Qui dit nouveau mois, dit nouveau chapitre !

Le mois d'octobre commence sur les chapeaux de roue, avec la commande de mon Livre II de Répétitions, qui sera disponible sur mon stand à la Y-con (Montreuil, les 4 et 5 novembre). Je serai au stand K4 dans la même rangée que le stand Akata, si ça peut en aider certaines à se repérer. ;) J'ai aussi un autre projet de fanzine sur L'Atelier des sorciers (fait maison, cette fois), mais comme le timing est vraiment serré, je n'ose pas trop en parler, parce que c'est pas dit que j'arrive à le finir à temps.

En tout cas, je me suis remise au boulot, et ça me fait beaucoup de bien de retrouver le plaisir de dessiner ! J'ai vraiment hâte de pouvoir montrer tout ça. La réflexion autour de Bras de fer avance bien, la fin se dessine de plus en plus. Enfin, j'ai pris beaucoup de notes de fait beaucoup de cartes mentales, mais je n'ai pas écrit une ligne. Je suis vraiment en plein dans la planification !

J'ai terminé le premier jet du chapitre 104, mais je n'en suis pas du tout satisfaite et je doute d'avoir le temps de le remanier en octobre... alors je pense que je vais m'autoriser un mois de battement dans la publication, pour bien fignoler tout ça et repartir de plus belle avec le Nanowrimo. Je tenais quand même à publier ce chapitre avant la pause (vous comprendrez pourquoi).

Du coup, je ne m'attarde pas plus ! Je retourne travailler en guettant vos précieuses reviews et en espérant vous voir (peut-être) à la Ycon ! Bonne lecture !


Chapitre 103 : Riposte (Jean)

Cela faisait quatre jours que j'avais repris mes fonctions en tant que Lieutenant-Colonel sous les ordres de Mingus, et le monde autour de moi semblait toujours plus surréaliste.

Je n'avais pas eu le temps de me remettre du choc qu'avait été l'attaque de Lacosta par Aerugo et l'assassinat de Hawkeye par l'une des rares personnes en qui j'avais encore confiance au sein de l'Armée, que la situation avait encore empirée. Passer une semaine au Bigarré m'avait fait du bien, exploité pour rénover l'étage qui avait souffert de l'incendie lors de l'attaque, mais la réalité m'avait de nouveau mis une claque aussitôt mon uniforme remis.

La ville de Liore tout entière avait été rasée.

Un récit absurde et terrifiant que j'avais d'abord refusé de croire tant qu'ils n'étaient que des bruits de couloir, mais qui s'était avéré vrai : les militaires sous les ordres de Bradey, qui avaient été exfiltrés d'urgence, décrivaient tous la même chose : un rideau de lumière rouge qui avait encerclé la ville, puis les rues désertes une fois la puissance de l'Alchimie retombée.

Certains parlaient d'une bombe d'un nouveau genre, mais il n'existait aucune bombe qui traçait une limite parfaite entre ceux dont il ne restait rien et des témoins parfaitement indemnes.

Car oui, ceux qui étaient hors du cercle s'en étaient sortis sans la moindre blessure… tout du moins, tant qu'ils n'avaient pas croisé des survivants des troupes de Grumman, qui avaient été presque totalement annihilées dans l'attaque.

J'avais tenté de contacter Bryan par tous les moyens, avant que les lignes soient coupées avec la région Est… en vain. Je savais juste qu'il était parti pour Lacosta, puis, sans doute, pour Liore.

J'avais envie d'espérer, de me dire que tant qu'on n'avait pas retrouvé le corps, il y avait un espoir…

Mais ils n'avaient retrouvé aucun corps.

Il était sans doute mort là-bas.

Les civils avaient disparu, elles aussi.

Le conflit de Liore était mort avec sa population, mais il en avait créé un d'autre d'une bien plus grande ampleur, déchirant le pays en deux.

Entre le choc et la fureur, les soldats de l'Est avaient fait fuir Bradley avec ses troupes, qui avaient quitté la région en catastrophe, pendant que la révolte, tout d'abord chaotique, s'était cristallisée autour de Grumman. Celui-ci avait livré un discours frappant à la radio, annonçant la Sécession de la région Est.

Comme si ce n'était pas assez le bordel comme ça, avec les Homonculus et Aerugo qui nous attaquaient tout à trac, le pays était littéralement en train de se disloquer.

Et moi, j'étais là, en uniforme, les deux pieds dans mes bottes face à une situation qui me dépassait complètement et me terrifiait de plus en plus. Je me sentais plus impuissant que jamais.

En désespoir de cause, je faisais la seule chose possible dans ce contexte : j'exécutais les tâches machinalement, cherchant du sens dans des conversations avec les collègues qui n'étaient pas moins estomaqués que moi. Seules mes soirées au Bigarré parvenaient à me distraire réellement : quand Jess ou d'autres se mettaient à chanter, leurs voix et leurs sourires parvenaient à faire taire le bourdonnement d'angoisse qui me suivait partout depuis que Mustang nous avaient trahis, Hawkeye et moi.

Je vis Hayles me faire signe et la rejoignis, constatant que Falman était là aussi. Je continuais à manger avec lui, plus par habitude que par amitié, l'écoutant me parler du contexte politique et dresser des hypothèses sur la manière dont les choses allaient évoluer. Il était intelligent, sans doute, et avait une bien meilleure compréhension des tenants et aboutissant, des influences en jeu… mais quand je l'entendais parler comme ça, j'avais juste envie de lui relever son assiette de bouffe dans la tronche pour qu'il se taise.

Parce qu'il avait laissé Hawkeye là où elle était, sans remettre en question l'inaction de Mustang.

Et parce que, quelles que soient ses hypothèses, elles étaient toutes plus déplaisantes les unes que les autres.

Je n'avais pas envie d'entrer en guerre contre ma région natale, et j'étais terrifié à l'idée d'être réquisitionné dans ce but. Personne ne me l'avait demandé, sans doute conscient que je risquais de me rebeller, mais depuis la Sécession de l'Est, le pays entier était sous tension. Les trains et échanges commerciaux étaient à l'arrêt depuis samedi dernier, et si, pour le moment, le conflit résumait surtout en la naissance brutale d'une frontière qui n'existait pas auparavant, il était probable qu'une véritable guerre éclate.

Une guerre contre ma propre région.

Je m'attablais devant mon assiette de blanquette, face à une Hayles aux traits tirés, pendant que Falman fendait son petit pain en deux en échangeant deux mots avec les collègues de leur équipe qui s'étaient assis avec nous.

— Il y a eu une bataille à Awrosut dans la nuit, lâcha-t-il. Des soldats ont tenté de s'infiltrer dans le QG pour reprendre la ville par la force, mais ils n'ont pas réussi. On n'a pas le détail, mais il y a eu des morts.

— Une bataille ? On n'était pas au courant ! m'exclamai-je.

— Apparemment, c'était des gens de l'intérieur… mais de toute façon, je pense qu'on est trop proche d'East-City pour nous laisser une chance d'avoir ce genre d'informations avant qu'il soit trop tard, répondit Falman avant de hausser les épaules.

— Quand bien même on serait au courant, qu'est-ce que tu voudrais qu'on fasse ? Ils ne laissent plus passer personne, et les lignes téléphoniques sont coupées...

Le seul point positif à ce contexte, c'était d'échapper aux appels réguliers de ma mère. Le point négatif, c'était que, malgré tous ses côtés pénibles, je me rendais compte que je m'inquiétais malgré tout pour elle.

Elle restait ma famille. La seule qui me restait, ou presque.

— Toujours pas de nouvelles de Bryan ? demanda Falman d'un ton plus compatissant.

Je secouai négativement la tête, incapable de me décider à entamer mon assiette.

— Et Fuery ?

— Non plus. Mais bon, il était dans sa famille aux dernières nouvelles, il y a moins de raisons de s'inquiéter pour lui.

— Toujours pas moyen de contacter l'Est, soupirai-je. Ils ont saboté toutes les lignes téléphoniques reliant au reste du pays.

— Il y a peut-être des lignes rebranchées entre l'Est et la région Nord.

— Ça me fait une belle jambe, répondis-je. Je connais personne là-bas.

— Tu crois que la région Nord va suivre la Sécession de l'Est ? demanda Hayles.

— Je ne suis pas sûr qu'ils aillent jusque-là, vu le contexte, mais ça ne serait pas déconnant. Le pouvoir de Central n'est pas super bien vu là-bas… je ne sais pas si tu as suivi, mais Harfang y était bien installé, il avait des réserves dans les montagnes, avec de l'argent, des armes, de la drogue… Je te laisse imaginer les problèmes qui vont avec.

Je grimaçais. Arrêter Sen Uang, alias Harfang, avait été un des gros chantiers de l'année, mais les traces de son influence semblaient ne jamais s'effacer.

— Il y a eu pas mal d'abus de la part d'Harfang, contre lesquels Central n'a pas réagi malgré les appels des militaires et civils de la région. En tout cas, les habitants et soldats du Nord se sentent souvent livrés à eux-mêmes, ils sont pas très fans de Bradley dans l'ensemble. Le truc, c'est les troupes qui gardent la frontière nord ont régulièrement des conflits avec Drachma, même si ça ne finit pas en déclaration de guerre officielle… S'ils prennent officiellement position contre Central-City, ils perdront le soutien de la capitale et se retrouveront dos au mur en cas d'invasion.

— Bref, les deux régions qui ont le plus de raisons de déclarer leur indépendance sont celles qui ont des voisins prêts à leur tomber dessus… Quelle merde.

— Ce n'est pas dans l'intérêt de Central-City de laisser leurs voisins étendre leur territoire, non ? fit remarquer Hayles. S'ils les laissent faire, à force, même la région Centrale va se faire avaler par les pays voisins…

— Je pense que leur but est de laisser s'affaiblir L'Est jusqu'à ce qu'ils n'aient plus d'autre choix que de plier de nouveau face à Bradley ou se laisser envahir… vu comment ils se sont comportés à Lacosta, je pense que Grummann n'attendra pas que les soldats d'Aerugo avancent trop dans les terres avant de capituler. Il y aurait trop de morts.

