Hyoga resta un long moment silencieux, à regarder la porte que Shiryu avait quasiment claquée avant de sortir. L'adolescent avait l'impression qu'un gouffre immense venait de s'ouvrir sous ses pieds. Il entendait bien Milo l'appelait mais cette voix, bien que toute proche, lui paraissait si lointaine qu'il ne comprenait pas les mots prononcés. En fait il n'arrivait pas à se concentrer sur autre chose que cette porte.
Shiryu était parti, en colère. Et tout ça à cause de lui. Depuis l'accident, le chinois avait été adorable avec lui. Il s'était inquiété et avait voulu le soigner. Il avait répondu aux moindres de ses désirs, avait remarqué chaque douleur qu'il avait pu ressentir. Et lui, qu'avait-il fait en retour ? Il s'était montré parfaitement odieux. Il avait refusé chaque démonstration d'affection que le futur médecin lui avait offerte.
Encore une fois il venait de faire du mal à une personne qui l'aimait et que lui aussi aimait plus que tout. Tout comme il avait tué sa mère parce que celle-ci avait dépensé jusqu'à ses dernières forces pour le protéger du vieux Mitsumasa Kido et pour l'élever. Tout comme Isaak avait failli perdre la vie en le sauvant dans cette mer gelée dans lequel il était tombé. Tout comme Jacob aurait pu disparaitre dans cette avalanche dont il gardait les séquelles. Tout comme Seiya aurait pu être renversé à sa place en voulant le pousser pour éviter la voiture. Et maintenant Shiryu… parce que le russe était sûr et certain que l'interne ne cesserait pas de s'inquiéter, quitte à veiller sur lui jour et nuit jusqu'à épuisement s'il le fallait.
Certains lui avait souvent répété à l'orphelinat, comme au camp militaire en Sibérie, qu'il était maudit, qu'il n'apportait que le malheur autour de lui et qu'il fallait l'éviter. Sans doute avaient-ils raison.
En tout cas, une chose était sure, jamais il ne permettrait qu'il n'arrive malheur à Seiya ou Shiryu. Et la solution pour les protéger était évidente, il devait partir le plus vite possible. Aussi, avant même que Milo n'ait pu réagir, l'adolescent s'était levé d'un seul coup et avait déjà la main sur la clenche.
Dans le bureau de la librairie, Kanon était assis auprès de Camus, lui tenant la main, tentant de le rassurer comme il le pouvait. Le Français était encore endormi mais son sommeil était agité. Shura, qui avait compris que le moment d'enfin se parler était venu pour les deux hommes, avait réussi à éloigner Saga, sous prétexte qu'il fallait aller rassurer les fans. Et puis il fallait prévenir Milo et réorganiser leur départ.
Le problème, c'est que depuis le départ de Saga, le français retremblait de froid et s'était mis en position de fœtus, à la recherche d'une protection et de chaleur. Et visiblement, c'était quelque chose que Kanon était incapable de lui apporter. Il se sentait responsable de voir l'auteur dans cet état, si fatigué, fragile, sans ne rien pouvoir faire pour l'aider.
Les mots de Death Mask résonnaient douloureusement dans son esprit. Quelque part le videur n'avait pas tort. Cela faisait combien de temps qu'il n'avait pas échangé un mot avec le français, qu'il ne lui avait pas adresser un mot autrement que pour lui faire des reproches à propos de sa complicité avec Saga, qu'il avait vraiment pris le temps de le regarder, de voir comment il allait, de lui demander ce qu'il ressentait.
C'était tellement fou ce fossé que leur jalousie par rapport à Saga et Milo avait créée entre lui et l'écrivain. Ils avaient beau faire des efforts pour se parler, à chaque fois, il y avait cette gêne omniprésente entre eux. Camus finissait toujours par baisser les yeux, par se renfermer sur lui-même ou par répondre très évasivement. Il fuyait tout simplement toute discussion. Kanon ne savait jamais quel sujet aborder, comment amener le Français à se confier. Alors, il avait peu à peu abandonné l'idée de se rapprocher un jour de l'auteur. Lui aussi, à sa façon, avait fini par fuir. Leur rapport était un peu plus fort que le lien patron / employé, ils étaient bons camarades, surtout par respect envers Milo et Saga, mais ils ne pouvaient pas parler de véritable amitié. Pourtant avec Saga, Camus était tellement différent, plus ouvert, capable de parler pendant des heures à propos des nombreuses passions qu'ils avaient en commun.
