Les réunions de meute qui se déroulaient un soir de pleine lune ne se passaient généralement pas tout à fait comme prévu. La meute de Beacon Hills en était bien consciente et il était donc de coutume pour elle de reporter la chose dans la mesure du possible. Celle qui devait avoir lieu aux alentours de vingt et une heures devait, techniquement, être annulée. Cependant, pour des raisons d'emploi du temps, Scott McCall avait décidé de la maintenir. C'était complètement idiot, parce que l'on n'était jamais à l'abri d'un dérapage, mais l'on se rassurait : les loups de la meute étaient, pour la plupart, assez expérimentés pour se contrôler. Liam était le seul pour lequel on se faisait un peu de souci, et c'était pour cette raison que l'on avait amené par avance au loft un lot de chaînes renforcées. On n'était jamais trop prudent.

Stiles n'était pas particulièrement à son aise. Il n'avait pas peur à proprement parler : il s'était frotté à des loups alors même qu'il ne connaissait pas grand-chose du monde surnaturel. Lorsque Scott s'était fait mordre, c'était lui qui l'avait géré alors qu'il était complètement perdu et terrifié. Son meilleur ami avait failli le bouffer et ce n'était pas rien, en fin de compte. Puis, il s'était occupé de Malia, qui était tout aussi coriace que Scott, mais dans un autre sens. Elle avait vécu à l'état sauvage durant plusieurs années. Ainsi, il avait dû s'y prendre différemment. Depuis peu, il aidait Liam à apprendre à se contrôler. Son humanité aidait beaucoup même si c'était un tantinet suicidaire : en mettant des loups et une coyote face à un humain, on les obligeait à se retenir. Contre d'autres loups, se maîtriser serait bien plus difficile car il y aurait moins d'enjeux. Mais Stiles était humain, complètement humain. Et on l'aimait bien. Il suscitait plus facilement l'empathie d'autrui, un peu comme une proie qu'on voudrait épargner. Il le savait, bien sûr, en était parfaitement conscient. On ne lui disait pas, mais il était assez intelligent pour le comprendre.

En fait, ce qui dérangeait Stiles à l'heure actuelle, c'était une impression qui le faisait frissonner. Il n'avait pas peur de ses amis, ça, c'était certain. Non, le problème était ailleurs. Où ? Telle était la question. Histoire de se détendre et de faire disparaître ce sentiment étrange et infondé, il décida de se servir dans la réserve de cookie de Derek. Autrefois, l'ancien alpha l'aurait incendié sur la voie publique pour cela, mais il avait abandonné cette idée depuis que Stiles s'était mis à lui en faire régulièrement. Pour l'adoucir, évidemment. Et gratter quelques informations plutôt secrètes sur les loups-garous et leur vie sexuelle.

Oui, Stiles était très curieux et arrivait à excéder Derek avec toutes ses questions auxquelles il n'avait pas forcément envie de répondre. Mais l'hyperactif était tenace et lui faisait part de potentielles nouvelles recettes de cookies assez régulièrement. Tant qu'il continuait de le fournir, l'ancien alpha consentait à lâcher quelques miettes d'informations et à ne pas le frapper à outrance. A vrai dire, il commençait même à prendre de ses nouvelles de temps à autres et ce, sans rien lui demander derrière, comme s'il commençait réellement à l'apprécier et à se soucier de lui. Seraient-ils enfin amis ? Peut-être. En tout cas, il était temps.

- Tout va bien ?

Quand on parlait du loup… Derek venait d'arriver et de poser sa main sur son épaule dans un geste clairement amical. Stiles hocha simplement la tête en esquissant un léger sourire et songea avec amusement que Scott pourrait être jaloux de l'attitude de Derek envers lui. Non parce que l'ancien alpha n'était pas aussi chaleureux avec Scott – merci les cookies ! –, il le prenait même parfois pour l'idiot qu'il était souvent alors que d'un autre côté, il reconnaissait l'intelligence et les talents de Stiles à leur juste valeur. Jamais il n'avait vu un humain aussi dévoué et rapide d'esprit. A force, on pouvait dire que l'hyperactif avait réussi à gagner le respect et la confiance de Derek. Stiles n'était pas un grand fan de Pokémon, mais il avait l'impression d'avoir capturé le loup avec une masterball, un des items les plus rares du jeu. C'était si incongru que c'était l'effet que cette entente lui faisait.

