Nuit D'automne
19H29. Les rues étaient vides, et la nuit aussi noire que l'ébène. La pluie tombait depuis plusieurs heures maintenant, incitant les habitants de New-York à rester bien à l'abri de leur domicile. Le vent de l'automne faisait voler les feuilles mortes, et la lueur des lampadaires se reflétait sur le sol mouillé. Les rares voitures qui s'aventuraient sur l'avenue peu fréquentée éclaboussaient au passage les trottoirs déjà trempés. Seules les devantures colorées des quelques commerces présents apportaient un peu de chaleur à un tableau bien morne.
Assis dans l'habitacle de son véhicule, emmitouflé dans son manteau et la peau de son visage agressée par la chaleur sèche de l'air conditionné, Katsuki attendait. Cela faisait à peine quelques minutes qu'il était garé, mais il avait l'impression qu'une éternité était déjà passée. Rien n'arrivait vraiment à l'occuper. Rapidement agacé par les grésillements de sa radio, il avait préféré la couper. Son téléphone, quant à lui, n'avait pas retenu son attention plus de quelques secondes. Alors, il avait essayé d'observer ce qui se passait à travers la devanture, de l'autre côté de la rue. La lumière tamisée de l'établissement inondait le trottoir, faisant étinceler l'asphalte mouillé comme s'il était incrusté de minuscules étoiles. À l'intérieur, tout semblait très calme, et s'il n'avait pas vu un client y entrer quelques instants plus tôt, il l'aurait certainement cru vide. Juste au-dessus de la vitre, dans un lettrage italique, il pouvait déchiffrer le nom de l'établissement éclairé par quelques ampoules usées par les années. Toshi's Jazz Coffee.
Tapant doucement ses pieds contre la moquette, Katsuki ne tenait plus. La journée qu'il venait de passer sur la route avait été particulièrement longue. Pourtant, il ne sentait aucun des effets de la fatigue. Sans doute était-ce dû à l'adrénaline qui lui retournait le ventre depuis l'aube. Le cœur gorgé d'excitation, il n'avait pu se départir du léger sourire qui s'était installé sur le bord de ses lèvres. Voilà maintenant sept mois qu'il attendait ce moment avec impatience, et le temps avait paru s'allonger chaque jour. Et c'était pire maintenant qu'il ne lui restait qu'une poignée de minutes à affronter : les secondes semblaient prendre des allures d'éternité, le poussant un peu plus chaque instant à se montrer déraisonnable. Après tout, il ne perdrait rien à finalement entrer dans le café, plutôt que d'attendre dans cet espace qui lui paraissait de plus en plus étriqué.
19H36. Il aurait de l'avance. Tant pis. Il ne pouvait plus rester là. La patience n'avait jamais été la plus grande de ses qualités de toute façon. Quittant sa voiture, il claqua la portière derrière lui avant d'appuyer sur sa clé pour la verrouiller. Ignorant les gouttes qui s'écrasaient sur sa tête, il traversa la route en quelques enjambées, les mains dans les poches et le nez enfoncé dans son écharpe. Puis, s'arrêtant devant la porte vitrée dont la peinture rouge de l'encadrement en bois était écaillée, il baissa ses yeux sur la poignée dorée qu'il saisit doucement d'une main légèrement tremblante. Ce n'était pas la première fois qu'il entrait ici, et ce ne serait sûrement pas la dernière. Pourtant, comme à chaque fois qu'il s'absentait pendant quelques temps, il ne pouvait empêcher l'angoisse de le tirailler au moment de s'y faufiler. Parce que même si d'apparence rien ne semblait avoir changé, il appréhendait toujours un peu que ce moment ne se passe pas comme il l'avait imaginé.
Cet endroit était un peu comme sa deuxième maison, le témoin de moments de sa vie pour lesquels il avait une affection toute particulière. Il se souvenait encore parfaitement de la première fois où il y avait mis les pieds. C'était un soir exactement comme celui-ci. Il s'était fait surprendre par la pluie alors qu'il rentrait chez lui. Alors, pour éviter d'être trempé, il avait décidé de s'arrêter prendre une boisson chaude en attendant que l'averse s'estompe. Ce n'était pourtant pas vraiment le type d'établissement qu'il aimait fréquenter à cette époque, certainement trop immature pour en apprécier l'ambiance. Mais la météo l'avait poussé à y entrer et il ne l'avait plus jamais quitté. S'il ne se souvenait pas de ce qu'il avait commandé ce jour-là, il pouvait encore sentir la douce douleur qui avait envahi son cœur d'adolescent. Cet élancement si puissant qu'il ressentait encore aujourd'hui, à chaque fois que ses yeux s'accrochaient à ceux de celui, qui depuis, partageait sa vie.
Debout juste derrière le bar, un jeune homme d'à peu près son âge l'avait accueilli avec le sourire le plus éclatant qui lui avait été donné de voir. Ils n'avaient pas spécialement discuté, Katsuki l'avait laissé travailler, mais il n'avait pu s'empêcher de l'observer, complètement captivé. Il avait presque perdu tous ses moyens quand, après qu'il eut fait preuve d'un peu trop d'indiscrétion, le garçon avait plongé ses yeux dans les siens, un léger sourire en coin. Fasciné par la nuée de sensations que lui avait provoqué cet échange, il avait été incapable de le sortir de ses pensées. Alors, après avoir passé près d'une semaine à hésiter, il s'était décidé à y retourner. Une fois, puis deux, puis chaque soir, espérant le revoir. Après plusieurs tentatives échouées, il avait bien failli abandonner. C'était lors d'un mercredi après-midi, alors qu'il passait par là avec sa bande d'amis, qu'il le revit. À travers la grande baie vitrée, il avait repéré la couleur si particulière de ses cheveux ondulés. Sans plus d'explications, il avait délaissé ses camarades et était entré. Contrairement à la première fois, il était installé à une table, accompagné d'un chocolat chaud à moitié entamé, entouré de livres et de cahiers, concentré à étudier. Le coeur battant à une vitesse folle, Katsuki avait bien failli reculer. Il n'était pas vraiment du genre à beaucoup se mélanger aux autres et ne savait pas tellement comment s'y prendre pour l'aborder. Et puis il ne voulait pas non plus le déranger et prendre le risque de se faire rembarrer. Pourtant, sans savoir par quelle audace il avait été poussé, après avoir récupéré sa consommation, il s'était planté devant sa table avant de lui demander s'il pouvait prendre place à ses côtés. L'adolescent avait lentement redressé la tête de ses notes, et l'avait observé pendant quelques instants, surpris par sa demande et sans doute un peu intimidé. Puis d'un léger hochement de tête, il avait accepté. Mal à l'aise et ne sachant pas trop quoi dire, ils s'étaient dévisagés pendant un petit moment, laissant le silence s'installer.
– Hum … tu t'appelles comment ? avait finalement demandé Katsuki, de but en blanc.
– Euh… Izuku, avait répondu l'autre qui semblait toujours aussi intrigué.