— Et du coup, quoi ? soupirai-je. Tu veux dire que Grummann a perdu d'avance ? Que ça ne va rien changer ?

— À moins qu'il y ait un retournement de situation à Central-City, ouais… je ne vois pas comment il pourrait gagner le conflit. Au mieux, ça reste en statu quo, mais sans personne avec qui échanger des ressources, L'Est aura du mal à être assez solide pour constituer un pays à part entière.

— Central compte quand même beaucoup sur les récoltes de la région Est, non ? fit remarquer Hayles. Une grande partie du blé vient de là-bas. L'élevage de moutons, aussi…

— Je pense que Bradley considère qu'il aura repris la main sur la région d'ici les prochaines moissons, répondit Falman. Et puis, tu auras peut-être remarqué que le blé a déjà bien augmenté. À mon avis, ça n'est pas fini.

— Ça va être compliqué, financièrement… même pour les habitants de Central.

— Nous on s'en tire bien, avec nos salaires de militaires, mais les autres…

La militaire avait dit ça avec toute la douceur et l'inquiétude qui la caractérisait, et je me rendis compte qu'elle avait raison. Quelle que soit l'issue du conflit, il y allait avoir des morts. Des quidams, comme elle et moi, qui allaient devoir prendre les armes pour des combats qui n'étaient pas les leurs, et des civils, ceux qui n'avaient déjà pas de quoi mettre de côté et risquaient de ne plus pouvoir acheter à manger.

Cette pensée me fit bouillir de rage, et je me surpris à rêver que Bradley meure dans l'instant. Tout était de sa faute, la sienne et celles des Homonculus.

Mais ça n'arriverait pas. Il avait trop de pouvoir.

Et moi, je n'étais rien.

Quand bien même j'aurais eu le courage d'essayer de le tuer, je n'aurai même pas l'occasion d'arriver jusqu'à lui pour l'attaquer.

Edward avait disparu, Hawkeye était morte et Mustang nous avait trahis… il ne restait plus qu'Hayles, Falman et moi, avec les bribes d'informations qu'on avait bien daigné nous donner. J'étais convaincu que Hawkeye, quand elle m'avait expliqué ces histoires d'Homonculus, avait passé sous silence une bonne moitié des informations qu'elle détenait.

Et maintenant, il était trop tard.

— Dites… Vous en pensez quoi, de la bataille de Liore ? demanda timidement un collègue, qui semblait admiratif face au discours de Falman.

— Comment ça, on en pense quoi ? C'est juste atroce ! répondis-je.

— Non, mais… dans les journaux, ils disent que c'était une bombe conçue par des rebelles de Liore, qui aurait rasé toute la ville.

— C'est complètement con, répondit Falman sans hésiter. Une bombe pareille n'existe pas, des militaires ont vu des hommes être emportés sous leurs yeux… Ils n'auraient pas survécu s'ils avaient été assez près pour les voir disparaître comme ça.

— Et les murs étaient toujours debout, non ?

— Sur les photos qu'ils ont publiées, il n'y avait plus que des ruines… répondit l'homme.

— Ça existe, une bombe assez puissante pour raser une ville entière ?

— Pas encore, et j'espère que ça ne sera jamais le cas, lâcha Falman.

— Dans tous les cas, je vois pas comment ils auraient eu les moyens de fabriquer ça dans une ville en siège.

— J'avoue…

— Mais si c'est pas une bombe, c'était quoi ?

— Alchimie, répondit Falman entre deux gorgées. Ils ont parlé d'une lumière rouge qui formait un très grand cercle… à mon avis, c'est une transmutation humaine qui a merdé.

— Une transmutation humaine ? Mais c'est interdit, non ?

J'échangeai un long regard avec mon ancien collègue et je me sentis glacé. Une transmutation humaine… Cela me rappelait les rumeurs qu'il y avait eu durant la guerre d'Ishbal, quand les Alchimistes d'état avaient déployé des pouvoirs monstrueux et rasé des villes en tuant tout sur leur passage.

Les rumeurs à propos de la légendaire pierre philosophale, celle qui levait toutes les limites de l'alchimie et que l'Armée aurait créée pour mater la résistance Ishbale… Est-ce que c'était quelque chose de ce genre qui s'était passé ?

Falman reposa son verre et hocha légèrement la tête avant de se tourner vers son voisin.

— Il y a beaucoup de choses interdites qui ont lieu quand même… fit remarquer un collègue. Sinon on n'aurait pas de travail.

— Mais du coup, c'est des Alchimistes qui auraient fait ça ? murmura un des militaires d'un ton incertain.

— C'est mon hypothèse, en tout cas.

— Tu as l'air mal à l'aise, Royster.

— Je… je pense à un truc, mais c-ça serait…

Il jeta des coups d'œil autour de lui, puis se pencha en avant pour continuer à mi-voix.

— On est d'accord que les Alchimistes d'État sont genre, les meilleurs du pays ?

Je hochai la tête, sentant une boule se former dans mon ventre en comprenant où il voulait en venir.

— Parce que… j'ai entendu dire que la mission du Général Mustang… il était à Liore à ce moment-là.

Il y eut un silence pesant à notre tablée, et je sentis mes oreilles siffler.

C'était encore pire que je le pensais.

— Il y était, souffla son collègue en face. J'ai un pote qui faisait partie des troupes du Généralissime. Il l'a vu là-bas.

Vous déconnez.

Dites-moi que c'est une blague…

Une transmutation humaine avait eu lieu, ou je ne savais pas trop quoi. Une pierre philosophale, peut-être, je n'y connaissais rien, à ces trucs-là. Mais Mustang était là-bas, et il avait laissé faire ça…

Non.

Il avait fait ça.

Je repensais à son regard froid, à son ton méprisant, à sa froideur, et j'eus la nausée. Il n'y avait aucun doute, mais mon corps refusait en bloc cette réalité.

Mustang avait provoqué un génocide.

Et ce n'était même pas une nouveauté.

Le souvenir de tous ces moments anodins, passés à travailler pour lui ou, pire encore, à boire des coups au Bigarré avec lui, me donnait le vertige.

J'avais cru qu'il était comme moi, que ce qui s'était passé à Ishbal l'avait dégouté et traumatisé, qu'il voulait changer ça.

Je m'étais trompé.

Et l'ampleur de mon erreur me sembla tout-à-coup vertigineuse.

— J'ai besoin de prendre l'air… lâchai-je en me levant à la surprise générale.

Je partis, laissant mon plateau-repas en plan malgré l'appel surpris de mon voisin, et me précipitai dehors, aiguillonné par une nausée intense. Je crus que j'allais vomir à peine la porte ouverte, mais au lieu de cela, je me pris des bourrasques en plein visage, et sentis les larmes me monter aux yeux.

J'avais envie de vomir, envie de hurler, envie d'éclater en sanglots.

J'avais fait le mauvais choix, et à chaque fois que j'avais quelque chose à voir avec Mustang, je découvrais quelque chose de pire et je me haïssais un peu plus pour ça. Je m'étais accroché de toutes mes forces à son autorité et j'avais fait la pire erreur de jugement de ma vie.

J'avais accordé ma confiance à un meurtrier et c'était impardonnable.

Comme je ne pouvais décemment pas hurler des injures ou me taper la tête contre les murs dans un lieu aussi fréquenté, je pris la seule option qui me restait : allumer une cigarette d'une main tremblante.

Je sentis une présence arriver derrière moi et devinais avant même d'entendre sa voix qu'il s'agissait de Hayles.

— Ça va ?

— J'aurais dû le tuer aussi. J'aurais dû le tuer ce jour-là, quand il a buté Hawkeye devant moi. Si j'avais fait ça, ces gens seraient pas… C'est de ma faute.

Et merde, soupirai-je intérieurement en entendant ma voix se briser.

J'éclatais en sanglots et Hayles passa un bras dans mon dos, me serrant doucement en tournant vers moi un regard torturé.

— Tu ne pouvais pas savoir comment les choses allaient évoluer. Tu ne pouvais pas… faire ça. Tu n'es pas ce genre de personne.

— Si j'avais… si j'avais ri-p-posté, tous c-ces gens seraient en… encore en vie, sanglotai-je lamentablement.

— Tu n'en sais rien. Il y a sûrement des choses qui nous échappent, des choses qu'on ignore…

— Oui, il y a d-des choses qu'on ignore… on les saurait peut-être si ce salop-pard n'avait pas buté Hawkeye. Maintenant, t-tout est foutu… je s-sers à rien, le seul t-truc bien que j'aurais pu f-faire, je l'ai foiré…

Hayles me happa dans ses bras et me serra fort contre elle, me surprenant. En me baissant vers elle, la morve au nez, je me rendis compte qu'elle m'arrivait à peine aux aisselles, et l'image que nous devions donner aux collègues passant à côté de nous devait paraître aussi ridicule qu'embarrassante.

— Ça va aller mieux, Havoc. Je te promets que ça va aller mieux, bientôt.

— Pfff…

Je n'y croyais pas un seul instant… mais il fallait avouer qu'au milieu de ce bordel, Hayles était une des rares personnes qui parvenaient encore à m'apporter du réconfort. Sa douceur, sa manière de tenir bon malgré les deuils qu'elle traversait me donnait envie d'être une meilleure personne, de pouvoir la soutenir au lieu d'être soutenu.

De la protéger.

Elle et les habitants du Bigarré étaient devenus ma seule véritable famille. Je n'avais plus de contact avec ma mère, mon équipe si précieuse s'était disloquée de la pire des façons, mais elle et sa bande, leurs chansons et leurs rires tenaient bon malgré tout.

Je devais protéger ça à tout prix.


