Jackson dormait à poings fermés sur le canapé de son appartement. Enfin, dire qu'il avait fini par perdre connaissance serait plus juste. Stiles s'était dit à ce moment-là que tout était bien timé : le blond avait cédé à son épuisement mental une fois que le châtain l'avait aidé à s'allonger dessus. Pas avant. Il fallait avouer que ce simple fait avait soulagé Stiles, parce que… L'air de rien, Jackson pesait son poids et ses muscles… Se ressentaient. Lorsqu'il était conscient, ça allait, le châtain n'avait eu qu'à le soutenir, ce qui était déjà pas mal. Autrement… Il aurait pu le porter. Il se serait simplement déchiré le dos : la galère aurait alors été ultime. Là, ça allait. Jackson était en sécurité dans son appartement… Que Stiles trouvait très mignon, soit dit en passant. L'endroit lui paraissait douillet, confortable… Quoiqu'un peu impersonnel. Qu'importe, il s'agissait d'un détail sans importance. Jackson avait un toit, le chauffage et tout le confort nécessaire. Stiles eut la présence d'esprit de lui retirer ses chaussures et de chercher un plaid, dans la panière à côté du canapé, qu'il étala patiemment sur lui. Et il resta. Un peu. Jusqu'à ce qu'il voie l'heure sur son téléphone, en fait. Il se mordit la lèvre, soupira. Stiles n'aimait pas se balader, ni fouiller dans un endroit qu'il ne connaissait pas, mais c'est pourtant ce qu'il fit.
Une fois qu'il eut trouvé ce dont il avait besoin, Stiles griffonna quelques mots, et colla le post-it sur la vieille table basse, avant de tourner la tête et de regarder une dernière fois Jackson. Pâle, mais le visage détendu.
Stiles se détourna et s'en alla sans un bruit.
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Depuis son réveil, Jackson avait mal à la tête. Pas assez pour qu'il doive prendre quelque cachet que ce soit, mais suffisamment pour qu'il se sente dérangé. Qu'il ait envie de se recoucher. Ce qu'il fit, d'ailleurs, après s'être saisi du post-it qui se trouvait sur sa table basse. S'il avait réfléchi ? S'il s'était posé la question concernant son arrivée ici, arrivée dont il ne se souvenait pas ? Sur le fait qu'il ne dormait jamais sur son canapé ? Non. Trop éteint. Trop ailleurs. Trop vide.
Mais les mots qui s'inscrivirent dans sa rétine commencèrent doucement à le réveiller.
« Comme tu peux le constater, tu as été ramené à bon port. Je voulais rester jusqu'à ton réveil, mais je dois aller bosser – et pour être honnête, j'avais un peu zappé. Je passerai te chercher demain matin.
Stiles. »
Les mots étaient serrés sur le petit post-its, mais Jackson avait réussi à les lire sans aucun problème : il s'y connaissait en pattes de mouches, pour en faire lui-même. Stiles avait le même genre d'écriture que lui. Et penser à lui tout en relisant son mot lui fit se rendre compte… Qu'il ne rappelait effectivement pas de la manière dont il était rentré. Ses souvenirs s'arrêtaient à ce moment où il se trouvait avec le châtain, dans la voiture de ce dernier. Jackson se savait encore faible, mais constatait tout de même qu'il allait mieux et ce, pour une raison simple : la crise était passée. Il était chez lui, en sécurité. Seul. Est-ce que, pour autant, Jackson se sentit bien ? Non. Il avait le ventre noué, et la boule de stress qu'il connaissait si bien renaissait de ses cendres. Néanmoins, ça irait, pour la simple raison qu'il ne se trouvait pas à l'extérieur de son appartement.
Simplement… Le problème avec ce genre de situations et en particulier avec la bienveillance de ce Stiles, c'était… Qu'il devrait répondre. Cette fois-ci, Jackson n'avait pas d'autre choix que celui de lui envoyer un message, au moins pour le remercier. Ensuite, il faudrait qu'il lui dise que ce n'était pas la peine de venir le chercher – c'était adorable et ça lui permettrait de ne pas se lever aux aurores pour aller trouver un bus passant près de l'université, mais Jackson ne voulait pas le déranger. Alors, il se saisit de son téléphone et combattit aussi fort que possible cette paralysie qui déjà s'insinuait en lui. Jackson se motiva en se disant que le pauvre châtain, en plus de l'avoir aidé dans un moment horriblement gênant, se dérangerait à venir s'il ne pensait pas à lui envoyer ce foutu message. Il lui devait bien ça, non ? Il avait été franchement adorable et d'ailleurs… Il aurait très bien pu, déjà, le harceler de questions. L'empêcher de sombrer pour avoir des réponses – ses parents l'avaient déjà fait, après tout. Mais à la place, il avait préféré le laisser se reposer. Qui ferait ça, à part quelqu'un de profondément gentil ? Jackson était certain qu'il l'était réellement. Que ce sourire et ces étincelles dont il avait le souvenir qu'elles paraient son regard… Que tout ça était réel, sincère. Alors, ses doigts crispés tapèrent sur l'écran. Sélectionnèrent le contact enregistré récemment, écrivirent un message aussi simple que clair et concis : « Merci. Pas besoin de venir me chercher demain. » C'était maladroit, ça faisait grognon… Mais Jackson avait besoin de limiter ses mots au maximum. Ecrire à quelqu'un, commencer une conversation… Ce n'était plus lui depuis longtemps. Il avait perdu l'habitude de sociabiliser – et bordel, ce qu'il regrettait. La solitude l'avait amputé de bien des choses… Dont l'assurance de parler à d'autres humains, dont ceux, rares, qui l'aidaient.