À l'entente de sa voix, Katsuki avait alors senti une agréable chaleur envahir sa poitrine. "Izuku". Son prénom avait raisonné tel un écho dans tout son corps, se répercutant contre ses os et se gravant en lui, comme la plus jolie des mélodies.
– Katsuki, avait-il simplement répondu en se mordant l'intérieur de la joue, faisant son possible pour garder le contrôle de ses réactions.
– Enchanté, Katsuki.
Un sourire franc avait alors illuminé le visage d'Izuku, et Katsuki était certain que son cœur avait loupé quelques battements. L'agréable chaleur s'était transformée en véritable brasier et il fut bien incapable d'empêcher ses lèvres de s'étirer, imitant celles de celui qui lui faisait face. Jamais son prénom ne lui avait paru aussi doux à l'oreille et s'il ne savait dire pourquoi, il savait qu'il aimait ça. Sans doute trop jeune ou encore un peu trop innocent, il n'avait pas tout de suite compris ce qui était en train de se construire à l'intérieur de lui.
Si leurs premiers échanges avaient été un peu timides et maladroits, bien rapidement toute sensation de gêne s'était envolée. Comme si leurs âmes avaient toujours été connectées, il y avait eu ce petit quelque chose qui les avait si rapidement liés. Et c'était ainsi que leur amitié était née. Depuis, Katsuki venait le retrouver dans ce café dès que l'occasion se présentait. L'établissement appartenait à celui qu'Izuku considérait comme son propre père, alors qu'ils n'avaient aucun lien de parenté. Et c'était pour ça qu'il lui arrivait d'y travailler. Il était heureux de rendre service, et le métier lui plaisait.
Bien que différents, ils étaient particulièrement bien ensemble. Personne n'avait jamais été capable de calmer les crises de colère de Katsuki comme Izuku pouvait le faire. Et quand les angoisses s'invitaient chez son ami, c'était tout naturellement que le blond l'aidait à ne pas perdre pied. Même s'il avaient eu quelques disputes, souvent à cause du tempérament trop ardent de Katsuki, ils n'étaient jamais restés bien longtemps éloignés.
C'était ainsi que les années avaient commencé à passer. Et en grandissant, Katsuki avait bien vite compris qu'il ne s'agissait pas d'une simple amitié. C'était autre chose de bien plus grand, bien plus fort. Ça l'empêchait de dormir parfois, lui rongeait les côtes et lui griffait le cœur. C'était agréable, et pourtant, ça lui faisait mal. Mais mettre des mots sur ce qu'il ressentait lui avait alors semblé bien trop dangereux. Il avait peur de le faire fuir, de le voir partir. Alors il avait essayé de garder ses sentiments bien cachés, enfermés dans une boîte au fond de sa poitrine. Il avait naïvement pensé pouvoir se contenter de ce qu'il avait, ne supportant pas l'idée de pouvoir tout détruire.
C'était lors de sa deuxième année d'université qu'il avait fini par se déclarer. Après qu'il ait sans doute fait la plus grosse crise de jalousie de toute sa vie. Tandis qu'il suivait ses cours pour intégrer une branche de la police, Izuku, lui, avait rejoint une fac de lettres en attendant de reprendre le commerce de Toshinori. Il y avait rencontré cette fille, Ochako, avec qui il s'entendait particulièrement bien. Et si au début Katsuki avait réussi à tolérer en entendre parler, il avait commencé à déchanter quand ils avaient été présentés. Il n'avait pas vraiment apprécié qu'il la ramène au café. C'était leur endroit à eux, et il n'avait pas envie de le partager. Il s'était senti bafoué, affreusement mis de côté, alors, il avait tiré la tronche toute l'après-midi et quand Ochako était partie, Izuku l'avait engueulé. Ça non plus il ne l'avait pas supporté et ses émotions avaient explosé. Aveuglé par la douleur, Katsuki avait déchargé sur son ami toute la haine qu'il avait pour ce monde, et c'est après qu'il ai sorti la phrase de trop qu'Izuku avait fini par le gifler. Il le savait, il l'avait mérité. À peine le coup avait-il été porté qu'il s'était calmé. Et en comprenant ce qui venait de se passer, il avait senti son coeur s'émietter
– Tu comprends pas que je t'aime ? lui avait-il alors soufflé, au bord du gouffre.
Surpris par la déclaration, Izuku avait plaqué sa main sur sa bouche tout en écarquillant ses yeux. Ces derniers s'étaient aussitôt embués de larmes, et il s'était jeté au cou de Katsuki qui ne comprenait plus rien. Il l'avait serré fort contre lui, s'en voulant affreusement de l'avoir mis dans cet état. Il détestait le voir pleurer, encore plus quand c'était de sa faute. Puis entre deux sanglots, il l'avait entendu murmurer:
– Moi aussi je t'aime, Kacchan. Depuis le premier jour.
Ça, ça l'avait tout autant bouleversé que soulagé. Ne sachant plus comment gérer ce trop plein d'émotions qui l'avait assailli, il avait accentué son étreinte, s'agrippant à lui avec la force du désespoir, enfouissant son nez dans son cou, et pleurant à son tour pour laisser s'échapper toute la détresse qui l'avait habité ces dernières années. Ils étaient restés un petit moment, ainsi, à se cajoler pour se réconforter, se promettant silencieusement de ne plus jamais rien se cacher. Puis, quand leurs larmes furent calmées, Katsuki s'était légèrement reculé. Juste assez pour poser son front contre celui d'Izuku. Et après avoir délicatement caressé sa joue, il avait effleuré ses lèvres des siennes avec toute la douceur dont il était capable. Un long frisson l'avait traversé, mais n'était rien par rapport au moment où Izuku avait accentué le baiser. Il en avait tellement rêvé, et pourtant ce fut meilleur que tout ce qu'il avait imaginé.
Et, pas moins de huit ans plus tard, ils en étaient là. Fiancés et propriétaires d'un soixante-dix mètres carrés sur les toits new-yorkais. Izuku travaillait dans le café, qui maintenant était le sien, et Katsuki, quant à lui, avait intégré les services secrets. Et c'était peut-être la seule chose qui pêchait. Parce que même s'il avait la satisfaction de suivre son rêve d'enfant, il avait de plus en plus de mal à partir sur ses missions qui se montraient parfois affreusement longues. Encore cette année, il avait passé plus de temps à l'étranger qu'à vivre auprès de celui qu'il aimait. Et ça commençait à lui peser. Il lui arrivait parfois de ne pas pouvoir communiquer avec lui comme il le désirait, exactement comme pendant ces sept derniers mois, ou il avait été infiltré. Et c'était tout aussi frustrant qu'angoissant. Même s'il arrivait à avoir des nouvelles de temps en temps, il ne pouvait s'empêcher de se demander si tout allait bien de son côté et s'en voulait affreusement de ne pas être avec lui dans toutes les étapes de sa vie.
