Mes petits chats,

Je publie aujourd'hui la septième partie de la tendre histoire de Bucky et Steve. Encore une autre tranche dans leur vie tranquille et douce. Parfois, cela fait du bien de prendre le temps :)

Mea culpa pour ne pas avoir respecté mon rythme de publication bi-mensuel, j'étais en vacances pendant une semaine et je n'ai pas réussi à avancer dessus. Je vous présente mes excuses sincères.

J'espère que vous aimerez ce chapitre :)

Ci-dessous, quelques notes explicatives si vous le souhaitez. Sinon, bonne lecture à tous et à bientôt pour la suite !

Bien à vous,

ChatonLakmé


XOXO est un symbole utilisé en correspondance pour symboliser des baisers. Dans les pays anglo-saxons, il est l'équivalent de nos « Bisous », « Bises » etc. L'explication la plus communément admise est que le X représente les quatre membres d'une personne et le O une bouche donnant un baiser.

Les romans Harlequin désignent les publications de la maison d'édition Harlequin Entreprises, fondée en 1949 à Toronto, Canada. Elle est spécialisée dans les romans d'amour.

Les Pop tarts dont des pâtisseries composées d'un fourrage sucré aux multiples parfums, enfermé entre deux fines couches de pâte. Elles peuvent se déguster froides mais on les fait traditionnellement réchauffer dans un grille-pain.

National Geographic Channel (anciennement National Geographic Channel) est une chaîne de télévision américaine spécialisée. Elle diffuse essentiellement des documentaires sur la nature, la science, la culture et l'histoire.

Grease est un film musical iconique sorti au cinéma en 1978. Il s'agit de l'adaptation de la comédie musicale du même nom créée à Brodway en 1972. Le film raconte la vie de la lycéenne Sandy Olsson (incarnée par Olivia Newton-John) et de ses amis dans l'Amérique des années 1950. Elle retrouve notamment à la rentrée dans son nouveau lycée son amour de vacances Danny Zuko, mauvais garçon interprété par John Travolta. Il a été récompensé deux fois aux Golden Globes et quatre fois aux People's Choice Awards cette même année.

L'étude des universités Emory d'Atlanta et du Michigan que je cite a réellement été conduite et publiée en 2016. Le sujet des chercheurs portait sur la différence d'âge dans un couple et la manière dont celle-ci joue sur la longévité de leur amour. Vous pouvez en trouver des synthèses dans des articles en ligne si le sujet vous intrigue.


L'homme de la plage

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Septième partie

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Une main posée sur le plan de travail de la cuisine, Bucky achève de boire une tasse de café.

Il a les yeux rivés sur la pendule accrochée au mur du salon et suit le rythme paresseux de la trotteuse.

Tac tac tac.

L'heure de son rendez-vous approche mais le brun préfère penser à autre chose. Il sait qu'il va se faire tirer les oreilles par son éditeur. Même par visioconférence, ce n'est pas un exercice agréable.

Le balancement de l'aiguille est lent même si elle marque les secondes. Tranquille. Comme les battements de son cœur. Il est bien, inutile de penser à des choses désagréables pour le moment.

Le brun soupire d'aise.

Voilà, c'est ça.

Le trottemment de l'aiguille qui résonne doucement dans le salon vide, Sandy qui grogne d'aise dans une nappe de soleil un peu plus loin. L'odeur discrète de l'after-shave de Chris dans l'air. Ouais, il survivra à son entretien avec Tony et acceptera la remontrance sur son retard sans rechigner. Il lui serait difficile de ne pas le reconnaître et Bucky est un homme foncièrement honnête. En tout cas en ce qui concerne son travail, moins pour ses sentiments.

Il cale ses reins contre le plan de travail et balaye le salon du regard.

La journée s'annonce encore splendide mais sans grosse chaleur. Le jeune homme le voit dans la manière dont les rayons du soleil couvrent les meubles d'une fine et douce poussière dorée. Celle-ci nimbe les contours des objets. Un livre abandonné sur le canapé pages ouvertes ou un tee-shirt oublié sur le dossier du fauteuil en cannage à côté de la baie vitrée. Des petits riens, des anecdotes de vie dans une maison partagée.

Sur le frigo, le calendrier que Bucky imprime et actualise chaque mois est une tache blanche ponctuée d'un désordre de couleurs et de post-it annotés. Août. Il se sent heureux. C'est le deuxième mois que Bucky change depuis que Chris habite avec lui. Deux mois bien avancés, presque trois. Bon sang. Il s'en étonne encore, comme du rythme tranquille et simple de leur colocation. Le blond a quitté la maison un peu plus tôt avec discrétion pour ne pas déranger Bucky qui travaillait dans son bureau sur sa traduction. Il était concentré mais pas suffisamment pour ignorer le ronronnement familier du pick-up Ford qui s'éloignait. Chris a rendez-vous à Providence avec son neurologue. Il a laissé derrière lui l'odeur musquée de son after-shave et une note à l'écriture large et volontaire accroché en haut du calendrier.

Je suis parti voir le Dr. Weisser. Je m'arrête au WinCo en rentrant. Envoie-moi un message si tu penses à quelque chose. À plus tard Bucky.

PS : La lessive est finie. Hors de question que tu l'accroches, je m'en occupe à mon retour !

Bucky ricane. Il arrange un coin un peu corné du papier et le lisse avec soin. Son pouce s'égare vers la signature de Chris. Le « À » est plus appuyé que les autres lettres, une rature pour cacher quelque chose. Le brun a la vue perçante et surtout, son ami n'est pas un aussi bon dissimulateur qu'il le pense. Il lit encore très bien la tentative avortée de « XOX… », transformée en un mot de politesse un peu plus banal.

Le brun se mord les joues.

Des baisers.

Il est un adolescent. Un adolescent stupide et énamouré.

Non loin de lui, Sandy exhale un lourd soupir de plaisir. Elle roule lentement sur le flanc, offrant les poils presque blancs de son ventre au soleil. Dans son sommeil, ses pattes sont agitées de légers réflexes nerveux et le brun l'entend grommeler.

Un nouveau regard à l'horloge. Il va être en retard.

Bucky achève son mug d'une gorgée et le rince rapidement. D'un coup d'éponge, il essuie le plan de travail autour de l'évier. Il a l'impression de voir Chris à côté de lui, les sourcils froncés.

« Buck', est-ce que tu peux essuyer le pourtour de l'évier ? Tu mets toujours de l'eau partout quand tu fais la vaisselle, on dirait que Sandy vient de sortir du bain. »

Comme une foutue dispute de couple.

Bucky sèche le granit d'un coup de torchon et regagne son bureau sans envie avant de s'y enfermer avec soin. Voir Sandy pourrait distraire agréablement Tony pendant quelques minutes mais son éditeur n'oublie jamais. Cet entretien est comme un pansement. Il faut l'arracher vite et en une seule fois.

Le brun s'assoit, sort son ordinateur de veille et se connecte sur Skype. À peine cherche-t-il le nom de Tony Stark dans sa liste de contacts professionnels que ce dernier l'appelle déjà.

Bucky inspire et rejoint la conversation. Un pansement. Vite et en une seule fois.

« James ! Nous devons parler ! »

Le brun grimace discrètement. Ça commence mal si Tony l'appelle par son prénom entier. Mais il est un Barnes et les Barnes ont du caractère. Surtout l'esprit de contraction et un sens de la survie assez limité.

— « Bonjour à toi aussi Antony », le salue-t-il d'un ton narquois. « Je me porte bien, merci. Et toi ? Quelles nouvelles à San Francisco ? »

Tony grimace à son tour et Bucky sourit d'aise. Son éditeur déteste son prénom au moins autant que lui. Il hausse un sourcil avant de ricaner.

« Tu es acide et insolent, j'aime ça ! Puisque tu ouvres les hostilités, tu me permettras de ne pas mettre non plus les formes de mon côté. Tu es terriblement en retard dans ton travail Bucky. »

Il y a juste une chose que le jeune homme à oublier. Tony peut se montrer d'une grande mauvaise foi mais il le fait avec une telle assurance qu'il coupe toute réplique possible.