Ainsi, plusieurs heures plus tard et un bol de nouilles au curry ingéré, Jackson fit sa toilette, programma un réveil et alla se coucher. Manque de chance pour lui, il oublia d'en activer le son et ne s'en rendit compte que le lendemain matin, en s'éveillant un peu trop doucement pour que ledit éveil soit réellement matinal. Jackson regarda mollement l'heure sur son téléphone avant de bondir de son lit et de se préparer en quatrième vitesse. Il s'était réveillé… A l'heure habituelle et pas plus tôt, comme il l'avait pourtant désiré. Rapide check up. Vêtements : ok. Sac : pas ok. Le jeune homme rajouta et enleva certaines choses en fonction des matières qu'il avait en ce jour et ferma le tout. Le cœur battant, il sortit de chez lui en trombe. En lui, l'angoisse régnait et il était certain qu'elle le prendrait aux tripes une fois dans le bus… S'il arrivait à en attraper un. Où pouvait-il trouver un arrêt et des horaires, déjà ? Et voilà que Jackson se retrouvait à descendre les escaliers de son immeuble, les rouages de son cerveau tournant à plein régime. Soudain, une idée. Internet. Téléphone. Jackson tâta la poche dans laquelle il le mettait habituellement. Vide. Frisson. Les autres : sans plus de résultat.
- Merde, maugréa-t-il.
Demi-tour. Jackson n'avait pas besoin de se rajouter un stress supplémentaire, vraiment. Plus les secondes passaient, plus il se disait qu'il n'allait pas avoir de bus. En fait, il était certain qu'il était trop tard de base et que, même si ce n'était pas le cas, il allait arriver à un arrêt et voir le car partir. Après tout, il avait une telle chance dans sa vie que ce genre de choses était on ne peut plus probable. Jackson récupéra son cellulaire – l'avoir sur lui était une obligation de premier ordre – sans même penser à regarder ses notifications fraîchement reçues, ferma à nouveau son appartement à clé et descendit, encore. C'est alors qu'il sortit de son bâtiment et qu'il passa devant un véhicule qu'il aurait aisément reconnu s'il n'était pas aussi stressé. Avoir pris la décision de rester dans ce monde lui faisait voir l'université un peu différemment. Être en vie l'obligeait à prendre la responsabilité de se construire un avenir et donc, par extension, d'étudier. Ainsi, l'idée de manquer un cours à cause d'une panne de réveil lui serrait les entrailles. Il n'avait rien dans sa vie, à part ses études : il ne pouvait compter que là-dessus.
Un bruit de klaxon le fit violemment sursauter. Jackson n'eut pas d'autre réflexe que celui de se tourner vers la source de cette… Nuisance sonore. Il retint un soupir. Ah. Aurait-il dû s'en douter ? Peut-être, peut-être pas. Disons qu'il ne connaissait pas suffisamment Stiles pour savoir ce que celui-ci était capable de faire, alors… Non, il n'avait pas foncièrement prévu que celui-ci passerait tout de même le chercher. Avait-il seulement lu son message ? Retenant comme il le pouvait la bouffée de stress qui le prenait, Jackson prit son courage à deux mains et alla se poster à la portière de l'autre étudiant, qui baissa sa vitre. Le premier détail qui accrocha son regard ? Sa peau : elle ne gardait plus beaucoup de traces des blessures de leur rencontre. Ensuite, ce fut son sourire. Petit, gêné, mais sincère.
- Monte.
Un mot simple, un ordre gentil, cordial. Et Jackson ne sut pas vraiment ce qu'il lui prit, mais il s'exécuta sans attendre… Par peur d'arriver en retard, sans doute. Puis, de toute manière, il n'avait pas forcément d'autre solution que celle-ci. Dans sa tête, l'image du bus s'en allant avant son arrivée persistait – il était certain qu'elle était réelle.
Mais alors qu'il montait dans la voiture, Jackson laissa par mégarde son regard traîner sur la banquette arrière. Il s'y arrêta et la voix de Stiles se fit rapidement entendre :
- C'est le bordel, fais pas attention.
Tout en attachant sa ceinture, Jackson tourna la tête vers Stiles qui, lui, venait de détourner le regard. Il fixait désormais la route alors qu'il commençait à manœuvrer pour sortir du parking extérieur un peu nul de l'immeuble de Jackson.
Stiles avait perdu quelque chose dans son sourire. Sa sincérité. La gêne, par contre, était plus que visible – ses joues avaient en un instant pris des couleurs. Il n'était pas du tout à l'aise et Jackson sur qu'il allait essayer de changer de sujet, histoire de lui faire oublier ce qu'il avait vu – et il avait raison. Stiles lui demanda comment il allait, s'il s'était bien reposé… Et des tas de choses auxquelles Jackson, toujours stressé malgré tout, répondit par monosyllabes. Savoir qu'il allait arriver, grâce au châtain, à l'heure à l'université le soulageait un peu, mais… Ce n'était pas suffisant pour qu'il se détende. Stiles avait beau être gentil, ça restait un étranger. Jackson ne le connaissait pour ainsi dire… Pas. Pas vraiment, en tout cas. Il était adorable, oui, l'avait aidé à deux reprises, maintenant trois… Mais ce n'était pas suffisant, d'autant plus que Jackson ne savait plus vraiment interagir avec les gens. La solitude l'avait bouffé au point qu'il entretenait davantage de conversations avec lui-même dans sa tête qu'avec ses congénères humains.
Et puis, il repensa à ce qu'il avait vu à l'arrière en entrant dans la vieille Jeep. Il eut la décence de ne rien dire.