Il savait que pour Izuku aussi, supporter ses départs lui était de plus en plus compliqué. Il vivait sans aucun doute avec la peur au ventre qu'il lui revienne blessé ou pire encore, qu'il ne revienne jamais. Après tout, son métier n'était pas sans risques. Même s'il cherchait à le cacher, Katsuki voyait ses yeux pleins de larmes à chaque fois qu'un nouvel ordre d'affectation lui était annoncé, et ça lui brisait le cœur de le laisser. C'était aussi pour ça qu'il appréhendait chaque retour. Parce que même s'il savait qu'Izuku l'aimait de tout son cœur, la distance avait le pouvoir de tout balayer. À tout moment, il pouvait se dire qu'il valait mieux qu'un fiancé aux abonnés absents, qu'il n'en pouvait plus des au revoirs déchirants et qu'il voulait vivre sa vie autrement.
19H38. Inspirant un grand coup, Katsuki poussa finalement la porte, faisant tinter de la petite cloche signalant l'entrée d'un nouveau client. Alors qu'il se glissait à l'intérieur de l'établissement, l'ambiance chaleureuse et familière l'enveloppa comme un cocon. Les teintes chaudes du mobilier en bois et du velours rouge donnaient une certaine intimité à l'espace. La lumière était plutôt douce et la petite musique jazzy en fond sonore avait ce petit quelque chose qu'il trouvait apaisant. Laissant traîner son regard un bref instant sur la salle qui semblait avoir été figée dans le temps, il remarqua le client assis à une table du fond et un autre installé au bar. Cependant, son attention se porta directement sur la personne qui venait de sortir de l'arrière-boutique. Légèrement tendu, Katsuki resta planté devant l'entrée, attendant de voir ses réactions. Leurs yeux se trouvèrent naturellement pendant qu'Izuku s'avançait derrière son comptoir. Et si ce dernier se figea un instant sous l'effet de la surprise, la poitrine de Katsuki se gonfla de soulagement quand il le vit se mordre la lèvre inférieure, pour retenir un trop grand sourire. Ses magnifiques prunelles s'étaient mises à briller de mille feux, et Katsuki se sentit fondre devant ce spectacle qu'il trouvait à chaque fois incroyable. Définitivement, rien ne semblait avoir changé. À son tour, il s'avança d'un pas mesuré vers le bar, un sourire en coin, faisant tout son possible, pour prendre un air détaché et ignorer la déferlante d'émotions qui lui retournait les entrailles. Ils n'étaient pas seuls dans le café et même s'ils n'avaient jamais eu de problème à montrer qu'ils s'aimaient, il semblait tout indiqué qu'il était préférable d'attendre que l'établissement soit fermé pour laisser leurs cœurs s'exprimer. Quand enfin Katsuki fut arrivé à sa hauteur, Izuku se pencha légèrement vers l'avant, appuyant ses avants bras sur le comptoir dans une attitude quelque peu désinvolte.
– Je vous sers quelque chose ? lui demanda-t-il, faussement innocent.
La voix d'Izuku s'infiltra dans tout son corps, provoquant sur son passage une myriade d'agréables picotements sous sa peau. La tension monta d'un cran et les lèvres de Katsuki s'étirèrent en un plus large sourire. Bordel, ce qu'il lui avait manqué!
– Un café noir, s'il vous plait, lui répondit-il en le caressant du regard, suivant des yeux les petites constellations que formaient ses taches de rousseur sur ses joues.
– Est-ce bien raisonnable à une heure pareille ?
Izuku se pencha un peu plus au-dessus du bar, un brin provocateur, et Katsuki suivit alors le mouvement, amenuisant à son tour l'espace qui les séparait. Il était clair que ce comportement n'avait rien de très commerçant, et n'importe qui les ayant observés aurait compris avec facilité ce qui était en train de se jouer. Leur petit manège n'avait rien de très discret. L'air semblait s'être chargé d'électricité et Katsuki avait affreusement envie de combler le peu de distance qui les séparait. Mais ce petit jeu de séduction lui plaisait, ce n'était pas la première fois qu'ils s'y adonnaient et c'était un peu comme s'ils se redécouvraient.
– J'ai l'intention de rester éveiller toute la nuit, assura-t-il, baissant sa voix et son regard se fixant de plus en plus aux lèvres tentatrices d'Izuku.
Il ne manqua rien des réactions du jeune homme, qui attisèrent un peu plus la chaleur qui commençait à se répandre dans ses veines. Son corps s'était imperceptiblement tendu quand il comprit l'allusion qui venait de lui être faite et Katsuki put admirer la légère dilatation de ses pupilles, assombrissant son regard de désir.
– Oh, je vois, souffla-t-il, Je vous sers ça tout de suite.
Bien qu'il ne l'ai pas tout de suite quitté du regard et se soit redressé d'une manière exagérément lente, dans l'optique de se montrer particulièrement enjôleur, Katsuki devina parfaitement qu'Izuku avait saisi l'occasion pour s'échapper. Si son amant adorait initier ce genre d'interaction entre eux, il s'en trouvait bien souvent déstabilisé le premier. Ainsi, s'il ne voulait pas perdre à son propre jeu, il avait tout intérêt à opter pour un retrait stratégique, le temps de se reprendre.
Katsuki pouvait voir rien qu'à sa façon de trépigner devant sa machine à café, qu'il était déjà complètement retourné. Ses gestes semblaient un peu moins assurés et efficaces qu'à l'accoutumée, et il n'arrêtait pas de se mordiller la lèvre inférieure tout en se balançant légèrement d'un pied à l'autre. Aussi, devait-il sentir le regard brûlant de Katsuki sur lui, qui le lorgnait sans chercher à se faire discret. Ce qui, sans aucun doute, l'empêchait de retrouver un semblant de calme et la maîtrise de ses émotions débordantes. Il ne semblait pas savoir, non plus, où poser ses yeux, les gardant bien en l'air, comme s'il examinait les ardoises où étaient affichés les prix des diverses consommations, qu'il connaissait par cœur.
Le blond ria intérieurement. Le voir se dandiner ainsi était quelque chose qui l'amusait tout particulièrement. Rien ne pouvait lui apporter plus de satisfaction que d'avoir le contrôle sur la situation. Ça avait toujours été un peu comme ça entre eux. Izuku se faisait un peu provocateur, puis finissait complètement ébranlé par l'assurance dont pouvait faire preuve Katsuki. Et ça avait le don de faire gonfler l'ego de ce dernier. Il aimait le voir rougir sous une réplique bien placée ou, se tortiller devant l'un de ses regards appuyés. Ça le faisait jubiler.
Quand la tasse se trouva enfin remplie de café, Izuku ferma les yeux un bref instant. Juste le temps de prendre une inspiration suffisante pour que tout puisse reprendre sa place dans sa poitrine. Puis, redressant ses épaules, il se para de son plus beau sourire, prêt à reprendre la partie. Sans un mot, il déposa doucement sa commande devant Katsuki, ancrant un peu plus solidement son regard au sien. Puis, dans un geste tout à fait calculé, il frôla délicatement les doigts de son fiancé quand celui-ci voulut se saisir de sa boisson chaude.