Bucky fronce les sourcils. Mince. Un point pour lui.

Il hausse légèrement les épaules.

— « … Je sais. Je me suis déjà excusé mais tu as raison. Je suis… terriblement en retard », admet-il.

« Est-ce que tu as des difficultés ? À la signature du contrat, tu m'as assuré pouvoir tenir les délais mais ton rythme de traduction n'arrête pas de ralentir. C'est toi qui as estimé le temps nécessaire pour me rendre un travail parfait. »

Bucky lève les yeux au ciel. Il sait. Il n'a pas sur-estimé ses capacités. Dans un monde et un quotidien normal, il y parviendrait sans peine. Sauf que plus rien ne l'est dans sa vie depuis deux mois.

« Les chapitres que tu m'as envoyé jusqu'à présent sont vraiment excellents. Le Pr. Garnier de l'université de Boston – Tu sais, celui qui écrit la préface – m'a dit ne pas en avoir lu quelque chose d'aussi juste depuis au moins vingt ans… Tu me dirais si quelque chose n'allait pas, n'est-ce pas ? »

Le brun hausse légèrement les épaules. Il récupère l'exemplaire d'Anna Karénine annoté par sa mère et le feuillette distraitement.

— « Je suis juste… perfectionniste. C'est un très beau projet pour Stark Publishing et je veux faire les choses biens. »

« Le mieux est l'ennemi du bien. »

Bucky ricane au ton très professoral mais Tony a raison. Il est aussi un peu dissipé et cela se reflète dans son travail.

— « Je te remercie pour cette marque de confiance », grommelle-t-il. « Les choses sont un peu différentes ici depuis quelques semaines. Ça ne m'empêche pas de faire mon travail mais c'est un peu plus long. Je rattraperai mon retour quand elles se seront apaisées. »

Mensonge. Chris habite avec lui depuis longtemps maintenant et leur colocation a pris un délicieux rythme de croisière. Le brun a dépassé de longue date les moments un peu gênants et les hésitations. Il se racle la gorge pour garder contenance mais il échoue lamentablement. Tony hausse un sourcil si haut qu'il semble frôler la racine de ses cheveux toujours artistiquement décoiffés. Au moins autant que son bouc dont Bucky suppose que la coupe un peu étrange doit être à la mode à San Francisco. … Il est très satisfait d'habiter à Eureka.

« C'est une manière incroyablement froide et clinique d'évoquer l'extraordinaire aventure qui t'est arrivé. Est-ce que tu as besoin de poser à nouveau quelques jours de congé pour prolonger tes vacances de l'amour ? Je préfère te dire tout de suite que ce n'est pas compatible avec notre planning d'édition. Tu as du retard. »

— « Ce – Ce n'est pas… »

Bucky sent ses joues chauffer. À l'écran, Tony l'observe juste avec gourmandise, ses yeux noisette brillant de malice et un sourire satisfait aux lèvres.

— « Comment es-tu au courant ? », se renfrogne le brun. « J'ai pris des congés au début du mois de juillet, je suis persuadé de ne rien t'avoir dit. Je ne t'aurais jamais rien dit. »

Tony ricane et le jeune homme se crispe un peu plus. Dire que quand il l'avait informé de son absence, son éditeur pensait que c'était parce qu'il adoptait un autre chien. Pourquoi ? Bucky l'ignore mais en voyant Chris déambuler timidement dans la maison, il avait eu de drôles de visions.

« Tu ne m'as rien dit, méchant. Tu voulais préserver ton petit nid d'amour sur la plage peut-être ? J'avoue que cette histoire titille vraiment mon imagination. On se croirait dans un roman Harlequin, quelque chose comme Un amour au soleil ou Une romance inattendue. Comment est-ce que l'hôpital a appelé ton inconnu déjà ? »

— « Chris n'est pas mon inconnu », grommelle Bucky. « Bon sang, je vais faire s'étouffer Sam avec des cookies… »

Son interlocuteur s'esclaffe et se renverse dans son fauteuil en cuir. Par la grande baie vitrée derrière lui, le brun distingue vaguement la skyline du Financial District de San Francisco et la silhouette élancée du Golden Gate. Un peu prétentieux. Franchement hors de prix. Une fois encore et comme cela lui arrive régulièrement, il maudit la rencontre de Sam avec ce trublion en costume trois pièces pendant la courte période où il a exercé à San Francisco avant de rentrer à Eureka. Son ami a mis les deux hommes en contact après que Bucky eut cessé de travailler pour une maison d'éditions de Portland à cause de désaccords professionnels variés. Au fond de lui, le brun est heureux de la très belle opportunité que lui a offerte cet énergumène il y a quelques années. Si seulement Tony pouvait être un peu moins lui-même quelques fois. Il semble avoir inventé l'adage « Qui aime bien châtie bien ». …Il adore Bucky.

« Trouve autre chose, ça lui ferait trop plaisir. »

— « Est-ce qu'il y a autre chose à mon sujet dont Sam et toi ne parlez pas ? », lui demande-t-il d'un ton suspicieux.

Tony hausse nonchalamment les épaules mais il garde ce petit sourire en coin qui tord légèrement la commissure de ses lèvres. Non seulement, l'homme est prodigieusement agaçant mais aussi ridiculement séduisant. Il exaspère Bucky.

« Je le connais depuis des années, tu travailles pour moi depuis presque aussi longtemps alors nous nous inquiétons tous les deux pour toi. Nous ne faisons pas que nous moquer gentiment de ta vie quasi monacale tu sais. J'avoue que cette fois, tu m'as surpris. Trouver un inconnu beau comme un demi-dieu et le ramener chez toi… C'est très audacieux de ta part. »

— « Ce n'est pas ce qu'il s'est passé. Tu déformes tout », baragouine Bucky.

Le regard suggestif que lui adresse Tony fait soudain chauffer ses oreilles. Merde.

— « Je me suis juste comporté comme un citoyen responsable. À sa place, j'aurais aussi été heureux de voir quelqu'un me tendre la main et pas uniquement les services sociaux du comté. »

« Touché. Mais si Sam a dit vrai, alors ton histoire donne vraiment le frisson. »

Le roucoulement du brun tord quelque chose dans le ventre de Bucky et il n'a rien à voir avec de l'agacement pour ses facéties. Il se raidit.

— « Tu tremblerais bien plus si tu étais à sa place », lui rétorque-t-il d'un ton sec. « Chris n'a pas de souvenirs, pas d'identité et il dépend de l'État pour toutes ses dépenses. Ça ne me donne ni envie de rire ni de rêver. »

« C'est un joli prénom Chris. … Vous l'avez choisi ensemble en regardant les noms les plus donnés aux nouveau-nés en Californiecette année ? »

— « Tony, je pensais que tu voulais qu'on parle travail », soupire le brun en le fusillant du regard.

Tony plante ses prunelles marron dans les siennes, comme un défi. Bucky ne cille pas. Il se contente de s'accouder à son bureau et de poser son menton dans sa main d'un air d'ennui. Il ne répondra pas à une autre provocation. Tony est endurant mais lui-même peut se montrer très têtu.

Après un silence, son interlocuteur sourit et lève les mains en signe de reddition. Maigre victoire.

« Je sais que ta capacité de travail est prodigieuse mais ton retard s'accumule de plus en plus. J'admire sincèrement ce que tu as fais pour ton colocataire mais ne te laisse pas envahir par ton désir de le ménager et de lui faciliter la vie le plus possible. Chris est un grand et beau garçon, je suis sûr qu'il se débrouille très bien. »

Bucky se mord les joues pour ne pas lui répliquer avec un peu trop d'orgueil que non, Chris a vraiment besoin de lui. Cet homme si indépendant a eu besoin de son avis pour choisir entre un tee-shirt bleu et un débardeur blanc. Il a guetté avec une pointe de timidité sa réaction quand il s'est enhardi à essayer une chemise à motifs dans cette friperie sur Brodway Street. Quant à appeler la famille Louis pour débarrasser le dressing de leur père, proposition qui n'est pas allée plus loin, le brun sait qu'il n'y serait jamais allé seul. Bucky ne l'avouera jamais mais l'idée que ça change le peine. Il a adoré leur sortie shopping et conseiller Chris sur sa garde-robe. Ridicule.

