Ce n'est pas le chapitre le plus intéressant... Un peu plus d'intrigue devrait suivre, je pense. Si j'arrive à continuer... (spoiler alert : non)
La semaine d'Augustus s'égrenait tiraillée entre la salle des Cerveaux et celle du Temps, où chaque jour il donnait à manger à un Kilgrave boudeur un peu comme à un oiseau qui n'a pas oublié comment voler. Mais même les volatiles étaient moins méfiants et plus conciliants que celui-ci.
Or il avait fort à faire. Toute cette escapade n'était pas la priorité. En vérité, il n'attendait qu'une chose : pouvoir retourner dans la Salle de la Mort. Chercher de nouveaux indices, écouter les murmures du Voile, à la recherche de la voix familière.
La seule qui comptait.
La semaine qui s'annonçait serait chargée, mais c'était un bon moyen de libérer la tension accumulée dans son corps. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas ressenti cette étincelle irritante à un tel niveau ; l'insatisfaction. Depuis la disparition du Maître, la vie n'était plus que ça, saupoudrée du brasier infernal de la quotidienneté.
De sa mission et de ses découvertes, aucune n'avance.
Dans sa cage, le visiteur demeure mutique. Semble s'ennuyer comme un rat mort - autant que lui. Ses yeux suivent chacun de ses mouvements avec insistance, ne ratent rien des agissements de Rookwood. Au vu de la situation, il a besoin d'informations supplémentaires sur ce monde. Sur l'homme qui monte la garde à ses côtés.
A la fin de la semaine, une décision s'impose. Augustus y a réfléchi longtemps, pendant ses repas avec Moroz et Funestar, pendant ses nuits insomniaques. Tout pour éviter le mordant du souvenir, le creux laissé dans le matelas. Ne me dis pas que ça te manque. La pensée lui avait arraché quelque chose qui voulait ressembler à un sourire et qui ne ressembla qu'à une parodie hideuse, la couture d'une cicatrice qui démange. Tout et surtout pas un sourire, finalement. A-t-il jamais su le faire, de toute façon ?
C'est drôle, pour quelqu'un comme lui. Risible, même. L'écho du son grave rebondit contre les murs, jusqu'à s'éteindre dans le silence. Et Augustus recouvre son sérieux. Il ne permettra pas à son esprit de vagabonder plus longtemps.
Le risque n'en vaut sûrement pas la chandelle, mais il ne peut passer à côté de cette opportunité. Et il ne peut laisser n'importe qui accéder à cette découverte. Ni ses collègues, ni la hiérarchie. Les mots de Thompson ont éveillé quelque chose. S'il a voyagé à travers dimensions temporelles et spatiales... peut-être qu'ils pourraient comprendre ce qui s'est passé avec le Maître.
Kilgrave patientait et patientait. Ce n'était pas comme si ça faisait plusieurs semaines qu'il était bloqué là, de toute façon. Mais même la patience avait ses limites, d'autant plus quand on savait avoir la possibilité de se libérer de ses mouvements. Jessica et son fichu Docteur le lui paieraient cher. Ressassant tout ce qu'il avait collecté sur la première personne à être entrée en contact avec lui dans cet endroit étrange, il observait. L'heure serait bientôt venue de tirer des conclusions.
Augustus Rookwood. Employé hautement qualifié, d'après le costume qu'il ne quittait jamais. Il semblait intelligent et rusé, bien que cela l'ennuya fort de le reconnaître, d'après la rapidité avec laquelle il était parvenu à déjouer son plan de sortie.
Cultivé, aussi. Au moins dans son domaine. Il se servait du bureau où trônait le panel de contrôle de la cage, rédigeait des lettres dont le contenu lui était inaccessible, qui s'envolaient ensuite seules dans les airs d'un coup de baguette. Il n'était pas tout le temps présent, semblait naviguer entre plusieurs endroits.
Plus il l'observait, plus il se sentait agacé et nerveux.
Le Langue-de-Plomb sentait le poids de son regard et ce dernier comprenait toujours immédiatement qu'Augustus le laissait volontairement glisser son regard sur lui, glaner quelques indices, avant de le reprendre, relevant la tête vers lui, et alors Kevin, même à travers la glace, se faisait stopper brutalement. C'était être regardé regardant un autre, se regarder être regardé - les deux en même temps. Et les yeux perçants se confrontaient à ceux de l'homme enfermé, calculateurs et curieux.
Il jouait avec lui.
Ce petit manège pouvait durer des heures, chacun testant les limites de l'autre.
Kevin en était venu à cette conclusion corrosive : ils se ressemblaient. Trop. Et à mesure que la conclusion se dessinait dans son esprit, ses chances de recouvrer sa liberté diminuaient considérablement.
Vendredi. Il n'était plus l'heure des conclusions, mais de l'action pour Augustus. Enfin, la situation était sur le point de se débloquer. Il faudrait cependant procéder avec soin.
Toute la semaine durant, lorsqu'il ne travaillait pas, il avait cherché le moyen qui conviendrait le mieux à ce qu'il avait en tête. Les mots avaient défilé sous ses yeux de plus en plus fatigués, il s'était entrainé, aussi. Aujourd'hui ou jamais, donc.
Kilgrave se dérida en le voyant arriver avec des vivres qu'Augustus avait ramenées de chez lui. Le coin de ses lèvres se souleva brièvement. La nourriture de qualité prouvait toujours son efficacité sur les hommes. Évidemment, lorsque Thompson remarqua le sourire d'Augustus, sa mine se renfrogna aussitôt, retombant dans le mutisme.
Ils n'avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. Intéressant.
Rookwood prit garde à rester à distance lorsqu'il déposa la nourriture dans le sas prévu à cet effet. Pendant qu'il mangeait, une note fila vers lui, quémandant son attention dans les bureaux administratifs. Augustus se résolut à laisser l'interlocuteur qu'il désirait interroger seul à nouveau.
Ce n'est qu'un contretemps. Le Maître aussi…? railla une voix narquoise dans sa tête.
La note se déchira d'elle même lorsqu'il se mit en mouvement.
Lorsqu'Augustus revint, rien n'avait changé. Sauf ses intentions. Le langage en transparaissait clairement dans sa posture déterminée, inébranlable, alors qu'il marchait vers la prison de métal.
Kevin se leva, se postant devant la vitre. Ils se jaugèrent du regard - quelques secondes qui parurent un temps interminable. Cette fois, Kilgrave sourit. Les orbes plus froides que jamais, la baguette levée vers lui, l'action était sur le bout de ses lèvres. En voilà un homme fort de ses convictions. Oh, qu'est-ce que cela allait être exaltant. L'amusement monta des pieds à sa tête, brusque raz-de-marée prometteur. Les yeux bruns luisaient. Une nouvelle formule tomba.
La cage se mit à tourbillonner si vite qu'il ne sentit rien. Un instant désorienté, Kevin chercha le changement. Essuyant une vague de déception, il s'aperçut ensuite d'un fait plus que troublant. La vitre. Il frotta ses yeux. C'était incroyable. Comment était-ce possible ? Dehors, tout était immense. Mais, de là où il se tenait, les proportions de son corps et de cette stupide cage demeuraient parfaitement conservées.
Dehors, pourtant, elle devait avoir la taille d'un porte-clés.
Augustus la prit, satisfait, et la glissa dans la poche de son costume.
Ce fut le noir.