L'après-midi de travail touchant à sa fin, je fus soulagé d'être relevé et de pouvoir quitter la surveillance de la prison. Les travaux avaient pris du retard et les tours de garde devenaient de plus en plus lancinants. Heureusement, je m'entendais plutôt bien avec mes collègues, dont Cage, avec qui j'avais craché sur le dos de nos supérieurs pendant un bout d'après-midi. Il s'avérait qu'il détestait Mingus encore plus que je le pensais.

En même temps, comment ne pas le détester? pensai-je en tirant une nouvelle cigarette de mon paquet. Ce mec est infect avec tout le monde.

Je fumais nerveusement, essayant de ne pas trop penser à la conversation de ce midi. Je n'avais pas expliqué à Cage ce que j'avais cru comprendre des rumeurs, mais lui-même avait amené le sujet sur le tapis. Des bruits de couloir couraient à propos de Mustang et du rôle qu'il aurait joué dans la destruction de Liore.

Il n'y connaissait rien en Alchimie et gobait ces histoires de bombes, mais n'était pas si convaincu que ce soit les rebelles qui aient provoqué ça. « Quel aurait été l'intérêt pour eux de tous mourir ? Certains d'entre eu le voulaient peut-être, mais de là à raser toute la ville ? »

Sans connaître les tenants et aboutissants de l'affaire, il supposait que Bradley avait voulu faire un exemple. Et quel meilleur moyen de faire un exemple que sortir de sa manche de Flame Alchemist, l'Alchimiste d'état le plus meurtrier de la guerre d'Ishbal ?

J'avais fini par l'oublier, à force de le côtoyer au quotidien, le de voir râler, s'endormir sur ses dossiers et tomber amoureux d'Angie, mais pour les autres, Mustang avait toujours été terrifiant — à juste titre.

J'en étais à peu près là de mes réflexions en rejoignant le couloir où se trouvait le bureau de Kramer et son équipe, quand j'entendis la voix familière de Hayles. Son ton inhabituel attira mon attention, et sans trop savoir pourquoi, au lieu de me précipiter pour la saluer, je me figeai et restai à l'angle.

— Ce n'est pas les ordres qu'on a reçus, lui répondit la voix inquiète de Falman.

— Et alors ? Tu te vois rester comme ça combien de temps ?

— Il faut au moins qu'on le prévienne.

— Si tu veux. Mais je m'en fous, je le ferai dans tous les cas. J'ai pas envie d'attendre qu'il y ait des conséquences.

— Hayles…

De quoi ils parlent? Ils ont trouvé une info sensible autour de l'évasion de prison?

Tout à coup, je sentis mes entrailles se nouer en pensant à Roxane. Est-ce que ça avait un rapport avec elle ? Je décollai du mur pour avancer comme si de rien n'était et dépasser l'angle du couloir. À leur mine gênée, je sentis mon inquiétude monter d'un cran.

— Ça va ? Vous tirez une drôle de tête, fis-je innocemment.

— On a des galères au boulot, répondit Hayles avec un soupir.

— On en reparlera demain, répondit Falman d'un ton sérieux.

— Ce sera mieux, oui.

Elle lui fit un petit signe de main en guise de salut et nous quittâmes le QG en marchant côte à côte. Elle me jeta un coup d'œil.

— Ça va un peu mieux que ce midi ?

— J'ai encore la gerbe pour tout ce qui s'est passé.

— Je comprends… moi aussi, je trouve ça terrifiant. Une ville entière rasée…

— Et personne ne dit rien, lâchai-je d'une voix creuse.

C'était vrai. Liore avait disparu, des milliers d'habitants étaient morts, et pourtant, à Central-City, la vie continuait. Un peu plus sinistre qu'avant, avec plus de murmures inquiets, mais les gens continuaient à se lever le matin pour aller bosser, acheter leur pain et bouffer au restau.

C'était lunaire.

— Les gens avaient plus réagi quand il y avait eu l'attaque du Bigarré, ou l'évasion, répondis-je. Pourtant, il a eu tellement plus de morts là-bas…

— Mais c'était là-bas, justement, murmura Hayles. On s'inquiète toujours plus de ce qui est près de nous… et les gens se sont sûrement dit que, puisqu'ils étaient de bons citoyens, obéissants, il n'y avait aucune raison pour qu'ils aient des problèmes.

— Les habitants de Central sont de bons élèves, c'est ça ?

— Lacosta et Liore étaient en conflit depuis des mois. J'imagine que les gens ont pris l'habitude que ça soit la merde.

Je hochai la tête, les yeux dans le vague.

— … J'espère que Roxane va bien, au moins… murmura Hayles.

— J'espère aussi, soufflai-je.

Où était-elle ? Quelque part dans l'Est, dans ce qui était maintenant un autre pays ou presque ? La reverrai-je un jour ? C'était de moins en moins sûr.

Je cherchais le contact de la bague de fiançailles que je portais en collier à travers mon uniforme. Elle était toujours là, symbole de l'amour que nous avions l'un pour l'autre.

Il ne me restait plus que ça : un symbole.

— Quel monde de chiasse, quand même, lâchai-je amèrement. J'aurais bien besoin d'une bonne nouvelle.

Hayles se tourna vers moi avec un sourire mélancolique.

— Ce soir, c'est bœuf au Bigarré. Les invités de la semaine sont les Kitsens, ils sont assez géniaux. Tu verras, ils ont des instruments dont tu n'imagines même pas l'existence… et tout le groupe est adorable. Ça te va comme bonne nouvelle ?

— Tu en as d'autres ?

Elle haussa les épaules.

— Bon, on fera avec, répondis-je avec un sourire las.

Il fallait bien continuer à vivre. J'étais prêt à mourir pour la bonne cause, si ça pouvait faire changer les choses… mais je n'avais même pas l'ombre d'une occasion de le faire.

Alors je tâchais de profiter de la vie comme je pouvais en arrivant au Bigarré.

Je passai par l'arrière-cour aux côtés d'Hayles et accrochai mon manteau à la patère, au milieu de ceux des autres habitants. Après une semaine passée à les aider, où ils m'avaient systématiquement gardé chez eux pour la nuit à force de soirées, je faisais maintenant partie des meubles. Bon, je n'étais pas un membre à part entière, je ne faisais pas de spectacles, mais je finançais l'établissement à coup de pintes et j'avais un peu progressé en tant que danseur de Lindy.

Et surtout, j'étais soulagé par la douceur qui régnait en ces lieux. Le deuil de Tallulah était toujours bien présent, mais les rires aussi. Et en restant, jour après jour, j'avais eu l'occasion de connaître un peu mieux les uns et les autres, dans des contextes moins bruyants que les soirées.

— Besoin d'un coup de main, les filles ?

Claudine se tourna vers moi avec son plus beau sourire.

— Ça te dit d'éplucher des patates ?

— C'est dans mes cordes, je pense !

Je m'assis à côté de Clara, qui m'avait intimidé par sa beauté lors de ma première rencontre et qui me faisait un peu peur depuis que j'avais appris quel traitement elle avait réservé à Byers lors de la soirée du Nouvel An. De l'autre côté, Aïna et Lily-Rose se chamaillaient affectueusement.

— Je ne vais pas ENCORRRE utiliser la digitaline ! Il a d'autrrres poisons, quand même !

— Infusion de muguet, sinon ?

— Encore en train de préparer un meurtre ? demandai-je en attrapant une patate.

— Moi, ma question, c'est : est-ce que c'est vraiment utile à l'intrigue de le tuer ? fit remarquer Clara. Si tu le cloues dans un lit d'hôpital, ça suffit, non ? Et puis, la mort n'est pas la pire chose qui puisse arriver à une personne.

— C'est vrai que ça augmenterrrait la tension drrramatique si on a l'espoirrr qu'il se rrrréveille, fit Aïna d'un ton songeur.

— Vous êtes terrifiantes…

— On s'y habitue, fit Claudine avec un clin d'œil.

— Il commence à y avoir du monde en salle, quelqu'un pour aider au service ?

— Je prends ! s'exclama Clara en levant les bras.

— Tu espères revoir ton beau gosse ?

Elle se tourna vers sa sœur et lui fit signe de garder le secret avec un sourire gourmand, puis quitta la pièce.

— Elle a quelqu'un en vue ?

— Et oui, encore ! fit Claudine. À voir si elle arrive à le garder en bon état, celui-là…

— Comment ça ?

— Ma sœur a des goûts… particuliers.

— Les menottes ? fis-je.

La tablée ricana nerveusement.

— Si ce n'était que les menottes ! Elle a tout un attirail !

— Et il ne prrrrend pas la poussière.

Je hochai la tête, pas sûr de vouloir en savoir plus. À première vue, Clara avait tout de la femme douce et romantique, et quelque part, elle l'était réellement… mais son sourire gourmand quand elle parlait de souffrance physique ou psychologique n'était pas totalement au second degré. Rétrospectivement, j'étais soulagé de ne pas avoir essayé de draguer cette énième ex de Mustang.

Merde.

Et toi, tu as quelqu'un en vue ? demandai-je à Claudine.

Elle était moins jolie que sa sœur, plus massive, mais elle était douce de caractère et de bonne compagne. Même si elle me paraissait un peu perchée quand elle parlait de spiritisme et des discussions qu'elle avait régulièrement avec les morts, je ne doutais pas que si elle se trouvait un copain, il serait bien loti.

Pourtant, elle rougit et baissa les yeux, mal à l'aise, avant de répondre.

— Moi, non. Je pense pas que ça arrivera de sitôt.

— Pourquoi pas ? Même un couillon comme moi arrive à se trouver quelqu'un de temps en temps, il n'y a pas de raisons.

— C'est… compliqué, souffla-t-elle, aussi triste qu'embarrassée.

En face de moi, Aïna et Lily Rose échangèrent un regard éloquent et je compris que j'avais loupé un truc.