Même s'il ne le montrait pas, Kanon souffrait de cette situation. Cela ne paraissait peut-être pas évident, surtout pour le principal intéressé, mais il appréciait beaucoup Camus. Et puis il lui devait tellement… Le succès du Français avait été bien au-delà de ce qu'ils avaient tous espéré, les mettant à l'abri financièrement jusqu'à la fin de leur vie. Mais malgré ce que pouvait en penser Death Mask, pour Kanon l'argent n'était qu'un infime détail. Depuis l'arrivée de l'écrivain dans leur bande, la vie s'était tellement améliorée pour tous. Grâce à sa présence rassurante, sa compassion, son calme, son intelligence, Milo s'était assagi, Saga avait repris peu à peu goût à la vie, Death Mask était moins violent, Shura plus détendu. Il avait plus d'une fois contribuer à rapprocher Aiolia et Ayoros, servant de médiateur entre les deux frères. Il avait aussi aidé Aldébaran dans ses démarches pour sortir des jeunes de l'enfer de la rue. Oui, Camus était toujours aux petits soins avec eux.
Et puis Camus devinait toujours quand quelqu'un n'allait pas bien. Et même s'il ne parlait pas beaucoup, il était capable de reste des heures auprès de cette personne jusqu'à ce qu'elle aille mieux, telle une lumière chassant l'obscurité. Oui, Camus avait accompli des miracles… visiblement aux dépends de sa propre santé. Mais Kanon n'avait rien vu.
Et pourtant, il refusait d'être le seul responsable de ce drame. Il se sentait coupable, oui. Mais il n'était pas non plus l'égoïste pour qui Death Mask voulait le faire passer. À sa décharge, il faut dire aussi que Camus ne montrait rien de ses émotions. L'homme d'affaires le voyait sourire et les livres se vendaient bien. Ils voyageaient sans cesse, découvrant de nouvelles choses, de nouvelles cultures, de nouveaux paysages et ils étaient plus unis que jamais. Alors il avait fini par en conclure que tout allai bien. Bien sûr, depuis un ou deux mois, les ennuis commençaient à un peu trop se multiplier à son goût. Mais jusque-là rien de grave, juste les tracas de la vie quotidienne. Il savait mieux que quiconque que la roue tournait, que chacun, à une période de sa vie, connaissait une mauvaise phase, avant que tout ne revienne plus ou moins dans l'ordre. Non, à bien y réfléchir, rien, absolument rien, ne laissait présager que Camus finirait dans cet état.
Kanon sortit de ses pensées en sentant une pression sur sa main. Maintenant l'écrivain était en sueur et avait un peu de fièvre. Il murmurait dans son sommeil, appelant à l'aide. D'abord, Milo, puis Saga, puis Shura et puis… Kanon ?
Et ce fût à ce moment que le propriétaire de la Poséidon Agency réalisa. Camus l'appelait à l'aide. Camus lui faisait confiance. Camus avait besoin de lui. Et lui, Kanon, n'avait jamais été là, autrement que financièrement, pour apporter son soutien à l'écrivain. Le publicitaire soupira à cette pensée. Maintenant cela lui crevait les yeux. Combien de petites attentions quotidiennes le Français avait-il eu pour lui ? Toujours à lui apporter à manger quand il finissait tard. Toujours à demander s'il pouvait faire quelque chose pour l'aider. Et puis la présence de ses fleurs préférées posées sur son bureau pour égayer les lieux. Et lui, Kanon, combien de fois avait-il pris la peine de le remercier ? Jamais.
Toutes ces convictions furent soudainement balayées. Non. En fait, il aurait effectivement dû s'apercevoir que quelque chose clochait, que sous son sourire apparent, Camus n'allait en réalité pas bien. Même Shura et Death Mask s'en étaient rendus compte alors que lui avait continuer à ignorer les différents signaux de détresse que le Français envoyer. Tout était de sa faute. Où était-il quand Camus avait besoin de lui ? Pourquoi n'avait-il pas réagi avant que les choses en arrivent à ce point désastreux ?
La réponse était tellement évidente qu'elle lui en donnait presque la nausée. Shura avait raison. Il était tellement aveuglé par sa jalousie depuis toutes ces années qu'il n'avait rien voulu voir. Et maintenant il allait falloir régler les choses… même s'il ignorait encore comment s'y prendre.
