Chapitre Un : Souvenirs d'Enfance
- Serena ! Éteins cette télévision ! Immédiatement
La mère de famille avait les sourcils froncés et les mains sur les hanches. La petite fille regarda sa mère et répondit, l'air nullement intimidée
- Mais Maman ! J'aime bien ce dessin-animé !
- Ça n'est pas de ton âge. Je t'interdis de regarder ça !
- Mais Maman, les trucs de mon âge, c'est débile
- Fais attention à ton langage jeune fille !
La petite fille se leva, aussi outrée qu'on pouvait l'être à 5 ans. Elle était petite pour son âge mais menue. Elle avait des cheveux bruns si foncés qu'ils en avaient des reflets bleus. Le plus remarquable, c'était ses yeux. Elle avait des yeux bleu nuit, qui semblaient illuminés de l'intérieur. Sa mère lui faisait face et continuait de la morigéner, mais elle ne se démontait pas. La dispute aurait pu durer longtemps si le père de famille n'était pas entré dans la pièce.
- Qu'est ce que c'est que tout ce bruit ?
- Maman est méchante avec moi !
- Serena !
- Ta sœur est réveillée de sa sieste. Elle te réclame, Dit l'homme, d'un ton calme
La petite fille fit alors un grand sourire et quitta la pièce sans demander son reste. La mère regarda son mari et soupira :
- Je sais pas quoi faire avec elle...
Si elle était plutôt jolie, son mari lui était exceptionnellement beau. Il avait les mêmes yeux que sa fille ainsi que les mêmes cheveux, coupés courts. Il était très grand et sec. Son visage semblait être sorti d'un roman de chevalerie ou d'un roman de vampire moderne. Il eut un sourire doux pour sa femme.
- C'est une enfant plus intelligente que les autres, Héléna. C'est normal qu'elle n'aime pas les dessin-animés stupide dont on nourrit les enfants de nos jours
- Oui mais elle regardait un manga ! C'est à peine adapté pour les adolescents...
- Je sais... j'ai eu une bonne idée en lui parlant d'Alicia non ?
- Oh Erik, c'était brillant... Mais ça ne va pas tout solutionner. Je pense vraiment qu'on devrait la faire examiner par des professionnels...
Quelques semaines plus tard, la famille Wolfe était réunie dans la salle d'attente d'un cabinet médical. Les deux petites filles jouaient ensemble. La plus jeune n'avait pas encore 4 ans et sautillait autour de sa petite sœur. Elle avait les cheveux plus clairs et de jolis yeux verts mais en dehors de ces différences, elle semblait identique à sa grande sœur.
- Alicia ! Tu me marches sur le pied !
- Pardon, Réna...
La porte s'ouvrit et un homme en blouse blanche entra. Les deux adultes se levèrent et, sur l'invitation du professionnel de santé, entrèrent dans son bureau. Le psychologue passa les premières minutes à brosser Erik dans le sens du poil. Il lui fit part de toute son admiration, pour sa carrière de médecin, pour son intelligence et surtout pour les résultats incroyables de ses dernières thérapeutiques. Erik, habitué aux compliments depuis son enfance, écoutait en souriant et en affichant une fausse modestie. Sa femme éclatait de fierté, ses deux filles à ses côtés et son beau mari si connu et si intelligent. Au bout d'un moment, ils finirent par aborder la raison pour laquelle ils étaient présents :
- Nous avons les résultats des tests d'intelligence de Serena... Rappelez vous que votre fille est très jeune et qu'il est toujours hasardeux de donner des résultats avec certitude.
- Bien sûr...
- Mais nous sommes quand même assez sûrs de nous pour vous donner un chiffre...
- Alors ?
- Serena semble définitivement être une enfant brillante. Nous avons calculé un QI entre 155 et 170.
- Hein ? S'exclama Héléna
- Pardon ? Mais... c'est plus que moi ! Dit alors Erik
Le médecin sentit son visage rougir et il eut immédiatement honte de sa réaction.
Suite à ce rendez vous, la vie de la petite fille fut bouleversée. Elle quitta l'école où elle se rendait avec sa petite sœur pour un établissement pour enfants intelligents, ce qu'elle détestait. S'il y avait quelque chose que Serena adorait, c'était Alicia. Les deux enfants étaient particulièrement proches, faisaient tout ensemble, refusaient de dormir dans des chambres séparées. Elles étaient fusionnelles, ce que leur mère encourageait. Ni elle ni son mari n'avaient eu de frère et sœur et Héléna rêvait d'une grande famille unie. Elle s'impliquait pleinement dans sa famille tandis que son mari lui, vivait de plus en plus pour son travail. De loin en loin, il semblait s'éloigner, se refermer et se refroidir. Son regard était de plus en plus dur et particulièrement avec ses filles.