À cette simple caresse, Katsuki senti un long frisson le traverser, partant du bas de son dos et remontant jusque dans sa nuque, si bien qu'il fit son possible pour ne pas fermer ses yeux sous l'agréable sensation. Même s'il semblait ne pas avoir cillé une seule seconde, il luttait contre lui-même pour ne pas attraper cette main baladeuse afin d'entrelacer leurs doigts. Il s'imaginait déjà les porter à ses lèvres pour y déposer une pluie de baisers, et ça, Izuku semblait l'avoir compris. Après tout, son regard rubis en disait long, incapable de garder secret tout ce qui le traversait. De nouveau, Izuku s'affaissa sur le comptoir, afin de se rapprocher un peu plus de Katsuki, un nouvel éclat scintillant au fond de ses pupilles.
– Vous êtes du coin ? Il ne me semble pas vous avoir déjà vu entrer ici. lui demanda-t-il tout en reposant son menton au creux de sa main, le dévisageant d'un air rieur.
Relevant un sourcil amusé devant cette soudaine reprise de confiance, Katsuki refusa cependant de le laisser mener la danse. Ainsi, il comptait bien lui faire ravaler toute son impertinence.
– Non, mais on m'a dit que je trouverais ici le meilleur café de la région. Et… continua-t-il en se penchant à son oreille, sans aucun doute le barman le plus canon.
Comme s'il venait de se brûler, Izuku sursauta légèrement, se reculant de quelques centimètres. Le rouge lui monta instantanément aux joues, faisant d'autant plus ressortir ses tâches de rousseur et Katsuki fut satisfait de son petit effet. Il adorait voir son visage s'empourprer, autant de gêne que de plaisir, quand il lui faisait savoir qu'il le trouvait magnifique. Il avait beau lui avoir répété un nombre incalculable de fois durant toutes ces années, jamais Izuku ne semblait s'y habituer.
Tous les deux se fixèrent, un court instant, le sourire aux lèvres et les yeux brillants, avant que le jeune homme au regard vert ne se mette à rire de bon cœur. L'éclat cristallin se répandit dans les airs et le cœur de Katsuki se mit à vibrer à l'entente de ces délicieuses notes. Il ne vivait que pour ça; voir l'allégresse se peindre sur son visage d'ange. Face à cette vision divine, il eut l'impression de connaître une véritable renaissance. Comme si sa vie s'était arrêtée au moment où il l'avait quitté et qu'enfin il pouvait reprendre le fil de son existence. Alors, complètement apaisé, il se laissa à son tour aller, le suivant dans sa joie, quitte à ignorer le fait qu'ils n'étaient pas seuls dans l'établissement.
– Tu m'as manqué, Kacchan, finit par dire Izuku, en essuyant une larme qui avait commencé à perler au coin de son œil.
– Toi aussi tu m'as manqué, Deku, lui répondit-il toujours aussi subjugué par le magnifique spectacle qui lui était offert.
Et Dieu seul savait à quel point cette affirmation était vraie. Plus les missions défilaient, plus la présence d'Izuku lui manquait. Ce n'était pourtant pas faute d'être monstrueusement occupé pendant ces périodes où il avait du travail par-dessus la tête. Mais,, loin de lui, il ne se sentait pas à sa place, comme s'il était une bulle d'oxygène indispensable à son équilibre, il avait besoin de le voir évoluer et rayonner à ses côtés pour se sentir entier.
– Je ferme bientôt, tu restes ? lui demanda Izuku, le moment d'euphorie passé.
– Ouais, ouais je reste. Ou veux tu que j'aille de toute façon ?
Izuku haussa les épaules tout en souriant, dans une attitude qui lui donna un air de gamin innocent. Lui qui faisait déjà bien plus jeune que son âge, il était impossible d'imaginer qu'il approchait de la trentaine lorsqu'il affichait ce type de mimique à faire craquer n'importe qui.
19H52. Alors qu'il savourait tranquillement sa dose de caféine tout en observant Izuku qui s'activait à préparer la fermeture de l'établissement, l'œil de Katsuki fût attiré par un mouvement à sa droite. Le client qui était installé au bar, à quelques tabourets de lui, venait de se lever tout en faisant crisser les pieds de son assise contre le carrelage, perturbant ainsi le calme qui régnait. Il déposa un billet sur le comptoir, juste à côté de sa tasse vide, puis alors qu'il s'apprêtait à prendre congé, son regard croisa celui du blond. Il se racla la gorge, sûrement un peu gêné par le souvenir du spectacle qui s'était joué à seulement deux mètres de lui quelques instants plus tôt, puis le salua d'un léger signe de tête avant de détourner le regard et de s'éclipser sans un mot. Vraiment, les gens pouvaient se trouver embarrassés par bien peu de choses.
Katsuki soupira. Si l'individu qui squattait la table au fond de la salle pouvait en faire de même, il en serait plus que ravi. Même s'il ne lui restait plus qu'une petite poignée de minutes avant de pouvoir le foutre à la porte, il n'aurait pas été contre grappiller ces quelques instants. Finalement, il regrettait presque de ne pas être resté à attendre sagement dans sa voiture. S'il avait été plutôt satisfaisant d'avoir eu Deku par surprise et de s'amuser à le chercher un peu, se ternir là, à l'observer sans pouvoir le prendre dans ses bras, était une véritable torture. Pourtant, contrairement à l'homme de sa vie, il n'était pas du genre à faire dans les grandes effusions de joie. Mais après avoir passé autant de temps séparés, il était tout à fait normal qu'il veuille profiter de leurs retrouvailles sans avoir à patienter une seconde de plus. Il ne doutait absolument pas que l'exercice se montrait également compliqué pour Izuku. Il le voyait bien, le regarder en coin dès que l'occasion se présentait. Et s'il se croyait discret, il n'en était rien. Katsuki savait bien que la seule chose qui le retenait actuellement était son professionnalisme. Il s'était toujours interdit d'en faire plus que nécessaire quand il se trouvait de l'autre côté du bar.
Pendant qu'Izuku disparaissait à nouveau dans l'arrière boutique, chargé d'un plateau rempli des pâtisseries invendues du jour, Katsuki en profita pour essayer de faire peser son regard sur l'homme qui semblait concentré sur son ordinateur, dans l'espoir de le mettre suffisamment mal à l'aise pour le faire dégager. Bien qu'il ne soit pas tellement physionomiste, il était persuadé qu'il ne l'avait jamais vu auparavant, puisque celui-ci avait un physique bien singulier : les cheveux divisés en deux couleurs bien distinctes, des yeux vairons qui semblaient vides de toute expression et une imposante cicatrice, qui recouvrait toute une partie de son visage. Tiré à quatre épingles, dans son costume gris et sa cravate encore parfaitement ajustée malgré la fin de journée, il donnait l'impression d'être un de ces hommes d'affaires, toujours trop occupé par leur travail et dont l'image qu'ils renvoyaient était aussi lisse que le tissu de leur chemise impeccablement repassée. Peu importe ce qu'il pouvait être, sa présence importunait particulièrement le blond qui ne supportait plus de l'entendre taper à toute vitesse sur son clavier. D'ailleurs, il était tellement captivé par ce qu'il était en train de faire, qu'il ne remarqua même pas qu'il était observé. Ou alors il avait délibérément choisi de l'ignorer, et cette idée fit enrager un peu plus Katsuki.