— Ah bon ? fis-je naïvement.

Il y eut un silence durant lequel je continuai à éplucher ma patate en ayant l'impression d'en être une, moi aussi.

Qu'est-ce que je n'ai pas compris?

— J'en parle ? souffla-t-elle.

— C'est toi qui choisis, répondit Lily-Rose. Mais je pense que tu peux. Havoc est un mec bien.

— De quoi ? bredouillai-je en rougissant légèrement, aussi flatté que perplexe.

— Fais attention à ce que tu dis, par contrrrre, ajouta Aïna en me fixant droit dans les yeux, son menton posé sur le dos de sa main, l'autre faisant tourner son couteau avec un sourire qui voulait dire « tu sais que j'ai beaucoup d'imagination pour faire souffrir des personnages ».

— Est-ce que je suis en train de passer un test ?

— En quelque sorte.

— … Tu ne t'es jamais dit qu'il y avait quelque chose de bizarre avec moi ? demanda Claudine d'un ton mi-perplexe, mi-inquiet.

— … Ton truc de parler aux esprits ?

Aïna éclata de rire.

— Quoi ! m'exclamai-je.

— Tu es touchant, répondit simplement la rouquine.

— Ça me fait plaisir, en tout cas, fit Claudine avec un sourire intimidé.

— Donc c'est pas ça ?

— Non, c'est pas ça.

— Alors… c'est quoi, ton truc bizarre ?

Claudine se tortilla, ne sachant pas trop comment aborder le sujet, puis rouvrit la bouche avec hésitation.

— Tu vois, Angie, enfin, Edward…

— Ouais.

— Je suis un peu comme elle. Lui.

— Un peu comme… oh.

Quelle était la chose la plus marquante à propos d'Edward, Angie ? Sans doute son changement de sexe. Tout-à-coup, je la comparai une nouvelle fois à Clara, sa jumelle, à qui elle aurait pu ressembler comme deux gouttes d'eau, et pris conscience de ses épaules plus larges, de sa voix plus grave, des tours de cou ouvragés qu'elle portait en permanence. Je réalisai que celle que j'avais toujours vue comme une femme ne l'était pas de naissance.

Il y eut un long silence, je sentis son malaise et l'attention des autres en face de moi, qui guettaient ma réaction.

— Euh…

Je croyais comprendre, mais en même temps, je me sentais idiot. J'avais peur de me tromper et je ne savais pas comment dire que je supposais qu'elle avait été un homme avant sans que ça soit indélicat. J'étais capable de me rendre compte qu'une erreur de ce genre aurait été extrêmement vexante.

Par-dessus tout, j'avais de l'affection pour elle et je n'avais pas envie de lui faire de peine.

— Toi aussi, tu as eu un accident d'Alchimie ?

— Non… mais j'aurais bien aimé, fit-elle avec un de ces sourires qu'elle avait souvent, à la fois doux et mélancoliques.

— Tu…

— À la naissance, on m'a appelé Claude. Mais je ne me suis jamais sentie être un garçon. C'était dur. Heureusement, Clara l'a toujours su, et me traitait comme sa sœur. Mais c'est seulement en arrivant au Bigarré que j'ai pu… que j'ai pu être moi.

Je restai silencieux, perdu face à ce que je ne comprenais pas. Comment pouvait-on être un garçon sans être un garçon ? Être une fille sans en être une ? Autant je comprenais la rage qu'Edward avait éprouvée en changeant de sexe par accident — même s'il semblait s'y être étrangement accoutumé depuis — autant j'avais du mal à comprendre comment on pouvait avoir toujours avoir vécu en décalage.

— C'est… bizarre, avouai-je, un peu perdu.

Claudine souffla du nez, plus inquiète qu'elle voulait le montrer.

— Si je t'entends l'appeler Claude, je te frappe, souffla Aïna au creux de sa main, comme pour empêcher son amie de l'entendre.

Celle-ci la repoussa pour arrêter sa menace, encore plus gênée.

— Ça va, tu ne me détestes pas ? fit-elle.

— Non, pourquoi je te détesterais ? demandai-je en ouvrant les yeux ronds.

— Parce que c'est le cas de beaucoup de gens, quand ils l'apprennent.

Sa voix était douce, mais en la regardant, avec ce secret en tête, ce corps trop lourd dont elle ne voulait pas, et que j'essayais d'imaginer sa vie, je réalisai tout à coup à quel point elle devait en avoir bavé. J'avais envie de la serrer dans mes bras, mais même si fréquenter le Bigarré m'avait appris à être considérablement plus détendu en présence de femmes, je n'en étais pas encore là. En même temps, j'avais une pointe d'appréhension à l'idée de serrer dans mes bras un corps d'homme. Quand je me rendis compte de ce que je venais de penser, j'eus profondément honte. Claudine était une amie, une amie. Jusque-là, je l'avais toujours vu comme une femme et c'était ce qu'elle voulait.

Je compris que j'allais avoir du mal à la voir tout à fait comme avant et me mis à regretter de savoir. Je m'en voulais. J'étais gêné, un peu… mais la détester me paraissait quand même inimaginable.

— Ils sont nuls, ces gens.

— Je confirme, répondit Aïna en balançant son assiette de pomme de terre coupée dans le plat.

— Mais je crois que je suis un peu nul aussi. J'ai peur de faire des bourdes maintenant.

— Ne t'inquiète pas, Clara te suspendra par les pieds si tu fais ça, répondit Lily-Rose. Son équipement lui sert aussi à ça.

— C'est censé me rassurer ?!

— Merci, Havoc.

— … J'ai rien fait, non ?

— Justement, fit-elle d'un air mutin. Enfin, tu comprends que ça soit compliqué de trouver quelqu'un, du coup.

— Mais, du coup, tu aimes les garçons ou les filles ?

— Tu sais qu'on peut aimer les deux ? rappela Lily-Rose.

— J'aime les hommes.

— Du coup, c'est pas l'idéal pour fonder une famille… Oh pardon, je voulais pas être blessant ! rajoutai-je aussitôt, tandis que Claudine secouait la tête, visiblement habitué à ce genre de remarques.

— C'est vrai. J'aurais bien voulu, être juste… comme les autres, mais ce n'est pas le cas. Je n'avais pas très envie de te le dire, parce que tu ne t'en étais pas rendu compte, mais…

— Moi je te trouve plutôt normale par rapport à tes collègues. Quand on voit Natacha ou Andy… ou le club arsenic et vieilles dentelles, là ! Tu es presque banale comparé à Aïna qui compile des moyens de tuer et faire disparaître des cadavres au lieu de faire collection de timbres comme tout le monde !

Claudine éclata de rire à ces mots, et je me rendis compte que son rire était sans doute plus grave qu'il l'aurait été si elle avait eu le corps de femme qu'elle avait toujours voulu. Je me rendis compte aussi que je ne l'avais jamais entendue rire comme ça — peut-être de peur de se trahir — et cela me toucha qu'elle se l'autorise.

Elle sembla rire longtemps, jointe par les deux autres, puis s'essuya le coin de l'œil et ajouta.

— Tu es parfait, Jean. Change rien.

— Même si je risque de faire des bourdes ?

— Mh hm.

— Tant que tu ne fais pas de bourrrde en en parrrrlant à des perrrsonnes qui ne savent pas, ajouta Aïna.

— Par défaut, tout le monde hors du cabaret, précisa Lily-Rose.

— Mustang sait aussi. Il a fait le rapprochement, vu qu'il m'avait déjà croisée… avant.

La remarque me fit grimacer. Je n'avais pas envie de penser à lui.

— Mais du coup, maintenant que tu es au courant, j'ai une question, fit Claudine en s'accoudant vers moi. Son accident d'Alchimie, là… il y a moyen de le refaire ?

Je restai planté là, comprenant tout à fait l'espoir derrière sa question, mais bien incapable d'y répondre. Je n'avais pas tous les détails, mais il me semblait que ça impliquait des manœuvres dangereuses et je n'étais pas sûr que ça soit une bonne idée.

— Alors, euh… je suis la dernière personne à qui demander des infos sur l'Alchimie, avouai-je. À titre perso, je n'y bite rien, je sais même pas comment c'est possible que ça soit arrivé.

Claudine eut l'air un peu déçue, mais pas vraiment surprise.

— Après… Je crois que s'il savait comment faire, il aurait essayé de récupérer son corps d'origine depuis un moment, ajoutai-je après un moment de réflexion. Désolé… ce n'est sans doute pas ce que tu avais envie d'entendre…

— Je m'en doutais un peu, soupira-t-elle.

Elle hocha la tête et Mel entra dans la cuisine en claquant la porte.

— Purée, c'est pas encore au feu ? Mais vous fichez quoi ? On a déjà des clients !

— On s'est laissés distrrrairrre, fit Aïna avec des yeux de biche qui n'eurent aucun effet sur la patronne.

— C'est ma faute, lança Claudine.

— Eh bien concentrez-vous ! C'est les Kitsens ce soir, il va y avoir du monde ! Au boulot !

— Chef, oui, chef !


Après avoir participé aux préparatifs du repas, je me retrouvai accoudé au piano aux côtés de Wilhelm, qui laissait couler sous des doigts une cascade de notes d'une densité absurde, le tout en jetant des coups d'œil à Andy, qui se trouvait tout près. Celui-ci s'était avancé le plus possible sur son siège, les doigts entrelacés, les coudes sur les genoux, les pieds claquetant presque malgré lui.

Il avait pris du poids, ce qui avait arrondi son visage, lui donnant l'air plus jeune. Ça n'avait rien de surprenant avec une immobilisation forcée, mais avec sa petite taille, le changement se remarquait d'autant plus. J'imaginais que c'était dur pour lui de voir son corps altéré par ses blessures, bien au-delà de ses membres cassés. Il avait commencé la rééducation et était en bonne voie, mais il était encore loin de pouvoir danser comme il le faisait avant. Derrière ses airs mi-cabotins, mi-tragiques, il ne dupait personne : l'idée de ne plus jamais être « comme avant » le terrifiait.