- Vous me volez ma femme... Murmura-t-il un jour à Serena
Serena entra dans la salle à manger de la petite maison de campagne. Sa grand mère s'agitait dans sa cuisine et s'exclama :
- Bonjour bonjour mon petit ange ! Que veux tu manger ce matin ? Je ne sais jamais quoi te servir ! Les autres enfants veulent toujours la même chose le matin ! Des tartines de Nutella, du lait au cacao avec ces petites billes de céréales qui restent croquantes à l'intérieur, comme on en voit à la télé ! Ils prennent toujours le même repas. Mon amie Laurène a des petits enfants elle aussi et ils prennent toujours le même petit déjeuner et la même collation de l'après midi. Mais toi, mon ange, tu changes tout le temps d'avis et je ne peux jamais anticiper !
La petite fille avait à présent 7 ans. Elle s'assit à table et elle écouta la logorrhée de sa grand mère en silence.
- Les autres enfants de ton âge veulent toujours regarder les mêmes films, écouter les mêmes chansons et les mêmes histoires. Mais toi, tu es toujours curieuse de tout, tu changes tout le temps d'avis. C'est une bonne chose si tu veux mon avis ! Les médecins disent que c'est parce que tu es plus intelligente que la moyenne mais à mon avis, c'est parce que tu es comme ça, tout simplement. Ils veulent tout expliquer avec leur science et maintenant, ils veulent t'éloigner de notre petite Ali ! Ce sont des inepties ! Avec ta curiosité, tu pousses ta soeur vers le haut et ça serait dommage de vous enlever l'une à l'autre ! Vous vous entendez si bien toutes les deux. D'ailleurs, où est ta petite soeur ?
La jolie grand mère finit enfin par regarder sa petite fille.
- Depuis que vous êtes en vacances chez mamie, vous ne vous séparez jamais l'une de l'autre, c'est adorable, même quand vous vous levez le matin ! Pourquoi n'est-elle pas là ? Vous ne vous êtes pas disputées j'espère !
- Non Mamie, on ne s'est pas disputé. Je lui ai demandé de rester coucher et de compter 5 fois jusqu'à 70.
- Pourquoi cinq fois 70 ?
- Parce qu'elle connait pas encore les chiffres après 70...
Serena regardait sa grand mère avec un air beaucoup trop sérieux pour une petite fille de son âge. Grand mère Annick soupira et tenta de masquer son désarroi grandissant par un sourire maladroit :
- Mais pourquoi tu lui as demandé de rester coucher ? Ce n'est pas très gentil. Je vais aller la chercher, pour lui dire que son chocolat est prêt. Vous avez toujours ce que vous voulez chez mamie !
- Mamie, attends ! Je lui ai demandé de rester coucher parce qu'elle est trop petite pour comprendre.
Elle s'arrêta et regarda sa petite fille, en tentant encore de masquer ses émotions :
- Comprendre quoi, mon petit ange ?
- Mamie, l'école est pas encore finie. C'est pas normal qu'on soit déjà en vacances chez toi. Et puis, c'est la première fois que tu quittes ton village pour venir nous chercher en ville. D'habitude c'est maman qui nous dépose.
- Et bien… L'école, l'école… Tu n'en as pas vraiment besoin, intelligente comme tu es ! Dit la grand mère en caressant la joue de Serena.
Cette dernière repoussa la main et dit :
- Mais Alicia est pas comme moi, elle a besoin d'aller à l'école !
- Ce n'est pas bien grave, quand on est encore à la maternelle, de rater quelques semaines d'école ma puce. Ne dis pas à maman que je t'ai dit ça surtout !
Elle lui fit un clin d'oeil et se détourna d'elle, pour ne pas que Serena ne remarque son expression de tristesse grandissante.
- Oui mais… Ça explique pas pourquoi c'est toi qui est venue nous chercher ! Et puis Papa et Maman ne sont pas venus nous voir, et ils nous ont toujours pas appelées au téléphone. Ça c'est pas normal Mamie ! C'est pas normal que Maman nous laisse rater l'école ! C'est pas normal que tu sois venu nous chercher ! C'est pas normal du tout ! En plus, j'ai réfléchi avec Ali, et on a remarqué que tu nous disais jamais quand Maman et Papa allaient venir nous rejoindre !