Mais Derek avait beau être quelqu'un de rassurant rien que par sa présence – et ça, ce n'était pas l'avis de tout le monde –, Stiles n'arrivait pas à se détendre complètement. Histoire de décompresser, il alla discuter avec Lydia, Isaac et Liam, puis finalement avec Jackson, avant de revenir à sa place initiale et d'attendre là, comme un idiot. Non, vraiment, il détestait attendre. Attendre tout en sentant une espèce de stress inexplicable monter doucement était tout sauf agréable, mais il réussit à le maîtriser assez pour ne pas approcher de la crise de panique. Puis de toute façon, c'était idiot. Pourquoi angoisser alors qu'il allait simplement participer à une réunion de meute ? Une réunion tout ce qu'il y avait de plus normal, si l'on exceptait le côté exceptionnel de la pleine lune. Il fit de son mieux pour se rassurer en se disant que ses amis étaient conscients de sa condition et de la prudence qu'ils devaient adopter. On n'était pas à l'abri d'un débordement, d'une transformation incontrôlée. Lydia aussi se tenait sur ses gardes, même si elle arrivait à avoir l'air un peu plus détendue que lui, sans doute parce que son cri de banshee pouvait faire des ravages. Lui, il n'avait rien et si son débit de paroles souvent impressionnant avait tendance à assommer leur côté humain, il serait on ne peut plus inefficace face à des bêtes enragées.

Tout compte fait, peut-être que Stiles avait un peu peur de ses amis, finalement. En même temps, c'était la pleine lune ! Ils avaient beau se contrôler plus ou moins parfaitement bien en temps normal, là, c'était différent. Faire cette réunion ce soir – nul doute qu'il en toucherait un mot à Scott lorsqu'il arriverait –, c'était comme jouer à la roulette russe. Stiles détestait tout ce qui était hasardeux, flou. Il aimait que les choses soient carrées, contrôlées.

De son côté, Isaac fut le premier loup à montrer son inconfort, puis à en faire part. Si Derek réussit à le rassurer plutôt rapidement, Stiles n'était pas dupe : l'ancien alpha commençait également à se tendre. Résister à son propre loup pouvait parfois s'avérer fastidieux et fatiguant, en particulier lorsqu'il fallait durer un certain moment. A l'heure actuelle, les garous devraient être en train de courir dans la forêt, dépensant l'énergie de leur animal, et s'amusant entre eux. Mais non, les voilà confinés au loft à attendre un alpha qui ne venait pas. La ponctualité n'avait jamais été le point fort de Scott. Stiles avait fait de son mieux pour essayer de lui inculquer cette valeur, en vain. Sur ce point, le latino était et serait toujours irrécupérable. Seulement en attendant, tout le monde était coincé, et pas le meilleur soir. Était-il au courant que le monde ne tournait pas autour de lui et que certains avaient annulés leur plan presque à la dernière minute pour pouvoir être disponibles pour cette satanée réunion ? Pourquoi la faisait-on, d'ailleurs ? Au niveau surnaturel, c'était plutôt calme, ces temps-ci, même au Nemeton, qui restait scellé.

Par respect pour ses amis, Stiles se contrôla. Son hyperactivité le poussait à parler et à laisser ses tocs ainsi que sa bougeotte s'exprimer, mais il se contenait autant que possible. Il n'était pas le seul à attendre, et puis… La plupart de ses collègues de meute luttaient également contre leur instinct animal pour ne pas se transformer et limiter leurs potentiels accès de violence. Autant ne pas rendre leur tâche plus difficile qu'elle ne l'était. Sauf que voilà, le temps passait, et il commençait sérieusement à avoir du mal à se museler, à cause de son stress grandissant et ce mauvais pressentiment tenace qui ne voulait pas le quitter. Il fixa les gouttes de pluie coulant sur la vitre de l'énorme fenêtre de la pièce à vivre, espérant que la concentration sur leur lente descente le calmerait.

La porte du loft s'ouvrit brusquement et la meute tourna la tête de concert vers celui qui venait d'entrer. On sourit, on se détendit… L'espace d'une seconde.

Parce que Scott semblait hors de lui. Les cheveux collés contre le front, trempé de la tête aux pieds, il arborait un air des plus renfrognés et avait réellement l'air d'extrême mauvaise humeur, ce que l'on mit un instant sur le compte de la pleine lune. On passa outre, simplement parce qu'il fallait s'y mettre. Scott avait peut-être appris une mauvaise nouvelle, quelque chose qui le dérangeait ou qui bouleversait sa vie personnelle. Oui, sauf qu'il était censé faire la part des choses – il était même celui qui avait instauré cette règle au sein de la meute. Séparer le privé du collectif de leur groupe surnaturel autant que possible.