Pourtant, en croisant le regard que lui lançait Wilhelm tout en déroulant son morceau de ragtime, il lui lança un sourire lumineux, complice, habité par le même rythme que le pianiste. Ces deux-là s'aimaient d'une manière qui m'échapperait toujours, mais même sans comprendre comment, je sentais bien que la musique était le langage par lequel ils communiquaient le mieux.

Ils sont touchants, pensais-je tandis que les applaudissements faisaient trembler les vitres des portes-miroir à côté de nous.

— J'admire, lançai-je à Wilhelm.

— Quoi ?

— Tout. Ta virtuosité au piano, ta légèreté, le courage de jouer chaque jour, même les soirs où tout va mal.

— C'est quand tout va mal que c'est le plus important de jouer, répondit-il en attrapant son verre d'eau.

— Tu veux que je te ramène une bière ?

— Non merci.

— Tu ne bois pas d'alcool ?

— Jamais.

Son expression fermée me dissuada de continuer sur le sujet. Il avait sans doute ses raisons, mais sa réponse le rendait encore plus austère, et sa relation avec Andy, encore plus étrange. Celui-ci était le premier à boire plus que de raison et à se lever dans un sale état le lendemain.

Ils sont vraiment opposés sur tous les points…

— Hey !

La voix forte de Lia qui venait d'abattre son plateau sur le piano me fit sursauter. Wilhelm fronça les sourcils, n'aimant pas trop que son instrument soit traité de cette manière, mais la grande brune s'en fichait, plantant ses yeux dans les miens.

— Toi qui es dans l'Armée, est-ce que tu sais vraiment ce qui s'est passé à Liore ?

Je secouai négativement la tête.

— Je suis un troufion, soupirai-je. J'ai peut-être quelques rumeurs en plus, mais je ne suis sûr de rien.

— Quel genre de rumeurs ?

Je restai planté là. Lia, avec sa grande taille et ses yeux noirs, était une femme magnifique, mais c'était la beauté d'un rapace, une beauté intimidante, autoritaire. Cela faisait un moment que je la côtoyais, mais rien n'y faisait : elle me fichait la trouille.

— … Que Mustang serait lié à la disparition des civils.

— … L'enfoiré.

— J'aurais dû le tuer l'autre jour, quand j'en avais l'occasion.

— Ne dis pas ça en public, tu seras le premier accusé le jour ou ça arrivera.

Sa réponse, d'un ton sévère, mais posé, m'estomaqua. Pragmatique. Impitoyable.

— Si tu as des infos sur le sujet, je peux faire péter le scandale dans ma prochaine chronique. Il est temps que les gens connaissent la vérité sur l'Armée.

— Euh… je suis pas prêt pour faire la révolution, bredouillai-je.

— Si t'es pas prêt pour ça, il te faut quoi pour te décider ? Qu'ils exécutent Roxane sous tes yeux ?

L'image me sauta à l'esprit avec une clarté insoutenable, et je sentis mes entrailles me tordre.

— N'attendons pas d'avoir plus rien à perdre, fit-elle en assénant une claque au bois laqué de noir du piano. On a besoin de toi.

— Besoin de moi ?

— Vient dans le grand salon après ce morceau.

— Mesdames et messieurs, après ce petit entracte animé par Wilhelm, nos invités de ce soir sont de retour. Un tonnerre d'applaudissements pour les Kitsens !

La foule des clients obéit et les musiciens furent accueillis chaleureusement tandis qu'ils revenaient sur scène au milieu de leurs instruments biscornus que les uns et les autres m'avaient décrits et expliqué. Les premières notes de glass harmonica résonnaient, envoûtantes, bientôt rejoints par une batterie composée de bric et de broc et la voix de la chanteuse, déformée par un micro d'une forme que je n'avais jamais vue, s'éleva à son tour, escaladant une mélodie que j'aurais bien été incapable de fredonnait, tant la succession de notes n'avait aucun sens pour moi.

Mais c'était beau. D'autres instruments se joignirent à eux, certains très vieux, comme une vieille à roue, d'autres inventés de toutes pièces, avec chacun leur voix unique, formant un joyeux chaos qui faisait gonfler le cœur et donnait l'impression de pouvoir voler, toucher le ciel un instant. La batterie lancée au grand galop, les cordes et les instruments à vent, le chœur s'entrelaçant en montant dans les aigus, tout cela me mit les larmes aux yeux, effaçant pour un instant la brutalité des événements pour me mettre de la joie au cœur.

C'était ce monde-là que je voulais.

Quand le morceau se termina, j'applaudissais chaleureusement, encore dans le vertige, et Andy jaillit à mes côtés.

— Je ne pensais pas que tu aimerais autant ce groupe, j'étais convaincu que ça serait trop bizarre pour toi.

— Il faut croire que je me suis habitué à la bizarrerie à force de traîner avec vous, répondis-je avec un sourire.

Le jeune homme aurait pu s'offusquer, mais il me fit un clin d'œil à la place.

— Tu m'en vois ravi. Allez, viens.

Je me souvins de ce qu'avait dit Lia et obéi, tandis que Wilhelm se leva sans un mot pour nous accompagner.

— Vous allez faire quoi ? demanda un des habitués en nous croisant en direction du salon.

— Un plan à trois, voyons ! lança Andy d'un ton léger.

Derrière lui, je secouai frénétiquement la tête pour démentir, sans savoir si j'étais convaincant. Dans tous les cas, la réponse suffit à repartir sans que la discussion s'éternise, ce qui était sans doute le but.

— Il est toujours comme ça ? soufflai-je à Wilhelm en entrant dans le salon.

— Oh, oui.

Je lui jetai un coup d'œil, entre admiration et pitié, et il se contenta de hausser les épaules. Il semblait presque sourire. Presque.

Dans le salon se trouvait une partie de l'équipe du Bigarré : Lia, évidemment, mais aussi Aïna, Natacha, et, plus surprenant, Neil.

— Maï et Lily-Rose nous rejoindront plus tard, annonça Lia.

— C'est quoi cette contre-soirée ? demandai-je.

— On prépare la révolution, répondit Natacha avec un sourire gourmand.

Je restai planté là, atterré de voir ce groupe de musiciens assis par terre autour de l'imposante table basse qui débordait de notes et de coupures de journaux. Ils me faisaient l'effet d'une bande de sales gosses préparant un mauvais coup. Mais la révolution ? C'était une terrible idée.

— Vous ne savez pas à quoi vous vous exposez ! m'exclamai-je, terrifié.

Je repensais à l'attaque du Bigarré, je repensais aux Homonculus que Hawkeye avait évoqués à mots couverts, je pensais à la puissance de la pierre philosophale, qui pouvait réduire à néant des villes entières, et ils me firent l'effet d'une bande de suicidaires.

— C'est beaucoup trop dangereux, vous…

— On risque de mourir ? Comme Tallulah ? lâcha Lia, la mâchoire avancée en signe de provocation.

— Il se passe des choses très suspectes au sein de l'Armée, lâcha Neil. Tu le sais, on le sait aussi. On ne peut pas rester les bras croisés, nous aussi, on doit faire quelque chose.

Le « nous aussi » me fit mal, me rappelant que moi, je ne faisais rien, absolument rien pour renverser Bradley. J'en mourais d'envie, mais je me sentais comme une fourmi face à cet homme si influent que je ne pouvais pas l'approcher et si sanguinaire qu'il n'hésiterait pas à me faire tuer si je tentais de m'attaquer à lui.

— C'est vraiment… Vous vous rendez pas compte.

— On se rend compte, si, fit Natacha. On a vu les chimères, lors de l'attaque. Et on sait qu'il y a des personnes immortelles dans la balance.

— QUOI ?! Comment vous savez ça ?

Je blêmis en réalisant que si ce n'était qu'une supposition de leur part, je venais de me trahir.

— Je les ai vus, répondit Neil. Le soir de l'attaque. Je leur ai tiré dessus. Plusieurs fois. Je les ai vus se relever. Plusieurs fois.

Je restais silencieux, incapable de savoir quoi dire.

— J'ai menti à l'Armée quand j'étais en prison. J'ai dit que j'avais tiré dessus, mais que je pensais les avoir manqués. Je me suis dit que si j'étais honnête, je risquais de ne pas en ressortir… Mais quand j'étais dans l'Armée, j'étais plutôt bon tireur. Je sais qu'ils auraient dû être morts.

Je poussai un très long soupir, puis m'assis à leurs côtés, renonçant à nier, comprenant que j'allais avoir du mal à les protéger : ils en savaient déjà trop. Moi qui avais voulu garder tout ça pour moi…

— Hayles vous a tout dit ?

— On pense qu'elle nous cache encore des choses pour nous épargner, mais… elle nous en a dit beaucoup.

— Maintenant, c'est ton tour, ordonna Lia.

— Attendez, vous comptez faire quoi, après ça ? Il est hors de question de vous laisser partir créer des émeutes ou attaquer l'Armée. Vous allez vous faire écraser comme des mouches et… J'ai… j'ai pas envie de vous perdre, vous aussi.

Ma voix s'était étranglée à ces derniers mots et je compris que tout ce qui se passait m'affectait encore plus que je ne voulais l'accepter.

— On va pas partir la fleur au fusil. On n'est pas cons, lâcha Natacha avec un regard presque méprisant.

— On pensait plutôt attaquer sur un terrain où on est plus à l'aise.

— C'est-à-dire ?

— Les mots, répondit Aïna. Les opinions des gens.

La réponse ne me soulagea qu'à moitié. S'ils parlaient des Homonculus, ils allaient être pris pour des fous, ou attaqués par ceux-ci pour être réduits au silence. Peut-être même les deux.