Sa grand mère poussa un long soupir. Serena continua :
- Il se passe un truc bizarre.
- J'aurai du me douter que j'arriverai pas à vous le cacher bien longtemps.
Elle se tourna vers sa petite fille, sans plus cacher son expression de profonde tristesse.
- Ma chérie. Je sais que tu es très intelligente mais il y a des choses qui sont difficiles à comprendre pour les enfants.
- Alors explique, Exigea la petite
- C'est difficile.
- Où est Maman ? Dit une petite voix sur le palier de la porte.
- Alicia ! Je t'avais dit de rester coucher !
Serena bondit de sa chaise en direction de sa petite soeur
- Mais j'ai compté cinq fois jusqu'à 70, comme tu m'as dit ! Se récria t'elle
Alicia serrait son ours docteur dans ses bras et regardait sa sœur avec de grands yeux.
- Alors va recommencer ! Ordonna Serena
- Non mon ange… Dit la grand mère.
Elle s'assit par terre en tailleur et prit chacune des fillettes sur un de ses genoux. Elle continua, d'une voix douce :
- C'est très bien de protéger ta petite soeur. Mais il y a des choses qu'elle a autant le droit de savoir et de comprendre que toi.
Elle passa les mains dans les cheveux fins des enfants. Les deux soeurs regardèrent leur grand mère, la mine inquiète.
- Il s'est passé quelque chose au travail de votre père…
- À l'hôpital ? Demanda Alicia
- Oui mon ange. Tu sais que Papa est docteur ?
- Il fabrique des médicaments pour le gens et il gagne beaucoup de sous parce qu'il est très intelligent, comme Réna ! Dit Alicia, en serrant plus fort son ours docteur contre elle.
- C'est ça ma chérie. Le problème c'est que Papa a fait une erreur à son travail…
- Papa a fait une bêtise ?
- Oui ma toute petite. Mais pas une bêtise d'enfant, une bêtise de grand. Et une des personnes que Papa soignait est morte à cause de cette bêtise…
Alicia écarquilla les yeux et serra son ours toujours plus fort contre elle.
- Il va aller en prison ? Demanda Serena
- Quoi ? Papa peut pas aller en prison ! C'est là où sont les méchants et Papa est pas un méchant ! Glapit Alicia
- Non ma toute belle, Papa n'ira pas en prison. Mais… Papa ne pourra plus continuer son travail comme avant.
- Il va juste changer de travail alors…
- Le problème, c'est que Papa… Papa n'aimait pas la vie qu'il avait avec Maman et vous… Ce n'est pas votre faute, c'est… c'est la sienne… Papa n'arrivait pas à dire ce qu'il avait sur le coeur… Je vous l'ai toujours dit hein ? Il faut toujours dire quand on a quelque chose de gros sur le coeur aux gens qu'on aime, sinon ça gonfle et ça explose…
Les deux fillettes acquiescèrent. Serena serrait son petit poing et attendait la suite.
- Donc… Après qu'on ait dit à Papa qu'il devait changer de métier, ce qu'il avait sur le coeur a explosé. Et il a décidé de partir de la maison. Pour toujours.
- Il nous a abandonné ? Demanda Serena
Sa grand mère sourit tristement et acquiesça silencieusement. Alicia commença à pleurer.
- Et Maman ? Elle est où Maman ?
- Maman… Maman est à l'hôpital…
- Elle est malade ? Demanda Alicia entre deux larmes
- Oui… Mes chéries… Vous savez que Maman attend un bébé dans son ventre ?
- Oui…
- Et bien… Quand Papa a dit à Maman qu'il partait pour toujours… Maman a eut un grand choc de tristesse et… Maman a perdu le bébé dans son ventre…Dit alors la grand mère dans un sanglot
Un silence lourd s'abattit sur la pièce. Alicia demanda :
- Antoine est perdu ?
- Antoine ?
- C'est comme ça qu'Alicia et moi avons décidé d'appeler le bébé de Maman. Dit Serena
- Comme le monsieur qui conduit des avions et qui a écrit le Petit Prince… Renchérit Alicia
- Mes chéries… Antoine… Antoine est mort dans le ventre de Maman. C'est pour ça qu'elle est à l'hôpital.