Claquant sa langue d'agacement, il se leva de son tabouret après avoir bu la dernière gorgée de son café. Quitte à attendre, autant qu'il se rende utile, au moins, ça lui occuperait l'esprit en plus d'aider Izuku. Passant à son tour derrière le comptoir, après avoir abandonné son manteau sur l'un des fauteuils, il retrouva bien rapidement ses marques. Quelques souvenirs en profitèrent pour se faufiler dans son esprit, lui rappelant les quelques fois où il avait travaillé aux côtés de son fiancé pour lui porter main forte, ou tout simplement pour pouvoir passer la journée auprès de lui. Il attrapa la monnaie qui avait été laissée sur le bar puis, tapa le code caisse, qui n'était autre que la date de leur mise en couple. Un léger sourire en coin s'accrocha alors à ses lèvres. Il avait beau avoir déjà dit à Izuku qu'il trouvait ça particulièrement niais, il en éprouvait tout de même une certaine satisfaction qui lui réchauffait à chaque fois le cœur. Glissant le billet dans le caisson sans grande cérémonie, il hésita à compter ce dernier afin de le clôturer, mais finit par y renoncer ne sachant pas si le trainard avait payé ou non sa consommation.
À la place, après avoir fermé le tiroir caisse dans un mouvement sec, il ouvrit en grand le lave-vaisselle pour y déposer les deux tasses sales, qui trônaient encore sur le comptoir. Puis, avec efficacité, il commença à démonter les différents éléments de la machine à café ainsi que l'extracteur de jus, afin de les mettre également au lavage. Complètement pris par son activité, il sursauta légèrement quand il sentit une main se glisser dans son dos.
– Merci, Kacchan, lui souffla Izuku à l'oreille alors que sa caresse déviait de plus en plus bas, venant se caler contre ses reins.
Katsuki se raidit un peu, s'empêchant de se laisser fondre dans ses bras. Maintenant que son amoureux se trouvait près de lui, il pouvait distinguer, mélangé à l'arôme du café, la délicieuse odeur de son parfum. Un subtil alliage entre la fraîcheur de la menthe et la douceur de la fleur d'oranger, le tout sur un fond de vanille, qui avait le don d'affoler tous ses sens. "Traître" pensa-t-il tout en mordant l'intérieur de sa joue. Izuku connaissait parfaitement tous ses points faibles et n'hésitait pas à les utiliser pour le provoquer. C'était de bonne guerre, mais s'il continuait à lui accorder ce type d'attention, il était évident qu'il n'allait pas tenir encore bien longtemps. Alors même s'il n'en avait pas vraiment envie, il devait faire en sorte de l'éloigner un peu.
– Je voulais compter la caisse mais j'sais pas s'il a payé, dit-il, accompagnant ses paroles d'un mouvement de tête vers celui qui allait finir par s'attirer ses foudres, s'il ne déguerpissait pas rapidement de l'établissement.
– Si, c'est bon, je vais compter.
Katsuki lui répondit d'un simple hochement de tête et Izuku lui adressa un sourire enjôleur avant de s'éloigner tout en laissant traîner sa main bien plus que nécessaire le long de son dos. Ce simple geste l'électrisa sur place et il dû faire appel à tout son self-control pour ne pas instantanément l'emprisonner dans ses bras afin de l'empêcher de partir plus loin. Indéniablement, Deku savait ce qu'il faisait et il ne perdait rien pour attendre. C'est donc dans un esprit un peu vengeur que Katsuki termina rapidement ce qu'il était en train de faire.
Après avoir lancé le programme de lavage sur la machine, il entreprit de retourner s'installer de l'autre côté du comptoir, et c'est à cet instant qu'il décida de lancer une de ses offensives. Passant derrière Izuku, bien plus proche que nécessaire au vu de l'espace qu'il y avait derrière le bar, il fit glisser sa main sur les courbes de son postérieur en une caresse un peu trop précise pour se montrer être involontaire. Grâce à ce bref effleurement, il eut le plaisir de voir les épaules d'Izuku se raidir alors qu'il se plaquait une main contre sa bouche pour retenir une exclamation de surprise. Et alors qu'il rougissait, encore une fois, de la plus jolie des façons, Katsuki s'assit juste en face de lui, posant un coude sur le bar et soutenant sa tête contre son point. Sans un mot, il l'observa se démener à lutter contre lui-même pour rester concentré sur les billets qu'il était en train de compter. D'ailleurs, il dut s'y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à retrouver le fil de ses comptes, et c'est exactement ce moment qu'avait choisi Katsuki pour se mettre à tapoter ses doigts contre la surface en bois, montrant ainsi son impatience.
– Arrête, Kacchan, râla doucement Izuku, relevant à peine les yeux d'un air réprobateur, après avoir de nouveau perdu le compte.
– Quoi ? lui demanda Katsuki, feignant l'innocence.
Cependant, son sourcil relevé ainsi que son sourire en coin pour le moins provocateur, ne trompa pas Izuku une seule seconde.
– Tu sais très bien de quoi je parle, lui répondit-il, avec une moue boudeuse le rendant absolument adorable.
Un léger rire secoua le blond. Pour sûr, il savait très bien que, plus que son tic nerveux, c'était le poids de son regard qui avait réellement gêné Izuku. Ça lui faisait perdre ses moyens à tous les coups. Depuis toujours, il adorait en jouer et surprenamment, le temps n'avait jamais immunisé Deku contre cette arme. Katsuki aurait sans aucun doute pu le regarder inlassablement de cette façon, il avait même hésité à accéder à la demande de son fiancé, au moins pour continuer à le taquiner un peu. Mais finalement, il se résigna, le laissant terminer ce qu'il avait à faire, afin qu'ils puissent plus rapidement retrouver le confort de leur appartement une fois le café clos.
20H01. Alors qu'Izuku venait tout juste de terminer ses comptes, s'éclipsant une nouvelle fois dans l'arrière boutique afin de mettre le fruit de son travail en sécurité, Katsuki hésita franchement à aller déloger le client, de la place où il semblait être scotché. Il avait bien envie de le traîner par la peau des fesses jusqu'au trottoir, quitte à passer pour le plus gros des abrutis. Mais il savait que Deku n'apprécierait clairement pas qu'il ait ce type de comportement avec l'un des usagers de son établissement. Il aurait pu aller lui demander gentiment de plier bagage et de prendre la porte, cependant, ce soir il n'avait pas la patience nécessaire pour se montrer tout à fait courtois. Il sentait son coeur prêt à exploser sous la pression des retrouvailles, et il risquait de se montrer bien plus brut que nécessaire, trop désireux d'enfin pouvoir profiter du moment tant attendu. Il décida donc d'attendre que son fiancé vienne gérer la situation par lui-même.