— Entre tous les gens qui viennent ici, ceux qui lisent les polars de ces deux-là, et ma chronique à la radio, on peut toucher du monde. Mais il faut frapper fort, et savoir quoi dire pour secouer l'opinion. La secouer assez pour qu'ils ne puissent pas l'ignorer.

— Les gens s'en foutent de ce qui s'est passé à Liore. C'est trop loin.

— Justement. Il faut amener Liore ici. Il faut leur mettre la réalité de ce qui se passe dans leur gueule, qu'ils comprennent que ça pourrait aussi bien être eux que l'état aurait sacrifiés.

— Et après ? Qu'est-ce que tu veux qu'ils fassent ? Parce que dans l'Armée on est plein à l'avoir vu, à être écœurés… et on ne fait rien.

— On ne peut pas tout faire. Mais si déjà, on affaibli le pouvoir en place, qu'on diminue l'influence de Bradley…

— Tu te sentirais plus légitime à l'attaquer si tu savais que tous les gens que tu connais veulent aussi le voir tomber, non ? demanda Lily Rose.

— Je… je ne sais pas, bafouillai-je, perdu. Je suppose, oui…

Je savais qu'ils pouvaient faire des choses, changer des choses. Que si quelqu'un pouvait avoir les mots justes pour secouer la population, ce serait sûrement des artistes, des gens comme eux.

Mais ça ne suffirait pas.

Les gens pourraient être contre l'état… ils pourraient même attaquer le QG en masse… Ils perdraient quand même. Bradley avait trop de pouvoir, trop d'influence. Il avait l'argent, il avait les armes, il avait des tribunaux corrompus et les radios officielles.

— L'Armée est trop puissante et ses généraux sont sous ses ordres… même Mustang… je ne peux plus rien pour lui, lâchai-je d'une voix endolorie.

— D'après ce que tu m'as dit, oui. Il s'est rangé du côté de Bradley, résuma Lia à l'intention des autres ; et on pense qu'il est impliqué dans ce qu'il s'est passé à Liore.

Andy se renfrogna, avec une expression de mépris qui donna l'impression qu'il s'y attendait.

— Si on avait des Générrraux de notre côté, peut-être que le Générralissime pourrrrait êtrrre rrrrenverrsé, fit Aïna d'un ton songeur.

- Andyyy ?

— Non. NON ! s'insurgea-t-il en croisant le regard de Natacha. Je ne peux pas faire ça !

— Qu'est-ce qu'il y a ? Demandai-je

— Son père est le général Wilson, informa Neil.

— QUOI ?!

— Et je ne l'ai pas revu depuis sept ans. Je vous rappelle que c'est lui qui m'a foutu dehors en m'annonçant que si j'étais encore là à l'aurore, il me mettrait une balle dans la tête.

Je restai pétrifié. Quel genre de père faisait ça à son fils ?

— Les Généraux ne sont pas sauvables, un point c'est tout, cracha Andy, entre mépris et douleur. Ils peuvent mourir. Tous.

Wilhelm ne dit rien, mais posa une de ses mains noueuses sur la tête du petit danseur. Le geste sembla l'apaiser. De mon côté, je me frottai le visage, estomaqué parce ce que j'apprenais au détour de cette conversation. Puis je décidais que c'était trop et sortis une cigarette que j'allumais d'une main tremblante.

— On peut pas tout faire, fit Lia. Mais si on ne fait pas notre part, on risque de le regretter toute notre vie.

— Expliquez-moi ce que vous savez, soupirai-je.

Ils commencèrent à parler, se coupant la parole sans que ça devienne gênant, étalant sur la table des coupures de journaux, livrant des aveux plus ou moins personnels. À eux tous, ils savaient beaucoup plus de choses que je le pensais — et ça ne me plaisait pas, parce que je craignais de plus en plus pour leur vie. Puis, au beau milieu du récit de Neil, qui avait vu des Homonculus le jour de l'attaque et les décrivait soigneusement, la porte s'ouvrit avec une exclamation scandalisée.

— Mais vous avez pas fait ça ?!

La voix de Maï résonna dans le salon et je me tournai vers elle et Lily Rose. La militaire faisait le même genre de tête de deux pieds de long que j'avais dû avoir une demi-heure plus tôt.

— Pourquoi vous lui avez dit ?!

— Pourquoi tu me l'as caché ? répondis-je du tac au tac.

Elle se figea, prise en faute.

— Ça fait combien de temps ? ajoutai-je, un peu contrarié malgré moi.

— Depuis l'attaque du Bigarré, on a beaucoup parlé, et… je ne sais pas comment ça s'est fait, mais petit à petit on a commencé à s'impliquer beaucoup plus.

— On s'est dit que si on mettait en commun tout ce qu'on savait, toutes nos ressources, on serait plus forts, ajouta Natacha.

— Mais… je… vous ne me simplifiez pas la vie, soupira Hayles.

— Tu dis ça comme si tu étais responsable de nous, fit remarquer Andy avec une pointe de reproche.

— Si je me suis enrôlée dans l'Armée, c'est pour pouvoir protéger le Bigarré. Vous vous souvenez de ça ?

J'étais à la fois soulagé de voir que Hayles avait les mêmes inquiétudes que moi et blessé de voir qu'elle m'avait caché des choses. Elle dû le sentir, car bien vite, elle se tourna vers moi avec une mine penaude.

— Sans rancune ?

— On va dire, sans rancune.

— Tu sauras tout, comme ça.

Elle eut un sourire soulagé, et je me rendis compte que je l'étais aussi.

Enfin, j'étais terrifiée à l'idée que les membres du Bigarré veuillent partir en croisade médiatique contre Bradley et l'Armée…

Mais j'étais soulagé de ne plus être seul.


— Je dois aller déposer ma guitare chez le luthier, tu m'accompagnes ?

Hayles souriait largement, son étui de guitare en bandoulière, alors que je venais de la rejoindre à la sortie du bureau. Le reste de son équipe quittait les lieux, se saluant plus ou moins chaleureusement.

— Je suis crevé, je pensais rester au QG ce soir…

Tu m'accompagnes ? répéta-t-elle.

Le ton était surjoué, le sourire un peu figé, me faisant comprendre qu'elle ne me laisserait pas partir sans insister. Je lâchai un soupir auquel elle répondit par une exclamation encourageante.

— Allez, viens, ça te sortira !

Le temps était plutôt morose et je n'avais aucunement envie de traîner dans les rues en attendant de me prendre une averse. La discussion de la veille s'était éternisée jusqu'à pas d'heure, et dans le peu de nuit qui restait avant que je reparte travailler, j'avais roulé dans le lit, incapable de trouver le sommeil, entre la colère écoeurée que j'éprouvais envers Mustang, l'inquiétude à l'idée que les membres du Bigarré s'exposent au danger et une exaltation fébrile à l'idée que quelque chose puisse enfin changer.

— Tu ne veux pas me tenir compagnie, un peu ?

— Je sais pas, franchement…

— Je vais chez les Luther, c'est eux qui ont récupéré Black Hayatte.

— … Tu veux vraiment me faire venir avec toi.

— Si peu…

— Oh, salut, Havoc ! fit Cage en passant à côté de nous, assénant un clin d'œil peu subtil.

Le repas de midi avec mon équipe avait été émaillé de remarques plus ou moins graveleuses concernant le fait que j'avais pris l'habitude de quitter le QG aux côtés de Hayles. J'avais eu beau démentir une relation amoureuse, les rumeurs couraient sans doute dans tous les couloirs du QG à présent.

— Salut, Cage, fis-je en retenant un soupir à cette pensée.

— Tu fais quoi, ce soir ?

— Il m'accompagne pour aller déposer ma guitare chez le luthier. Elle a pris un coup et vibre un peu.

— Ça ne m'a pas choqué quand tu en as joué ce midi, fit remarquer Falman.

— Tu n'as aucune oreille musicale, c'est tout, fit un de ses collègues en haussant les épaules.

Hayles eut un sourire mutin et je compris que je n'avais plus d'autre choix que de l'accompagner. Au fond, je ne crachais pas sur sa compagnie. Le crush que j'avais eu pour elle quelques mois auparavant était de l'histoire ancienne, mais il avait laissé derrière lui une forme très particulière de tendresse, qui n'était pas près de disparaître.

C'est ainsi que, bon gré, mal gré, je la suivais sagement dans les rues de Central. Le mois de mars touchait à sa fin, amenant avec lui un temps plus doux, des jours plus longs et la floraison des arbres. Le ciel menaçant teintait quand même les rues arborées d'un air sinistre et je ne partageais pas la bonne humeur mêlée de nervosité de Hayles, qui marchait à côté de moi à pas vif.

— Pourquoi tu as insisté pour que je vienne ? On va dans un quartier qui craint et tu avais peur d'y aller seule ? Tu aurais pu me le dire clairement, tu sais ?

— Non, mais je pense que tu apprécieras le magasin.

Je haussai les épaules et continuai à la suivre, jusqu'à arriver devant une façade plaquée d'un bois roux et rutilant, sculpté tout en courbes, avec un « Luther » gravé en lettres dorées et ouvragées. Des lignes de partition dansaient le long des vitres et l'on apercevait derrière l'intérieur de la boutique, avec ses guitares suspendues le long du mur comme une rangée de soldats, ainsi qu'une profusion d'autres instruments, de partitions et d'accessoires affichés le long du mur.

Ce magasin semblait contenir tous les instruments dont un musicien pouvait rêver, mais moi qui je savais pas jouer, je trouvais ça aussi fascinant qu'abstrait. Hayles, elle, poussa la porte comme si elle était chez elle, faisant danser un carillon. J'entrai derrière elle, surpris par l'odeur particulière des lieux, et entendis le son étouffé d'une batterie dans une pièce adjacente tout en contournant un piano à queue. La boutique semblait immense, et il y avait des clients ici et là, dont une mère et son fils en train de discuter avec le vendeur qui salua Hayles d'un signe de main. Une femme aux cheveux châtains, ni lisses, ni ondulés, passa la tête par la porte d'une réserve et en sortit à pas vifs. Elle avait les cheveux relevés dans un chignon informe, les manches retroussées et portait un tablier de cuir qui semait derrière elle des copeaux de bois. En scrutant son visage rond et familier, je compris que je l'avais sans doute vu à l'enterrement de Tallulah, peu après le drame.