Milo remarqua que non seulement l'adolescent ne répondait toujours pas mais qu'en plus il s'était redressé pour s'éloigner de lui. Et c'est en un temps record qu'il s'était retrouvé entre le russe et la porte. Seulement il avait beau l'appeler, Hyoga n'entendait rien, trop occupé à dépenser ses dernières forces pour sortir. Et lorsqu'il voulut passer son bras autour du russe pour le ramener vers lui, l'adolescent se débattit avec rage.
-Hé Hyoga, c'est moi ! C'est Milo ! Calme-toi !
-Lâche-moi ! Je dois partir sinon je vais leur faire du mal.
-Non Hyoga. C'est à toi que tu fais du mal là.
-Mais tu ne comprends pas. Je porte malheur. Je dois partir, insistait Hyoga.
Milo, en parvenant à ceinturer l'adolescent pour le retenir, s'était rendu compte que celui-ci ne portait plus les bandages qu'il avait dû enlever pour prendre la douche. S'il ne parvenait pas à le calmer, le Russe allait se blesser plus qu'il ne l'était déjà. Il fallait à tout prix qu'il fasse parler l'adolescent, même s'il était certain qu'il n'allait pas aimer ce qu'il allait entendre.
-Je veux bien t'aider mais là faut que tu m'expliques Hyoga.
Mais l'adolescent, toujours enfermé dans son idée de partir, ou de fuir plutôt, ne répondit pas.
Que ferait Camus à sa place ? Avant, l'écrivain aurait su garder son calme, trouver les mots pour rassurer l'adolescent. Mais dans l'état actuel des choses, il se serait surement effondré à son tour, incapable de gérer ses émotions. Alors, que ferait Saga pour calmer Kanon ? Que ferait Aioros pour le calmer lui ou Aiolia ? Oui mais lui comme Aiolia était en bonne santé. Pas comme Saga. Pas comme Camus. Pas comme Hyoga. Avec l'adolescent, la marge de manœuvre était serrée.
Plus il tenterait de retenir Hyoga, plus celui-ci voudrait fuir. Alors que s'il l'encourageait à partir, celui-ci se rendrait peut-être compte de ce que cela impliquait. Peut-être allait-il devoir se montrer blessant pour ouvrir les yeux de l'adolescent, mais à ce stade, il ne savait pas quoi faire d'autres.
Milo lâcha donc Hyoga qui, se retrouvant d'un seul coup sans appui, faillit tomber. Puis il ouvrit lui-même la porte d'entrée, invitant d'un geste de la main le russe à sortir. Le regard perdu de l'adolescent lui faisait mal mais il continua dans sa lancée, encourageait par le fait que le russe avait cessé de se débattre et semblait réfléchir.
-Eh bien, vas-y ! Sauve-toi ! Qu'est-ce que tu attends ?
Hyoga, qui ne s'attendait pas à ça, avait esquissé un pas mais en regardant dehors, il fût saisi d'une angoisse, d'une peur irraisonnée. Milo ne le soutenait plus et un vide incroyable s'était emparé de lui. « Vas-y », oui mais où ? Il chercha une réponse dans le regard du barman… une réponse qui ne vînt pas.
-Je ne sais pas où tu comptes aller dans ton état mais vu qu'apparemment c'est si important pour toi…
Pris entre l'hésitation de fuir pour épargner ses frères et la peur de ce qu'il l'attendait dehors, Hyoga se mordait les lèvres, presqu'à sang. Voir le russe comme ça brisait le cœur du Grec. En cet instant il avait l'impression de voir Camus qui, dans ses moments de faiblesse, avait aussi cette mauvaise manie de se mordre les lèvres. Comme si la douleur physique pouvait faire oublier la douleur morale. Mais maintenant que la brèche était ouverte, il devait s'y engouffrer. Même si pour ça il fallait appuyer où ça fait mal.
-Tu ne comprends pas, murmura Hyoga, tétanisé.
-Comprendre quoi ? Que tu n'es qu'un lâche et un égoïste ! Il est où le Hyoga de ce matin, celui si courageux qui, même à bout de force, a réussi à vaincre ses peurs ?
Le Hyoga de ce matin ? Pour le coup l'adolescent en aurait ri… s'il n'avait pas autant envie de pleurer. Le Hyoga de ce matin n'avait jamais existé. Si seulement Milo savait… Si Milo savait que la peur était toujours là, tellement écrasante qu'elle empêchait le russe de faire un pas de plus, de faire ce pas qui éloignerait du danger tous ceux qui voulaient l'aider. Si seulement Milo savait que sans sa présence et celle de Seiya, sans l'aide de cette voix et cette lumière dorée, l'adolescent n'aurait jamais pu vaincre le général. Une voix, une lumière… Cauchemar ou réalité ? Si seulement Milo savait que Hyoga était devenu tellement fou qu'il ne faisait plus la différence depuis un moment.