« Tu ne peux pas rester sa mère-louve de Sibérie pendant des années Bucky. »

— « Pourquoi de Sibérie ? »

« Pourquoi pas. Ne t'attache pas ainsi aux détails, tu manques le plus important dans ma phrase. »

Bucky hausse les épaules.

Tout est affaire de détails.

La manière dont Chris préfère son café le matin, différente de celui de la pause de onze heures qu'ils prennent ensemble sur la terrasse. Celle dont il râle parce qu'il peine à coiffer correctement le matin les courtes mèches en épis autour de sa cicatrice. Ses cheveux commencent à être un peu plus drus mais quand il les touche en riant, Bucky trouve toujours qu'ils sont doux comme du duvet de poussin. Il y a encore la façon dont Chris tente de les arranger au mieux pour la cacher mais souvent maladroitement. Cela donne un fouillis moins artistique que les cheveux de Tony et le brun s'empresse de le corriger quand son ami s'apprête à partir avec le pick-up. Ça, ça pourrait vraiment être considéré comme quelque chose d'intrusif. Mais Chris ne proteste jamais, il incline toujours doucement la tête sous ses doigts pour le laisser faire. Il…

Bucky entend Tony se racler la gorge pour attirer son attention. Il se redresse pour se donner une contenance et ne pas faire comme si le regard noisette du brun lui brûlait le visage.

— « Je ne suis pas une mère-louve », proteste-t-il plus mollement qu'il ne l'aurait voulu. « Chris a besoin de s'occuper les mains et l'esprit et – Seigneur, je t'interdis de me jeter un regard pareil ! Ce n'est pas – Je ne parle pas de ça ! »

Bucky sent ses oreilles chauffer durement tandis que Tony sourit d'un air vaguement lascif. L'enfoiré.

— « Je veux juste l'aider et – » Il soupire doucement et préfère abdiquer. « Je te promets que je vais être plus attentif. Je ne me laisserai plus envahir par mon travail. Excuse-moi. »

Le brun le fixe avec attention avant de claquer sa langue contre son palais.

« Ne me fais pas passer pour la méchante sorcière de ton conte de fées Bucky. Tu rends tes chapitres dans un délai correct même si cela pourrait être mieux. Ce qui m'inquiète est que je ne parviens plus vraiment à avoir de visibilité sur la suite de ton travail. Le Pr. Chemay de l'université d'Arizona commence aussi à s'impatienter. Elle n'arrête pas de nous appeler pour se plaindre de ta lenteur et dire que cela la retarde dans son analyse. »

Bucky fronce les sourcils et s'assombrit. Il aime ce projet mais la présence de Rachel Chemay est l'épine empoisonnée dans le bouquet. Le brun ne s'est entretenu avec elle qu'une seule fois, lors de leur rencontre dans les bureaux de Stark Publishing à la signature du contrat. Jeune, jolie, avec de grandes dents à rayer le parquet à en faire des tranchées de chantier. Il n'a rien contre les femmes ambitieuses, c'est une excellente chose, mais en plus de l'avoir trouvé arrogante, le brun n'est pas certain de partager son idée de la littérature et de ce qu'on lui fait dire.

Il pianote des doigts sur son bureau d'un air peu amène.

— « … Donne-lui mes coordonnées », marmotte-t-il sans envie. « Les brefs échanges que nous avons par ton intermédiaire me crispent déjà, je dois lui parler directement. Est-ce que tu as lu ses notes de bas de page sur le chapitre VII ? »

« … Tu l'as rendu il y a une éternité. C'était… instructif. »

— « C'est une analyse complètement anachronique », assène Bucky d'un ton sec.

Tony hausse les épaules d'un air un peu gêné.

« C'est moderne. Le Pr. Chemay est réputé pour ses analyses des chefs-d'œuvre de la littérature contemporaine. Je voulais proposer quelque chose de nouveau. »

— « Ce n'est pas ce que tu m'as commandé Tony. Lire ses notes me met presque mal à l'aise. Je n'aime pas l'idée que mon travail serve ce genre de propos. »

« Je comprends… Je vais organiser une visioconférence entre nous. Stark Publishing est censé faire l'interface entre vous deux, elle dit être trop occupée pour gérer en personne ses relations avec toi. On lui proposera à cette occasion de prendre tes coordonnées. »

— « Charmant. J'ai vraiment hâte d'y être », grogne le brun en guise d'acquiescement.

« Elle a vingt-quatre ans. S'il te plaît, montre-toi le plus mature des deux. »

Bucky passe une main dans ses cheveux avec nervosité. Il avait oublié ce petit détail. Un cocktail détonnant avec son arrogance et sa morgue pleine de suffisance. Leur rencontre va être un enfer.

« Tu veux que je te laisse tranquille pendant un ou deux jours ? Le temps que tu organises ton nouvel emploi du temps avec Chrrriss ? … Comment avez-vous fait pour ses papiers d'identité d'ailleurs ? Est-ce qu'il porte ton nom ? »

Bucky le fusille du regard mais par caméra, l'effet doit être aussi impressionnant que Sandy encore chiot entourée de post-it mâchouillés.

Ce n'est pas comme s'il n'y avait pas pensé.

Une fois ou deux, juste comme ça pour l'aider. Maintenant que le blond a un prénom qui lui plaît vraiment, qui lui ressemble, ils pourraient sans doute faire mieux avec son nom de famille. Ils ont dû bricoler quelque chose d'un peu maladroit sur la boîte aux lettres pour faire tenir leurs deux noms ensemble. … Un seul nom aurait rendu les choses plus simples.

Tony ricane discrètement.

« Sérieusement ? »

— « Quoi ? Non ! Non, pas du tout ! », proteste Bucky en rougissant. « C'est Doe. Son nom de famille est Doe. »

Le brun grimace.

« C'est laid. »

— « Je sais mais c'est légal. J'attends ta proposition de rendez-vous avec le Pr. Chemay », botte rapidement en touche Bucky.

« Tu es déjà en face de moi. On peut le faire maintenant pour convenir de plusieurs dates possibles et je les lui soumettrais. »

Le jeune homme acquiesce. Il tend une main pour récupérer son épais agenda papier et le feuillette tout en opinant distraitement aux marmonnements de Tony qui réfléchit à haute voix. Bucky est concentré parce qu'il a envie d'en finir rapidement mais pas assez pour ne pas entendre le ronronnement du pick-up qui rentre à la maison.

Le brun cache son sourire dans sa main.

Il se laisse distraire par le claquement de la portière, le bruit de la porte d'entrée et le jappement joyeux de Sandy qui salue le nouvel arrivant. Il reconnaît le parquet qui craque sous les pas de Chris, notamment cette latte à côté de la cuisine qui fait toujours un horrible grincement et dont le blond a promis de s'occuper. Le jeune homme parle doucement à la chienne, Bucky l'entend aussi l'éloigner de la porte de son bureau où Sandy s'est précipitée pour le prévenir du retour de Chris. Il sourit encore. Bon sang, que Tony se dépêche. Il a autre chose à faire.

« Je suppose que tu aimerais qu'on programme cette visio le plus rapidement possible… Que dirais-tu de – »

Quelques coups légers frappés à la porte les interrompt. Bucky se tourne à moitié sur son fauteuil alors que Chris ouvre avec discrétion et passe la tête dans l'embrasure. Tony ne peut pas voir son visage alors le jeune homme lui sourit. Beaucoup. Vraiment beaucoup.

