Chapitre 4 : Hey teacher, leave them kids alone
Quelques semaines plus tard, Serena sortait tranquillement de cours sous les cris de son professeur et le silence ébahi des autres élèves. Elle marcha dans les couloirs et se rendit au lieu de rendez vous convenu avec sa sœur. Cette dernière s'y trouvait déjà.
- T'as été bien longue ! 15 minutes pour être exclue de cours d'Histoire, c'est long. Mon record personnel c'est 4 minutes...
- Oui ben t'as quand même plus d'expérience que moi... Je comprends pas comment ce genre d'établissement peut encore exister...
L'institut Clarion pour Jeunes Filles de Bonne Éducation portait bien son nom et réalisait toutes les promesses qu'il semblait faire par sa simple existence. Les cours théoriques se résumaient à des connaissances superficielles, juste suffisantes pour que les jeunes filles puissent tenir une conversation. Le contenu était particulièrement orienté : la République était la Grande Prostituée, le temps des Rois avait été l'apogée de la civilisation humaine, les modernités de type féminisme ou lutte pro LGBT étaient des déviances absolues et la race blanche était naturellement supérieure. Il y avait aussi des cours de cuisine, de broderie et de bonne manière. L'objectif était de former une nouvelle génération d'épouses trophée pour les garçons de l'école voisine, qui elle était une des meilleures du pays. Alicia s'y glissait régulièrement depuis deux ans, afin de garder un niveau scolaire suffisant. Depuis son retour, Serena s'était donné deux missions : faire en sorte que sa sœur ait un niveau d'éducation suffisant et se faire exclure de cet établissement. La première mission n'était pas des plus complexes, étant donné que depuis son passage dans la Vérité, elle était littéralement un puits de science. La seconde mission était déjà plus compliquée. Alicia avait déjà fait pas mal de conneries mais leur oncle fournissait suffisamment d'argent à l'établissement pour qu'il conserve les deux sœurs le plus loin possible de lui.
- Bon, c'est quoi le prochain projet ? Demanda Serena
- Je sais pas, je pensais que la fresque aux licornes suffiraient...
Leur dernier exploit était l'apparition en une nuit d'une gigantesque fresque colorée pro LGBT sur la façade principale de l'établissement. Serena l'avait fait apparaître par noétique en une seule nuit. Les sœurs pensaient que cela suffirait mais ça n'avait pas été le cas.
- Elles m'ont quand même accusée d'être une sorcière. Je crois qu'elles étaient premier degré...
- Ça se trouve, elles sont en train de construire un bucher dans le sous sol, Grinça Alicia
- J'ai hâte !
- Faut qu'on trouve ce qu'elles ne peuvent pas tolérer... Le bordel, les soirées mousses, les dégradations... elles sont payées pour nous supporter. Si on veut être exclue, il faut qu'on trouve ce que ces gens ne peuvent pas supporter... Réfléchit Alicia
- Mmmmh. Elles ne supportent pas qu'on soit en République et qu'une femme puisse être présidente
- Ça risque d'être short pour devenir présidente...
- Non mais... si on arrive à convaincre les autres ?
- De quoi tu parles frangine ?
- Leur objectif c'est de former des épouses soumises, des générations d'épouses soumises... Si on arrive à convaincre nos chères camarades que cet institut c'est de la merde... si on arrive à les convaincre qu'elles valent plus que ça...
- Ça va être compliqué. Ces filles sont éduquées dans ce genre de milieu depuis qu'elles sont gosses. Faudra être très convaincante...
- On y arrivera pas avec toutes... faut cibler les plus précieuses pour eux et les détourner du droit chemin, Dit Serena avec un sourire carnassier.
- Je sais pas...
- T'as une meilleure idée ?
- Pas vraiment... Bon, autant essayer !