D'ailleurs, celui-ci ne mit pas bien longtemps avant de refaire son apparition dans la grande salle, et c'est exactement ce moment que choisit le client pour enfin se lever et rassembler ses affaires comme s'il s'agissait d'un signal. Il revêtit son caban noir ainsi que son écharpe en cachemire dans le plus grand des silences. Puis, après avoir tout aussi discrètement repoussé sa chaise, il se dirigea vers le bar pour y déposer sa tasse, adressant un sourire à Izuku, que Katsuki trouva un peu trop avenant à son goût. Fronçant un peu les sourcils, il regarda attentivement la scène qui était en train de se jouer devant lui, avec cet air renfrogné qui lui était assez familier.
– Au revoir, Izuku, passes une bonne soirée ! salua-t-il le barman sur un ton qu'il trouva trop mielleux pour simplement être poli.
Katsuki ne put s'empêcher de tiquer à l'entente du prénom de son fiancé dans la bouche de cet homme qui, pour lui, n'était qu'un inconnu. S'il n'avait pas voulu s'alarmer plus que ça face aux sourires rendus, il fut bien incapable de retenir l'anxiété qui s'insinua le long de ses côtes pour atteindre son coeur, devant cet au revoir qui semblait trop habituel. Un sentiment d'insécurité le piqua soudainement à vif, amenant avec lui une nuée de questions qui le firent légèrement vaciller. Il avait beau avoir toute confiance en Izuku, il avait toujours cette crainte au fond de lui qu'il ne trouve mieux, plus intéressant et surtout plus présent. Et même s'il ne le disait absolument jamais, ça le bouffait parce qu'il était incapable d'imaginer sa vie sans lui.
Alors qu'il s'empêtrait de plus en plus dans la marée noire de ses pensées, coincé entre angoisse et culpabilité, il sentit la main d'Izuku venir délicatement se poser sur son avant bras, dans un geste qui se voulait rassurant. Il n'avait jamais besoin de parler avec Izuku. Il sentait tout, étant doté d'une empathie naturelle. Katsuki avait toujours eu l'impression qu'il pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert. Il en avait d'ailleurs parfois un peu trop profité, attendant qu'il devine la moindre de ses pensées, se murant dans des silences qu'il avait bien du mal briser.
– Bonne soirée à toi aussi, Shoto, à demain ! répondit le barman avec un sourire amical.
Ce n'était pas la première fois qu'Izuku montrait un peu de familiarité envers un client. Surtout quand il s'agissait d'un habitué. C'était dans son tempérament. En plus d'être particulièrement serviable, il avait cette tendance à s'entendre avec n'importe qui, et à se faire facilement des amis. Et si certains y voyaient une porte ouverte, lui n'avait jamais d'arrière pensée. Pour autant Katsuki n'arrivait absolument pas à rationaliser quand il voyait l'autre le regarder avec bien trop d'intérêt.
Finalement, quittant ses airs chaleureux pour retrouver une expression tout à fait neutre et vide de la moindre émotion, le dit « Shoto » se retourna vers Katsuki pour le saluer prestement.
– Au revoir.
Le ton utilisé n'était clairement pas le même. Bien plus froid et distant, voire même un poil arrogant. Redressant ses épaules afin de se redonner un peu de contenance et barricader ses doutes derrière toute son assurance, Katsuki releva un sourcil et planta son regard dans celui de l'autre avec un air de défi. S'il ne répondit pas dans un premier temps, les doigts d'Izuku qui se serrèrent un peu plus contre sa peau eurent le mérite de lui provoquer un éclair de lucidité. Il n'eut pas besoin de détourner son attention de celui qui lui faisait face, pour deviner que Deku devait le supplier du regard de ne pas faire de vagues. Alors, même s'il avait passablement envie d'envoyer bouler ce client qu'il trouvait bien présomptueux, il n'y fit rien, ne voulant pas gâcher cette soirée qu'il avait tant espéré voire arriver.
– Hm, finit-il par lui répondre simplement, se fichant pas mal de la politesse.
Un léger rictus méprisant traversa le visage, jusque-là impassible, de Shoto, et la mâchoire de Katsuki se tendit devant cette micro-expression, durcissant un peu plus ses traits. Quelques secondes passèrent ainsi, paraissant bien plus longues qu'elles ne l'étaient réellement. Puis, finalement, l'homme décida d'enfin détourner son regard comprenant sans doute qu'il n'avait aucun intérêt à chercher la confrontation avec le blond. Après un dernier signe de tête vers Izuku, il contourna Katsuki, qui lui ne le lâchait pas des yeux, puis se dirigea enfin vers la sortie. Le tintement de la clochette retentit quand il ouvrit la porte, puis un silence de plomb s'installa dans la café une fois la porte refermée, balayant sur son passage l'ambiance légère qui habitait habituellement les lieux.
Izuku, souffla finalement de soulagement, avant d'aller rapidement laver la dernière tasse sale, pour ne pas avoir à le faire lors de l'ouverture du lendemain. Puis, s'essuyant les mains contre le torchon qu'il gardait toujours à sa ceinture le temps du service, il se retourna de nouveau vers son fiancé, qui n'avait pas bougé.
Les yeux dans le vide et se mordillant le coin de la lèvre inférieure, Katsuki se noyait dans ses réflexions. La culpabilité commençait doucement à le ronger, se sentant complètement stupide d'avoir réagi de cette façon. Il ne s'était pourtant pas passé grand-chose, il n'y avait même pas eu un mot plus haut que l'autre. Mais le dialogue silencieux qu'il avait eu avec cet inconnu avait suffi à le conforter dans ses insécurités. Au plus profond de lui, il avait senti la mise en garde qui lui avait été adressée, lui faisant comprendre que l'autre profiterait de la moindre ouverture pour l'évincer.
– Ça va ? lui demandant doucement Deku.
– Ouais, mentit-il ne souhaitant pas s'étendre sur le sujet, le regard toujours posé sur les bouteilles exposées derrière le bar.
– T'es sûr ? insista-t-il, le connaissant trop pour ne pas se rendre compte qu'il se torturait l'esprit.
– Hum… répondit Katsuki en secouant la tête. J'aime pas sa gueule, finit-il par cracher le morceau, évitant le regard de son fiancé.
Katsuki n'aimait pas se livrer. Depuis toujours.
S'il essayait de faire un maximum d'efforts avec Izuku, c'était bien parce que ses silences avaient déclenché bien trop de situations instables, mettant parfois leur couple en péril. Et il était bien trop précieux pour envisager de le perdre à cause de son incapacité à formuler ce qu'il ressentait. Même s'il savait que Deku n'était jamais dans le jugement et l'écoutait toujours attentivement, l'aidant même parfois à exprimer ce qu'il avait sur le cœur, il avait toujours l'impression que c'était une épreuve. Il était difficile pour lui de déconstruire l'éducation qu'il avait reçue de sa mère, cette dernière lui ayant ancré dans le crâne que seuls les faibles montraient ce qu'ils ressentaient. Alors, c'est vrai que quand Izuku avait commencé à le supplier de s'ouvrir un peu, afin de lui laisser accès à ses émotions, ça avait été difficile. De même qu'il lui fallait toujours un petit temps de réadaptation après une longue mission pour parvenir à décadenasser tout ce qu'il préférait garder cacher. Mais il le faisait. Pour lui. Pour eux.