— « Je suis de retour Bucky », dit doucement le blond. « Je suis passé faire les courses aux WinCo. J'ai pris deux paquets de Pop tarts à la cannelle pour toi, il y avait une promotion dessus. Et des – Je suis désolé, tu es en rendez-vous. Excuse-moi, je ne voulais pas te déranger. »

— « Tu ne me déranges pas », lui répond Bucky et il entend Tony grommeler derrière lui. « Ton rendez-vous s'est bien passé ? »

— « Le Dr. Weisser est content mais il a quand même insisté pour me faire une nouvelle ordonnance d'anti-migraineux alors que je ne prends déjà pas les premiers », grimace Chris. « Je vais aller promener Sandy, elle demande à sortir. Tu veux que je t'attende ou tu nous rejoindras plus tard ? »

— « Donne-moi juste quelques minutes et je vous accompagnerai. » Bucky plisse légèrement les yeux. « … Tu es allé chez le coiffeur ? »

Chris opine d'un air un peu timide et passe une main dans ses cheveux plus courts. Le brun note distraitement que les mèches retombent mieux sur sa cicatrice.

— « J'ai croisé Miss Patty au WinCo, elle venait faire des courses en urgence pour son salon. Je l'ai raccompagné et elle m'a offert de rafraîchir ma coupe pour me remercier. » Le jeune homme sourit d'un air gêné. « Je ne savais même pas que j'avais réellement une coupe de cheveux, je ne m'en suis pas préoccupé depuis que nous sommes allés faire les magasins ensemble. »

Bucky rit joyeusement. Lui non plus, pas vraiment, mais à présent qu'il voit le blond bien coiffé, il remercie Miss Patty de l'avoir croisé. Ça rend Chris un peu plus jeune et mignon. Tony se racle bruyamment la gorge. Le brun roule des yeux.

— « J'ai presque fini, je te rejoins très vite », répète-t-il.

— « Tu prendras un café avant de partir ? J'allais m'en faire un. » Bucky hausse un sourcil et Chris ricane. « J'ai à nouveau le droit si je limite ma consommation. »

— « Avec plaisir. Et ouvre un paquet de Pop tarts », sourit le brun.

Chris lui répond d'un sourire et referme avec précaution la porte derrière lui. Bucky pivote sur son fauteuil. Il tente de ne pas prêter trop d'importance au sourire extatique de Tony.

« … Fascinant. »

Le brun enfonce légèrement sa tête entre ses épaules et reprend brusquement son agenda pour se donner une contenance. Il ouvre avec soin son stylo, pose la pointe sur une page et regarde Tony avec impatience. Le jeune homme l'ignore. Il se contente de reposer lentement le sien devant lui et de croiser ses mains devant sa bouche, ses coudes sur son bureau.

Bucky se mord les joues. Il ne s'en sortira pas comme ça. Un pansement. Arracher vite, fort et sans réfléchir.

« … Fascinant et tout à fait stupéfiant. Je ne parlerais pas de ton sourire un peu niais que je voyais même si tu me tournais le dos pour aller à l'essentiel. C'est Chris ? »

— « Tu as bien espionné notre conversation, non ? », siffle le brun.

« Je n'ai rien espionné du tout, c'est toi qui m'as offert cette charmante petite scène conjugale. Il est… incroyablement séduisant et son sourire est délicieux. Je n'arrive pas à croire que cet homme te soit comme… tombé dessus. »

— « Le rendez-vous Tony », répète Bucky en lui montrant son agenda. « S'il te plaît. »

« Oh aller, tu pourrais te montrer un peu fair-play. C'est normal que je sois un peu intrigué par ton histoire. »

— « Tu diriges une société avec deux cents de collaborateurs et tu as des bureaux dans une tour de plus de trente étages. Je suis sûr que tu croises bien assez de gens pour combler ton goût des ragots. »

« Ils sont assez passables comparés aux tiens. Et surtout beaucoup moins excitant. Chris est… chaud comme le sable brûlant de Manila. Et cette histoire de coupe de cheveux était trop mignonne. »

Tony ricane joyeusement. Bucky lève les yeux au plafond, referme brusquement son agenda et commence à baisser l'écran de son ordinateur pour mettre fin à leur conversation. Le brun proteste bruyamment.

« Attends Buck', attends ! D'accord. Le rendez-vous. »

Les deux hommes échangent rapidement pour bloquer des propositions de date dont l'un est la semaine prochaine. Le brun soupire doucement de contentement. Oh, parfait. Le plus vite possible qu'il puisse retourner à son travail sans le regard condescendant du Pr. Chemay et de ses foutus vingt-quatre printemps.

« Je vais l'appeler immédiatement et je t'envoie une invitation Skype quand la date est arrêtée. … Buck' ? Ton colocataire comprend le russe ? »

— « … Pas à ma connaissance. Pas plus qu'une autre langue étrangère », lui répond prudemment Bucky. « … Tu aurais du travail pour lui chez Stark Publishing ? »

Le brun tente de ne pas penser à combien ce serait un arrangement idéal pour lui. Pour eux. Chris pourrait aussi télétravailler, ils se débrouilleraient pour aménager un bureau bien à lui. Ils continueraient à tout faire ensemble, son colocataire aurait de l'argent et se sentirait valorisé. Ce serait… parfait. Être un tout en étant deux. Bucky sent son ventre picoter agréablement à cette idée.

« Je ne sais pas ce qui te fait sourire comme ça mais je pensais à quelque chose de plus prosaïque. Je ne sais pas si tu sais mais je suis sorti quelque temps avec une Mexicaine et elle parlait espagnol quand on était ensemble. C'était… vraiment agréable et sensuel. Je pourrais te dire plus de choses mais je laisse ça à ton imagination. Pense-y quand tu promèneras ta chienne sur la plage et que tu regarrrrderrrras le coucher de soleil avec Chrrrriisss. »

— « Bonne journée Tony. »

Le brun est encore en train de rire aux éclats et de rouler exagérément les « r » quand il ferme brusquement l'écran de son ordinateur. Bon sang mais qu'il lui fiche la paix. Qu'ils lui fichent tous la paix ! Bucky grogne d'agacement. C'est son travail, une partie de sa vie. Il n'a pas envie de mélanger les deux et Camden lui a répété suffisamment de fois combien il trouvait que le russe était une langue dure et pas très sexy. Pas que ça ait de l'importance.

Le brun se lève brusquement et traverse la pièce. Il entend un léger grattement à la porte mais Bucky ouvre la porte à la volée. Sandy sursaute de surprise. Un coup d'oeil derrière lui et elle s'apprête déjà à bondir à l'intérieur. Le jeune homme l'attrape par le collier et l'éloigne gentiment tout en refermant avec soin derrière lui.

— « Non Sand', tu connais les règles », marmonne-t-il en rejoignant la cuisine. « Je ne veux pas que tu entres dans le bureau, Chris accepte déjà que tu colonises sa chambre. »

Le blond lui jette un regard un peu penaud.

— « Ce n'est pas arrivé tant de fois que ça… Je sais que tu ne veux pas mais elle m'a échappé des mains et elle est juste… entrée. »

Bucky rit doucement. Il repousse une nouvelle fois Sandy qui proteste en gémissant doucement contre ses jambes et s'accoude à l'îlot central de la cuisine. Inutile de dire à son colocataire qu'il sait qu'il s'agit de bien plus qu'une ou deux erreurs d'inattention de sa part. Parfois, quand il passe devant sa chambre, il entend la chienne gémir presque obséquieusement quand il la caresse, probablement sur le lit. Certainement sur le lit.

— « Tu as déjà rangé les courses ? », lui demande-t-il en cherchant les sacs du WinCo du regard.

Chris hausse légèrement les épaules. Un sourire aux lèvres, Bucky se hisse sur un tabouret haut. Il le regarde terminer de remplir la cafetière, sortir une assiette pour mettre deux Pop tarts qui sortent du grille-pain parce que son colocataire n'aime pas manger dans les emballages. Le brun trouve ça adorable.

Sandy s'assoit à côté de lui et pose sa tête sur sa cuisse en se léchant les babines. Elle a senti la cannelle. Le jeune homme la gratte gentiment derrière les oreilles et remercie Chris d'un sourire quand ce dernier lui donne sa tasse.