Pris dans le flot de ses pensées, l'adolescent avait l'impression que ses jambes ne le portaient plus et tout recommençait à danser autour de lui. Encore une crise d'angoisse… Encore une marque de faiblesse.
Milo le remarqua mais ne fit rien pour l'aider. Le russe était encore trop concentré sur la porte, sur son idée de fuite. Il voulait que le gamin fasse un pas, oui, mais un pas vers lui, pas vers la sortie. Juste un pas pour prouver qu'il avait encore envie de se battre.
Visiblement, s'en prendre à la personnalité de l'adolescent ne servait à rien. Et pour le coup, Milo se traita mentalement d'imbécile. Vu l'état de son protégé et ses réactions avec Shiryu, il aurait dû deviner que c'était peine perdue.
Il ne restait qu'une solution : faire culpabiliser le russe. Et pour ça Milo allait devoir se servir de l'amour qui unissait les trois frères. Le grec détestait jouer avec les sentiments des gens et se méprisait déjà pour ce qu'il allait faire. Mais il n'avait plus le choix. Si Hyoga partait dans cet état, il mourrait. Et le barman ne pouvait plus le retenir par la force sous peine de le blesser encore plus. Tant que le gamin n'avait pas pris de lui-même la décision de rester, il ne pourrait pas l'aider. Personne ne le pourrait.
-Je pensais au moins que tu aurais la délicatesse de dire au revoir à tes frères. Seiya a risqué sa vie pour sauver la tienne, tu as une drôle façon de le remercier.
Milo s'arrêta lorsqu'il vit Hyoga faire demi-tour sur lui-même pour venir s'appuyer contre le mur. Était-ce dû à la crise d'angoisse (ou stress intensif, ou fatigue excessive, ou dépression nerveuse… comme disait Shion pour Saga et Camus. Sûrement un mélange de tout pour Hyoga) ou au fait que l'adolescent avait pris la décision de rester ? Le Grec l'observa un instant à la recherche d'une réponse. Devait-il insister ou se contenter du mouvement qu'avait fait l'adolescent ? Après tout le russe était sorti de sa torpeur, il avait réagi, même si ce n'était pas forcément positif vu comment il tremblait et avait de plus en plus de mal à respirer.
Hyoga tentait tant bien que mal de se calmer. Il ne voulait pas faire de mal à Seiya en s'enfuyant mais il était conscient qu'il lui en ferait aussi en restant. Il suffisait de repenser à ce matin. S'il restait, il mettait Seiya et Shiryu en danger. S'il partait, il se retrouverait sans défense et ne ferait pas long feu. Cela ne le dérangeait pas outre mesure, mais à chaque fois que la mort lui ouvrait les bras, quelqu'un s'évertuait à le sauver en risquant sa vie. Et s'il retombait sur un sadique comme celui qui l'avait violé…
Il sentait son cœur s'accélérer de plus en plus, cognant de plus en plus fort contre sa poitrine, cherchant à s'échapper du piège que représentait sa cage thoracique. Partir ou rester ? Réalisant qu'aucune décision n'était la bonne, lui aussi se sentait piégé, dans cet appartement comme dans sa vie en générale. Impuissant face à cette révélation, le russe capitula et se laissa glisser le long du mur pour se retrouver assis par terre. N'en pouvant plus, il déposait les armes, laissant son avenir entre les mains de Dieu, celui en qui croyait sa mère. Non, entre les mains de Milo. Dieu l'avait laissé tomber, pas Milo.
Si seulement Hyoga avait su… S'il avait su que malgré tout ce qu'il avait enduré et endurait encore, jamais personne n'avait profité d'une telle protection divine. S'il avait su que pas un mais plusieurs dieux veillaient, comme ils le pouvaient, sur lui. S'il avait senti l'inquiétude d'Artémis, d'Hadès et de Poséidon.
-Je ne suis plus sûr que laisser Milo et Aiolia entrer en contact avec les Bronzes était une si bonne que ça, déclara Artémis. C'était trop tôt. Surtout après les retrouvailles entre Hyoga, Seiya et Shiryu.