– Je m'en serais pas douté ! ironisa Izuku dans une vaine tentative de détendre un peu l'atmosphère.
– Pourquoi il t'appelle par ton prénom ? demanda-t-il en plongeant son regard dans les iris couleur aventurine de son amoureux.
– La plupart des habitués m'appellent par mon prénom, Kacchan. Ça fait un petit moment qu'il vient ici tous les soirs et …
– J'aime pas comment il te regarde, le coupa Katsuki, avant d'à nouveau détourner les yeux, honteux de se montrer si peu sûr de lui.
Ça n'était pas un reproche. En tout cas, pas envers Izuku; et ce dernier l'avait bien compris. Katsuki venait simplement de lui exposer un fait. Quelque chose qu'il avait sur le cœur et qui le tracassait. Il le savait, il l'avait tout de suite ressenti, ce n'était pas une simple crise de jalousie qui traversait celui qu'il aimait, mais un réel besoin d'être rassuré. Un tendre sourire s'accrocha à ses lèvres, alors que Katsuki continuait obstinément à éviter son regard, les yeux dans le vague et son genou droit s'agitant nerveusement.
Contournant son comptoir, le jeune barman alla rejoindre son fiancé, et tira doucement sur sa manche, l'invitant silencieusement à lui faire face. Ne se faisant pas prier, Katsuki fit tourner son siège sur lequel il était toujours installé, offrant de nouveau toute son attention à Izuku. Celui-ci en profita pour se rapprocher un peu plus, se glissant entre ses jambes. Puis, délicatement, il déposa ses doigts contre sa joue.
Sous l'agréable caresse, un long frisson traversa le corps de Katsuki, et il se surprit à légèrement pencher la tête pour accentuer le contact chaud contre sa peau, presque à la manière d'un félin en manque d'affection.
– Hey, Kacchan… Tu sais qu'il n'y a que toi ? lui demanda Izuku presque en chuchotant.
Il n'avait suffi que de quelques mots pour que Katsuki se détende, laissant s'évaporer son anxiété aussi rapidement qu'elle était apparue. Izuku ne mentait jamais, il en était incapable, ses yeux parlaient pour lui de toute façon. Et il avait bien vu à travers leur éclat brillant tous les sentiments qu'il avait pour lui. Ça dégoulinait d'amour et d'affection, de désir, mais aussi d'admiration. Et il aimait ça, savoir qu'il comptait toujours aussi ardemment pour lui. Ça lui apportait une sensation de sécurité qui lui était nécessaire.
Animé alors par un besoin viscéral de le sentir tout contre lui, Katsuki l'attira dans une étreinte bien plus étroite. Il s'affaissa contre lui, entourant sa taille de ses bras et Izuku répondit immédiatement à sa demande, glissant l'une de ses mains dans ses cheveux, tandis que l'autre faisait quelques allées-venues entre ses omoplates. Katsuki plongea son nez au creux de son cou et ferma les yeux pour mieux sentir son odeur. L'atmosphère s'adoucit aussitôt.
– Il n'y a toujours eu que toi, lui murmura Izuku.
Katsuki eut subitement l'impression qu'une nuée de papillons venait de prendre son envol au creux de son ventre. Deku avait beau lui avoir déjà dit un nombre incalculable de fois, ces quelques mots avaient toujours le même effet sur lui, coupant sa respiration et affolant son coeur de plaisir.
– C'que t'es niais, putain ! fit-il semblant de râler.
En vérité, il n'en menait pas bien large, et c'était la seule chose qu'il avait trouvé à dire afin de cacher la satisfaction que lui procurait cette déclaration.
Izuku ria franchement devant cette réaction qui était loin d'être inhabituelle. C'était du Katsuki tout craché. Quand celui-ci était touché, bien souvent, il préférait dissimuler pudiquement son émotivité derrière une réplique un peu piquante, se montrant alors bien plus dure qu'il ne l'était réellement.
Se délogeant de la chaleur de ses bras, Deku se redressa et fit mine de réfléchir un instant, exagérant son attitude en venant frotter son menton de son index.
– Tu n'es pas censé me répondre un truc du genre : " Pour moi aussi il n'y a toujours eu que toi"? dit-il alors, prenant une voix un peu plus grave pour imiter les airs un peu bourru de son compagnon.
– Jamais de la vie, Deku ! pouffa Katsuki devant cette mauvaise imitation de lui-même
L'ambiance soudainement plus légère balaya le petit incident, l'envoyant directement aux oubliettes. La soirée pouvait reprendre son cours en toute tranquillité, ils allaient enfin pouvoir profiter. Ils avaient sept mois d'absence à rattraper, et une nuit entière ne leur suffirait certainement pas à combler tout le manque qui les avait habités.
Les veines brûlantes d'euphorie, Katsuki emprisonna le coin de sa lèvre inférieure entre ses dents, alors qu'il regardait distraitement les courbes du visage d'Izuku, illuminé d'un sourire amusé. Juste là, entre ses côtes, il ne put s'empêcher de ressentir cette vibration particulière. Celle qu'il connaissait par cœur et qu'il affectionnait tout particulièrement. Cette agitation singulière qui le secouait à chaque fois de l'intérieur, quand il était incapable de trouver les mots justes pour dire à quel point il le trouvait magnifique.
– Oh… Dommage… souffla malicieusement Izuku tout un amorçant un mouvement vers l'arrière.
– Eh ! Où tu vas comme ça ? protesta Katsuki refusant de le voir s'éloigner.
Sautant sur ses pieds, il ne lui laissa pas le temps de répondre et l'attrapa par le poignet afin de l'empêcher de s'enfuir plus loin.
– Chercher mes affaires. Tu ne veux pas rentrer ?
Katsuki roula des yeux. Vraisemblablement, ce soir Izuku voulait le rendre dingue. Bien sûr que si, il voulait rentrer. Il n'attendait que ça même, pouvoir s'enfermer dans leur appartement, retrouver le confort de son nid douillet et le plaisir de s'affaler dans son canapé avec son amoureux blottit contre lui. Mais à cet instant, c'était d'autre chose dont il avait envie et Deku le savait bien. Il jouait juste avec sa patience, qu'il savait inexistante. La partie n'était visiblement pas terminée, cependant, Katsuki estimait avoir assez patienté.
Alors, tandis qu'il laissait glisser ses doigts avec une infinie délicatesse le long de son poignet, puis de sa paume, pour finalement les entremêler avec ceux d'Izuku, Katsuki se rapprocha doucement, amenuisant considérablement l'espace entre leurs corps.
– T'as pas l'impression d'oublier quelque chose ? demanda-t-il, surplombant Izuku de quelques centimètres, l'obligeant à relever la tête afin de continuer à le regarder dans les yeux
– Nan, vraiment je ne vois pas. Tu ne voudrais pas éclairer ma lanterne ? le provoqua-t-il tout en enroulant son bras libre autour de son cou.