Le blond s'installe en face de lui, les reins calés contre le plan de travail et les bras croisés sur sa poitrine.

— « J'ai lancé une machine à laver avant de partir. Tu n'y as pas touché, n'est-ce pas ? », lui demande-t-il après avoir bu une gorgée.

Bucky roule des yeux et montre la porte du frigo d'un signe de tête pour désigner sa note manuscrite. Chris renifle d'un air satisfait et cache son sourire dans sa tasse. Un silence confortable envahit la cuisine et le salon, uniquement entrecoupé par les mâchonnements vigoureux de Sandy qui déguste les petits morceaux de biscuit que le brun lui donne. Quand Chris se sert à son tour, la chienne abandonne Bucky pour trottiner vers lui. Le brun lève les yeux au plafond. Son colocataire la nourrit discrètement de gros morceaux avec du fourrage à la cannelle. Forcément entre les deux, son cœur ne balance pas du tout. Il ricane.

— « Tu la gâtes trop… », se moque-t-il gentiment.

— « Juste un petit peu », proteste le blond. « Et je t'assure qu'elle ne fait que passer par ma chambre. Sandy ne dort jamais avec moi et elle ne monte pas sur le lit. … Ou presque pas. »

— « Ne te fatigue pas, je vous entends vous rouler de plaisir ensemble dans les draps », sourit Bucky. « Sandy couine vraiment très fort quand tu la papouilles tu sais. »

Chris rougit légèrement et baisse les yeux sur sa tasse. Ses mèches plus courtes viennent effleurer doucement son front, le blond les rejette en arrière en passant ses doigts dedans. Très concentrée, Bucky boit une longue, très longue gorgée de café.

— « Nouvelle coupe alors ? »

— « J'aurais peut-être dû refuser. Miss Patty n'a pas coupé grand-chose mais j'ai l'impression que ma cicatrice se voit plus qu'avant », grimace-t-il légèrement.

— « Penche-toi pour que je regarde. »

Chris obtempère docilement. Bucky, les sourcils froncés, prend sa mission très au sérieux. Les mèches courtes sont bien mises mais l'air de rien, il en recoiffe un peu inutilement une ou deux. Le duvet a laissé place à de vrais cheveux encore un peu fins mais leur implantation reste légèrement désordonnée. Miss Patty a un bon coup de ciseaux. C'est presque imperceptible à moins d'avoir le nez dessus. Le brun souhaite être le seul à pouvoir voir ce petit défaut chez son colocataire.

— « Je ne trouve pas, on ne voit presque rien », répond-il doucement avant de sourire. « Miss Patty ne t'a pas fait ressembler à un John ou un Brandon, c'est une très bonne chose. Maintenant que je te vois, je me dis que c'est un heureux hasard que tu l'aies croisé en ville. »

— « J'étais mal coiffé ? »

— « Tu ne t'es fait couper les cheveux qu'une fois depuis ton arrivée ici et ça date de presque un mois. … C'est vraiment une bonne chose que vous vous soyez rencontrés », le taquine-t-il malicieusement.

Chris lui pince le dos de la main en représailles et le brun ricane en s'éloignant. Ils se font ensuite des politesses ridicules quand ils se servent en même temps dans l'assiette. La cuisine résonne de leurs rires et des jappements de Sandy, ravie d'être nourrie à deux mains. Repue, elle finit par s'affaler sur le parquet non loin d'eux et ferme les yeux de plaisir. Le blond va s'asseoir à côté d'elle, le dos appuyé contre le bout de canapé pour la caresser gentiment derrière les oreilles. La chienne semble être au paradis sous la grande main chaude qui va et vient dans sa fourrure.

Bucky se retourne sur son tabouret pour pouvoir les regarder.

Chris a la tête légèrement penchée vers Sandy et il sourit tendrement. Le col de son polo bleu ne baille pas autour de son cou, il est bien ajusté sur ses épaules solides et le coton en souligne le relief séduisant. Son jean clair n'est pas élimé aux genoux, il est d'une longueur parfaite et agrémenté d'une solide ceinture en cuir plus esthétique que pratique.

Le brun se mord les joues.

Chris est vraiment beau correctement habillé, avec des vêtements à sa taille et en bon état.

Bucky regrette son goût peut-être un peu classique. Sa penderie est remplie de tee-shirts, de jeans et de polos. Dans ce grand magasin de prêt-à-porter pour hommes dans Old Town, il lui a fait des suggestions qui ont enthousiasmé la vendeuse. Chris a essayé des choses avec des motifs mais uniquement pour lui faire plaisir, excepté cette étrange chemise d'inspiration vaguement hawaïenne. Bucky n'a pas insisté. Le classique, l'intemporel, c'est une très bonne chose aussi. Ça ne rend pas son colocataire fade ou moins intéressant. Quand ils sont à Eureka ensemble, il voit assez combien on le regarde plus ou moins discrètement. Sam trouve très amusant son allure de genre parfait, gentil garçon et respectueux.

Avec sa nouvelle coupe de cheveux, Bucky pense un peu la même chose.

Ça lui plaît.

Pas comme si ça avait vraiment de l'importance pour lui. Ou si peu. C'est important pour Chris de se sentir valorisé. Son colocataire ne l'a pas remarqué mais il émane de lui une nouvelle assurance. Et Bucky aime le voir comme maintenant préparer un café dans la cuisine, le col de son polo bien mis et son jean bien repassé. Ça a un goût de toujours. Il préfère ne pas penser pour le moment aux envies d'ailleurs que cela pourrait provoquer chez Chris. Un autre homme. Une autre vie possible.

Sandy roule paresseusement sur le dos pour offrir son ventre aux caresses du jeune homme. Le brun sourit en coin. Leur promenade sera sans doute plus courte que prévue. C'est une bonne chose, il pourra retourner à sa traduction pendant encore une heure ou deux avant le déjeuner. Tony n'a pas tort de l'avoir sermonné. Bucky s'est engagé sur ce projet, il doit tenir les délais et les exigences de Stark Publishing.

Le brun fronce les sourcils. Aujourd'hui, il termine la traduction du chapitre XXVII même si cela signifie poursuivre après le dîner. C'est dommage, Chris a dit qu'il voulait voir un reportage culinaire ce soir sur National Geographic. Ça semble intéressant… Moins toutefois que les réactions du blond devant les émissions de cuisine. Bucky s'en délecte. Le brun une gorgée de café. Non, il doit s'y tenir. Son ami lui racontera et s'il est vraiment efficace, il pourra voir la fin avec lui. Oui, bonne motivation.

Sandy se remet sur le ventre, rampe sur le parquet et pose sa tête sur la cuisse de Chris pour se faire gratter sur le front et derrière les oreilles. Le jeune homme s'y attelle avec application.

— « Miss Patty attend aussi ton passage à son salon avec grande impatience », reprend-il d'un ton badin. « Elle dit que le style du surfeur californien est acceptable jusqu'à une certaine longueur. »

— « Quelle mauvaise langue. Elle a été la première à me dire que les cheveux longs m'allaient bien et je l'écoute depuis que j'ai dix ans. J'ai suivi son conseil parce que je suis de son avis. »

— « C'est une très bonne idée. » Le blond sourit et il se sent rougir un peu. « Elle m'a donné un bon de réduction pour toi. »

Chris désigne la table de la cuisine d'un léger signe de tête. Bucky remarque alors un coupon imprimé sur papier bleu à l'en-tête de l'antique salon de coiffure de son enfance sur Redwood Highway. Cinq dollars de remise dès trente dollars d'achat. Miss Patty a annoté la marge d'un vigoureux « Je t'attends ! » Une exclamation qui ressemble vaguement à une menace. Le brun la connaît, il sait qu'il ferait mieux obtempérer plutôt que de prendre le risque que la coiffeuse l'interpelle un jour bruyamment dans la rue pour le sermonner. Il hausse un sourcil. Une remise de cinq dollars, c'est aussi suffisamment intéressant pour faire un effort.