— Bienvenue ! Oh, c'est toi, Maï !

— Salut, Kate !

— Tu viens voir Black Hayatte ?

— Pas seulement, j'ai des choses à vous déposer, répondit la militaire en désignant sa guitare.

— Dis-moi tout.

— C'est ma guitare a pris un coup, avoua Hayles d'un ton d'excuse. Depuis, elle vibre désagréablement quand je fais certaines notes et…

— Ah la la, qu'est-ce que tu as fichu ?

— C'est pas moi ! C'est la faute de Natacha !

— Vous n'êtes pas assez soigneux au Bigarré. Viens me montrer ça dans mon atelier, je vais regarder ce que je peux faire et te donner une estimation.

— Merci !

— Vous venez aussi ? fit la dénommée Kate en me lançant un regard joyeux.

— Oui, répondit Hayles à ma place. Il s'intéresse au travail du bois.

— Parfait, venez, alors. Chéri, je retourne à l'atelier avec des clients pour un devis, je te laisse gérer la boutique ?

— Pas de soucis !

J'emboîtais le pas des deux autres femmes en ayant le sentiment que ma présence était totalement inutile. Peut-être que Kate Luther était toujours comme ça, mais ce comportement m'étonnait plus de la part de Hayles.

— Comment va Molly ?

— Ça va mieux, petit à petit, même si c'est encore difficile pour elle de sortir. Comme tu l'entends, elle passe beaucoup de temps à jouer de la batterie, je suppose que c'est un progrès. Black Hayatte l'aide beaucoup, et puis elle s'est fait une nouvelle amie…

Connaissant vaguement la jeune batteuse, j'écoutais avec intérêt tout en jetant des coups d'œil à l'atelier, qui contenait un bric-à-brac d'instruments en pièces détachées. Je réalisai que je ne m'étais jamais demandé qui fabriquait les violons, guitares, hautbois et saxophones ni comment ils s'y prenaient. J'eus instantanément la conviction que cela devait être un métier aussi difficile que passionnant… mais je me demandai tout de même ce que je fichais là.

— Tu me montres ?

Hayles posa l'étui sur le plan de travail et l'ouvrit devant Kate qui, en voyant le contenu, émit un petit sifflement.

— Je vois. C'est du sérieux.

Je me retournai, étonné, mais Hayles avait déjà refermé l'étui et le remettait sur son épaule.

Je croyais que Falman n'avait pas entendu de différence. Ça se voit tant que ça ?

Hayles se contenta d'un sourire en coin.

— Black Hayatte est dans la cour intérieure. Tu connais le chemin.

— Viens, Havoc.

— Tu laisses pas ta guitare ? m'étonnai-je.

La petite brune ne répondit pas et poussa la porte, l'ouvrant sur une cour gravillonnée couverte par une glycine qui n'avait pas commencé à fleurir. Black Hayatte tourna la tête vers nous et se précipita vers Hayles en jappant joyeusement, lui tournant tout autour d'elle avec beaucoup d'énergie, puis il m'accueillit tout aussi chaleureusement. Je le caressai un peu, profitant de l'enthousiasme contagieux du chien, puis demandai tout de même.

— Il y a une vraie raison pour laquelle je suis là ?

Hayles m'adressa un sourire différent, encore plus doux et chaleureux que d'habitude, et désigna la porte derrière moi.

— Dans la réserve.

Je la regardai d'un air hésitant, presque inquiet face à ses mystères, puis avançai pour tirer le volet de bois peint et découvrir une porte vitrée que j'ouvris timidement. Je me sentais très nerveux, réalisant tout à coup ce que la situation avait de bizarre. Hayles qui ne me laissait pas le choix, une guitare à réparer qui ne semblait même pas abîmée, qu'elle avait repris aussitôt après l'avoir montrée, et maintenant ça… Un instant, je me dis qu'avec son comportement bizarre, elle aurait aussi bien pu avoir été enlevée et remplacée par l'Homonculus qu'on appelait Envy. J'étais peut-être tombé dans un guet-apens auquel je ne pourrai pas réchapper…

Pourtant, comme emporté par l'élan, je fis trois pas dans la réserve, qui contenait de nombreuses planches de bois de toutes sortes et un étrange bric-à-brac empilé sur de grandes étagères qui se succédaient. Un petit bureau se trouvait là, encombré de papiers et encaissé entre deux étagères. Une femme aux cheveux clairs y était assise, portant un pull trop grand qui bâillait sur une nuque dénudée par une coupe au carré. La lampe de bureau en dessinait les contours d'une fine ligne dorée. Il y avait quelque chose d'apaisant dans vision, et je sentis un espoir idiot monter malgré moi. Je me retournai vers Hayles, qui était restée dehors en flattant l'encolure de Black Hayatte, me souriant de loin, puis me tournai de nouveau vers l'inconnue.

— Maï ? fit celle-ci sans se retourner.

Je me figeai, incrédule.

Je reconnaissais cette voix.

C'est pas possible.

Comme je ne répondais rien, elle se retourna, et mon incrédulité se confirma. Elle-même sembla surprise de me voir, mais ce ne fut rien comparé à moi, qui tendait l'index dans sa direction, les yeux exorbités, sans voix et blême comme si j'avais vu un fantôme.

Et pour cause.

Malgré le style vestimentaire trop relâché et la coupe au carré, je reconnaissais bel et bien ce visage.

— Havoc ?

— Supriiise ! fit la voix de Hayles au loin.

La situation semblait la réjouir au plus haut point, tandis qu'elle entrait à son tour dans la pièce, suivie par un Black Hayatte bondissant.

— Hawkeye ? bredouillai-je finalement.

— Oui ? répondit-elle, d'un ton à mi-chemin entre la confirmation et l'interrogation.

Cette petite inflexion agacée et son haussement de sourcil tandis qu'elle attendait que j'ajoute quelque chose étaient les détails les plus inimitables et bouleversants que j'ai jamais vus. Elle me fixait de son œil sévère, accoudée à sa chaise comme si de rien n'était, comme si rien de ce qui s'était passé ces dernières semaines n'était réellement arrivé.

— C'est pas vrai… soufflai-je.

— Mais si, c'est vrai, fit Hayles d'une voix douce.

— Tu ne lui as pas dit avant ? s'agaça la blonde.

Je restai les bras ballants quelques secondes, le regard allant de l'une à l'autre, puis je cédai d'un seul coup, me précipitant sur Hawkeye pour la serrer dans mes bras. Je la sentis se pétrifier de surprise alors que je la tenais près de moi, vivante, et réelle. Comprenant que je n'étais pas en train de rêver j'éclatai en sanglots de soulagement.

— Havoc ?!

— Vous êtes v-vivante… hoquetai-je lamentablement.

Je la sentis me tapoter l'épaule d'un geste distant qui me rappela qu'elle n'était ni expansive ni tactile, mais je n'arrivais pas, je ne pouvais pas la lâcher. Pas après l'avoir pu mourir.

Je comp-prends r-rien, mais je suis t-t-t-ellement content de vous v-voir, sanglotai-je.

Je la serrai dans mes bras alors qu'elle m'avait longtemps terrifié, que je ne m'en étais jamais approché à moins de cinquante centimètres d'elle, que nous n'étions pas vraiment proches et qu'elle n'aurait jamais toléré une telle familiarité en temps normal… Et pourtant, elle me laissait faire, tandis que je reniflais lamentablement, la tête posée sur son épaule, éperdu de soulagement autant que d'incompréhension.

— Lieutenant Havoc, si vous pouviez ne PAS vous moucher dans mes habits, je vous en serai reconnaissante, fit-elle après un moment qui avait dû lui sembler particulièrement long et embarrassant.

— Désolé, fis-je en me redressant.

Hayles me tendit un mouchoir tandis que Hawkeye, après un coup d'œil sur son épaule, retira le pull pour le plier grossièrement et le poser dans un coin du petit bureau encombré.

— C'est q-uoi ce bordel ? fis-je finalement. Comment c'est possible ?

— Longue histoire.

— On va se contenter de la version courte, prévint Hawkeye. Vous ne pouvez pas rester ici trop longtemps. Asseyez-vous, Havoc.

Il n'y avait pas d'autre chaise, alors je m'assis sur un coffre qui traînait là, obéissant comme un enfant face à sa maîtresse d'école.

J'avais retrouvé Hawkeye, et même si je ne savais pas par quel miracle c'était arrivé, j'étais fou de joie. Je m'étais tellement inquiété des suites de ses blessures, du mutisme qu'on nous avait rapporté, tellement horrifié par sa mort, que la voir, là vivante et se comportant comme à son habitude, était une merveilleuse surprise.

Et en même temps, le souvenir de son corps inanimé, aux pieds des fourrés me hantait encore.

— Comment vous avez fait ?

— C'est à Mustang que je dois d'être ici, répondit la blonde, sans sourire pour autant. C'est lui qui a tout orchestré.

— Tout…

- « Si vous vous étiez évadée, vous auriez eu toute l'Armée aux trousses. Mais en étant morte, là, vous serez libre de vos mouvements », cita-t-elle.

— Ça lui ressemble bien, grimaçai-je. Mais… Comment il a fait ? Quand il vous a tiré dessus ?

— Une balle de cire. Ça m'a quand même laissé un beau bleu sur le front.

— Et le médecin légiste…

— Complice. Ils se connaissent depuis la guerre d'Ishbal.

Le souvenir de son corps inanimé sur la table d'autopsie me revint avec un frisson.

