elle en détacha un, le tira hors de la caverne et embarqua. À l'aide d'une rame, elle poussa depuis la berge et pour atteindre la mer. Là, elle se saisit de ses deux rames et se mit en route. Au-dessus d'elle, les nuages éclipsaient toujours la lune. Elle devait se hâter.
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– Voilà, vous savez tout.
Assis en tailleur aux côtés de Kurogane et de ses parents, Fye venait d'achever de leur exposer sa stratégie. Les anciens souverains le fixèrent, graves.
– Il y a beaucoup d'inconnues, dans ce plan, souligna Hideki.
– Nous ne connaissons la forteresse d'Ingvar que grâce aux éléments que Shaolan a transmis à Watanuki, je ne peux pas parer à toutes les éventualités.
– Cela peut marcher, dit Chii avec détermination. Il faut que nous soyons dans les temps, mais aussi que nous ayons de la chance. Tu peux compter sur nous, Fye.
– Sur Mokona aussi ! acquiesça leur petit compagnon avec détermination.
– Dans ce cas, dormons quelques heures, puis mettons-nous en route. Nous devons arriver sur le rivage avant l'aube.
Tous acquiescèrent et retournèrent s'allonger sous leur couverture. Kurogane attendit que Fye se couche non loin de lui et que le silence soit retombé sur la yourte pour prendre la parole. D'une voix si basse que seul son compagnon put l'entendre, il murmura :
– Je pensais que tu étais prêt à leur révéler ton plan, mais tu as omis le plus important.
Fye eut un sourire fataliste.
– J'ai dit à ma mère que je voulais que nous agissions comme des adultes sur un pied d'égalité, mais … ma magie est plus puissante que la sienne. De plus, je sais mieux que me battre que mon père. Être plus fort qu'eux me donne des responsabilités. Même s'ils nous apportent leur aide, je les protégerai.
– Et moi ?
– Quoi ?
– À moi, tu as dit toute la vérité.
– Parce que j'ai besoin de toi pour mener à bien mon plan.
– Seulement pour ça ?
– Bien-sûr que non, Kuro-chan. Parce que j'ai confiance en toi. Et parce que je t'aime.
Le rouge monta aux joues de Kurogane avant même qu'il ne s'en rende compte. Fye l'aimait … Il le savait, le mage le lui avait déjà prouvé par le baiser qu'il lui avait donné dans la montagne, mais l'entendre le dire n'en fit pas moins battre son cœur plus fort. Lui aussi, il l'aimait. Il ne voulait pas le perdre. Rien qu'à songer à l'épreuve qui les attendait le lendemain, ses entrailles se tordaient.
– J'espère que ton plan va marcher.
– Oui, j'espère aussi.
Fye tendit le bras vers Kurogane et chercha la main du guerrier sous les couvertures. Sa main droite, celle de chair et d'os. Ses doigts s'entremêlèrent avec les siens. Loin de se dérober, Kurogane serra plus fort sa main dans la sienne. Par ce geste, chacun d'eux cherchait à se donner du courage, mais aussi à affermir la volonté de l'autre. Ils ne pouvait plus reculer.