Chris sourit et achève son café avant de repousser gentiment la chienne pour se relever souplement. Bucky voit un petit papier plié tomber d'une poche de son jean.

— « Tu as perdu quelque chose. »

Son ami baisse les yeux et regarde autour de lui. Avant que Sandy ne puisse s'en emparer pour le mâchonner, le blond s'empresse de récupérer le post-it. Bucky a envie de rire. Un peu moins quand il voit le blond rougir un peu et détourner le regard d'un air gêné tandis qu'il serre le papier dans son poing. Oh. Il plonge le nez dans sa tasse pour ne pas fixer sa main. Le papier bleu.

— « … C'est… Miss Patty m'a donné le numéro de portable de sa petite-fille avant que je parte. Elle m'a dit qu'elle venait lui rendre visite à Eureka la semaine prochaine pour le week-end. »

Oui. Bien sûr. Il connaît Jessica, une gentille fille qui est partie habitée à Santa Rosa, à quatre-vingts kilomètres de San Francisco. … Mais elle et Chris ? Chris avec quelqu'un ? Le brun se mord les joues. Fort et douloureusement. Il joue machinalement avec le coupon de réduction et remarque un autre petit mot griffonné au dos.

Cinq dollars de remise supplémentaire si tu me laisses aussi te faire la barbe ! Hippie !

Le jeune homme se gratte distraitement la mâchoire. Ça crisse un peu sous ses doigts mais ce n'est qu'une barbe d'un peu plus de trois jours. Bucky l'aime bien. Sam aussi, il dit que ça lui donne un air un peu mauvais garçon avec une veste en cuir sur les épaules et un bandana rouge et blanc autour du cou de Sandy. Très Grease et John Travolta. Le brun ne s'en offusque pas. Quand il avait quatorze ans, il trouvait Danny Zuko était un peu piquant et sexy.

— « Elle me propose de me servir aussi de barbier », note-t-il d'un ton badin un peu trop surjoué à son goût.

— « Miss Patty semble avoir une idée très stricte de ce qu'un bel homme doit porter ou non. Elle m'en a parlé aussi mais je me suis échappé alors qu'elle sortait le coupe-chou », répond Chris.

Il rit mais lui aussi semble un peu gêné. Le jeune homme prend leurs tasses vides, va les déposer dans l'évier et commence à les laver. Sans un mot de plus. Bucky ne voit que son dos, large et musclé. Comme démesurément loin de lui alors qu'ils sont séparés par moins de trois mètres.

— « … Pourquoi ? Pourquoi tu t'es enfui ? », précise le brun quand son colocataire l'interroge d'un regard.

— « Je ne sais pas si la barbe me va bien mais elle me renvoie le reflet d'un homme différent de celui que tu as trouvé à Humboldt et ça me plaît. Je me plais comme ça. »

Bucky hoche lentement la tête. Ouais, un homme différent. Un homme avec des envies d'ailleurs. Merde. Le brun passe une main dans sa nuque et la presse durement entre ses doigts. Ces derniers temps, Chris ne se rase plus tous les jours. S'il continue, Bucky sait qu'il cessera bientôt de ressembler au gendre parfait aux joues lisses pour devenir un hipster sexy. Il se fera probablement aborder. Draguer. Ça n'arrive pas tant que cela quand ils sont en ville parce qu'ils sont ensemble et le brun devine que les gens s'interrogent suffisamment sur la nature de leur relation pour ne rien tenter. Lui devient déjà un peu faible quand il voit les petits poils dorés qui soulignent sa mâchoire. Alors une vraie barbe. Partout. Il déglutit.

Chris termine la vaisselle et pose les tasses sur l'égouttoir. Les mains mouillées, il récupère soudain le papier dans sa poche et le déchire sans hésitation en deux. Poubelle du recyclable. Le couvercle en plastique claque. Plus rien. Problème disparu.

Bucky écarquille les yeux de surprise. Un moyen à peu près habile pour étouffer la folle vague d'espoir qui vient de naître en lui.

— « Tu n'es pas obligé de faire ça. Jessica est une chic fille. Elle est passionnée par les cuisines du monde et tu les aimes aussi. »

Le jeune homme lui jette un regard si lourd de sens que le brun baisse les yeux. Il l'a aussi fréquenté, un peu, quand il avait dix-huit ans. Juste le temps de réaliser qu'il regardait définitivement bien plus son frère qui la déposait en voiture qu'elle. Le temps aussi de regretter démesurément qu'il ne reste pas avec eux pour la soirée. Mais Jessica était sympa.

— « Tu es toujours son préféré », lui répond doucement Chris sans insister.

— « Ne change pas de sujet », le reprend-il maladroitement. « Tu sais que tu peux – »

— « Je sais que je peux, nous avons déjà eu cette conversation sur mes fréquentations Bucky », rit le bond. « C'était un peu gênant et je préférerai ne pas recommencer ce qui ressemblait presque à la Discussion sur Les Choses de la vie. Ça n'aura pas de suite et c'est très bien comme ça. »

— « Mais tu as pris son numéro », ne peut s'empêcher de remarquer le brun.

— « Miss Patty était devant moi, je ne pouvais pas refuser et la blesser. »

— « Tu n'as pas osé le faire », le corrige Bucky en esquissant un sourire.

— « Je n'ai pas osé. Elle me parlait déjà de sa petite-fille quand elle me coupait les cheveux et ses ciseaux étaient très proches de mes oreilles… »

Le brun éclate de rire. Il est tellement rassuré que ça en est ridicule.

— « Comment tu vas lui expliquer le fait que tu n'appelles pas Jessica ? », le taquine Bucky.

Il sait qu'il pousse sa chance. Tant pis. Chris hausse légèrement les épaules tandis qu'il essuie soigneusement les tasses avec un torchon.

— « Si elle me le demande, je dirai que le numéro est passé à la machine à laver avec le jean. Et si Miss Patty insiste, je déclinerai poliment sa proposition. »

Bucky hoche la tête, au comble du ravissement. Dire que cette appréhension le titille un peu seraient mentir. Elle le taraude depuis des semaines et ce n'est pas comme s'il pouvait s'en ouvrir à Sam. Le brun lui-même ignore ce qu'il pourrait bien expliquer à son meilleur ami.

Chris se rend régulièrement à Eureka pour ses check-up médicaux à Providence, ses rendez-vous avec son assistance sociale. Parfois, il pousse un peu timidement la porte du commissariat sur 6th Street et l'officier Porterfield l'accueille d'un sourire aimable mais sans information supplémentaire à lui donner. Le jeune homme rencontre beaucoup de gens, Bucky sait qu'il est poli, charmant, irrésistiblement attirant avec chacun d'entre eux. Pourtant, il rentre toujours à la maison. Et il rentre seul. Honnêtement, le brun a déjà fait un cauchemar dans lequel Chris découchait et rompait tout contact avec lui d'un simple message pour lui annoncer qu'il avait trouvé le grand amour en centre-ville. Une belle fille aux jambes interminables avec laquelle Bucky le croisait un jour par hasard à Eureka. Ce n'était qu'un rêve, des sensations floues. Pourtant, la douleur dans sa poitrine à son réveil a semblé bien trop réelle. Pour le moment, c'est lui et lui, ce sont eux, mais combien de temps encore le blond va-t-il ignorer le monde qui l'entoure pour rester à ses côtés ? Ça taraude Bucky. Ça le torture. Et il ne peut pas en parler à Sam. Il a l'impression d'entendre déjà son ami lui répliquer que c'est aller trop loin, trop fort. Le brun le sait déjà, ça ne l'aiderait pas. Alors il prend sur lui. Ou alors, comme maintenant, il tente vraiment trop sa chance et titille Chris juste pour se rassurer. Au risque d'entendre exactement ce qu'il appréhende le plus.

— « C'est peut-être un signe », reprend-il et il a envie de se frapper la tête contre la table. « Tu pourrais– »

— « Tu as envie que je la contacte Bucky ? »

Le brun ouvre la bouche avant de détourner le regard. Et de rougir si fort qu'il a l'impression d'entendre ses oreilles siffler. Mince. Pris à son propre jeu. Le regard de Chris lui brûle le visage et Bucky se mord douloureusement les joues. Il hésite mais il ne peut pas mentir.

