Chapitre 3 : Une Nouvelle Promesse
- S'il te plait, il faut que tu te calmes... Dit le jeune interne avec un sourire crispé
- J'en ai marre ! J'ai subi tous les examens que vous vouliez. J'ai eu des dizaines de prises de sang, des imageries, j'ai mis des casques ridicules... Je suis en parfaite santé, vous pouvez pas comprendre ce qui m'est arrivé. Ayez la modestie de reconnaître que vous savez pas et passez à autre chose !
Elle retira brutalement son bras et se réfugia sous son drap en regardant le jeune homme avec colère. Elle n'aimait pas les médecins. Ils lui rappelaient son père. Le jeune homme soupira et dit à sa patiente :
- Tu n'es pas tout à fait en pleine santé
- Oui j'ai des carences. Mais ça c'est parce que je viens de taper deux ans de coma. Même vous, vous devriez le comprendre
- On ne tombe pas dans un coma profond de deux ans sans raison. Et on doit comprendre pourquoi...
- Vous ne pouvez pas comprendre... Dit l'ado de 14 ans.
- On doit comprendre pourquoi pour faire en sorte que ça ne t'arrive plus jamais... Poursuivit le jeune homme sans prendre en compte l'intervention de Serena
- Faites moi confiance, ça n'arrivera plus...
- Oh ? Comment tu peux en être sûre ? Tu sais ce qu'il s'est passé, du haut de tes 14 ans, alors que les meilleurs spécialistes l'ignorent encore ? Railla-t-il
- Dites vous que c'est de la faute de Dieu. C'est ce que les scientifiques médiocres dans votre genre font depuis la nuit des temps quand ils sont face à quelque chose qu'ils sont pas en capacité de comprendre. En plus, là c'est pas tout à fait faux...
Les deux se regardèrent avec antipathie et le futur médecin abandonna en grommelant sur les adolescents insupportables. Une infirmière revint avec un plateau repas quelques instants plus tard.
- Bonjour ma grande ! Je t'ai mis du rab.
- Merci Madame...
- Tu sais ma puce, faut que tu laisses les médecins faire leur travail... Dit la professionnelle d'une voix douce en s'asseyant sur le lit
- J'en ai marre. Je veux voir ma sœur. On m'avait promis que je pourrai la voir si je me comportais bien...
- Je sais ma puce... On a contacté la famille qui s'occupe d'elle. C'est difficile de traiter avec eux...
- La famille ? Quelle famille ? Qui s'occupe d'elle ?
- Tu sais que ta grand mère est tombée malade ?
- Oui, votre collègue m'a dit...
Serena sentit ses entrailles se tordre. Sans doute à cause de la nourriture solide à laquelle les dites entrailles devaient se réhabituer, mais aussi par culpabilité. Sa grand mère avait aussi fini par décompenser, comme sa mère. Mère d'ailleurs qui était morte, il y a deux ans. Serena ne pouvait pas s'empêcher de se demander si le choc de son coma n'avait pas enclenché le déclenchement de la maladie d'Annick, comme le départ d'Erik avait déclenché celle d'Héléna.
- C'est de la famille éloignée qui a la garde d'Alicia. Et qui aura sans doute la tienne quand tu sortiras d'ici...
L'infirmière ne put retenir une grimace. Elle avait eu la famille en question au téléphone et ne pouvait pas s'empêcher de regretter que Serena, auquelle tout le service s'était attaché, finisse sous la garde de gens pareils.
- C'est quoi leur nom de famille ? Garben ou Wolfe ?
- Wolfe... Comme toi
- C'est la famille de mon père... Grimaça l'adolescente
- Oui...
- Ils veulent empêcher Alicia de venir me voir ?
- Ils ne peuvent pas. Ils peuvent essayer. Mais on les en empêchera. Tu peux nous faire confiance ! Dit alors l'infirmière avec un sourire
Serena sourit à son tour, par politesse. Elle reposa ses couverts, l'appétit coupé. Elle repensa aux yeux bleus glacials de sa grand mère et de la haine dans ses yeux quand elle la regardait. La famille de son père les avait toujours rejeté et c'est eux qui s'occupait d'Alicia. « J'espère qu'ils lui ont rien fait de mal... » bouillonnait Serena, l'esprit plein de colère et de culpabilité. L'idée qu'il ait pu arriver quelque chose à sa petite sœur adorée par sa faute, parce qu'elle n'avait pas été là pour la protéger, lui fit dire :
- Je ne laisserai plus rien me séparer d'elle. Plus rien
L'infirmière perdit son sourire. Elle se demandait comment on pouvait avoir un regard si dur à un si jeune âge.