Katsuki claqua la langue devant tant d'impertinence.
Les yeux braqués dans ceux d'Izuku, leurs visages séparés par quelques malheureux centimètres, il pouvait sentir la chaleur de son souffle venir caresser la peau de son cou. Sa poitrine se serra, alors que l'air commençait à se faire de plus en plus rare dans ses poumons. Et tandis que l'ambiance s'alourdissait, sa vision périphérique se resserra, effaçant tout autour d'eux. Il ne distinguait plus rien, excepté Izuku et son regard devenu suppliant. Sans doute était-il dans le même état que lui, attendant la délivrance qui mettrait définitivement fin à cette bien trop longue période de séparation.
Ce moment, Katsuki l'attendait depuis trop longtemps pour ne pas le savourer. Il voulait prendre son temps, ne rien précipiter et simplement en profiter. Alors, doucement, il s'approcha un peu plus d'Izuku, venant coller son torse contre le sien. Ses pupilles, qui jusque-là se contentaient d'admirer les innombrables nuances de vert de celles de son fiancé, partirent à la redécouverte de ses lèvres charnues. Son souffle se coupa, et un incendie s'alluma au fond de son estomac. Puis, lentement, dans un mouvement tout à fait maîtrisé, il s'approcha encore un peu plus jusqu'à suspendre son geste à seulement quelques millimètres de l'objet de son désir. Et il attendit, se délectant des sensations que lui faisait ressentir cette agréable torture.
– Embrasse-moi, finit par réclamer Izuku, ses lèvres effleurant délicatement les siennes.
Les paupières de Katsuki s'alourdirent de plaisir à l'entente de cette complainte, et la chaleur s'intensifia dans sa poitrine. Il ne pouvait pas résister à cet appel, c'était bien trop grisant. Déposant sa main libre sur la joue d'Izuku, Il y exerça une légère pression afin de l'inciter à combler le vide qui les séparait.
Enfin, leurs lèvres se retrouvèrent; d'abord légèrement. Et, à l'unisson avec la course du temps, son cœur au bord de l'implosion s'arrêta un instant. Une onde brûlante tout aussi douloureuse que délicieuse le traversa, et le baiser s'intensifia. Il soupira. Il était si bon d'enfin pouvoir pleinement le retrouver, et se réapproprier ces sensations qu'il n'avait pas oubliées. Encore une fois, rien n'avait changé. De la douceur des lèvres d'Izuku, à la manière dont celles-ci s'imbriquaient divinement bien avec les siennes. Et c'était parfait.
Bien vite, il ressenti un besoin ardent d'en avoir plus. Lâchant la main d'Izuku, il vint s'accrocher à sa hanche, le plaquant un peu plus contre lui. Ce dernier laissa échapper un gémissement et Katsuki profita de cette ouverture pour glisser sa langue entre ses dents, partant à la rencontre de celle de son amant.
Le moment aurait sans doute un peu plus duré s'il n'avait pas oublié de respirer. Malheureusement la douleur qui commençait à se faire ressentir dans ses poumons le rappela à l'ordre, l'obligeant à interrompre l'échange.
Agrippé à lui comme si sa vie en dépendait, Izuku le regardait, les yeux à moitié clos de plaisir, les joues rougies et un sourire béat dessiné au bord des lèvres. Pour Katsuki, cette vision était tout bonnement à couper le souffle. Et comme lorsqu'il était adolescent, il sentit de nouveau cette douce douleur l'envahir sans crier gare. Il en était absolument certain, tant qu'Izuku serait à ses côtés, jamais il ne pourrait s'en débarrasser. Et c'était tant mieux. Parce qu'il n'avait jamais rien trouvé d'aussi délectable que cet élancement qui lui malmenait chaleureusement le cœur.
– Je t'ai manqué ? lui demanda Izuku à voix basse, comme s'il avait trop peur de briser l'instant.
– Ce n'était pas suffisamment explicite ?
– Je… Je suis pas sûr, fit semblant d'hésiter Izuku. Est-ce que tu pourrais recommencer pour voir ?
Katsuki pouffa devant l'expression adorable que lui servait son amant, avant de lui asséner une pichenette taquine entre les deux yeux.
– Aïe ! Kacchan, ça fait mal ! se plaignit Izuku tout en frottant l'endroit de l'impact, après s'être reculé d'un bond.
Amusé par sa réaction tout aussi vive que mignonne, Katsuki ne put s'empêcher de rire se moquant gentiment de lui.
– Viens là, lui dit-il en attirant de nouveau son Deku vers lui alors qu'il bougonnait comme un enfant.
Attrapant ses joues entre ses mains, il vint capturer ses lèvres des siennes, le faisant ainsi se taire de la plus délicieuse des façons, à l'aide d'un baiser qui se montra tout aussi délicat que le premier. Et ce n'était pas pour ne pas brusquer Izuku qu'il se comportait avec tant de délicatesse. Non, il le savait tout à fait consentant et demandeur. C'était plutôt pour apprécier l'instant, le savourer, prendre son temps et l'imprimer à l'encre indélébile dans son esprit. Il faudrait certainement bien plus d'une nuit à Katsuki pour qu'il puisse se repaître d'Izuku après qu'il lui ait tant manqué. De toute façon, même quand ils ne se tenaient pas éloignés, il n'en avait jamais assez.
– Tu as de la chance que je t'aime… marmonna Izuku alors que Katsuki l'embrassait sur la joue pour ne pas mettre fin trop abruptement à ce moment de tendresse.
– Je sais… murmura-t-il cette fois contre sa tempe. On rentre ?
– Ouais, je vais chercher mes affaires.
Sortant de leur étreinte à contre cœur, Izuku claqua un rapide baiser sur les lèvres de son amoureux, et s'éclipsa un court instant, avant de revenir couvert de sa doudoune verte qu'il traînait depuis des années. Celle avec les manches un peu trop grandes et la capuche décorée d'une épaisse fourrure, qui lui tombait sur les yeux quand il décidait de la mettre les jours de pluie. Katsuki sourit en repensant au jour où il avait décidé de lui offrir. Il avait voulu la ramener au magasin quand il s'était aperçu qu'elle était si mal taillée. Mais Izuku avait refusé, affirmant qu'il la trouvait absolument parfaite et des plus confortables. Depuis, il ne l'avait pas quitté la ressortant de leur penderie dès que le temps se rafraichissait suffisamment pour lui permettre de la porter.
Prêt à quitter les lieux, Izuku coupa finalement la petite musique d'ambiance qui l'accompagnait tout au long de ses journées, alors que Katsuki fermait rapidement les stores. Puis, il éteignit les lumières plongeant le bar dans l'obscurité avant de rejoindre la sortie, à l'aide des éclairages extérieurs.
20H28. Enfin, Izuku donna le dernier coup de clé pour verrouiller la porte du café. Ils allaient pouvoir rentrer.