Alicia lâcha l'ours docteur et éclata en sanglot plus fort. Serena pleura elle aussi. Le soir venu, couchée à côté de sa grande soeur, Alicia dit :
- Papa a tué Antoine. Il est devenu méchant. Il devrait aller en prison.
Annick, la grand mère des filles rentrait des courses quand elle découvrit Serena, âgée de 10 ans, plongée dans un livre.
- Qu'est ce que tu lis, mon ange ?
- La noétique, science de l'âme et de l'avenir, Dit d'un ton morose la jeune fille
- Oh… Ça a l'air bien compliqué ? C'est ton précepteur qui te l'a donné ?
- Oui… Mentit-elle
- Très bien. Ta soeur est rentrée de l'école ?
- Oui.. Elle prend une douche...
Un cri déchira la maison. Annick sursauta et tourna son regard vers l'étage. Serena eut une expression dure.
- C'est ta mère ?
- Qui veux-tu que ce soit ?
- Ma puce, ne soit pas si dure... Ça n'est pas sa faute...
- Je le sais bien, Mamie... je le sais bien
Un autre cri se fit entendre et Alicia surgit en toute hâte dans la pièce. Elle avait considérablement grandi, comme sa sœur. Elle s'assit à côté d'elle et chercha sa main. Un silence tendu s'installa dans la pièce. Annick souffrait visiblement et monta à l'étage pour soulager sa fille.
Héléna souffrait d'une forme atypique de psychose. Les médecins pensaient à une maladie génétique, enclenchée par le choc de la perte de son enfant et le départ de son mari. Une recherche génétique avait été enclenchée dans la famille et si les filles Wolfe n'en étaient pas atteintes, Annick était porteuse du gène. Il était donc tout à fait probable que la grand mère finisse aussi par perdre la tête. En attendant, elle s'occupait de ses petites filles et soignait sa fille, tout en bataillant contre la famille de son ex gendre pour assurer l'éducation des enfants. La famille Wolfe était une vieille famille, limite aristocratique et avait toujours rejeté les filles d'Héléna, considérée comme une femme indigne de transmettre le nom Wolfe. Récemment, Annick avait remporté une première victoire en assurant que les bénéfices et le patrimoine personnel d'Erik soient reversés aux enfants, et non pas à sa famille. Le patrimoine des enfants étaient donc conséquent et une toute petite partie était versée chaque mois à Annick pour assurer l'éducation des filles, notamment celle de Serena qui suivait à présent des cours à la maison. Son précepteur n'était pas mauvais mais l'éducation classique n'intéressait pas la jeune fille. Récemment, elle avait découvert la noétique. Cette discipline était à la base une philosophie de l'intellect et de l'esprit, qui s'était ouverte récemment à la science dite dure. Le postulat était que l'esprit était la source de toute chose et qu'avec une formation et des outils adéquats, on pouvait avoir un impact sur la matière. Son objectif secret était de parvenir à soigner sa mère, afin de retrouver une vie normale. Elle espérait y parvenir avant que sa grand mère tombe malade.
Un autre cri déchira la nuit.
- Elle est particulièrement difficile, ce soir, Marmonna Alicia.
Serena, couchée à ses côtés, serra sa petite soeur plus fort dans ses bras. Comme à chaque fois que leur mère criait sans cesse dans la nuit, la grande venait se coucher aux côtés de la petite et la serrait dans ses bras. Alicia ne manquait pas de courage, elle avait, comme sa soeur, été endurcie par les épreuves. Mais elle ne supportait pas de voir sa mère adorée dans cet état. Serena était déjà plus dure, plus forte. Son objectif en tête, elle fonçait, sans se préoccuper des coups qu'elle pouvait prendre. Son génie la protégeait. Si elle voulait guérir sa mère, c'était pour Alicia.
Malgré son enfance à part, Alicia était toujours restée un point fixe dans son existence. Un point où se raccrocher quand on la traitait comme une bête de foire parce qu'elle était trop intelligente, quand leur père était parti, quand leur petit frère en devenir était mort, quand leur mère était revenue triste et déprimée, quand elle avait fini par délirer. Alicia était sa petite soeur, sa complice et sa meilleure amie. Son âme soeur. Elle la protégerait de tout et de tous. Peu importe les sacrifices qu'il faudrait faire. Même les plus grands. Même ceux qui coutait beaucoup trop cher.