— « … Non. »

Chris sourit et range les tasses dans le placard. L'étoffe se tend sur les muscles de son dos et de ses épaules. Bucky a la gorge un peu sèche.

— « Je n'ai pas envie de l'appeler. Je suis heureux de ce que j'ai, ici avec toi », poursuit le blond et Bucky note avec intérêt que sa nuque est rose. « … Dans ma situation, je ne vois pas non plus ce que je pourrais offrir à quelqu'un. »

— « Tu – »

— « Je n'ai pas de compte bancaire, pas de travail, pas de sécurité sociale. Tout ce qui m'entoure est très incertain et… Bon sang, je ne connais même pas ma date de naissance. Peut-être que notre différence d'âge sera ridicule et me fera passer pour une sorte de vieux beau faisant sa crise de la quarantaine en sortant avec une toute jeune femme. Miss Patty elle-même n'est pas très âgée. »

— « Le temps n'a juste pas de prise sur elle », croasse Bucky en se redressant sur le tabouret. « Et Jessica est – »

— « Tu penses réellement que quelqu'un voudrait partager tout ça avec une personne comme moi ? Je ne suis pas fiable et – »

— Bon sang, laisse-moi parler ! », le coupe brutalement Bucky avec colère.

Chris sursaute légèrement et lui jette un regard contrit par-dessus son épaule. Le brun roule des yeux.

— « Je ne peux pas te laisser dire ça », grogne-t-il. « Tout le monde se fout que tu n'aies pas de compte bancaire à ton nom ou pas de travail. Tu fais tout pour en avoir un, tu ne te laisses pas abattre et tu as beaucoup d'autres qualités. Et tu n'as rien d'un quarantenaire en quête de chair fraîche. Quand bien même tu serais plus âgé que la personne que tu fréquentes, quelle importance ? On a tous déjà eu des relations avec des gens qui n'avaient pas le même âge que nous. »

— « Toi aussi ? »

— « Oui, moi aussi. »

Bucky n'ajoute pas un mot de plus. Sa relation de quelques mois avec ce quarantenaire quand il étudiait à l'université d'État d'Humboldt n'est pas son meilleur souvenir.

— « Tu es quelqu'un de très bien Chris et ce serait… facile de tomber amoureux de toi », reprend-il doucement. « Pour n'importe qui. »

Pas forcément lui à proprement parlé. Bucky déglutit. Il est probablement déjà un peu trop foutu de toute manière. Le blond essuie le pourtour de l'évier d'un coup d'éponge, la tête penchée et les épaules légèrement voûtées. Bucky fronce les sourcils. L'être humain n'est pas fait pour vivre seul, il n'y a rien d'étonnant à ce que son colocataire se soit déjà interrogé sur la question. Il ne pensait pas qu'il y avait autant réfléchi.

— « … Quel âge as-tu ? », lui demande Chris après un silence.

Bucky ricane.

— « C'est une question très indélicate à poser à quelqu'un », se moque-t-il gentiment.

Le blond rit joyeusement. Il se retourne pour lui faire face à nouveau. Enfin. Bucky lui sourit de toutes ses forces. Chris s'appuie à deux mains derrière lui sur le plan de travail.

— « Aller, dis-moi. Je pense que nous avons à peu près le même âge. Je suis sûr que ça m'aiderait. »

— « J'ai eu trente-six ans en mars dernier », admet finalement le brun.

— « Ça me plairait bien d'avoir trente-six ans… », souffle Chris.

Bucky se mord les joues. Lui aussi. Ce n'est pas comme s'il prêtait toujours foi à tout ce qu'il lit mais il y a cette étude publiée en 2016 par la Emory University d'Atlanta qui concluait que la différence d'âge idéale dans un couple est de un an… Camden était un peu plus jeune que lui. Le quarantenaire trop âgé. Les autres ne sont pas forcément des souvenirs impérissables. S'il en croit sa propre expérience, une année de différence pourrait être vraiment bien.

— « Si je me souviens bien, je crois que Jessica est un peu plus jeune », reprend-il après un silence. « Elle a repris ses études à l'université de Santa Rosa. Si tu as trente-six ans, personne ne trouverait rien à redire au fait que vous alliez boire un verre ensemble. »

Ce n'est qu'un exemple mais le brun reconnaît qu'il est vraiment maladroit quand les prunelles bleues de Chris s'assombrissent. Ok. La petite-fille de Miss Patty n'est plus vraiment un sujet. C'est très bien.

— « … Comment tu sais toutes ces choses sur elle ? »

… Ou peut-être que si. Bucky grimace légèrement.

— « Je suis un peu sorti avec elle. C'était il y a longtemps », marmonne-t-il.

Chris le regarde d'un air tellement insondable que le brun déglutit. Quoi ? Il a encore dit une bêtise ? Son colocataire passe une main dans ses cheveux.

— « Je vais encore moins accepter de faire quoi que ce soit avec elle si tu – »

— « Tu as dit que tu ne voulais pas la rencontrer », lui rappelle Bucky sans doute un peu trop vite. « Ça n'a pas d'importance de toute manière. Ça a été un fiasco, ça ne pouvait pas fonctionner mais je ne voulais pas vexer Miss Patty. … C'était une idée stupide dès le début. »

— « Pourquoi ? »

Bucky roule des yeux d'un air vaguement exaspéré. Pourquoi Chris s'accroche-t-il quand il devrait abandonner et abandonne quand il devrait s'accrocher ? Bon sang, pourquoi ?! Le brun lui jette un regard en coin. Il n'a jamais parlé de ça avec lui. Parce que ce n'est pas vraiment important dans leur amitié. Parce qu'il appréhende peut-être un peu sa réaction. Chris est un homme ouvert et sensé mais Bucky a parfois eu à affronter des réactions qui l'ont fait douter de l'empathie du genre humain.

— « … Parce que je trouvais son frère aîné bien plus séduisant et que j'aurais préféré sortir avec lui. »

Il n'a jamais menti à son colocataire. C'est tout au plus une légère omission. Pour Bucky ce n'est même pas un sujet et s'il se bat un peu contre son cœur dernièrement, c'est son problème. À lui et à lui seul. Chris n'a pas besoin de le savoir. … Surtout pas.

Le brun jette un regard au plan de travail derrière lui.

Dans un angle, non loin de la cafetière, il y a deux tasses posées sur un petit plateau. Ce sont leurs mugs du matin, plus grands parce qu'aucun d'entre eux n'est réellement réveillé sans une bonne dose de caféine dans le sang. Le sien est bleu et blanc, celui de Chris vert et blanc avec les mêmes effets d'aquarelle. C'est le blond qui les a choisis au WinCo Foods. Bucky trouvait ça touchant. Maintenant, il songe distraitement que c'est juste parfaitement déplacé et insidieux. Les tasses sont coordonnées, comme la foutue vaisselle d'un foutu couple. Qu'ils ne sont pas.

— « … Tu lui as dit ? À son frère ? », lui demande finalement Chris après un long silence.

Bucky hausse un sourcil surpris avant de ricaner en secouant la tête.

— « Il était vraiment plus âgé que moi et il avait une copine. Pas assez jolie pour lui si tu veux mon avis… Aux dernières nouvelles, il travaille à Arcata chez un concessionnaire auto. Et il a la même calvitie que son père. »

Le blond éclate de rire. La légère tension entre eux se dissipe enfin. Chris s'accoude à l'îlot central, les yeux brillant de malice. Bucky les regarde avec attention. Pas de gêne, pas de malaise. Et toujours sa fossette dans sa joue quand il sourit. Il crispe ses doigts sur son jean. Il n'y a pas de problème.