Dès qu'Alicia passa le pas de la porte, elle éclata en sanglots légèrement hystériques. Sa grande sœur était là, éveillée, assise dans son lit. Elle était maigre, faible mais elle était là. Une expression d'émerveillement passa sur les traits de Serena tandis que sa sœur bondissait sur son lit pour la serrer dans ses bras. Elle avait tellement grandi, tellement changé. Bizarrement, elle ne pleura pas. Elle lui rendit son câlin autant qu'elle put et jeta un regard vers la porte. Un homme grand, l'air sévère, appuyé sur une canne la regardait comme on regarde un chiot mal élevé qui vient de faire sur le tapis. Dominique Wolfe, l'oncle de son père. Serena lui rendit son regard. Le prochain obstacle était identifié. L'infirmière qui s'occupait de la jeune patiente fit en sorte que le vieil homme puisse sortir de la chambre afin de laisser un minimum d'intimité aux deux sœurs.
- J'arrive pas à y croire... Dit Alicia, toujours souriante entre ses larmes
- Tu doutais de moi ? Sourit l'ainée
- Je commençais à avoir deux trois doutes, je te cache pas...
- Comment tu vas ? Ils te traitent bien ?
- C'est pas pire. Je les vois presque jamais. Mais c'est pas ça l'important. Comment tu te sens ?
- Bien. Fatiguée, ce qui est ironique étant donné que j'ai pioncé pendant deux ans...
- Tu sais ce qui t'es arrivé ?
Serena sourit. Alicia ne doutait absolument pas d'elle et la connaissait par cœur. Elle lui dit :
- Oui
- Ça risque de se reproduire ?
- Non.
- T'es sûre ? Parce que c'était un peu chiant, je te cache pas...
- Je suis sûre. J'ai retenu la leçon. Je t'expliquerai quand je serai sortie d'ici.
- Prends le temps d'aller mieux...
- Non, faut que je sorte vite. Hors de question de te laisser plus longtemps seule avec ces gens
- N'empêche, ne tire pas sur la corde. Faut que tu sois en forme
- Hey, c'est qui la grande sœur entre toi et moi ? Je sais que j'ai pas pu bien jouer mon rôle ces deux dernières années mais...
- T'inquiète pas de ça. C'est pas ta faute, on choisit pas de tomber dans le coma
- C'est plus compliqué que ça...
- On verra ça quand tu seras sorti d'ici. Je vais bien comme tu le vois. Prends soin de toi, retape toi et on aura tout le temps de discuter du reste quand on sera ensemble à nouveau
Le silence régna après que Serena eut mis un point final à son histoire. Alicia et elle s'étaient enfuies de la villa de l'oncle Dominique. Elles ne voulaient pas prendre le risque d'être entendues et avaient terminé dans un coin isolé du parc de la ville, à grignoter des frites. Serena avait raconté tout ce qu'il lui était arrivé : son projet de guérir leur mère, l'échec, la Porte, la Vérité, la punition. Elle lui avait raconté ne plus se souvenir des deux dernières années avant son coma.
- Quand tu disais que ce n'était pas ma faute si j'avais été plongée dans le coma, tu n'avais pas tout à fait raison. C'était ma punition. Le temps, c'est ce qu'on avait de plus précieux. Et c'est pour ça qu'Elle a choisi de m'en prendre. Je suis désolée Ali. J'ai manqué à ma promesse. Je t'ai abandonnée.
Le silence continua pendant de longues minutes. Alicia gardait les yeux fixés sur sa soeur, à la fois surprise et choquée. N'y tenant plus, Serena finit par lâcher :
- S'il te plait… Ne me déteste pas.
- Je ne pourrais jamais te détester, Répondit Alicia, d'une voix douce
Serena respira mieux.
- Je ne peux pas t'en vouloir. Tu voulais sauver notre mère. Tu n'as pas pu. Les conséquences ont été trop dures. Cette… Vérité comme tu dis… elle est injuste…
- Il faut bien que quelqu'un veille et punisse… Murmura Serena
- Ça change ma vision sur beaucoup de choses… Sur Dieu, sur la vie et la religion… C'est une découverte majeure que tu as faites…
- Je ne sais pas… Sans doute...
- Autant ne pas en parler aux autres. On te prendrait pour une folle et on nous séparerait encore.
- C'est ce que je pensais aussi. Pareil pour la noétique. C'est une science trop jeune pour être mise sur le devant de la scène. Ça causerait un choc trop grand… Quand on voit ce que les adultes ont crée à partir de la découverte de l'atome… Je n'ai pas envie de leur mettre mes travaux dans les mains…
- Une bombe atomique psychique… De la folie, en effet… Dit Alicia
Elles restèrent silencieuses pendant encore quelques minutes, Serena mangeait très lentement ses frites. Elle n'était toujours pas habituée à se nourrir normalement et toute nourriture la dégoutait. Alicia prit la parole :
- Je te relève de ta promesse
- Hein ?
- La dernière chose dont tu te souviens. Ta promesse de me protéger. Je t'en relève.
- Non ! Ali…
- Écoute moi grande soeur. Pendant deux ans, j'ai appris à me battre. Je n'ai pas envie d'être couvée. Il faut que tu me laisses faire mes propres erreurs.
- Mais…
- Faisons nous une autre promesse.
- Je… D'accord. Laquelle ?
- Celle de ne jamais laisser quiconque nous séparer. On reste ensemble et on veille l'une sur l'autre.
Elle tendit la main. Serena la saisit et elles serrèrent très forts.