Les deux sœurs firent d'un coup profil bas. Leurs professeurs eurent la bêtise de s'en féliciter dans un premier temps. Puis, ils commencèrent par recevoir de plus en plus de plaintes de parents d'élèves. Leurs filles tenaient des propos déraisonnables, avaient des ambitions personnelles et des pensées propres. Le scandale ultime éclata quand une des filles les plus âgées affirma haut et fort avoir avorté et ne pas le regretter, que son corps lui appartenait et que les valeurs enseignées dans cet établissement étaient d'un autre temps. Une enquête approfondie révéla la culpabilité des sœurs Wolfe dans le changement des mentalités.. Elles avaient patiemment détourné leur camarde du droit chemin. Elles furent renvoyées « chez elles » comme on chasse le loup de la bergerie. Dominique Wolfe eut beau promettre des fortunes, la directrice de l'établissement jura ses grands dieux que Serena et Alicia étaient des âmes perdues et qu'elle refusait de porter son regard sur elles à nouveau par crainte de damnation.
Le vieil homme réagit immédiatement et ne laissa pas les filles vivre à son domicile plus de deux jours. Il essaya un autre institut pour jeunes filles puis un troisième. Mais les deux sœurs parvenaient toujours à s'en faire exclure, avec pertes et fracas. Alors, il passa aux écoles de redressements, de plus en plus dures. Ces dernières se révélèrent plus difficiles, notamment pour Serena, qui n'était toujours pas remise physiquement de son long coma. Elle dormait aussi très mal, ses nuits étaient assaillies de cauchemars où la Vérité avait bonne place. Elle rêvait aussi régulièrement de la nuit où elle avait tenté l'expérience sur sa mère. Mais malgré tout, Serena et Alicia Wolfe semblaient définitivement être un problème sans solution pour l'Éducation Nationale. Elles étaient d'une solidarité à toute épreuve et d'une intelligence redoutable. Elles étaient toujours renvoyées auprès de leur oncle. A chaque fois, Dominique prenait Serena dans son bureau pour la corriger. Il le faisait bien, personne ne se rendait compte que la jeune fille était maltraitée par son oncle. Même Alicia ne savait pas à quel point les « remontrances » de Dominique était douloureuse pour sa grande sœur. Après leur dernière expulsion et sa dernière correction, le vieil homme finit par être effrayé par cette adolescente, qui ne pleurait pas.
- Vous êtes un boulet. Une épine dans le pied de la famille Wolfe
- Ah ah... Et le pire, c'est qu'on est les seules héritières hein... Grimaça Serena
Elle se redressa, le corps meurtri mais l'esprit intact. Elle regarda son oncle dans les yeux :
- Ben oui, on se reproduit plus trop chez vous hein ? La consanguinité c'est un vrai bail hein, pas juste une théorie du complot pour vous forcer à vous ébattre avec vos servantes
- Tu veux dire comme ton connard de père, qui s'est acoquiné avec une femme défaillante !
- Si il y a bien un sujet sur lequel on est d'accord, c'est que mon père est un connard. Mais un connard riche. Il en a fait du pognon et il en fait encore, vu que les médocs qu'il a pondus continuent de se vendre comme des petits pains pour cancéreux. Ça a marché, votre dernière tentative pour nous reprendre le pognon ou pas ?
- Rmmmf... Grommela Dominique
- J'imagine que non... Et ça doit vous coûter un pognon de dingue toutes les écoles où vous nous envoyez... c'est triste. Je suis de plus en plus riche et vous vous êtes de plus en plus pauvre.
Elle soupira. Ils se regardèrent, de la haine plein les yeux. Elle persifla :
- Je suis plus intelligente que vous Dominique. Peu importe ce que vous ferez, je trouverai une manière de le contrecarrer...
- On va voir... Grinça Dominique
La porte métallique se referma avec brutalité. Les deux sœurs se regardèrent, interloquées :
- Non mais je m'attendais pas à celle là... Dit Serena
- Vraiment ? Ironisa Alicia
Dominique avait fini par refiler les sœurs à leur grand mère. Qui n'était pas connue pour son humanité. Au contraire. En croisant les yeux bleus de sa petite fille, elle avait commencé à hurler et avait fini par enfermer les deux sœurs dans une sorte de cachot, avec la promesse qu'elles en sortiraient à la majorité de la première.