- Bon, commençons, s'impatienta Peter.

Scott était en colère, oui, mais ils n'étaient pas là pour rigoler. L'alpha les obligeait à lutter contre eux-mêmes pour une réunion, alors autant la débuter sans attendre. Ainsi, plus tôt on la commençait, plus tôt ils seraient libres de gambader dans la forêt ou de faire l'amour de manière torride comme certains avaient l'habitude de faire.

Oui, mais Scott ne jeta pas un seul coup d'œil à Peter. Il balaya la petite foule du regard jusqu'à tomber sur Stiles, qu'il fixa d'un air mauvais. Au départ, l'hyperactif ne s'en formalisa pas, du moins pas vraiment. Son stress augmenta de manière significative, mais seule son odeur le laissa comprendre. Son visage restait simplement tendu, et pas à son maximum. En tant que seul réel humain de la meute, il fallait bien qu'il fasse bonne figure.

- Stiles, l'appela froidement l'alpha.

Le susnommé haussa un sourcil et regarda son ami sortir lentement d'une poche de sa veste un petit carnet, qu'il lui tendit. Et il resta là, sans bouger. Stiles comprit alors que Scott attendait de lui qu'il s'avance et saisisse l'objet. Faisant fi de son stress, l'hyperactif s'avança et personne ne l'en empêcha. Le latino était peut-être en colère, mais il était l'alpha et jamais il ne ferait quelque mal que ce soit à son meilleur ami. Hein ? Jamais. Pourquoi lui en ferait-il ? Stiles avait toujours tout fait pour lui. C'était un agneau, un ange, et un peu son homme à tout faire, si l'on y réfléchissait bien. Alors bien évidemment, personne ne voyait de raison d'empêcher Stiles de s'approcher de l'alpha ô combien bienveillant McCall, celui qui faisait toujours tout pour éviter d'user de la violence quelque soit la situation. Seuls Isaac et Derek se tendirent et firent un pas en avant. Pas plus.

Une fois que Stiles fut assez proche pour attraper le carnet, Scott ramena l'objet vers lui d'un geste sec.

- Tu reconnais ce carnet ? Lui demanda-t-il d'un ton glacial.

Si l'hyperactif fut troublé voire blessé par sa manière de lui parler, il n'en montra rien. Et il fut honnête :

- Ouais, c'est… C'était le journal d'Allison, pourquoi ?

Prononcer son nom lui faisait un mal de chien, mais il avait toujours mis un point d'honneur à assumer ses actes perpétrés sous l'emprise du Nogitsune, tout comme il s'était promis de ne jamais chercher à oublier Allison. Et… Il avait souvent vu la jeune femme écrire à l'intérieur. Une fois, bien avant sa mort, il avait fini par lui poser la question et la chasseuse lui avait confié sans hésiter qu'il s'agissait de son journal intime, dans lequel elle notait tout. Il lui servait d'exutoire, de confident, de jardin secret. Elle disait que ces mots-là ne regardaient qu'elle et personne d'autre. Stiles ne savait par conséquent absolument pas ce qu'il contenait et à vrai dire, ça ne l'intéressait pas. Tout le monde avait ses petits secrets, ses fantasmes, ses mystères plus ou moins inavouables, et l'hyperactif ne faisait pas exception à la règle.

Ce qui le perturbait, c'était de voir Scott aussi… Froid avec lui. Il énonçait un simple fait, quel était le problème ? Pourquoi son regard déjà noir semblait s'assombrir encore plus ?

- T'es qu'un enfoiré, tu le sais ça ?

La voix de l'alpha se faisait doucement menaçante. Stiles se crispa, mais il garda la tête haute. Scott avait sans doute une sorte de… Fièvre lunaire et la moindre de ses émotions se retrouvait atrocement exacerbée. Ainsi, il devait garder son calme au mieux, même si… L'incompréhension le gagnait de plus en plus. Non seulement Scott l'insultait, mais il avait l'air de réellement lui en vouloir, mais… Quel rapport avec Allison ? Stiles faisait souvent des conneries, c'était un fait. Toutefois, il ne comprenait pas ce que venait faire de feu la chasseuse dans la discussion.

- Pourquoi tu… Commença-t-il.

- T'as toujours été jaloux de moi, le coupa sèchement Scott. T'as toujours été qu'un connard. Il m'arrive quelque chose de bien et toi tu… Tu viens tout faire foirer.