— « Je t'envie de te connaître aussi bien », reprend doucement le blond. « Je ne sais même plus quel genre d'homme je suis quand je suis en couple. »

— « Tu n'as pas à le savoir, il ne s'agit pas de cuisiner pour nos déjeuners », lui rétorque Bucky en riant. « Quand ça arrivera, tu n'auras à t'inquiéter de rien. Je suis sûr que tu plais déjà à la moitié d'Eureka et de Manila. Malgré l'implantation étrange de tes cheveux, mon poussin… »

Chris se redresse légèrement, une moue outrée aux lèvres.

Pour la première fois, le brun a envie de se pencher vers lui et de l'embrasser.

Pas quelque chose de sensuel et de brûlant. Juste un toucher bouche contre bouche pour savourer son sourire. Sa main crochetée à sa nuque pour le garder contre lui. Ses doigts dans ses cheveux courts sur sa cicatrice avant que quelqu'un d'autre ne le fasse parce qu'il en a le droit.

Bucky se mord les joues et noue sagement ses mains devant lui.

— « Tu m'avais dit ça ne se voyait pas », maugrée légèrement Chris.

Le brun cligne des yeux. Quoi ? Ah oui, son complexe d'implantation capillaire.

— « Le monde entier parviendra à passer outre cette légère infirmité », ricane-t-il.

Bucky saute au bas de son tabouret pour éviter le coup un peu vengeur qui vise son épaule. Il récupère l'assiette de Pop tarts et va s'installer sur la terrasse. Chris le rejoint, leurs baskets à la main pour commencer à s'équiper à descendre promener Sandy. Le brun le remercie d'un sourire tandis qu'il enfile rapidement les siennes.

— « Je suis heureux d'apprendre que tu me trouves assez séduisant pour ça », reprend nonchalamment le blond. « Je pourrais l'inscrire sur mon CV pour combler les blancs. »

Bucky s'étrangle un peu. Il tousse et avale une autre bouchée pour faire passer le tout. À côté d'eux, Sandy se tortille d'impatience à l'idée de courir bientôt sur la plage, toute fatigue envolée. Elle gémit doucement et trépigne devant les marches de l'escalier, guettant le geste qui lui indiquera qu'elle peut descendre. Le brun termine le Pop tarts de Chris, c'est trop sucré pour lui. Le jeune homme caresse la chienne qui roule la tête de plaisir dans sa paume.

— « Je n'ai pas besoin d'eux tu sais, j'ai besoin de ça et de vous », dit-il en désignant Manila Beach puis Sandy. « Ça me convient et… je veux rester avec toi. »

— « D'accord. »

Bucky est fier de l'assurance qu'il entend dans sa voix. Pas de mots râpeux ou de gorge trop sèche. C'est presque un peu cool alors que le sang pulse sans pitié dans ses tempes. Chris claque sa langue contre son palais, Sandy s'élance dans l'escalier. Le brun lui emboîte le pas.

— « … Tu me le diras quand ça changera, pas vrai ? »

Chris s'arrête dans l'escalier et se tourne vers lui.

— « Quand le fait d'aller boire un verre avec quelqu'un qui te plaît pourra commencer à te faire penser autrement. Et que c'est sérieux au point de te faire changer de maison », explique-t-il lentement.

— « Tu seras le premier informé mais je ne suis pas pressé », lui répond le blond avant de descendre quelques marches et de s'arrêter. « Tu le feras aussi, n'est-ce pas ? Quand je deviendrai un peu gênant. »

Bucky rougit légèrement.

Il descend plus vite, bouscule Chris d'une épaule et le dépasse pour gagner la plage. Le blond le rejoint, roule les manches de son polo sur ses avant-bras et joue avec Sandy qui se jette de joie dans ses jambes.

Le duo le distance rapidement, Bucky se contente de marcher derrière, les mains dans les poches. Il les observe avec attention.

Chris ne sera jamais gênant. Si cela devait arriver parce que le blond fréquente quelqu'un, Bucky espère que son colocataire ne lui infligera jamais ça dans leur maison. Quant à lui… Encore faudrait-il que ce jour arrive. … Vœu pieux. Le brun n'y songe même pas et le seul fait de l'imaginer lui semble stupide. Quand il s'attache à quelqu'un, c'est toujours très fort. Même s'il doit souffrir un peu dans son coin. Ça lui a parfois joué des tours même si Bucky n'est pas un grand amoureux. À seize ans, il a mis des semaines à accepter le couple de Johann Pateck et Éva Pyrce. À l'université, la fin de son gros béguin pour Guilio Botero n'est arrivé qu'après plusieurs mois même si le jeune homme ne méritait pas une telle attention de sa part. C'est comme ça, il n'y peut rien. Quant à l'idée de ramener un homme chez lui pour une nuit ou plusieurs… Rien que d'imaginer Chris et cet inconnu déjeuner ensemble le matin lui tord le ventre.

Bucky passe une main dans ses cheveux et presse ses doigts sur sa nuque. Ce sont juste eux deux. Sans personne d'autre. Les couples, les petites-amies ou les petits-amis, les rencontres passagères, les deux hommes l'ont évoqué dans leurs règles de vie commune. Chris avait rit d'un air un peu gêné, Bucky aussi. Pas pour les mêmes raisons. Penser au blond dans l'intimité de sa chambre était le plus sûr moyen de ne plus avoir envie de quoi que ce soit avec un autre homme. … Ou d'y trouver une échappatoire à défaut de pouvoir faire l'amour avec lui. Ce serait malhonnête. Et le brun sait qu'il peut être bruyant dans l'amour. Une fois, alors qu'il était avec Camden, Sandy était venue gratter à la porte de la chambre et gémir d'inquiétude. Son petit-ami lui faisait juste cette chose diabolique avec sa langue et ses doigts qui le transformait en gelée. Trop mortifiant à imaginer.

Bucky se mord les joues.

Est-ce que Chris serait un bon amant ?

Le brun le regarde tandis qu'il joue à tirer sur un gros morceau de cordage que Sandy a trouvé Dieu sait où. Il est beau mais Bucky sait que cela ne veut rien dire. Son corps est musclé mais il peut ne pas savoir s'en servir. Il est gentil et doux mais certains hommes peuvent se révéler comme les pires des égoïstes au lit.

Bucky observe son colocataire.

Dos large, cuisses puissantes, reins solides, épaules musclées. … Chris a aussi tout ce qui faut pour savoir bien faire. L'espace d'un instant, le brun se demande aussi comment il gémit et la manière dont les beaux traits de son visage changent dans l'orgasme.

Sandy a abandonné la corde et est en train de creuser un cratère dans la plage en projetant des gerbes de sable partout autour d'elle. Chris se penche au bord et regarde le trou avec circonspection. Il se gratte la nuque et lui jette un regard tandis que le brun le rejoint en silence.

— « Fais-moi penser à combler ce trou quand on rentrera. Quelqu'un pourrait tomber », lui dit-il.

— « Hum hum », acquiesce distraitement Bucky.

Il regarde ses avants-bras dénudés. Ils sont musclés, couverts de fins poils dorés. Si prompt à serrer, à enlacer. Si parfait pour s'y accrocher. Le brun déglutit légèrement.

Chris l'interroge d'un regard. Bucky élude en haussant légèrement les épaules.

Son ami jette à nouveau la corde à Sandy pour la distraire. Il reste tranquillement à marcher à ses côtés. Leurs épaules se frôlent très légèrement. Le brun a vraiment envie de s'appuyer un peu plus contre la sienne.

Tout serait tellement plus… simple.

Il n'est pas mauvais en séduction, il connaît ses atouts. Il saurait faire s'il pouvait se lancer parce que Chris lui aurait fait comprendre d'un signe que oui, ils pourraient essayer. Le brun sait même très bien embrasser, ses précédents petits-amis le lui ont toujours dit. S'il s'y prenait vraiment avec tout son art, il parvenait même à exciter très sérieusement Camden. … Les deux hommes ont baptisé l'ancien canapé du salon comme ça. Bucky l'a changé.

Sandy rapporte la corde mâchouillée au blond qui rit et la relance avec force.

Le brun esquisse un sourire un peu triste. Il sait faire. Ouais, si ce jour arrive… un jour.