- Bon, on fait quoi maintenant ? On reste ici pendant les trois prochaines années ? Parce que c'est pas tout de suite que t'as 18 ans...
- Tu penses que tu passes par cette fenêtre ? Demanda Serena après quelques secondes de réflexion
- Ah je sais que je suis épaisse mais quand même, ça me semble compliqué de passer entre les barreaux là...
- Non mais si on enlève les barreaux...
- Ben peut être... Je pense que tu passes toi, t'es plus mince que moi...
- Sans doute mais j'aurai pas la force de me hisser. C'est toujours pas la grande forme.
- Ok et une fois que je suis dehors, je fais quoi ?
- Ben je commence à me dire que ça peut valoir le coup d'aller voir les forces de l'ordre parce que ce qu'il se passe là, ça commence à doucement ressembler à de la maltraitance sur enfants... Ironisa Serena en se concentrant sur les barreaux
- JE NE COMPRENDS PAS ! IL Y AVAIT DES BARREAUX À SES FENÊTRES !
La vieille matriarche Wolfe hurlait sur les policiers. Alicia avait réussi à sortir et par parfaitement jouer la panique dans le commissariat le plus proche. Les agents avaient débarqué dans le grand manoir et étaient tombés de nues face à la jeune ado d'à peine moins de 15 ans qu'ils avaient découverte dans un cachot.
- Vous aviez donc bien l'intention d'enfermer ces jeunes filles ? Demanda l'inspecteur, bouillonnant de rage
- Jusqu'à ma majorité, qu'elle a dit. J'ai 15 ans dans un mois, c'est vous dire si c'est pas pour tout de suite, Précisa Serena en rejoignant sa jeune soeur.
- Comment as tu fait ? Petite sorcière ! Il y avait des barreaux à cette fenêtre ! J'en suis certaine
- Vous devenez gâteuse Mère-Grand. Il n'y a jamais eu de barreaux à cette fenêtre.
- On a appris à crocheter des serrures dans une des écoles pour jeunes délinquants dans laquelle ils nous ont placées. Heureusement qu'on est vite de sortit de cette école, Dieu sait ce qu'on aurait pu apprendre d'autres la bas, Dit Ali, innocemment
Le scandale fut conséquent. L'une des familles les plus anciennes et respectées du pays était accusée de maltraitance sur deux adolescentes de leur famille. La presse se déchaina. Les deux sœurs furent amenées à l'Assistance Publique et furent mises dans le bureau d'une assistante sociale.
- Bon... qu'est ce qu'on va faire de vous ?
- C'est ce que la plupart des adultes se disent quand ils nous voient. Ça commence à être lassant... Répondit Alicia, d'un ton blasé
L'assistante sociale se sentit immédiatement coupable de sa réflexion. Elle se plongea dans l'étude du dossier des filles. Elle se demanda comment le destin pouvait autant s'acharner. Elle leva les yeux et regarda les filles. Elles étaient maigres, surtout Serena. Elles semblaient épuisées mais il y avait quelque chose dans leur regard qui effraya la travailleuse sociale. On ne s'attendait pas à tant de maturité dans les yeux d'adolescentes. Elle résuma la situation ainsi :
- Il est rare que Dieu s'acharne autant sur un destin...
- Dieu a souvent ses raisons
La réponse de Serena claqua, sèche. L'assistante sociale ne se démonta pas et dit :
- Il reste une solution. Rien de sûr. Une école. Ils n'acceptent pas grand monde mais uniquement des enfants comme... avec un parcours difficile comme le vôtre. Ils sont excellents. J'espère qu'ils vous prendront et qu'ils arriveront à vous redonner confiance envers les adultes.
- Ya du boulot... Murmura Serena, tandis qu'Alicia eut un rire nerveux.