— Mais… j'ai vu votre cadavre…

— Mustang avait transmuté le corps d'une anonyme pour remplacer le mien.

Je restai là avec une grimace, quelque part entre le dégout et le « c'est possible, ça ? »

— Comment il a pu préparer tout ça ?! Comment il vous a prévenu pour votre évasion ?

— Il ne m'a pas prévenu.

— Mais alors… comment vous saviez qu'il fallait vous évader à ce moment-là ? Comment il savait où être pour faire sa mise en scène ?

— Je ne savais pas. J'ai juste fait ce qui était logique sur le moment.

— Et il a réussi à anticiper un truc pareil ?!

— C'est Mustang, répondit Hawkeye en haussant les épaules.

C'était Mustang. Il était intelligent — tant que ça ne concernait pas l'identité d'Angie — et avec Hawkeye, ils se connaissaient remarquablement bien. À bien y réfléchir, il n'y avait que lui pour organiser un coup pareil.

Tout à coup, je le revis, la posture raide, les traits tirés, la montre à la main. Et j'entendis à nouveau ses mots qui m'avaient glacé le sang.

Hawkeye est exactement là où elle devrait l'être.

C'était juste avant qu'elle ne déboule face à nous, avant qu'il lui tire dessus sans hésiter. J'avais cru qu'il se satisfaisait de son emprisonnement, qu'il pensait qu'elle le méritait. En réalité, c'était qu'il avait déjà entendu les cris et coups de feu qui avaient accompagné son évasion.

Je me sentis à la fois très soulagé et parfaitement idiot.

— Hayles, tu savais ?

— … Depuis le début, avoua-t-elle en baissant le nez.

— Falman savait aussi ! réalisai-je dans une exclamation.

— Oui.

— Et vous me l'avez pas dit ?!

— Je n'étais pas au courant non plus, rappela Hawkeye.

Je fixai Hayles d'un air de reproche. Elle savait depuis des jours que Hawkeye était vivante, et elle ne m'avait rien dit. Elle m'avait laissé mariner dans ma rage et mon chagrin sans m'avouer la vérité.

— Tu étais au courant du plan… Tu savais ce qui allait arriver ce jour-là, et tu ne m'as rien dit.

— Si tu avais su la vérité, est-ce que tu aurais tabassé Mustang ? répondit simplement la brunette.

Je me figeai, pris au dépourvu par sa question.

— Si j'ai bien suivi, vous étiez la caution réalisme de la scène, compléta Hawkeye d'un ton tranquille. Votre esclandre a détourné l'attention de mon cadavre — quelqu'un qui m'aurait observée de près se serait assez vite rendu compte de la supercherie — et même s'il n'avait pas anticipé vos coups de poing, ils ont contribué à rendre ma mort bien plus crédible.

— Tu étais complice à l'insu de ton plein gré, conclut Hayles en haussant les épaules avec un sourire contrit.

— Je…

J'étais outré, même si je comprenais la logique. Je devais réétalonner ma réalité avec les informations, accepter l'idée que, finalement, Mustang n'était peut-être pas le connard fini que je m'imaginais ces derniers temps. Et en même temps, le fait qu'il m'ait gardé dans l'ignorance et qu'il ait ordonné aux autres d'en faire autant était presque pire, quelque part. Il y avait quelque chose de mesquin à m'avoir mis à l'écart du plan et laissé dans mon malheur et mon incertitude pendant si longtemps.

Je sentis que, si brillant que soit le plan, ce choix était aussi une vengeance plus ou moins assumée pour avoir gardé le silence sur l'identité d'Angie… D'ailleurs, Hawkeye avait, elle aussi, été mise devant le fait accompli.

— C'est quand même salaud de ne pas me l'avoir dit. Et… Et Liore, alors ? Les rumeurs comme quoi il est impliqué dans ce qui s'est passé là-bas ?

— Il était impliqué, oui, répondit Hawkeye d'un ton calme. Mais ils ne sont pas morts.

— … Quoi ?

— Ils ont essayé de faire une Pierre Philosophale, c'est ça ? reprit Hayles.

— Edward et Hugues ont mis en place un plan pour détourner le cercle et berner l'ennemi, puis ils ont évacué la ville. Là, ils sont en route pour Youswell avec le régiment.

Ahuri, je laissai passer un long silence avant de répondre.

— Attentez… Hugues ? Maes Hugues… ?

Hawkeye hocha la tête.

— Hugues est vivant ?!

— Falman ne vous l'avait pas dit ? s'étonna Hawkeye.

— Non, il ne me l'avait pas dit, non ! m'étranglai-je. Vous en avez encore beaucoup, des révélations de ce genre à balancer entre la poire et le fromage ?

Les deux femmes échangèrent un coup d'œil un peu gêné. Je me sentais comme le dernier des imbéciles, à découvrir ce que tout le monde semblait savoir depuis longtemps. Et même si c'était de bonnes nouvelles, j'étais quand même sacrément vexé d'avoir été gardé si longtemps hors de la confidence.

— Alors, si je résume : Hugues est vivant, vous êtes vivante, les civils et militaires disparus de Liore sont vivants — attendez, mais alors, Bryan est peut-être sain et sauf alors ?!

— Il était à Liore ?

— Probablement… Je n'ai pas eu de nouvelles de lui depuis son départ pour Lacosta.

— Ça va être dur à dire, avec les communications coupées, mais en effet, ça peut être le cas, fit Hawkeye avant de poursuivre. Même si on ne peut être sûr de rien dans ce contexte. Enfin, quoi qu'il en soit, Mustang, grâce à ses plans vicieux, s'est mis dans les petits papiers de Bradley. Il est entré au grand conseil, un comité de Généraux véreux, directement à la botte de Dante et des Homonculus.

— Il joue les agents doubles ?

— Et il est plutôt bon. Maintenant, on connaît beaucoup mieux les allégeances des Généraux. Avec les nouvelles informations auxquelles il a accès, il espère pouvoir percer à jour les plans de Dante… et il la côtoie aussi sous une de ses fausses identités pour mieux la jauger.

— Une de ses fausses identités ?

— Pearl Houston, son médecin ? C'est elle.

— … Le médecin de Mustang… c'est Dante ? bredouillai-je. Meeeerde…

— Une bonne soignante, apparemment, fit Hayles. Mais il faut s'en méfier comme la peste.

— Je retiens l'info, fis-je en secouant la tête, un peu ahuri par la quantité de nouvelles qu'on me balançait.

— Il est temps de préparer la contre-attaque, ajouta Hawkeye. Maï, tu as rapporté ce que je t'avais demandé ?

— Ouiii, répondit-elle en tendant l'étui de guitare.

Je le pris pour le faire passer et retins un hoquet en découvrant le poids de l'objet.

— C'est pas une guitare, réalisai-je.

— Non, ce n'est pas une guitare, confirma Hawkeye d'un ton amusé.

Elle ouvrit l'étui, qui contenait en réalité un fusil de précision que la belle blonde regarda d'un air presque affectueux avant de refermer les charnières dans un claquement.

— Ça sera parfait. Par contre, il ne faut pas que vous éternisiez, ça ne prend pas si longtemps de faire une estimation de réparation.

— Mais du coup, ta guitare ? fis-je en me tournant vers Hayles.

— Elle va très bien. Kramer l'héberge dans un placard de son bureau le temps de la « réparation ».

— Oh. Kramer aussi est complice ?

— Il ne sait pas grand-chose… mais oui, on peut dire qu'il est complice.

— D'accord… Il n'y a pas que moi qui suis largué, alors ?

— Avant que vous partiez, Havoc, Mustang m'a transmis une mission pour vous.

— Eh ben, tout arrive, laissai-je échapper, un peu rogue.

— Vous avez été réaffecté sous les ordres de Mingus, n'est-ce pas ?

— Oui.

— Il vous charge d'enquêter sur les agissements du Colonel et de son équipe quand ils ont été envoyés à Liore, il y a environ un an. Il aimerait que vous retrouviez quelle a été la chaîne de commandement qui a donné les ordres si possible, mais surtout… si vous arrivez à avoir des témoignages des soldats, l'air de rien, ou mieux encore, des enregistrements, ça pourrait être utile pour la suite.

— Euh… OK ? Je ferai de mon mieux ?

— Soyez discret malgré tout. Le but n'est pas que vous vous fassiez remarquer.

— Chef, oui, chef.

Je me sentais un peu désarçonné, passant du statut de paria à celui d'un militaire avec une mission sans doute trop subtile pour moi. Hawkeye dut le sentir, car elle posa sur moi un regard presque compatissant.

— Par contre, je préfère vous prévenir… préparez-vous à perdre foi en l'humanité.

— Vous avez l'art de motiver vos troupes, ironisai-je.

Hawkeye ne sourit pas à ma remarque et se contenta de se diriger vers l'arrière de la remise, qui avait été aménagée en chambre de fortune plutôt spartiate. Le long du mur se trouva un évier métallique qui ne devait donner que de l'eau froide, au pied duquel avait été déroulé un matelas à même le sol, une valise posée là… et c'était à peu près tout.

Je me rendis compte que ces derniers jours n'avaient pas dû être très drôles pour Hawkeye non plus.

Elle revint avec une liasse de feuilles pliées en quatre qu'elle me tendit.

— Tenez, Havoc. Que vous sachiez à quoi vous attendre.

— C'est quoi ? Mon ordre de mission ?

— En quelque sorte.

— Et vous ? Vous allez faire quoi ? demandai-je en glissant les papiers dans ma poche intérieure.

La blonde, qui était en train de ranger ses maigres affaires, se redressa pour se tourner vers moi. Malgré le lieu sombre, les vêtements défraîchis et trop grands, elle avait toujours la même élégance sévère dans sa posture. Je me sentis de nouveau intimidé et fus d'autant plus surpris quand elle s'autorisa un sourire avant de répondre, presque malicieusement.

— Moi ? Je vais faire du terrorisme.