-Je ne suis pas d'accord, répondit Poséidon. Plus nous attendrons et plus Hyoga va s'affaiblir. De même que Saga et Camus.
-Mais si Milo continue à le pousser comme ça, il va faire plus de mal que de bien, constata Artémis.
-Faites-lui confiance, leur demanda Athéna. Milo ne fera jamais de mal à Hyoga.
-Pourtant Milo n'est pas connu pour gentillesse. Il a quand été l'assassin du Sanctuaire. Et il n'a hésité à se servir de son Aiguille Ecarlate contre le Cygne pendant la bataille du Sanctuaire, répondit Hadès.
-Les circonstances étaient différentes, le défendit Athéna. Après la mort de Camus, Milo a fait preuve de beaucoup de patience envers Hyoga. Il n'a pas hésité à l'épauler alors que lui-même n'arrivait pas à se remettre de la perte du Verseau.
-Mais là encore, le contexte n'est pas le même. Et Milo ne souvient plus de rien. Tout comme Hyoga d'ailleurs, objecta le Dieu des Enfers.
-Quoiqu'il arrive, les dés sont jetés, déclara Artémis. Il est trop tard pour revenir en arrière.
-Notre nièce a raison, confirma Poséidon. Nous devons avoir confiance en Milo. Après tout, nous nous sommes inquiétés avec Minos et tout c'est bien passé.
-D'autant plus que si cette rencontre peut débloquer les choses, ce sera un grand coup d'avance qui nous permettra peut-être d'arrêter Apollon, renchérit Athéna.
Milo vint s'agenouiller face à Hyoga, se maudissant mentalement. Il avait été trop loin, s'était montré trop brut. Pourtant, il savait, grâce ou à cause de Camus, que la panique, la précipitation et la brutalité, verbale comme physique, ne servaient à rien dans ces cas-là. Oui, mais avec Camus la douceur marchait, il pouvait encore atteindre son cœur et son esprit, même dans les crises les plus violentes qu'avait faites l'auteur. Et même quand il lui arrivait de s'emporter, Camus lui pardonnait. Le Français lui pardonnait toujours tout. Alors que pour Hyoga… La fatigue, la peur, les mauvais souvenirs, un trop plein d'émotions, enfin bref, un cocktail explosif de mauvaises énergies, avait éloigné son protégé de la réalité. Plus rien ne semblait l'atteindre. La douceur et la patience, Shiryu avait essayé… en vain. Cela avait marché au début avec lui mais… plus maintenant. Les insultes, le dénigrement… aucun effet. Et alors la culpabilité, n'en parlons pas, se dit Milo. Le point positif, c'était que l'adolescent état à bout de force et ne pouvait donc plus s'enfuir. Mais le côté négatif, c'était que Hyoga n'avait pas décidé de rester de lui-même. Sans compter la crise d'angoisse que cela avait déclenché, Donc, à part faire encore plus de mal, cela avait été inutile. Totalement inutile… Enfin, peut-être pas.
À la grande surprise du barman, Hyoga avait levé les yeux vers lui. Des yeux suppliants, perdus, rougis par une envie de pleurer à peine contrôlée. Des yeux et un regard qui faisaient mal, mais une petite victoire pour Milo. Enfin, il avait obtenu l'attention de Hyoga. Ils allaient pouvoir discuter calmement. Essayer d'avancer sur le chemin de la guérison.
-Je sais plus Milo. Je veux pas que… Si je pars… Et si je reste…
L'adolescent avait de plus en plus de mal à parler, et le peu qu'il disait n'avait de sens que pour lui. La crise d'angoisse augmentait, la tête lui tournait et il avait de plus en plus de mal à respirer. Pourtant il n'en fallait pas plus à Milo pour comprendre le dilemme qui angoissait tant son protégé.
-Que tu partes ou que tu restes, tu penses qu'il leur arrivera du mal, conclut le barman, dont le regard comme la voix s'étaient grandement radouci.
Pour toute réponse, Milo n'obtint qu'un mouvement de tête. Le russe pensait porter malheur, il l'avait répété plusieurs fois. Et c'était cette pensée qui poussait son protégé à vouloir s'enfuir. Mais peu importe où Hyoga irait, cette pensée ne le quitterait pas. Peu importe où Hyoga irait, il ne trouverait jamais la paix. Parce que peu importe où Hyoga irait, il ne pouvait pas fuir ce qu'il ressentait. Parce que peu importe où Hyoga irait, ce ou celui qu'il voulait fuir, n'était autre que lui-même.