Tout autour d'eux, l'on se tendit. Malgré son stress atteignant désormais un haut niveau, Stiles fit preuve d'un grand sang-froid et leva les mains devant lui d'un geste pacifiste.

- Du calme, bro. Je sais pas de quoi tu parles mais si t'as des comptes à régler avec moi, on fait ça après la réunion, d'accord ?

Ne pas comprendre d'où venait cette colère envers lui le frustrait tout autant que ça l'angoissait, mais il pensait surtout à ses amis qui, à part Lydia, se battaient actuellement contre leur part animale qui ne demandait qu'à sortir. En d'autres termes, ils souffraient, dans un sens. Il était temps de commencer, pour vite les libérer. Le reste pouvait attendre. S'il devait se faire passer un savon pour une raison qu'il ne connaissait pas… Soit. Mais plus tard.

Sauf que Scott ne semblait pas l'avoir réellement entendu, ou plutôt… Ecouté. Il le fixait d'un air de plus en plus sombre et si ses yeux étaient des armes à feu, Stiles aurait déjà vu son corps criblé d'une centaine de balles.

- Tu m'as tout volé, prononça lentement l'alpha. T'es même allé jusqu'à me prendre Allison.

Stiles écarquilla les yeux. Non, décidément, il n'y comprenait vraiment rien. Scott ne se trompait-il pas de personne ? L'hyperactif n'avait jamais touché à un seul cheveu de la défunte brune et… Il s'agissait d'un éternel célibataire qui ratait tout dans sa vie et n'arrivait pas à passer une semaine sans faire de cauchemars de temps à autres. En cours, il avait du mal à se concentrer mais il faisait tout de même de son mieux pour aider le latino lorsqu'il en avait besoin, que ce soit au niveau des cours ou de la meute. Et puis pourquoi parler de vol ? Non, vraiment… Cela n'avait aucun sens. Néanmoins, sa perplexité était telle qu'il ne réussit pas à prononcer un seul mot.

- Tu t'en sortiras pas comme ça, Stiles, le menaça l'alpha en faisant un pas en avant.

- Ecoute, je comprends toujours pas ton histoire mais on est ici pour quelque chose de plus important que ton je sais pas quoi et…

- La ferme !

L'on se figea. Scott avait crié. De rage. L'on écarquilla les yeux, frissonna… Et l'ambiance déjà bien tendue changea. Le latino fit un autre pas en direction de l'hyperactif, qui commençait sérieusement à prendre peur. Mais ses pieds restèrent vissés au sol. Il était comme… Paralysé par son angoisse désormais bien trop pesante pour lui.

Isaac fut le premier à bouger et se mit devant Stiles. L'attitude de Scott était beaucoup trop menaçante et agressive pour être anodine. Qu'importe leurs différends, il était clair que ce n'était pas le moment de se battre, d'autant plus que Stiles semblait réellement ne rien comprendre à cette situation saugrenue.

- Scott, calme-toi. Tu lui fais peur et de toute façon, on n'est pas là pour ça, fit Derek, un peu plus loin.

Son regard était inquiet et il avait commencé à s'avancer à son tour, Jackson juste derrière lui. De par sa nature de banshee, Lydia restait un peu en retrait et les autres assistaient, médusés, à cette espèce d'échange surréaliste voire lunaire.

Encore une fois, Scott semblait hermétique aux paroles d'autrui. Il continuait de fixer Stiles avec une intensité malsaine.

- Tu vas le payer et c'est tout, fit-il d'une voix tremblante de rage.

En temps normal, Stiles aurait poussé Isaac car il n'avait pas à prendre sa défense, mais son état mental, qui n'allait pas en s'améliorant, l'empêcha d'esquisser le moindre mouvement. De toute manière, Isaac finit tout de même par s'écarter, toutefois pas de manière voulue, au contraire. Scott l'avait envoyé valser avec sa force de vrai alpha d'un mouvement aussi sec que rapide. Le loup aux cheveux bouclé atterrit rapidement au sol, la respiration coupée. Juste derrière lui, Derek apparut mais finit le crâne ensanglanté, non loin de son presque petit frère. Plus vif que n'importe qui, Scott se jeta sur Stiles si vite que personne ne put l'empêcher de l'atteindre.

Ses crocs sortirent brusquement et s'enfoncèrent violemment dans l'épaule de l'hyperactif dans un bruit sordide.

Un cri et un hurlement retentirent.

Le cri de douleur de Stiles.

Et le hurlement de banshee de Lydia.